Œuvres complètes de Béranger/Le Tailleur et la Fée

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LE TAILLEUR ET LA FÉE


chanson
CHANTÉE À MES AMIS LE 19 AOÛT, JOUR ANNIVERSAIRE
DE MA NAISSANCE
1822


Air d’Agéline (de Wilhem) (Air noté )


Dans ce Paris plein d’or et de misère,
En l’an du Christ mil sept cent quatre-vingt,
Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père,
Moi nouveau-né, sachez ce qui m’advint.
Rien ne prédit la gloire d’un Orphée
À mon berceau, qui n’était pas de fleurs :
Mais mon grand-père, accourant à mes pleurs,
Me trouve un jour dans les bras d’une fée :

Et cette fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

bis.


Le bon vieillard lui dit, l’âme inquiète :
« À cet enfant quel destin est promis ? »
Elle répond : « Vois-le, sous ma baguette,
« Garçon d’auberge, imprimeur et commis.

« Un coup de foudre ajoute à mes présages[1] :
« Ton fils atteint va périr consumé ;
« Dieu le regarde, et l’oiseau ranimé
« Vole en chantant braver d’autres orages. »
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

« Tous les plaisirs, sylphes de la jeunesse,
« Éveilleront sa lyre au sein des nuits.
« Au toit du pauvre il répand l’allégresse ;
« À l’opulence il sauve des ennuis.
« Mais quel spectacle attriste son langage ?
« Tout s’engloutit, et gloire et liberté ;
« Comme un pêcheur qui rentre épouvanté,
« Il vient au port raconter leur naufrage. »
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

Le vieux tailleur s’écrie : « Eh quoi ! ma fille
« Ne m’a donné qu’un faiseur de chansons !
« Mieux jour et nuit vaudrait tenir l’aiguille
« Que, faible écho, mourir en de vains sons. »
« Va, dit la fée, à tort tu t’en alarmes ;
« De grands talents ont de moins beaux succès.
« Ses chants légers seront chers aux Français,
« Et du proscrit adouciront les larmes. »
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.


Amis, hier, j’étais faible et morose,
L’aimable fée apparaît à mes yeux.
Ses doigts distraits effeuillent une rose ;
Elle me dit : « Tu te vois déjà vieux.
« Tel qu’aux déserts parfois brille un mirage[2],
« Aux cœurs vieillis s’offre un doux souvenir.
« Pour te fêter tes amis vont s’unir :
« Longtemps près d’eux revis dans un autre âge. »
Et puis la fée, avec ses gais refrains,
Comme autrefois dissipa mes chagrins.



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


LE TAILLEUR ET LA FÉE.

Air d’Angéline (de Wilhem).
No 190



\relative c'' {
  \time 2/2
  \key c \major
  \tempo "Allegretto."
  \autoBeamOff
  \set Score.tempoHideNote = ##t
    \tempo 4 = 110
  \set Staff.midiInstrument = #"piccolo"
\partial 2 r8 g g e | c'4 c8 c d4 d8 e
d4 c r8 d16[ (c)] b8 c
  a4 r8 f' f e d c
  b4 r r8. g16 g8. e16
c'8. d16 c8. g16 e'4. d16[ (c)]
  b4 a r8 a a8. d16
d8. c16 a8. a16 b4 a
  g2 r8 g'16[ (f)] e8 d
  c8. b16 c4. g8 c e
e4 d r8 d d d 
  d4 a8 a b4 c8 c
  d2 r8 g16[ (f)] e8 d
c8. b16 c4. g8 c e
  e4 (d) r8 d d d 
  c4 c8 c d4 ees8. c16
c8.[ (b16)] b4 r8\fermata g e' e
  c4. d16[ (c)] b8 c16[ (b)] a8 b16[ (a)] 
  g2 r8 c f f
e4. c8 b8. b16 b8. g16
  d'2 r8 g, e'8. e16
  c4. d16[ (c)] b8 c16[ b)] a8 b16[ (a)]
% {page suivante}
g2 r8 c f8. f16
  d4. c8 b8. b16 b8. g16
  c4 r \bar "||"
}

\addlyrics {
Dans ce Pa -- ris plein d’or et de mi -- sè -- re
En l’an du Christ mil sept cent qua -- tre- vingt
Chez un tail -- leur mon pauvre et vieux grand- pè -- re
Moi nou -- veau- né sa -- chez ce qui m’ad -- vint
Rien ne pré -- dit la gloi -- re d’un Or -- phé -- e
À mon ber -- ceau qui n’é -- tait pas de fleurs
Mais mon grand- père ac -- cou -- rant à mes pleurs
Me trouve un jour dans les bras d’u -- ne fé -- e
Et cet -- te fée a -- vec de gais re -- frains
Cal -- mait le cri de mes pre -- miers cha -- grins
Et cet -- te fée a -- vec de gais re -- frains
Cal -- mait le cri de mes pre -- miers cha -- grins.
}

Haut

  1. L’auteur fut frappé de la foudre dans sa jeunesse.
  2. Les effets fantastiques du mirage trompent les yeux du voyageur jusque dans les sables du désert : il croit voir devant lui des forêts, des lacs, des ruisseaux, etc.