Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Époques de la nature/Quatrième époque

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Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome II, Époques de la naturep. 70-89).



QUATRIÈME ÉPOQUE

LORSQUE LES EAUX SE SONT RETIRÉES ET QUE LES VOLCANS ONT COMMENCÉ D’AGIR.

On vient de voir que les éléments de l’air et de l’eau se sont établis par le refroidissement, et que les eaux, d’abord reléguées dans l’atmosphère par la force expansive de la chaleur, sont ensuite tombées sur les parties du globe qui étaient assez attiédies pour ne les pas rejeter en vapeurs ; et ces parties sont les régions polaires et toutes les montagnes. Il y a donc eu, à l’époque de trente-cinq mille ans, une vaste mer aux environs de chaque pôle et quelques lacs ou grandes mares sur les montagnes et les terres élevées qui, se trouvant refroidies au même degré que celles des pôles, pouvaient également recevoir et conserver les eaux ; ensuite à mesure que le globe se refroidissait, les mers des pôles, toujours alimentées et fournies par la chute des eaux de l’atmosphère, se répandaient plus loin ; et les lacs ou grandes mares, également fournies par cette pluie continuelle d’autant plus abondante que l’attiédissement était plus grand, s’étendaient en tous sens et formaient des bassins et de petites mers intérieures dans les parties du globe auxquelles les grandes mers des deux pôles n’avaient point encore atteint : ensuite les eaux continuant à tomber toujours avec plus d’abondance jusqu’à l’entière dépuration de l’atmosphère, elles ont gagné successivement du terrain et sont arrivées aux contrées de l’équateur, et enfin elles ont couvert toute la surface du globe à deux mille toises de hauteur au-dessus du niveau de nos mers actuelles ; la terre entière était alors sous l’empire de la mer ; à l’exception peut-être du sommet des montagnes primitives qui n’ont été, pour ainsi dire, que lavées et baignées pendant le premier temps de la chute des eaux, lesquelles se sont écoulées de ces lieux élevés pour occuper les terrains inférieurs dès qu’ils se sont trouvés assez refroidis pour les admettre sans les rejeter en vapeurs.

Il s’est donc formé successivement une mer universelle qui n’était interrompue et surmontée que par les sommets des montagnes d’où les premières eaux s’étaient déjà retirées en s’écoulant dans les lieux plus bas. Ces terres élevées, ayant été travaillées les premières par le séjour et le mouvement des eaux, auront aussi été fécondées les premières ; et tandis que toute la surface du globe n’était, pour ainsi dire, qu’un archipel général, la nature organisée s’établissait sur ces montagnes, elle s’y déployait même avec grande énergie ; car la chaleur et l’humidité, ces deux principes de toute fécondation, s’y trouvaient réunis et combinés à un plus haut degré qu’ils ne le sont aujourd’hui dans aucun climat de la terre.

