Œuvres complètes (Tolstoï)/Tome IV/Appendice

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Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 4p. 397-405).


APPENDICE




I


SÉBASTOPOL EN DÉCEMBRE 1854, EN MAI ET AOÛT 1855


a) Les trois récits intitulés « Sébastopol » et parus l’un après l’autre, ont été écrits par Tolstoï sous l’impression vivante des événements héroïques et sanglants auxquels lui-même prit part.

Le premier récit, qui, dit-on, fit pleurer l’impératrice Alexandra Fédorovna, fut inséré dans la revue Le Contemporain (Sovremennik). Il attira l’attention de toute la société russe et même celle de l’empereur Nicolas Ier, qui, après avoir lu le récit, ordonna d’éloigner Tolstoï des points dangereux du quatrième bastion. Il fut envoyé au flanc avec le titre de commandant de la batterie de montagnes.

Dans les milieux littéraires, l’impression fut la même ; voici ce qu’écrivit Tourgueniev au directeur du « Contemporain ». J.-J. Panaiev :

« … L’article de Tolstoï sur Sébastopol est une merveille, j’ai pleuré en le lisant et crié : Hourra ! Je suis très flatté de son désir de me dédier son nouvel écrit. J’ai lu dans les Bulletins de Moscou, l’annonce du Contemporain. Très bien ! Dieu donne que vous puissiez tenir vos promesses, c’est-à-dire que vous ayez des articles, qu’on ne tue pas Tolstoï, etc. Cela vous aiderait beaucoup.

L’article de Tolstoï a produit ici un enthousiasme général… »

Spasskoié, 10 juillet 1855

Un de ces récits fut accompagné de la lettre suivante de Tolstoï à M. Nekrassov directeur du Contemporain :

Monsieur Nikolaï Alexeivitch

Vous deviez déjà recevoir mon article « Sébastopol » au mois de décembre avec la promesse de l’article de Stolipine. Voici cet article malgré l’orthographe sauvage du manuscrit que vous même donnerez l’ordre de corriger, s’il est inséré sans coupure de la censure, ce que l’auteur veut éviter de toutes ses forces. Vous conviendrez, j’espère, que chez nous, malheureusement, on insère peu ou point les articles de pareils militaires. Par le même courrier peut-être recevrez-vous l’article de Saken, dont je ne vous dis rien mais que, j’espère, vous n’insérerez pas. Les corrections (dans l’article de Stolipine) sont faites à l’encre noire par Khrouliov, de la main gauche, car il est blessé à la main droite. Stolipine demande de les mettre en notes. Si possible, je vous prie de faire passer mon article ainsi que celui de Stolipine dans le numéro de juin. Maintenant nous sommes réunis, la société littéraire de notre revue commence à s’organiser et, comme je vous l’ai écrit je vous enverrai chaque mois deux, trois, quatre articles traitant des affaires militaires actuelles. Les deux meilleurs collaborateurs, Bakounine et Rostovtzev, n’ont pas encore pu terminer leurs articles. Ayez la bonté de me répondre et en général, écrivez avec le courrier (l’aide de camp de Gortchakov) et avec les courriers suivants, qui sans cesse font le service de vous ici et inversement.

Croyez à l’entier respect avec lequel j’ai l’honneur d’être votre serviteur.

Comte L. Tolstoï.
Sébastopol, 30 avril 1855.

Bientôt après la défaite des Russes du 7 août 1855, Tolstoï fut chargé d’une mission importante. Le chef de l’artillerie le chargea de faire un rapport général de tous les rapports des officiers d’artillerie du bastion et de le remettre personnellement à Pétersbourg où Tolstoï était envoyé comme courrier.

En parlant de la participation de Tolstoï à la défense de Sébastopol, nous devons mentionner la fameuse « Chanson de Sébastopol, » dont Tolstoï est l’un des principaux auteurs. Nous en donnons la traduction littérale, en regrettant qu’à la traduction elle perde l’humour du soldat russe, intraduisible.

Chanson de Sébastopol.

À la date du quatre[1]
Le diable nous poussa
À reprendre les montagnes ! (bis)
Le général, baron Vrevsky,
Houspillait Gortchakov :
Quand il se grisait ? (bis)
« Prince, prends cette montagne,
« Ne te querelle pas avec moi,
« Autrement je dénoncerai ! »[2] (bis)
Toutes les grandes épaulettes
Se réunirent en conseil,
Même Platz-Bekok (bis),
Le chef de police Platz-Bekok,
N’a jamais pu trouver
Ce qu’il lui fallait dire. (bis).
Longtemps on réfléchit et discuta ;

Les topographes écrivaient sans cesse
Sur une grande feuille, (bis)
Sur le papier c’était très bien,
Mais on oublia les ravins
Et il fallait les traverser. (bis)
Les princes et les comtes sont partis,
Et derrière eux les topographes,
Sur une grande redoute… (bis)
Le prince dit : « Va, Liprandi ! »
Et Liprandi : « Non, attendez,
» Ma foi, je n’irai pas ! (bis)
» Là-bas, il ne faut pas d’homme d’esprit
» Envoie donc là-bas Read,
» Et moi je regarderai ! » (bis)
On l’envoie. Read tout simplement
Nous conduit tout droit vers le pont.
« Eh bien ! Hourra ! » (bis)
Martenaü le suppliait
D’attendre la réserve :
« Non, qu’ils marchent ! » (bis).
Hourra ! Nous fîmes beaucoup de bruit,
Mais les réserves n’arrivèrent pas à temps.
Quelqu’un prit fausse route ! (bis)
Le général Belevtzov
Brandissait fortement le drapeau
Mais sans utilité ! (bis)
Sur les hauteurs de Fédukhine
Trois compagnies seulement arrivèrent
Et c’étaient des régiments mis en marche. (bis)
Notre armée n’était pas grande
Les Français étaient trois fois plus nombreux,
Avec d’énormes renforts. (bis)
On espérait qu’à notre secours
Une colonne quitterait la garnison.

