Chrétien, au voyageur souffrant
Tends un verre d’eau sur ta porte.
Je suis, je suis le Juif errant,
Qu’un tourbillon toujours emporte. (bis.)
Sans vieillir, accablé de jours,
La fin du monde est mon seul rêve.
Chaque soir j’espère toujours ;
Mais toujours le soleil se lève.
Toujours, toujours, (bis.)
Tourne la terre où moi je cours,
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bis.
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Toujours, toujours, toujours, toujours.
Depuis dix-huit siècles, hélas !
Sur la cendre grecque et romaine,
Sur les débris de mille états,
L’affreux tourbillon me promène.
J’ai vu sans fruit germer le bien,
Vu des calamités fécondés ;
Et pour survivre au monde ancien,
Des flots j’ai vu sortir deux mondes.
Toujours, toujours,
Tourne la terre où moi je cours,
Toujours, toujours, toujours, toujours
Dieu m’a changé pour me punir :
À tout ce qui meurt je m’attache.
Mais du toit prêt à me bénir
Le tourbillon soudain m’arrache.
Plus d’un pauvre vient implorer
Le denier que je puis répandre,
Qui n’a pas le temps de serrer
La main qu’en passant j’aime à tendre.
Toujours, toujours,
Tourne la terre où moi je cours,
Toujours, toujours, toujours, toujours.
Seul, au pied d’arbustes en fleurs,
Sur le gazon, au bord de l’onde,
Si je repose mes douleurs,
J’entends le tourbillon qui gronde.
Eh ! qu’importe au ciel irrité
Cet instant passé sous l’ombrage ?
Faut-il moins que l’éternité
Pour délasser d’un tel voyage ?
Toujours, toujours,
Tourne la terre où moi je cours,
Toujours, toujours, toujours, toujours.
Que des enfants vifs et joyeux,
Des miens me retracent l’image ;
Si j’en veux repaître mes yeux,
Le tourbillon souffle avec rage.
Vieillards, osez-vous à tout prix
M’envier ma longue carrière ?
Ces enfants à qui je souris,
Mon pied balaiera leur poussière.
Toujours, toujours,
Tourne la terre où moi je cours,
Toujours, toujours, toujours, toujours.
Des murs où je suis né jadis,
Retrouvé-je encor quelque trace ;
Pour m’arrêter je me roidis ;
Mais le tourbillon me dit : « Passe !
« Passe ! » et la voix me crie aussi :
« Reste debout quand tout succombe.
« Tes aïeux ne t’ont point ici
« Gardé de place dans leur tombe. »
Toujours, toujours,
Tourne la terre où moi je cours,
Toujours, toujours, toujours, toujours.
J’outrageai d’un rire inhumain
L’homme-dieu respirant à peine…
Mais sous mes pieds fuit le chemin ;
Adieu, le tourbillon m’entraîne.
Vous qui manquez de charité,
Tremblez à mon supplice étrange :
Ce n’est point sa divinité,
C’est l’humanité que Dieu venge.
Toujours, toujours,
Tourne la terre où moi je cours,
Toujours, toujours, toujours, toujours.
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