Œuvres complètes de Béranger/Prédiction de Nostradamus pour l’an deux-mil
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PRÉDICTION
DE NOSTRADAMUS p*
POUR L’AN DEUX MIL.
Nostradamus, qui vit naître Henri-Quatre,
Grand astrologue, a prédit dans ses vers,
Qu’en l’an deux mil, date qu’on peut débattre,
De la médaille on verrait le revers.
Alors, dit-il, Paris dans l’allégresse,
Au pied du Louvre ouïra cette voix :
« Heureux Français, soulagez ma détresse ;
« Faites l’aumône (bis) au dernier de vos rois. »
Or, cette voix sera celle d’un homme
Pauvre, à scrofule, en haillons, sans souliers,
Qui, né proscrit, vieux, arrivant de Rome,
Fera spectacle aux petits écoliers.
Un sénateur criera : « L’homme à besace !
« Les mendiants sont bannis par nos lois. »
— « Hélas ! monsieur, je suis seul de ma race.
« Faites l’aumône au dernier de vos rois. »
« Es-tu vraiment de la race royale ? »
— « Oui, répondra cet homme fier encor.
« J’ai vu dans Rome, alors ville papale,
« À mon aïeul, couronne et sceptre d’or.
« Il les vendit pour nourrir le courage
« De faux agents, d’écrivains maladroits.
« Moi, j’ai pour sceptre un bâton de voyage.
« Faites l’aumône au dernier de vos rois.
« Mon père âgé, mort en prison pour dettes,
« D’un bon métier n’osa point me pourvoir.
« Je tends la main ; riches, partout vous êtes
« Bien durs au pauvre, et Dieu me l’a fait voir.
« Je foule enfin cette plage féconde
« Qui repoussa mes aïeux tant de fois.
« Ah ! par pitié pour les grandeurs du monde,
« Faites l’aumône au dernier de vos rois. »
Le sénateur dira : « Viens ; je t’emmène
« Dans mon palais ; vis heureux parmi nous.
« Contre les rois nous n’avons plus de haine :
« Ce qu’il en reste embrasse nos genoux.
« En attendant que le sénat décide,
« À ses bienfaits si ton sort a des droits,
« Moi, qui suis né d’un vieux sang régicide,
« Je fais l’aumône au dernier de nos rois. »
Nostradamus ajoute en son vieux style :
La république au prince accordera
Cent louis de rente, et, citoyen utile,
Pour maire, un jour, Saint-Cloud le choisira.
Sur l’an deux mil on dira dans l’histoire,
Qu’assise au trône et des arts et des lois,
La France en paix, reposant sous sa gloire,
A fait l’aumône au dernier de ses rois.
p*. Quand les temps sont mauvais, les prophètes ont beau jeu. Michel de Nostredame, que nous nommons Nostradamus, vécut et mourut sous les derniers Valois. Né en Provence, d’une famille juive convertie, il étudia la médecine, et ses succès lui attirèrent un grand nombre d’envieux, qui le forcèrent de vivre quelque temps dans la retraite. Il s’y livra à l’astrologie, maladie de l’époque, et publia, en 1537, les fameuses Centuries, qui lui ont valu la célébrité populaire dont son nom jouit encore. Elles sont écrites en vers barbares, même pour son temps, et d’un style tellement énigmatique, qu’il semble plutôt être le calcul du charlatanisme que le produit d’un esprit en délire. Aussi, à diverses époques, ont-elles fait naître les interprétations les plus opposées et les plus absurdes. Il faut convenir toutefois que, dans quelques-unes de ses prophéties, le hasard le servit assez bien pour qu’il ait pu étonner les esprits forts de son temps.
Catherine de Médicis voulut avoir des prédictions de cet astrologue, et le combla de présents et d’honneurs. Nostradamus mourut à Salon, où l’on crut longtemps qu’au fond de son tombeau il ne cessait pas d’écrire de nouvelles prophéties ; ce qui ne manqua pas de produire un très grand nombre de Centuries posthumes dignes de leurs aînées et non moins recherchées d’un public ignorant.
À sa mort, arrivée en 1566, Henri IV était dans sa treizième année.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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