Or, dans ce même temps où les terres élevées au-dessus des eaux se couvraient de grands arbres et de végétaux de toute espèce, la mer générale se couvrait partout de poissons et de coquillages, elle était aussi le réceptacle universel de tout ce qui se détachait des terres qui la surmontaient. Les scories du verre primitif et les matières végétales ont été entraînées des éminences de la terre dans les profondeurs de la mer, sur le fond de laquelle elles ont formé les premières couches de sable vitrescible, d’argile, de schiste et d’ardoise, ainsi que les minières de charbon, de sel et de bitumes, qui dès lors ont imprégné toute la masse des mers. La quantité de végétaux produits et détruits dans ces premières terres est trop immense pour qu’on puisse se la représenter : car quand nous réduirions la superficie de toutes les terres élevées alors au-dessus des eaux à la centième ou même à la deux centième partie de la surface du globe, c’est-à-dire à cent trente mille lieues carrées, il est aisé de sentir combien ce vaste terrain de cent trente mille lieues superficielles a produit d’arbres et de plantes pendant quelques milliers d’années, combien leurs détriments se sont accumulés, et dans quelle énorme quantité ils ont été entraînés et déposés sous les eaux, où ils ont formé le fond du volume tout aussi grand des mines de charbon qui se trouvent en tant de lieux. Il en est de même des mines de sel, de celles de fer en grains, de pyrites, et de toutes les autres substances dans la composition desquelles il entre des acides, et dont la première formation n’a pu s’opérer qu’après la chute des eaux ; ces matières auront été entraînées et déposées dans les lieux bas et dans les fentes de la roche du globe, où trouvant déjà les substances minérales sublimées par la grande chaleur de la terre, elles auront formé le premier fond de l’aliment des volcans à venir : je dis à venir, car il n’existait aucun volcan en action avant l’établissement des eaux, et ils n’ont commencé d’agir ou plutôt ils n’ont pu prendre une action permanente qu’après leur abaissement : car l’on doit distinguer les volcans terrestres des volcans marins ; ceux-ci ne peuvent faire que des explosions, pour ainsi dire, momentanées, parce qu’à l’instant que leur feu s’allume par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles, il est immédiatement éteint par l’eau qui les couvre et se précipite à flots jusque dans leur foyer par toutes les routes que le feu s’ouvre pour en sortir. Les volcans de la terre ont au contraire une action durable et proportionnée à la quantité de matières qu’ils contiennent : ces matières ont besoin d’une certaine quantité d’eau pour entrer en effervescence, et ce n’est ensuite que par le choc d’un grand volume de feu contre un volume d’eau que peuvent se produire leurs violentes éruptions ; et de même qu’un volcan sous-marin ne peut agir que par instants, un volcan terrestre ne peut durer qu’autant qu’il est voisin des eaux. C’est par cette raison que tous les volcans actuellement agissants sont dans les îles ou près des côtes de la mer, et qu’on pourrait en compter cent fois plus d’éteints que d’agissants : car à mesure que les eaux, en se retirant, se sont trop éloignées du pied de ces volcans, leurs éruptions ont diminué par degrés et enfin ont entièrement cessé, et les légères effervescences que l’eau fluviale aura pu causes dans leur ancien foyer n’aura produit d’effet sensible que par des circonstances particulières et très rares.

Les observations confirment parfaitement ce que je dis de l’action des volcans : tous ceux qui sont maintenant en travail sont situés près des mers[NdÉ 1] ; tous ceux qui sont éteints, et dont le nombre est bien plus grand, sont placés dans le milieu des terres, ou tout au moins à quelque distance de la mer ; et quoique la plupart des volcans qui subsistent paraissent appartenir aux plus hautes montagnes, il en a existé beaucoup d’autres dans les éminences de médiocre hauteur. La date de l’âge des volcans n’est donc pas partout la même : d’abord il est sûr que les premiers, c’est-à-dire les plus anciens, n’ont pu acquérir une action permanente qu’après l’abaissement des eaux qui couvraient leur sommet ; et ensuite, il paraît qu’ils ont cessé d’agir dès que ces mêmes eaux se sont trop éloignées de leur voisinage : car, je le répère, nulle puissance, à l’exception de celle d’une grande masse d’eau choquée contre un grand volume de feu, ne peut produire des mouvements aussi prodigieux que ceux de l’éruption des volcans[NdÉ 2].

Il est vrai que nous ne voyons pas d’assez près la composition intérieure de ces terribles bouches à feu, pour pouvoir prononcer sur leurs effets en parfaite connaissance de cause ; nous savons que souvent il y a des communications souterraines de volcan à volcan ; nous savons seulement aussi que, quoique le foyer de leur embrasement ne soit peut-être pas à une grande distance de leur sommet, il y a néanmoins des cavités qui descendent beaucoup plus bas, et que ces cavités, dont la profondeur et l’étendue nous sont inconnues, peuvent être en tout ou en partie remplies des mêmes matières que celles qui sont actuellement embrasées.

D’autre part, l’électricité me paraît jouer un très grand rôle dans les tremblements de terre et dans les éruptions des volcans. Je me suis convaincu par des raisons très solides, et par la comparaison que j’ai faite des expériences sur l’électricité, que le fond de la matière électrique est la chaleur propre du globe terrestre[NdÉ 3] ; les émanations continuelles de cette chaleur, quoique sensibles, ne sont pas visibles, et restent sous la forme de chaleur obscure, tant qu’elles ont leur mouvement libre et direct ; mais elles produisent un feu très vif et de fortes explosions, dès qu’elles sont détournées de leur direction, ou bien accumulées par le frottement des corps. Les cavités intérieures de la terre contenant du feu, de l’air et de l’eau, l’action de ce premier élément doit y produire des vents impétueux, des orages bruyants et des tonnerres souterrains dont les effets peuvent être comparés à ceux de la foudre des airs : ces effets doivent même être plus violents et plus durables, par la forte résistance que la solidité de la terre oppose de tous côtés à la force électrique de ces tonnerres souterrains. Le ressort d’un air mêlé de vapeurs denses et enflammées par l’électricité, l’effort de l’eau, réduite en vapeurs élastiques par le feu, toutes les autres impulsions de cette puissance électrique, soulèvent, entr’ouvrent la surface de la terre, ou du moins l’agitent par des tremblements, dont les secousses ne durent pas plus longtemps que le coup de la foudre intérieure qui les produit ; et ces secousses se renouvellent jusqu’à ce que les vapeurs expansives se soient fait une issue par quelque ouverture à la surface de la terre ou dans le sein des mers. Aussi les éruptions des volcans et les tremblements de terre sont précédés et accompagnés d’un bruit sourd et roulant, qui ne diffère de celui du tonnerre que par le ton sépulcral et profond que le son prend nécessairement en traversant une grande épaisseur de matière solide, lorsqu’il s’y trouve renfermé.

