Œuvres complètes de Béranger/Le Tailleur et la Fée
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LE TAILLEUR ET LA FÉE
DE MA NAISSANCE
Dans ce Paris plein d’or et de misère,
En l’an du Christ mil sept cent quatre-vingt,
Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père,
Moi nouveau-né, sachez ce qui m’advint.
Rien ne prédit la gloire d’un Orphée
À mon berceau, qui n’était pas de fleurs :
Mais mon grand-père, accourant à mes pleurs,
Me trouve un jour dans les bras d’une fée :
Et cette fée, avec de gais refrains, |
bis. |
Le bon vieillard lui dit, l’âme inquiète :
« À cet enfant quel destin est promis ? »
Elle répond : « Vois-le, sous ma baguette,
« Garçon d’auberge, imprimeur et commis.
« Un coup de foudre ajoute à mes présages[1] :
« Ton fils atteint va périr consumé ;
« Dieu le regarde, et l’oiseau ranimé
« Vole en chantant braver d’autres orages. »
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.
« Tous les plaisirs, sylphes de la jeunesse,
« Éveilleront sa lyre au sein des nuits.
« Au toit du pauvre il répand l’allégresse ;
« À l’opulence il sauve des ennuis.
« Mais quel spectacle attriste son langage ?
« Tout s’engloutit, et gloire et liberté ;
« Comme un pêcheur qui rentre épouvanté,
« Il vient au port raconter leur naufrage. »
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.
Le vieux tailleur s’écrie : « Eh quoi ! ma fille
« Ne m’a donné qu’un faiseur de chansons !
« Mieux jour et nuit vaudrait tenir l’aiguille
« Que, faible écho, mourir en de vains sons. »
« Va, dit la fée, à tort tu t’en alarmes ;
« De grands talents ont de moins beaux succès.
« Ses chants légers seront chers aux Français,
« Et du proscrit adouciront les larmes. »
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.
Amis, hier, j’étais faible et morose,
L’aimable fée apparaît à mes yeux.
Ses doigts distraits effeuillent une rose ;
Elle me dit : « Tu te vois déjà vieux.
« Tel qu’aux déserts parfois brille un mirage[2],
« Aux cœurs vieillis s’offre un doux souvenir.
« Pour te fêter tes amis vont s’unir :
« Longtemps près d’eux revis dans un autre âge. »
Et puis la fée, avec ses gais refrains,
Comme autrefois dissipa mes chagrins.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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