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Œuvres complètes de Béranger/Préface de 1833

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PRÉFACE DE L’AUTEUR[1]


Au moment de prendre congé du public, je sens avec une émotion plus profonde la reconnaissance que je lui dois ; je me retrace plus vivement les marques d’intérêt dont il m’a comblé, depuis près de vingt ans que mon nom a commencé à lui être connu.

Telle a été sa bienveillance, qu’il n’eût tenu qu’à moi de me faire illusion sur le mérite de mes ouvrages. J’ai toujours mieux aimé attribuer ma popularité, qui m’est bien chère, à mes sentiments patriotiques, à la constance de mes opinions, et, j’ose ajouter, au dévouement désintéressé avec lequel je les ai défendues et propagées.

Qu’il me soit donc permis de rendre compte à ce même public, dans une simple causerie, des circonstances et des impressions qui m’ont été particulières, et auxquelles se rattache la publication des chansons qu’il a accueillies si favorablement. C’est une sorte de narration familière où il reconnaîtra du moins tout le prix que j’ai attaché à ses suffrages.

Je dois parler d’abord de ce dernier volume.

Chacune de mes publications a été pour moi le résultat d’un pénible effort. Celle-ci m’aura causé à elle seule plus de malaise que toutes les autres ensemble. Elle est la dernière ; malheureusement elle vient trop tard. C’est immédiatement après la révolution de Juillet que ce volume eût dû paraître : ma modeste mission était alors terminée. Mes éditeurs savent pourquoi il ne m’a pas été permis d’achever plus tôt un rôle privé désormais de l’intérêt qu’il pouvait avoir sous le règne de la légitimité. Beaucoup de chansons de ce nouveau recueil appartiennent à ce temps déjà loin de nous, et plusieurs même auront besoin de notes.

Mes chansons, c’est moi. Aussi le triste progrès des années s’y fait sentir au fur et à mesure que les volumes s’accumulent, ce qui me fait craindre que celui-ci ne paraisse bien sérieux. Si beaucoup de personnes m’en font un reproche, quelques-unes m’en sauront gré, je l’espère ; elles reconnaîtront que l’esprit de l’époque actuelle a dû contribuer, non moins que mon âge, à rendre le choix de mes sujets plus grave et plus philosophique.

Les chansons nées depuis 1830 semblent en effet se rattacher plutôt aux questions d’intérêt social qu’aux discussions purement politiques. En doit-on être étonné ? Une fois qu’on suppose reconquis le principe gouvernemental pour lequel on a combattu, il est naturel que l’intelligence éprouve le besoin d’en faire l’application au profit du plus grand nombre. Le bonheur de l’humanité a été le songe de ma vie. J’en ai l’obligation, sans doute, à la classe dans laquelle je suis né, et à l’éducation pratique que j’y ai reçue. Mais il a fallu bien des circonstances extraordinaires pour qu’il fût permis à un chansonnier de s’immiscer dans les hautes questions d’améliorations sociales. Heureusement une foule d’hommes, jeunes et courageux, éclairés et ardents, ont donné, depuis peu, un grand développement à ces questions, et sont parvenus à les rendre presque vulgaires. Je souhaite que quelques-unes de mes compositions prouvent à ces esprits élevés ma sympathie pour leur généreuse entreprise.

Je n’ai rien à dire des chansons qui appartiennent au temps de la Restauration, si ce n’est qu’elles sont sorties toutes faites de la prison de la Force. J’aurais peu tenu à les imprimer, si elles ne complétaient ces espèces de mémoires chantants que je publie depuis 1815. Je n’ai pas, au reste, à craindre qu’on me fasse le reproche de ne montrer de courage que lorsque l’ennemi a disparu. On pourra même remarquer que ma détention, bien qu’assez longue, ne m’avait nullement aigri : il est vrai qu’alors je croyais voir s’approcher l’accomplissement de mes prophéties contre les Bourbons. C’est ici l’occasion de m’expliquer sur la petite guerre que j’ai faite aux princes de la branche déchue.

Mon admiration enthousiaste et constante pour le génie de l’empereur, ce qu’il inspirait d’idolâtrie au peuple, qui ne cessa de voir en lui le représentant de l’égalité victorieuse ; cette admiration, cette idolâtrie, qui devaient faire un jour de Napoléon le plus noble objet de mes chants, ne m’aveuglèrent jamais sur le despotisme toujours croissant de l’empire. En 1814, je ne vis dans la chute du colosse que les malheurs d’une patrie que la République m’avait appris à adorer. Au retour des Bourbons, qui m’étaient indifférents, leur faiblesse me parut devoir rendre facile la renaissance des libertés nationales. On nous assurait qu’ils feraient alliance avec elles : malgré la charte, j’y croyais peu ; mais on pouvait leur imposer ces libertés. Quant au peuple, dont je ne me suis jamais séparé, après le dénouement fatal de si longues guerres, son opinion ne me parut pas d’abord décidément contraire aux maîtres qu’on venait d’exhumer pour lui. Je chantai alors la gloire de la France ; je la chantai en présence des étrangers, frondant déjà toutefois quelques ridicules de cette époque, sans être encore hostile à la royauté restaurée.

