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EXEMPLE DE WASHINGTON

PROPOSÉ AUX CHEFS D’UNE AUTRE RÉPUBLIQUE.
22 août 1797.


La révolution d’Amérique a produit la nôtre, et le Nouveau Monde peut aujourd’hui donner quelques leçons à l’ancien qui l’a subjugué. Un de mes amis, qui a voyagé en philosophe et en soldat dans les treize États unis, et qui a longtemps servi sous les drapeaux de Washington, m’a vivement intéressé en me parlant quelquefois de ce fondateur de la liberté amérivaine ; ses récits m’ont convaincu que, pour affermir la république française, il ne lui manquait que des hommes tels que Washington. À la tête des armées comme à celle du sénat, dans sa vie publique comme dans sa vie privée, il a mérité l’admiration et l’amour de ses concitoyens. Son grand caractère a comprimé facilement toutes les factions, et l’Amérique en comptait presque autant que la France. Mais s’il avait fallu choisir entre les factions qui déchiraient sa patrie, ce n’est pas assurément celle des niveleurs, des égorgeurs, des jacobins d’Amérique, qu’il eût voulu favoriser. Il savait trop que, dans tous les siècles et dans tous les pays, il est encore plus dangereux d’avoir ces gens-là pour alliés que pour ennemis. Les principes de sa politique et de sa morale ne lui auraient jamais permis d’associer aux enseignes de la liberté celles des brigands et des assassins. « Voici à ce propos, me disait, l’autre jour, l’ami que j’ai cité en commençant, ce que pensait le héros du Nouveaux Monde.

« Quand le bruit de quelque complot royaliste se répandait en Amérique, j’observais attentivement Washington. Il ne se hâtait jamais d’y croire. Il était toujours tranquille comme la sagesse, et simple comme la vertu. La crainte exagère tout, disait-il, et la multitude aime à s’alarmer. Mais il est certaines erreurs qui ne doivent jamais arriver jusqu’à l’homme chargé des destinées d’un grand peuple. Au reste, les ennemis dont je me défie le plus, ne sont pas ceux dont le cœur reste attaché au roi George, et si on doit condamner leurs principes, on peut estimer leur caractère. Les Anglais les plus patriotes ne persécutent point le petit nombre d’Écossais qui est resté fidèle à la maison des Stuarts. Cette constance dans les opinions de quelques individus, y est même respectée quand elle ne trouble point la tranquillité publique. Mais je crains quelques hommes artificieux et pervers qui ont marché les premiers sous mes drapeaux ; qui, toujours pleins d’emportement, veulent pousser la foule aux partis extrêmes, et qui osent accuser Washington de ne pas assez aimer la liberté. »

« Quelques jours après ce discours d’un grand homme, le perfide Arnold, qu’on croyait le plus ardent des républicains, trahit l’Amérique et se rendit à l’Angleterre. »