Œuvres complètes de Béranger/Le Cachet, ou Lettre à Sophie

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LE CACHET

OU
LETTRE À SOPHIE


1824


Air de la Bonne Vieille, de B. Wilhem (Air noté )


Il vient de toi ce cachet où le lierre
Serpente en or, symbole ingénieux ;
Cachet où l’art a gravé sur la pierre
Un jeune Amour au doigt mystérieux.
Il est sacré : mais en vain, ma Sophie,
À ton amant il offre son secours ;
De son pouvoir ma plume se défie.
Plus de secret, même pour les amours !

Pourquoi, dis-tu, si loin de ton amie,
Quand une lettre adoucit ses regrets,
Pourquoi penser qu’une main ennemie
Brise le dieu qui scelle nos secrets ?
Je ne crains point qu’un jaloux en délire,
Jamais, Sophie, à ce crime ait recours.
Ce que je crains, je tremble de l’écrire.
Plus de secret, même pour les amours !


Il est, Sophie, un monstre à l’œil perfide[1],
Qui de Venise ensanglanta les lois ;
Il tend la main au salaire homicide,
Souffle la peur dans l’oreille des rois ;
Il veut tout voir, tout entendre, tout lire,
Cherche le mal et l’invente toujours ;
D’un sceau fragile il amollit la cire.
Plus de secret, même pour les amours !

Ces mots tracés pour toi seule, ô Sophie !
Son œil affreux avant toi les lira.
Ce qu’au papier ma tendresse confie
Ira grossir un complot qu’il vendra.
Ou bien, dit-il, de ce couple qui s’aime
Livrons la vie aux sarcasmes des cours,
Et déridons l’ennui du diadème.
Plus de secret, même pour les amours !

Saisi d’effroi, je repousse la plume
Qui de l’absence eût charmé la douleur.
Pour le cachet la cire en vain s’allume,
On le rompra ; j’aurai fait ton malheur.
Par le grand roi qui trahit La Vallière,
Ce lâche abus fut transmis à nos jours[2].
Cœurs amoureux, maudissez sa poussière.
Plus de secret, même pour les amours !



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


LE CACHET ou LETTRE À SOPHIE.

Air de la Bonne Vieille (de M. B. Wilhem.)
No 203.



\relative c'' {
  \time 2/2
  \key c \major
  \tempo "Moderato."
  \autoBeamOff
  \set Score.tempoHideNote = ##t
    \tempo 4 = 120
  \set Staff.midiInstrument = #"piccolo"
r4 e, g c | e2 f4. f8 | d4 (c) b a
g4. (e8) g2 | r4 g a d | c2 b | c4 b c e | d1
r4 e, g c | e2 f | d4 c b a | g4. (fis8) d'2 | r4 a b a
c2. a4 | e4. e8 fis4 a | g2 r | r4 g g g | a2 g4. g8
% {page suivante}
c4 (b) c e | d4. (e8) f2 | r4 g, g g | a2 (g4.) g8
c4 b c cis | d1 | r4 e e d | f2. d4 | a b c d
c4. (d8) e2 | r4 e e d | f (e) d c | a2 g4. g8 | c2 r \bar "||"
}

\addlyrics {
Il vient de toi ce ca -- chet où le lier -- re
Ser -- pente en or sym -- bole in -- gé -- ni -- eux
Ca -- chet où l’art a gra -- vé sur la pier -- re
Un jeune A -- mour au doigt mys -- té -- ri -- eux
Il est sa -- cré mais en vain ma So -- phi -- e
À ton a -- mant il of -- fre son se -- cours
De son pou -- voir ma plu -- me se dé -- fi -- e
Plus de se -- cret mê -- me pour les a -- mours.
}

Haut

  1. La police. On fait honneur de son invention au gouvernement inquisitorial de Venise.
  2. L’établissement du Cabinet noir, où le secret des lettres fut tant de fois violé, remonte au règne de Louis XIV. Son successeur se faisait un amusement des révélations scandaleuses qu’on arrachait ainsi aux correspondances particulières.

    Après la révolution de Juillet, le Cabinet noir fut supprimé.