On a donné le signal ! (bis)
Et là-bas le général Saken
Lisait sans répit les Acathistes
À Notre-Dame
Et nous dûmes reculer[3].

. . . . . . . . . . . . . . .

Ceux qui nous avaient amenés là.

Cette chanson fut insérée pour la première fois dans une variante au troisième volume de « L’Étoile Polaire », éditée par Hertzen, à Londres, en 1858 ; ensuite dans la revue russe « Rousskaïa Starina » (les antiquités russes) en février 1875. Elle était communiquée à cette revue par un écrivain et savant très connu, M. I. Vénukov. Le texte de cette chanson était suivi de la note suivante due à M. Venukov : « En 1854-1856 j’étais à l’Académie de l’état-major pour étudier les sciences militaires. Ici je reçus de la Crimée, du théâtre de la guerre, la copie de cette chanson que m’envoyait un de mes anciens camarades, J.-V. Anossov, officier de la 14e brigade d’artillerie. En ce qui concerne l’auteur de cette spirituelle plaisanterie, Anossov m’écrivait que l’opinion générale, au régiment, l’attribuait à notre talentueux écrivain comte L.-N. Tolstoï. Mais tu comprends, ajoutait Anossov, qu’il est impossible de l’affirmer avec certitude pour ne pas nuire à Tolstoï dans le cas où il en serait effectivement l’auteur. »

Dans cette même revue, cette chanson parut de nouveau en février 1884 dans la variante que nous donnons ici ; elle était signée : « Un des auteurs de la Chanson de Sébastopol. »

Voici comment il racontait l’origine de cette chanson : « Le comte L.-N. Tolstoï est en effet l’un des auteurs de cette chanson, mais pas l’auteur de tous les couplets. Aussi n’est-il pas tout à fait exact de lui attribuer la composition de toute cette spirituelle chanson. C’est pour la vérité historique qu’en ma qualité de témoin oculaire je vous communique l’histoire de son origine.

Pendant la guerre de Crimée, presque chaque soir nous nous réunissions chez le chef de l’état-major d’artillerie, général Krijanovsky. Là se trouvaient tous les officiers de l’état-major et quelques autres, dont ci-dessous les noms. Ordinairement le lieutenant-colonel Baluzeck se mettait au piano, les autres faisaient le cercle. Ensemble nous composâmes ces couplets. Chacun apportait son idée et mettait son mot. Le comte L.-N. Tolstoï a donné aussi des idées, mais il n’a pas fait tout. C’est pourquoi l’on peut dire que cette improvisation était une œuvre commune exprimant l’impression des cercles militaires.

Voici les noms des officiers qui prirent part à la composition de la « Chanson de Sébastopol » : le lieutenant-colonel Baluzeck, plus tard gouverneur de la province de Tourgaïsk, décédé ; le capitaine A.-J. Fridé, aujourd’hui chef de l’artillerie du Caucase ; le capitaine en second, comte L.-N. Tolstoï ; le lieutenant V. Louguinine, le lieutenant Schoubine, le capitaine en second Serjpoutovskoï, le lieutenant Chkliarskoï, l’officier des uhlans N.-F. Kozlianinov (2e), et l’officier des hussards N.-S. Moussine-Pouschkine. »

Cette chanson fut rapidement attrapée par les soldats. Si l’on songe dans quelles circonstances elle fut composée, si l’on se rappelle les horreurs de la mort, les gémissements des blessés, le sang, l’incendie, les meurtres qui emplissaient l’atmosphère de Sébastopol, malgré soi on reste étonné de cette force d’esprit qui laissait place à la plaisanterie en dépit des menaces incessantes, des souffrances et de la mort.




Les récits de Sébastopol ont paru en français pour la première fois dans le journal le Temps, en 1876. Ils y furent insérés par les soins de Tourguenev.

Les récits de Sébastopol sont entrés dans un volume paru chez Hachette sous le titre : Souvenirs de Sébastopol, où se trouve aussi la nouvelle : Les Cosaques.


II


Une Rencontre au détachement avec une connaissance de Moscou. Ce récit parut en russe pour la première fois dans la revue Bibliothèque de Lecture, 1856, no 12, et en français dans le recueil édité chez Dentu, sous le titre : Paysans et soldats ; là ce récit est appelé : Une Rencontre en campagne.


III


Deux Hussards. Cette nouvelle fut insérée en russe pour la première fois en 1856, dans le no 5 de la revue Le Contemporain.

En français elle fut traduite par M. G. Halpérine, sous le titre : Deux Générations, et éditée en un volume, en 1886, par la Librairie académique Didier, Perrin et Cie.



  1. 4 août 1855, bataille près de Tchornaïa-Rietchka.
  2. Le baron P.-A. Vrevsky, ancien directeur de la chancellerie du ministère de la guerre, se trouvait en Crimée et excitait Gortchakov à livrer une bataille décisive aux alliés.
  3. Ici il devait y avoir une injure populaire, grossière, impossible à insérer, puisque cette ligne est omise même dans l’édition d’Hertzen.