On m’a reproché d’avoir fait une opposition de haine aux Bourbons ; ce que je viens de dire répond à cette accusation, que peu de personnes aujourd’hui, j’en suis sûr, tiendraient à repousser, et qu’autrefois j’acceptais en silence.

Les illusions durèrent peu ; quelques mois suffirent pour que chacun pût se reconnaître, et dessillèrent les yeux des moins clairvoyants ; je ne parle que des gouvernés.

Le retour de l’empereur vint bientôt partager la France en deux camps, et constituer l’opposition qui a triomphé en 1830. Il releva le drapeau national et lui rendit son avenir, en dépit de Waterloo et des désastres qui en furent la suite. Dans les cent-jours, l’enthousiasme populaire ne m’abusa point : je vis que Napoléon ne pouvait gouverner constitutionnellement ; ce n’était pas pour cela qu’il avait été donné au monde. Tant bien que mal, j’exprimai mes craintes dans la chanson intitulée la Politique de Lise, dont la forme a si peu de rapport avec le fond : ainsi que le prouve mon premier recueil, je n’avais pas encore osé faire prendre à la chanson un vol plus élevé ; ses ailes poussaient. Il me fut plus facile de livrer au ridicule les Français qui ne rougissaient pas d’appeler de leurs vœux impies le triomphe et le retour des armées étrangères. J’avais répandu des larmes à leur première entrée à Paris ; j’en versai à la seconde : il est peut-être des gens qui s’habituent à de pareils spectacles.

J’eus alors la conviction profonde que les Bourbons, fussent-ils tels que l’osaient encore dire leurs partisans, il n’y avait plus pour eux possibilité de gouverner la France, ni pour la France possibilité de leur faire adopter les principes libéraux, qui, depuis 1814, avaient reconquis tout ce que leur avaient fait perdre la terreur, l’anarchie directoriale et la gloire de l’empire. Cette conviction, qui ne m’a plus abandonné, je la devais moins d’abord aux calculs de ma raison qu’à l’instinct du peuple. À chaque événement je l’ai étudié avec un soin religieux, et j’ai presque toujours attendu que ses sentiments me parussent en rapport avec mes réflexions pour en faire ma règle de conduite, dans le rôle que l’opposition d’alors m’avait donné à remplir. Le peuple, c’est ma muse.

C’est cette muse qui me fit résister aux prétendus sages, dont les conseils, fondés sur des espérances chimériques, me poursuivirent maintes fois. Les deux publications qui m’ont valu des condamnations judiciaires, m’exposèrent à me voir abandonné de beaucoup de mes amis politiques[2]. J’en courus le risque. L’approbation des masses me resta fidèle, et les amis revinrent.

Je tiens à ce qu’on sache bien qu’à aucune époque de ma vie de chansonnier, je ne donnai droit à personne de me dire : Fais ou ne fais pas ceci ; va ou ne va pas jusque-là. Quand je sacrifiai le modique emploi que je ne devais qu’à M. Arnault, et qui était alors ma seule ressource, des hommes pour qui j’ai conservé une reconnaissance profonde, me firent des offres avantageuses que j’eusse pu accepter sans rougir ; mais ils avaient une position politique trop influente pour qu’elle ne m’eût pas gêné quelquefois. Mon humeur indépendante résista aux séductions de l’amitié. Aussi étais-je surpris et affligé lorsqu’on me disait le pensionné de tel ou tel, de Pierre ou de Paul, de Jacques ou de Philippe. Si cela eût été, je n’en aurais pas fait mystère. C’est parce que je sais quel pouvoir la reconnaissance exerce sur moi, que j’ai craint de contracter de semblables obligations, même envers les hommes que j’estime le plus[3].

Il en est un que mes lecteurs auront nommé d’abord : M. Laffitte. Peut-être ses instances eussent-elles fini par triompher de mes refus, si des malheurs, dont la France entière a gémi, n’étaient venus mettre un terme à l’infatigable générosité de ce grand et vertueux citoyen, le seul homme de notre temps qui ait su rendre la richesse populaire.

