Œuvres complètes de Béranger/Mon Tombeau
Pour les autres éditions de ce texte, voir Mon Tombeau.
MON TOMBEAU
Moi, bien portant, quoi ! vous pensez d’avance
À m’ériger une tombe à grands frais !
Sottise ! amis ; point de folle dépense.
Laissez aux grands le faste des regrets.
Avec le prix ou du marbre ou du cuivre,
Pour un gueux mort habit cent fois trop beau,
Faites achat d’un vin qui pousse à vivre ;
Buvons gaîment l’argent de mon tombeau.
À votre bourse un galant mausolée
Pourrait coûter vingt mille francs et plus.
Sous le ciel pur d’une riche vallée,
Allons six mois vivre en joyeux reclus.
Concerts et bals où la beauté convie,
Vont de plaisirs nous meubler un château.
Je veux risquer de trop aimer la vie ;
Mangeons gaîment l’argent de mon tombeau.
Mais je vieillis, et ma maîtresse est jeune.
Or il lui faut des parures de prix.
L’éclat du luxe adoucit un long jeûne ;
Témoin Longchamps où brille tout Paris.
Vous devez bien quelque chose à ma belle.
D’un cachemire elle attend le cadeau.
En viager sur un cœur si fidèle,
Plaçons gaîment l’argent de mon tombeau.
Non, mes amis, au spectacle des ombres
Je ne veux point d’une loge d’honneur.
Voyez ce pauvre, au teint pâle, aux yeux sombres ;
Près de mourir, ah ! qu’il goûte au bonheur.
À ce vieillard qui, las de sa besace,
Doit avant moi voir lever le rideau,
Pour qu’au parterre il me garde une place,
Donnons gaîment l’argent de mon tombeau.
Qu’importe à moi, que mon nom sur la pierre
Soit déchiffré par un futur savant ?
Et quant aux fleurs qu’on promet à ma bière,
Mieux vaut, je crois, les respirer vivant.
Postérité, qui peux bien ne pas naître,
À me chercher n’use point ton flambeau.
Sage mortel, j’ai su par la fenêtre
Jeter gaîment l’argent de mon tombeau.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
↑ Haut