Œuvres complètes de Béranger/Préface
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PRÉFACE[1]
Allez, enfants nés sous un autre règne ;
Sous celui-ci quittez le coin du feu.
Adieu ! partez, bien que pour vous je craigne
Certaines gens qui pardonnent trop peu.
On m’a crié : L’occasion est bonne ;
Tous les partis rapprochent leurs drapeaux.
Allez, enfants ; mais n’éveillez personne :
Mon médecin m’ordonne le repos.
Pour vos aînés que de pas et d’alarmes !
J’ai vu Thémis m’ôter mon plus doux bien ;
Car en prison le sommeil est sans charmes ;
Près du malheur on ne dort jamais bien.
J’entends encor le verrou qui résonne,
Et dans ma main fait trembler mes pipeaux.
Allez, enfants ; mais n’éveillez personne :
Mon médecin m’ordonne le repos.
Si l’on disait : La gaîté vous délaisse,
Vous répondrez (et pour moi j’en rougis) :
« De notre père accusant la faiblesse,
« Les plus joyeux sont restés au logis. »
Ces égrillards iraient, d’humeur bouffonne,
Pincer au lit le diable et ses suppôts.
Allez, enfants ; mais n’éveillez personne :
Mon médecin m’ordonne le repos.
Vous passerez près d’une ruche pleine,
D’abeilles, non ; mais de guêpes, je crois.
Ne soufflez mot, retenez votre haleine ;
Tremblez, enfants, vous qui jurez parfois[2] !
Le dard caché qu’à ces guêpes Dieu donne
A fait périr des bergers, des troupeaux.
Allez, enfants ; mais n’éveillez personne :
Mon médecin m’ordonne le repos.
Petits Poucets de la littérature,
S’il vient un ogre, évitez bien sa dent,
Ou, s’il s’endort, dérobez sa chaussure ;
De s’en servir on peut juger prudent.
Non : qu’ai-je dit ? Ah ! la peur déraisonne ;
Tous les partis rapprochent leurs drapeaux.
Allez, enfants ; mais n’éveillez personne :
Mon médecin m’ordonne le repos.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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