La révolution de Juillet a aussi voulu faire ma fortune ; je l’ai traitée comme une puissance qui peut avoir des caprices auxquels il faut être en mesure de résister. Tous ou presque tous mes amis ont passé au ministère : j’en ai même encore un ou deux qui restent suspendus à ce mât de cocagne. Je me plais à croire qu’ils y sont accrochés par la basque, malgré les efforts qu’ils font pour descendre. J’aurais donc pu avoir part à la distribution des emplois. Malheureusement je n’ai pas l’amour des sinécures, et tout travail obligé m’est devenu insupportable, hors peut-être encore celui d’expéditionnaire. Des médisants ont prétendu que je faisais de la vertu. Fi donc ! je faisais de la paresse. Ce défaut m’a tenu lieu de bien des qualités ; aussi je le recommande à beaucoup de nos honnêtes gens. Il expose pourtant à de singuliers reproches. C’est à cette paresse si douce, que des censeurs rigides ont attribué l’éloignement où je me suis tenu de ceux de mes honorables amis qui ont eu le malheur d’arriver au pouvoir. Faisant trop d’honneur à ce qu’ils veulent bien appeler ma bonne tête, et oubliant trop combien il y a loin du simple bon sens à la science des grandes affaires, ces censeurs prétendent que mes conseils eussent éclairé plus d’un ministre. À les en croire, tapi derrière le fauteuil de velours de nos hommes d’état, j’aurais conjuré les vents, dissipé les orages, et fait nager la France dans un océan de délices. Nous aurions tous de la liberté à revendre ou plutôt à donner, car nous n’en savons pas bien encore le prix. Eh ! messieurs mes deux ou trois amis, qui prenez un chansonnier pour un magicien, on ne vous a donc pas dit que le pouvoir est une cloche qui empêche ceux qui la mettent en branle d’entendre aucun autre son ? Sans doute des ministres consultent quelquefois ceux qu’ils ont sous la main : consulter est un moyen de parler de soi qu’on néglige rarement. Mais il ne suffirait pas de consulter de bonne foi des gens qui conseilleraient de même. Il faudrait encore exécuter : ceci est la part du caractère. Les intentions les plus pures, le patriotisme le plus éclairé ne le donnent pas toujours. Qui n’a vu de hauts personnages quitter un donneur d’avis avec une pensée courageuse, et, l’instant d’après, revenir vers lui, de je ne sais quel lieu de fascination, avec l’embarras d’un démenti donné aux résolutions les plus sages ? Oh ! disent-ils, nous n’y serons plus repris ! quelle galère ! Le plus honteux ajoute : Je voudrais bien vous voir à ma place ! Quand un ministre dit cela, soyez sûr qu’il n’a plus la tête à lui. Cependant il en est un, mais un seul, qui, sans avoir perdu la tête, a répété souvent ce mot de la meilleure foi du monde ; aussi ne l’adressait-il jamais à un ami.

Je n’ai connu qu’un homme dont il ne m’eût pas été possible de m’éloigner, s’il fût arrivé au pouvoir. Avec son imperturbable bon sens, plus il était propre à donner de sages conseils, plus sa modestie lui faisait rechercher ceux des gens dont il avait éprouvé la raison. Les déterminations une fois prises, il les suivait avec fermeté et sans jactance. S’il en avait reçu l’inspiration d’un autre, ce qui était rare, il n’oubliait point de lui en faire honneur. Cet homme, c’était Manuel, à qui la France doit encore un tombeau.

Sous le ministère emmiellé de M. de Martignac, lorsque, fatigués d’une lutte si longue contre la légitimité, plusieurs de nos chefs politiques travaillaient à la fameuse fusion, un deux s’écria : Sommes-nous heureux que celui-là soit mort ! C’est un éloge funèbre qui dit tout ce que Manuel vivant n’eût pas fait à cette époque de promesses hypocrites et de concessions funestes.

Moi, je puis dire ce qu’il aurait fait pendant les Trois-Journées. La rue d’Artois, l’Hôtel-de-Ville et les barricades l’auraient vu tour à tour, délibérant ici, se battant là ; mais les barricades d’abord, car son courage de vieux soldat s’y fût trouvé plus à l’aise au milieu de tout le brave peuple de Paris. Oui, il eût travaillé au berceau de notre révolution. Certes, on n’eût pas eu à dire de lui ce qu’on a répété de plusieurs, qu’ils sont comme des greffiers de mairie, qui se croiraient les pères des enfants dont ils n’ont que dressé l’acte de naissance.

Il est vraisemblable que Manuel eût été forcé d’accepter une part aux affaires du nouveau gouvernement. Je l’aurais suivi, les yeux fermés, par tous les chemins qu’il lui eût fallu prendre pour revenir bientôt sans doute au modeste asile que nous partagions. Patriote avant tout, il fût rentré dans la vie privée sans humeur, sans arrière-pensées ; à l’heure qu’il est, de l’opposition probablement encore, mais sans haine de personnes, car la force donne de l’indulgence, mais sans désespérer du pays, parce qu’il avait foi dans le peuple.

Le bonheur de la France le préoccupait sans cesse ; eût-il vu accomplir ce bonheur par d’autres que lui, sa joie n’en eût pas été moins grande. Je n’ai jamais rencontré d’homme moins ambitieux, même de célébrité. La simplicité de ses mœurs lui faisait chérir la vie des champs. Dès qu’il eût été sûr que la France n’avait plus besoin de lui, je l’entends s’écrier : Allons vivre à la campagne.

Ses amis politiques ne l’ont pas toujours bien apprécié ; mais survenait-il quelque embarras, quelque danger, tous s’empressaient de recourir à sa raison imperturbable, à son inébranlable courage. Son talent ressemblait à leur amitié. C’est dans les moments de crise qu’il en avait toute la plénitude, et que bien des faiseurs de phrases, qu’on appelle orateurs, baissaient la tête devant lui.

