PRÉFACE
AU point de vue de leur publication, les ouvrages d’Estienne de La Boétie se divisent naturellement en deux catégories : ceux qui ont été imprimés par Montaigne, et ceux qui ont vu le jour sans son assentiment.
Les premiers, qui comprennent les traductions de Xénophon et de Plutarque, les poésies françaises et latines, offrent toutes les garanties d’exactitude et de correction. Il suffit donc, pour les remettre en lumière, de suivre fidèlement le texte donné par Montaigne. C’est ce qui a été fait dans la présente édition.
Au contraire, le Discours de la Servitude volontaire ne nous est point parvenu dans de semblables conditions. Quoi qu’en ait dit le Dr J.-F. Payen, nous ne sommes point assurés de posséder le vrai texte de l’auteur. Publiée à l’insu de Montaigne et contre son gré, l’œuvre de La Boétie nous a été conservée par deux documents à peu près contemporains : le troisième volume des Mémoires de l’Estat de France sous Charles neufiesme, et un volume manuscrit du fonds de Mesmes, publié par le Dr Payen.
Cette copie, actuellement conservée au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, sous le no 839 du Fonds français, a été effectuée pour Henri de Mesmes, qui voulait réfuter le Contr’un, et auquel Montaigne dédia un des opuscules de son ami. Elle semblerait donc offrir de sérieuses présomptions d’exactitude. À l’examen, on se convainc aisément qu’elle a été faite par un copiste maladroit, qui a défiguré maintes fois l’opuscule qu’il avait à transcrire.
C’est cependant le texte de cette copie qui est devenu la base de la présente publication du Discours de la Servitude volontaire. Nous avons seulement mis en notes toutes les variantes qui se trouvent dans les Mémoires de l’Estat de France et aussi dans le Réveille-Matin des François. Souvent, elles éclairent la pensée de La Boétie, et quelques-unes d’entre elles ont une importance qui n’échappera pas au lecteur. On peut, de la sorte, en comparant les différences de rédaction, reconstituer plus aisément la forme primitive.
Toutes les fois que le texte de La Boétie nous a paru exiger un Commentaire, nous avons essayé de le donner dans des annotations publiées à la fin du volume. Il est juste de remarquer ici que ce travail nous a été beaucoup facilité par nos devanciers : M. Léon Feugère, dont l’édition des Œuvres de La Boétie nous a été d’un grand secours ; le Dr Payen, dont la collection est une source d’informations à laquelle les amis de Montaigne ne sauraient s’empêcher de puiser.
Nous avons essayé surtout de rapprocher La Boétie des écrivains qui furent ses compatriotes et ses concitoyens. Là encore, les excellents travaux précédemment publiés, sur Montaigne, sur Brantôme et sur Pierre de Brach notamment, nous ont singulièrement aidé dans cette tâche. Enfin, un index philologique dirige les recherches des curieux au milieu des divers opuscules de La Boétie.
Pour mieux faire comprendre l’œuvre, nous avons voulu faire connaître l’auteur. L’étude qui ouvre ce volume, n’a pas d’autre ambition. Couronnée d’abord par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, elle a été modifiée et corrigée en vue de sa nouvelle destination. Qu’il me soit permis de remercier l’Académie de Bordeaux de la récompense qu’elle a bien voulu me décerner à cette occasion.
Cette marque d’intérêt n’est pas la seule dont j’aie été honoré. Quelles que soient les imperfections de cette édition nouvelle, si elle peut être utile aux travailleurs, elle le devra aux bons enseignements qui m’ont guidé. Je suis heureux de le reconnaître maintenant. Je dois beaucoup à mon maître, M. Reinhold Dezeimeris, dont la bienveillance n’a pas cessé de m’encourager, comme sa science me conduisait. Tous ceux qui apprécient les travaux du philologue comprendront combien une pareille direction m’a été précieuse. Je remercie également M. Leo Drouyn, artiste aussi habile que savant archéologue, dont le robuste talent a illustré ce volume ; M. Philippe Tamizey de Larroque, Correspondant de l’Institut, dont la bonne grâce est toujours prête à obliger ; M. le vicomte Gaston de Gérard, qui a mis à ma disposition, avec une courtoisie parfaite, les recherches qu’il avait faites sur la famille de La Boétie. Je les prie de vouloir bien agréer l’expression de ma reconnaissance