Fatigué des clartés confuses
Qui m’ont égaré bien souvent,
J’allais bannir amours et muses ;
J’allais vouloir être savant.
Mais quoi ! pour une âme incertaine
La science est d’un vain secours.
Gardons Lisette et La Fontaine :
Muses, restez ; restez, Amours.
La nature était mon Armide ;
Dans ses jardins j’errais surpris :
Mais un chimiste moins timide
Règne en vainqueur sur leurs débris.
Dans son fourneau rien qu’il ne jette ;
Des gaz il poursuit le concours.
Ma fée y perdrait sa baguette :
Muses, restez ; restez, Amours.
J’ai regret aux contes de vieille
Quand un docteur dit qu’à sa voix
Les morts lui viennent à l’oreille
De la vie expliquer les lois.
De la lampe il voit la matière,
Les ressorts, le fond, les contours ;
Je n’en veux voir que la lumière.
Muses, restez ; restez, Amours.
Enfin aux calculs qu’on entasse
Si les cieux n’obéissaient pas :
Plus d’une erreur passe et repasse
Entre les branches d’un compas.
Un siècle a changé la physique ;
Nos temps sont féconds en retours.
Je crains que le soleil n’abdique :
Muses, restez ; restez, Amours.
Enivrons-nous de poésie,
Nos cœurs n’en aimeront que mieux ;
Elle est un reste d’ambroisie
Qu’aux mortels ont laissé les dieux.
Quel est sur moi le froid qui tombe !
C’est le froid du soir de mes jours.
Promettez un rêve à ma tombe :
Muses, restez ; restez. Amours.