Tel fut l’homme que je n’aurais pas quitté, eût-il dû vieillir dans une position éminente. Loin de lui la pensée de m’affubler d’aucun titre, d’aucun emploi ! car il respectait mes goûts. C’est comme simple volontaire qu’il eût voulu me garder à ses côtés sur le champ de bataille du pouvoir. Et moi, en restant auprès de lui, je lui aurais du moins fait gagner le temps que lui eussent pris, chaque jour, les visites qu’il n’eût pas manqué de me faire si je m’étais obstiné à vivre dans notre paisible retraite. Aux sentiments les plus élevés s’unissaient dans son cœur les affections les plus douces ; il n’était pas moins tendre ami que citoyen dévoué.

Ces derniers mots suffiront pour justifier cette digression, qui d’ailleurs ne peut déplaire aux vrais patriotes. Ils n’ont jamais plus regretté Manuel que depuis la révolution de Juillet, en dépit de quelques gens qui peut-être répètent tout bas : Sommes-nous heureux que celui-là soit mort !

Il est temps de jeter un coup d’œil général sur mes chansons. Je le confesse d’abord : je conçois les reproches que plusieurs ont dû m’attirer de la part des esprits austères, peu disposés à pardonner quelque chose, même à un livre qui n’a pas la prétention de servir à l’éducation des demoiselles. Je dirai seulement, sinon comme défense, au moins comme excuse, que ces chansons, folles inspirations de la jeunesse et de ses retours, ont été des compagnes fort utiles, données aux graves refrains et aux couplets politiques. Sans leur assistance, je suis tenté de croire que ceux-ci auraient bien pu n’aller ni aussi loin, ni aussi bas, ni même aussi haut, ce dernier mot dût-il scandaliser les vertus de salon.

Quelques unes de mes chansons ont été traitées d’impies, les pauvrettes ! par MM. les procureurs du roi, avocats-généraux et leurs substituts, qui sont tous gens très-religieux à l’audience. Je ne puis, à cet égard, que répéter ce qu’on a dit cent fois. Quand, de nos jours, la religion se fait instrument politique, elle s’expose à voir méconnaître son caractère sacré ; les plus tolérants deviennent intolérants pour elle ; les croyants qui croient autre chose que ce qu’elle enseigne, vont quelquefois, par représailles, l’attaquer jusque dans son sanctuaire. Moi, qui suis de ces croyants, je n’ai jamais été jusque-là : je me suis contenté de faire rire de la livrée du catholicisme. Est-ce de l’impiété ?

Enfin, grand nombre de mes chansons ne sont que des inspirations de sentiments intimes ou des caprices d’un esprit vagabond ; ce sont là mes filles chéries : voilà tout le bien que j’en veux dire au public. Je ferai seulement observer encore, qu’en jetant une grande variété dans mes recueils, celles-ci ont dû n’être pas inutiles non plus au succès des chansons politiques.

Quant à ces dernières, à n’en croire même que les adversaires les plus prononcés de l’opinion que j’ai défendue pendant quinze ans, elles ont exercé une puissante influence sur les masses, seul levier qui, désormais, rende les grandes choses possibles. L’honneur de cette influence, je ne l’ai pas réclamé au moment de la victoire : mon courage s’évanouit aux cris qu’elle fait pousser. Je crois, en vérité, que la défaite va mieux à mon humeur. Aujourd’hui, j’ose donc réclamer ma part dans le triomphe de 1830, triomphe que je n’ai su chanter que longtemps après et devant les sépultures des citoyens à qui nous le devons. Ma chanson d’adieu se ressent de ce mouvement de vanité politique, produit sans doute par les flatteries qu’une jeunesse enthousiaste m’a prodiguées et me prodigue encore. Prévoyant que bientôt l’oubli enveloppera les chansons et le chansonnier, c’est une épitaphe que j’ai voulu préparer pour notre tombe commune.

Malgré tout ce que l’amitié a pu faire, malgré les plus illustres suffrages et l’indulgence des interprètes de l’opinion publique, j’ai toujours pensé que mon nom ne me survivrait pas, et que ma réputation déclinerait d’autant plus vite qu’elle a été nécessairement fort exagérée par l’intérêt de parti qui s’y est attaché. On a jugé de sa durée par son étendue ; j’ai fait, moi, un calcul différent qui se réalisera de mon vivant, pour peu que je vieillisse. À quoi bon nous révéler cela ? diront quelques aveugles. Pour que mon pays me sache gré, surtout, de m’être livré au genre de poésie que j’ai jugé le plus utile à la cause de la liberté, lorsque je pouvais tenter des succès plus solides dans les genres que j’avais cultivés d’abord.

