Œuvres complètes de Béranger/Le Temps
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LE TEMPS
Près de la beauté que j’adore
Je me croyais égal aux dieux,
Lorsqu’au bruit de l’airain sonore
Le Temps apparut à nos yeux. (bis.)
Faible comme une tourterelle
Qui voit la serre des vautours,
Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours !
Devant son front chargé de rides
Soudain nos yeux se sont baissés ;
Nous voyons à ses pieds rapides
La poudre des siècles passés.
À l’aspect d’une fleur nouvelle
Qu’il vient de flétrir pour toujours,
Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours !
Je n’épargne rien sur la terre,
Je n’épargne rien même aux cieux,
Répond-il d’une voix austère :
Vous ne m’avez connu que vieux.
Ce que le passé vous révèle
Remonte à peine à quelques jours.
Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours !
Sur cent premiers peuples célèbres
J’ai plongé cent peuples fameux
Dans un abîme de ténèbres,
Où vous disparaîtrez comme eux.
J’ai couvert d’une ombre éternelle
Des astres éteints dans leur cours.
Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours !
Mais, malgré moi, de votre monde
La volupté charme les maux ;
Et de la nature féconde
L’arbre immense étend ses rameaux.
Toujours sa tige renouvelle
Des fruits que j’arrache toujours.
Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours !
Il nous fuit ; et près de le suivre,
Les plaisirs, hélas ! peu constants,
Nous voyant plus pressés de vivre,
Nous bercent dans l’oubli du Temps.
Mais l’heure en sonnant nous rappelle
Combien tous nos rêves sont courts ;
Et je m’écrie avec ma belle :
Vieillard, épargnez nos amours !
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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