Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Du général Lafayette
DU GÉNÉRAL LAFAYETTE,
Ce n’est point ici le lieu d’examiner la vie politique de M. de Lafayette, et de porter, sur sa conduite dans la révolution française, un jugement qui n’appartient qu’à la postérité. On doit au malheur des secours, avant de lui faire entendre des vérités sévères ; et d’ailleurs, comment une voix impartiale obtiendrait-elle en ce moment quelque crédit au milieu des défenseurs enthousiastes et des nombreux accusateurs de Lafayette ? Ceux qui ne croient ni à son héroïsme, ni à ses forfaits, seront difficilement écoutés par les passions qui le défendent ou le condamnent. Rien ne me parait le distinguer éminemment des principaux personnages qui ont commencé la révolution. Il contribua, comme les autres, à faire naître des événements plus grands que lui : il ne sut jamais les diriger, même pour son avantage ; et la raison en est simple. Il se laissa constamment gouverner par la multitude, au lieu de s’en rendre le maître ; il s’aperçut trop tard que le monstre déchaîné par lui et par ses collègues avait plus besoin de frein que d’aiguillon. Le poste difficile où il se trouvait placé, donnait à toutes ses actions je ne sais quoi d’équivoque, dont la haine de toutes les factions a pu profiter contre lui avec trop d’avantage. Il est possible que ses qualités l’eussent rendu très recommandable à tous les partis dans des temps paisibles et dans une autre situation ; mais il s’est jeté volontairement au milieu de circonstances extraordinaires avec lesquelles son caractère et ses talents n’avaient aucune proportion. Un jeune élève de Washington. qui avait acquis de la gloire en Amérique, doit trouver grâce, même aux yeux des monarques les plus absolus, quand il défend la liberté ; mais il est condamnable aux yeux des républicains, quand il ne s’oppose pas aux excès de la licence, qu’il est fait pour réprimer et pour punir. En un mot, les diverses époques de la vie du général Lafayette peuvent justifier ceux qui le louent, ceux qui le blâment, ceux qui le plaignent. On conçoit son premier enthousiasme ; mais bientôt il faut condamner son imprudente faiblesse ; et tout le monde enfin doit louer son repentir, et s’intéresser à ses malheurs.
Les premiers orateurs de l’Angleterre se sont honorés, en implorant pour lui la clémence et la justice de l’empereur. On vient de faire paraître la collection de leurs discours à l’imprimerie du Journal d’Économie publique, chez M. Rœderer, qui s’est fait remarquer aussi parmi les défenseurs de Lafayette. Ces discours sont des modèles que ne peuvent trop étudier les politiques et les orateurs français ; ils y verront avec quelle décence, avec quelle dignité doivent s’exprimer des hommes d’État, et comment on est digne de représenter une grande nation. (Suivent des extraits.)
Veut-on voir un exemple de bienséance encore plus rare parmi nous ? On le trouve dans le discours de M. Fitz-Patrick. Ceux qui le connaissent savent assurément qu’il n’est ni fanatique ni superstitieux. Il parle cependant avec la plus profonde vénération des sentiments religieux de Madame de Lafayette. Il s’indigne qu’on lui ait refusé un confesseur et les autres secours de la religion romaine, qu’elle a, dit-il, demandés inutilement. Il s’est bien gardé, malgré la différence des opinions, de traiter avec légèreté celles d’une femme aussi respectable, qui, dans sa prison. n’a d’autres consolateurs que Dieu et sa conscience.
Si le nom de M. de Lafayette fait naître une juste pitié, celui de Madame de Lafayette excite l’admiration. Ses héroïques vertus défendent son mari contre toutes les haines et auraient dû fléchir l’empereur. Quand le prisonnier d’Olmutz sera délivré, il pourra méditer profondément sur les retours de la fortune au pied des tours du Temple où furent encore enfermées de plus grandes victimes : il y pourra faire un livre instructif à l’usage des peuples et des ambitieux mais il n’en corrigera aucun[1].
- ↑ Lafayette a dit dans ses Mémoires (tome V, page 157) que, lorsque Fontanes fut chargé de l’éloge de Washington, Bonaparte fit parler et parla lui-même à l’orateur pour s’assurer que le nom de Lafayette ne se trouvât pas prononcé. Fontanes, qui avait écrit la page qu’on vient de lire, n’eut pas beaucoup d’effort à faire pour entrer dans l’idée de cette omission.