Sur le point de faire ici un examen consciencieux de ces productions fugitives, le courage m’a manqué, je l’avoue. J’ai craint qu’on ne me prît au mot lorsque je relèverais des fautes, et qu’on ne fît la sourde oreille aux cajoleries paternelles que je pourrais adresser à mes chansons ; car encore faut-il bien que tout n’en soit pas mauvais. Puis, malgré la politesse des critiques à mon égard, ce serait peut-être pousser la reconnaissance trop loin que de faire ainsi leur besogne. Je le répète : le courage m’a manqué. On n’incendie guère sa maison que lorsqu’elle est assurée. Ce que je puis dire d’avance à ceux qui se font les exécuteurs des hautes œuvres littéraires, c’est que je suis complètement innocent des éloges exagérés qui m’ont été prodigués ; que jamais il ne m’est arrivé de solliciter le moindre article de bienveillance ; que j’ai été même jusqu’à prier des amis journalistes d’être pour moi plus sobres de louanges ; que, loin de vouloir ajouter le bruit au bruit, j’ai évité les ovations qui l’augmentent ; me suis tenu loin des coteries qui le propagent ; et que j’ai fermé ma porte aux commis-voyageurs de la Renommée, ces gens qui se chargent de colporter votre réputation en province et jusque dans l’étranger, dont les revues et les magasins leur sont ouverts.

Je n’ai jamais poussé mes prétentions plus haut que ne l’indique le titre de chansonnier, sentant bien qu’en mettant toute ma gloire à conserver ce titre auquel je dois tant, je lui devrais encore d’être jugé avec plus d’indulgence, placé par là loin et au-dessous de toutes les grandes illustrations de mon siècle. Le besoin de cette position spéciale a toujours dû m’ôter l’idée de courir après les dignités littéraires les plus enviées et les plus dignes de l’être, quelque instance que m’aient faite des amis influents et dévoués, qui, dans la poursuite de ces dignités, me promettaient, je suis honteux de le dire, plus de bonheur que n’en a eu B. Constant, grand publiciste, grand orateur, grand écrivain. Pauvre Constant !

À ceux qui douteraient de la sincérité de mes paroles, je répondrai : Les rêves poétiques les plus ambitieux ont bercé ma jeunesse ; il n’est presque point de genre élevé que je n’aie tenté en silence. Pour remplir une immense carrière, à vingt ans, dépourvu d’études, même de celle du latin, j’ai cherché à pénétrer le génie de notre langue et les secrets du style. Les plus nobles encouragements m’ont été donnés alors. Je vous le demande : croyez-vous qu’il ne me soit rien resté de tout cela, et qu’aujourd’hui, jetant un regard de profonde tristesse sur le peu que j’ai fait, je sois disposé à m’en exagérer la valeur ? Mais j’ai utilisé ma vie de poète, et c’est là ma consolation. Il fallait un homme qui parlât au peuple le langage qu’il entend et qu’il aime, et qui se créât des imitateurs pour varier et multiplier les versions du même texte. J’ai été cet homme. La Liberté et la Patrie, dira-t-on, se fussent bien passées de vos refrains. La Liberté et la Patrie ne sont pas d’aussi grandes dames qu’on le suppose : elles ne dédaignent le concours de rien de ce qui est populaire. Il y aurait, selon moi, injustice à porter sur mes chansons un jugement où il ne me serait pas tenu compte de l’influence qu’elles ont exercée. Il est des instants, pour une nation, où la meilleure musique est celle du tambour qui bat la charge.

Après tout, si l’on trouve que j’exagère beaucoup l’importance de mes couplets, qu’on pardonne au vétéran qui prend sa retraite, de grossir tant soit peu ses états de services. On pourra même observer que je parle à peine de mes blessures. D’ailleurs, la récompense que je sollicite ne fera pas ajouter un centime au budget.

Comme chansonnier, il me faut répondre à une critique que j’ai vu plusieurs fois reproduite. On m’a reproché d’avoir dénaturé la chanson, en lui faisant prendre un ton plus élevé que celui des Collé, des Panard, des Désaugiers. J’aurais mauvaise grâce à le contester, car c’est, selon moi, la cause de mes succès. D’abord, je ferai remarquer que la chanson, comme plusieurs autres genres, est toute une langue, et que, comme telle, elle est susceptible de prendre les tons les plus opposés. J’ajoute que depuis 1789, le peuple ayant mis la main aux affaires du pays, ses sentiments et ses idées patriotiques ont acquis un très-grand développement ; notre histoire le prouve. La chanson, qu’on avait définie l’expression des sentiments populaires, devait dès lors s’élever à la hauteur des impressions de joie ou de tristesse que les triomphes ou les désastres produisaient sur la classe la plus nombreuse. Le vin et l’amour ne pouvaient guère plus que fournir des cadres pour les idées qui préoccupaient le peuple exalté par la révolution, et ce n’était plus seulement avec les maris trompés, les procureurs avides et la barque à Caron, qu’on pouvait obtenir l’honneur d’être chanté par nos artisans et nos soldats aux tables des guinguettes. Ce succès ne suffisait pas encore ; il fallait de plus que la nouvelle expression des sentiments du peuple pût obtenir l’entrée des salons, pour y faire des conquêtes dans l’intérêt de ces sentiments. De là, autre nécessité de perfectionner le style et la poésie de la chanson.

