FAITE À L’OCCASION DES PREMIÈRES POURSUITES JUDICIAIRES EXERCÉES CONTRE MOI POUR LA PUBLICATION DE MON RECUEIL (Air noté ♫)
1821
Air : Halte-là
Quittez la lyre, ô ma muse !
Et déchiffrez ce mandat.
Vous voyez qu’on vous accuse
De plusieurs crimes d’état.
Pour un interrogatoire
Au Palais comparaissons.
Plus de chansons pour la gloire !
Pour l’amour plus de chansons !
Suivez-moi !
C’est la loi.
Suivez-moi, de par le Roi.
Nous marchons, et je découvre
L’asile des souverains.
Muse, la Fronde en ce Louvre
Vit pénétrer ses refrains[1].
Au Qui vive d’ordonnance
Alors, prompte à s’avancer,
La chanson répondait : France !
Les gardes laissaient passer.
Suivez-moi !
C’est la loi.
Suivez-moi, de par le Roi.
La justice nous appelle
De l’autre côté de l’eau.
Voici la Sainte-Chapelle
Où l’on pria pour Boileau[2].
S’il renaissait ce grand maître,
Le clergé, remis en train,
En prison ferait peut-être
Fourrer l’auteur du Lutrin.
Suivez-moi !
C’est la loi.
Suivez-moi, de par le Roi.
Là, devant ce péristyle,
Un tribunal impuissant
Au bûcher livra l’Émile[3],
Phénix toujours renaissant.
Muse, de vos chansonnettes
Aujourd’hui l’on va tâcher
De faire des allumettes
Pour ranimer ce bûcher.
Suivez-moi !
C’est la loi.
Suivez-moi, de par le Roi.
Muse, voici la grand’salle…
Hé quoi ! vous fuyez devant
Des gens en robe un peu sale,
Par vous piqués trop souvent !
Revenez donc, pauvre sotte,
Voir prendre à vos ennemis,
Pour peser une marotte,
Les balances de Thémis.
Suivez-moi !
C’est la loi.
Suivez-moi, de par le Roi.
Elle fuit, et chez le juge
J’entre, et puis enfin je sors.
Mais devinez quel refuge
Ma muse avait pris alors.
Gaîment avec la grisette
D’un président, bon humain,
Cette folle, à la buvette,
Répétait le verre en main :
Suivez-moi !
Suivez-moi !
C’est la loi.
Suivez-moi, de par le Roi.
↑Jamais plus de chansons ne furent lancées de part et d’autre qu’à l’époque de la Fronde ; et Blot et Marigni, chansonniers du temps, ne furent l’objet d’aucune poursuite.
↑On sait que Boileau fut enterré dans l’église située sous la Sainte-Chapelle, où l’on voyait le fameux lutrin qui inspira l’un des ouvrages les plus parfaits de notre langue.
↑On sait également que par arrêt du parlement l’Émile fut brûlé par la main du bourreau, et son auteur décrété de prise de corps.