Je n’ai pas fait seul toutes les chansons depuis quinze ou dix-huit ans. Qu’on feuillette tous les recueils, et l’on verra que c’est dans le style le plus grave que le peuple voulait qu’on lui parlât de ses regrets et de ses espérances. Il doit sans doute l’habitude de ce diapason élevé à l’immortelle Marseillaise, qu’il n’a jamais oubliée, comme on l’a pu voir dans la grande Semaine.

Pourquoi nos jeunes et grands poètes ont-ils dédaigné les succès que, sans nuire à leurs autres travaux, la chanson leur eût procurés ? notre cause y eût gagné, et, j’ose le leur dire, eux-mêmes eussent profité à descendre quelquefois des hauteurs de notre vieux Pinde, un peu plus aristocratique que ne le voudrait le génie de notre bonne langue française. Leur style eût sans doute été obligé de renoncer, en partie, à la pompe des mots ; mais, par compensation, ils se seraient habitués à résumer leurs idées en de petites compositions variées et plus ou moins dramatiques, compositions que saisit l’instinct du vulgaire, lors même que les détails les plus heureux lui échappent. C’est là, selon moi, mettre de la poésie en dessous. Peut-être est-ce, en définitive, une obligation qu’impose la simplicité de notre langue et à laquelle nous nous conformons trop rarement. La Fontaine en a pourtant assez bien prouvé les avantages.

J’ai pensé quelquefois que si les poètes contemporains avaient réfléchi que désormais c’est pour le peuple qu’il faut cultiver les lettres, ils m’auraient envié la petite palme qu’à leur défaut, je suis parvenu à cueillir, et qui sans doute eût été durable mêlée à de plus glorieuses. Quand je dis peuple, je dis la foule ; je dis le peuple d’en bas, si l’on veut. Il n’est pas sensible aux recherches de l’esprit, aux délicatesses du goût ; soit ! mais, par là même, il oblige les auteurs à concevoir plus fortement, plus grandement, pour captiver son attention. Appropriez donc à sa forte nature et vos sujets et leurs développements ; ce ne sont ni des idées abstraites, ni des types qu’il vous demande : montrez-lui à nu le cœur humain. Il me semble que Shakespeare fut soumis à cette heureuse condition. Mais que deviendra la perfection du style ? Croit-on que les vers inimitables de Racine, appliqués à l’un de nos meilleurs mélodrames, eussent empêché, même aux boulevards, l’ouvrage de réussir ? Inventez, concevez pour ceux qui tous ne savent pas lire, écrivez pour ceux qui savent écrire.

Par suite d’habitudes enracinées, nous jugeons encore le peuple avec prévention. Il ne se présente à nous que comme une tourbe grossière, incapable d’impressions élevées, généreuses, tendres. Toutefois, chez nous il y a pis, même en matière de jugements littéraires, surtout au théâtre. S’il reste de la poésie au monde, c’est, je n’en doute pas, dans ses rangs qu’il faut l’aller chercher. Qu’on essaie donc d’en faire pour lui ; mais, pour y parvenir, il faut étudier ce peuple. Quand par hasard nous travaillons pour nous en faire applaudir, nous le traitons comme font ces rois qui, dans leurs jours de munificence, lui jettent des cervelas à la tête et le noient dans du vin frelaté. Voyez nos peintres : représentent-ils des hommes du peuple, même dans des compositions historiques, ils semblent se complaire à les faire hideux. Ce peuple ne pourrait-il pas dire à ceux qui le représentent ainsi : « Est-ce ma faute si je suis misérablement déguenillé ! si mes traits sont flétris par le besoin, quelquefois même par le vice ? Mais dans ces traits hâves et fatigués a brillé l’enthousiasme du courage et de la liberté ; mais sous ces haillons, coule un sang que je prodigue à la voix de la patrie. C’est quand mon âme s’exalte qu’il faut me peindre. Alors je suis beau ; » et le peuple aurait raison de parler ainsi.

Tout ce qui appartient aux lettres et aux arts est sorti des classes inférieures, à peu d’exceptions près. Mais nous ressemblons tous à des parvenus désireux de faire oublier leur origine ; ou si nous voulons bien souffrir chez nous des portraits de famille, c’est à condition d’en faire des caricatures. Beau moyen de s’anoblir, vraiment ! les Chinois sont plus sages : ils anoblissent leurs aïeux.

Le plus grand poète des temps modernes, et peut-être de tous les temps, Napoléon, lorsqu’il se dégageait de l’imitation des anciennes formes monarchiques, jugeait le peuple ainsi que devraient le juger nos poètes et nos artistes. Il voulait, par exemple, que le spectacle des représentations gratis fût composé des chefs-d’œuvre de la scène française. Corneille et Molière en faisaient souvent les honneurs, et l’on a remarqué que jamais leurs pièces ne furent applaudies avec plus de discernement. Le grand homme avait appris de bonne heure, dans les camps et au milieu des troubles révolutionnaires, jusqu’à quel degré d’élévation peut atteindre l’instinct des masses, habilement remuées. On serait tenté de croire que c’est pour satisfaire à cet instinct qu’il a tant fatigué le monde. L’amour que porte à sa mémoire la génération nouvelle qui ne l’a pas connu, prouve assez combien l’émotion poétique a de pouvoir sur le peuple. Que nos auteurs travaillent donc sérieusement pour cette foule si bien préparée à recevoir l’instruction dont elle a besoin. En sympathisant avec elle, ils achèveront de la rendre morale, et plus ils ajouteront à son intelligence, plus ils étendront le domaine du génie et de la gloire.

Les jeunes gens, je l’espère, me pardonneront des réflexions que je ne hasarde ici que pour eux. Il en est peu qui ne sachent l’intérêt que tous m’inspirent. Combien de fois me suis-je entendu reprocher des applaudissements donnés à leurs plus audacieuses innovations ? Pouvais-je ne pas applaudir même en blâmant un peu ? Dans mon grenier, à leur âge, sous le règne de l’abbé Delille, j’avais moi-même projeté l’escalade de bien des barrières. Je ne sais quelle voix me criait : Non, les Latins et les Grecs mêmes ne doivent pas être des modèles ; ce sont des flambeaux : sachez vous en servir. Déjà la partie littéraire et poétique des admirables ouvrages de M. de Chateaubriand m’avait arraché aux lisières des Le Batteux et des La Harpe, service que je n’ai jamais oublié.

Je l’avoue pourtant, je n’aurais pas voulu plus tard voir recourir à la langue morte de Ronsard, le plus classique de nos vieux auteurs ; je n’aurais pas voulu surtout qu’on tournât le dos à notre siècle d’affranchissement, pour ne fouiller qu’au cercueil du moyen-âge, à moins que ce ne fût pour mesurer et peser les chaînes dont les hauts barons accablaient les pauvres serfs, nos aïeux. Peut-être avais-je tort, après tout. C’est lorsqu’à travers l’Atlantique il croyait voguer vers l’Asie, berceau de l’ancien monde, que Colomb rencontra un monde nouveau. Courage donc, jeunes gens ! il y a de la raison dans votre audace ; mais puisque vous avez l’avenir pour vous, montrez un peu moins d’impatience contre la génération qui vous a précédés, et qui marche encore à votre tête par rang d’âge. Elle a été riche aussi en grands talents, et tous se sont plus ou moins consacrés aux progrès des libertés dont les fruits ne mûriront guère que pour vous. C’est du milieu des combats à mort de la tribune, au bruit des longues et sanglantes batailles, dans les douleurs de l’exil, au pied des échafauds, que, par de brillants et nombreux succès, ils ont entretenu le culte des Muses, et qu’ils ont dit à la barbarie : Tu n’iras pas plus loin. Et vous le savez, elle ne s’arrête que devant la gloire.

Quant à moi qui, jusqu’à présent, n’ai eu qu’à me louer de la jeunesse, je n’attendrai pas qu’elle me crie : Arrière, bonhomme ! laisse-nous passer. Ce que l’ingrate pourrait faire avant peu. Je sors de la lice pendant que j’ai encore la force de m’en éloigner. Trop souvent, au soir de la vie, nous nous laissons surprendre par le sommeil sur la chaise où il vient nous clouer. Mieux vaudrait aller l’attendre au lit, dont alors on a si grand besoin. Je me hâte de gagner le mien, quoiqu’il soit un peu dur.

Quoi ! vous ne ferez plus de chansons ? Je ne promets pas cela ; entendons-nous, de grâce. Je promets de n’en pas publier davantage. Aux joies du travail succèdent les dégoûts du besoin de vivre ; bon gré mal gré, il faut trafiquer de la Muse : le commerce m’ennuie ; je me retire. Mon ambition n’a jamais été à plus d’un morceau de pain pour mes vieux jours : elle est satisfaite, bien que je ne sois pas même électeur, et que je ne puisse espérer jamais l’honneur d’être éligible, en dépit de la révolution de Juillet, à qui je n’en veux pas pour cela. À ne faire des chansons que pour vous, dira-t-on, le dégoût vous prendra bien vite. Eh ! ne puis-je faire autre chose que des couplets pour ma fête ? Je n’ai pas renoncé à être utile. Dans la retraite où je vais me confiner, les souvenirs se presseront en foule. Ce sont les bonnes fortunes d’un vieillard. Notre époque, agitée par tant de passions extrêmes, ne transmettra que peu de jugements équitables sur les contemporains qui occupent ou ont occupé la scène, qui ont soufflé les acteurs ou encombré les coulisses. J’ai connu un grand nombre d’hommes qui ont marqué depuis vingt ans ; sur presque tous ceux que je n’ai pas vus ou que je n’ai fait qu’entrevoir, ma mémoire a recueilli quantité de faits plus ou moins caractéristiques. Je veux faire une espèce de Dictionnaire historique, où, sous chaque nom de nos notabilités politiques et littéraires, jeunes ou vieilles, viendront se classer mes nombreux souvenirs et les jugements que je me permettrai de porter ou que j’emprunterai aux autorités compétentes. Ce travail peu fatigant, qui n’exige ni des connaissances profondes, ni le talent de prosateur, remplira le reste de ma vie. Je jouirai du plaisir de rectifier bien des erreurs et des calomnies qu’enfante toujours une lutte envenimée ; car ce n’est pas dans un esprit de dénigrement, on le conçoit, que j’ai formé ce projet. Dans une cinquantaine d’années, ceux qui voudront écrire l’histoire de ces jours féconds en événements n’auront à consulter, je le crains bien, que des documents entachés de partialité. Les notes que je laisserai à ma mort pourront inspirer quelque confiance, même dans ce qu’elles auront de sévère, car je ne prétends pas n’être qu’un panégyriste. Les historiens savent tant de choses, qu’ils sauront sans doute alors que j’ai eu peu à me plaindre des hommes, même des hommes puissants ; que si je n’ai rien été, c’est comme d’autres sont quelque chose, je veux dire en me donnant de la peine pour cela, ils n’auront donc pas à me ranger au nombre des gens désappointés et chagrins. Ils sauront peut-être aussi que j’ai joui de la réputation d’observateur assez attentif, assez exact, assez pénétrant, et qu’enfin je m’en suis toujours plutôt pris à la faiblesse des hommes qu’à leur mauvais vouloir du mal que j’ai pu voir faire dans mon temps. Des matériaux recueillis dans cet esprit manquent trop souvent pour que les historiens à venir ne tirent pas bon parti de ceux que je laisserai. La France un jour pourra m’en savoir gré. Qui sait si ce n’est pas à cet ouvrage de ma vieillesse que mon nom devra de me survivre ? Il serait plaisant que la postérité dît : Le judicieux, le grave Béranger ! Pourquoi pas ?

Mais voici bien des pages à la suite les unes des autres, sans trop de logique, ni surtout de nécessité. Se douterait-on, à la longueur de cette préface, que j’ai toujours redouté d’entretenir le public de moi, autrement qu’en chansons ? Je crains bien d’avoir abusé étrangement du privilége que donne l’instant des adieux ; il me reste pourtant encore une dette de cœur à acquitter.

Au risque d’avoir l’air de solliciter pour mes nouvelles chansons l’indulgence des journaux, mise par moi si souvent à l’épreuve, je dois témoigner ma reconnaissance à leurs rédacteurs, pour l’appui qu’ils m’ont prêté dans mes petites guerres avec le pouvoir. Ceux de mon opinion ont plus d’une fois bravé les ciseaux de la censure et les ongles de la main de justice pour venir à mon secours dans les moments périlleux. Nul doute que sans eux on ne m’eût fait payer plus chèrement la témérité de mes attaques. Je ne suis point de ceux qui oublient les obligations qu’ils ont à la presse périodique.

Je me fais un devoir d’ajouter que même les journaux de l’opinion la plus opposée à la mienne, tout en repoussant l’hostilité de mes principes, m’ont paru presque toujours garder la mesure qu’un homme convaincu a droit d’attendre de ses adversaires, surtout quand il ne s’en prend qu’à ceux qui sont en position de se venger.

J’attribue cette bienveillance si générale à l’empire qu’exerce en France le genre auquel je me suis exclusivement livré. Cela seul suffirait pour m’ôter toute envie d’accoler jamais aucun autre titre à celui de chansonnier, qui m’a rendu cher à mes concitoyens.

  1. Cette préface est celle du dernier volume des chansons, qui a paru en 1833. Comme elle est, pour ainsi dire, une clef nécessaire à toutes les publications antérieures, nous avons cru devoir la placer en tête de notre nouvelle publication. La Préface de 1815 ne peut guère convenir qu’aux chansons du premier volume, pour lesquelles elle fut faite, à la demande du libraire. L’auteur voulait même supprimer cette ancienne Préface, mais nous avons obtenu qu’il nous permît de la mettre à la suite de celle de 1838, pour compléter la reproduction des éditions précédentes dont elle a toujours fait partie.
    (Note de l’Éditeur.)
  2. Par un rapprochement singulier, dont je m’honore, ces deux condamnations me réunirent en prison à M. Cauchois-Lemaire, ex-proscrit, écrivain encore plus intempestif que moi, c’est-à-dire plus courageux et par conséquent aussi plus abandonné des uns et plus maltraité des autres.
  3. J’ai cependant reçu un service pécuniaire à cette époque. Lorsque j’étais à la Force, en 1829, une souscription fut ouverte pour payer mon amende et les frais de justice. Malgré tous les efforts de mes jeunes amis de la société Aide-toi, le Ciel t’aidera, la souscription ne fut pas remplie entièrement, grâce aux mêmes personnes qui avaient empêché la réélection de Manuel de 1824. Je n’ai point su quelle somme il manquait ; mais je n’ai pu ignorer que l’un de nos plus recommandables citoyens, M. Berard, chez qui la souscription était ouverte, m’acquitta envers le fisc. Ce service, au reste, doit me sembler de peu d’importance, comparé à ceux de tout genre que m’a rendus l’amitié de M. Berard.