Cette électricité souterraine, combinée comme cause générale avec les causes particulières des feux allumés par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles que la terre recèle en tant d’endroits, suffit à l’explication des principaux phénomènes de l’action des volcans : par exemple, leur foyer paraît être assez voisin de leur sommet, mais l’orage est au-dessous. Un volcan n’est qu’un vaste fourneau, dont les soufflets, ou plutôt les ventilateurs, sont placés dans les cavités inférieures, à côté et au-dessous du foyer : ce sont ces mêmes cavités, lorsqu’elles s’étendent jusqu’à la mer, qui servent de tuyaux d’aspiration pour porter en haut, non seulement les vapeurs, mais les masses même de l’eau et de l’air[NdÉ 4] ; c’est dans ce transport que se produit la foudre souterraine, qui s’annonce par des mugissements, et n’éclate que par l’affreux vomissement des matières qu’elle a frappées, brûlées et calcinées : des tourbillons épais d’une noire fumée ou d’une flamme lugubre ; des nuages massifs de cendres et de pierres ; des torrents bouillants de lave en fusion, roulant au loin leurs flots brûlants et destructeurs, manifestent au dehors le mouvement convulsif des entrailles de la terre.

Ces tempêtes intestines sont d’autant plus violentes qu’elles sont plus voisines des montagnes à volcan et des eaux de la mer, dont le sel et les huiles grasses augmentent encore l’activité du feu ; les terres situées entre le volcan et la mer ne peuvent manquer d’éprouver des secousses fréquentes : mais pourquoi n’y a-t-il aucun endroit du monde où l’on n’ait ressenti, même de mémoire d’homme, quelques tremblements, quelque trépidation, causés par ces mouvements intérieurs de la terre ? Ils sont à la vérité moins violents et bien plus rares dans le milieu des continents éloignés des volcans et des mers ; mais ne sont-ils pas des effets dépendant des mêmes causes ? Pourquoi donc se font-ils ressentir où ces causes n’existent pas, c’est-à-dire dans les lieux où il n’y a ni mers ni volcans ? La réponse est aisée, c’est qu’il y a eu des mers partout et des volcans presque partout ; et que, quoique leurs éruptions aient cessé lorsque les mers s’en sont éloignées, leur feu subsiste et nous est démontré par les sources des huiles terrestres, par les fontaines chaudes et sulfureuses, qui se trouvent fréquemment au pied des montagnes, jusque dans le milieu des plus grands continents : ces feux des anciens volcans, devenus plus tranquilles depuis la retraite des eaux, suffisent néanmoins pour exciter de temps en temps des mouvements intérieurs et produire de légères secousses, dont les oscillations sont dirigées dans le sens des cavités de la terre, et peut-être dans la direction des eaux ou des veines des métaux, comme conducteurs de cette électricité souterraine.

On pourra me demander encore, pourquoi tous les volcans sont situés dans les montagnes ? pourquoi paraissent-ils être d’autant plus ardents que les montagnes sont plus hautes ? quelle est la cause qui a pu disposer ces énormes cheminées dans l’intérieur des murs les plus solides et les plus élevés du globe ? Si l’on bien compris ce que j’ai dit au sujet des inégalités produites par le premier refroidissement, lorsque les matières en fusion se sont consolidées, on sentira que les chaînes des hautes montagnes nous représentent les plus grandes boursouflures qui se sont faites à la surface du globe dans le temps qu’il pris sa consistance[NdÉ 5] : la plupart des montagnes sont donc situées sur des cavités, auxquelles aboutissent les fentes perpendiculaires qui les tranchent du haut en bas : ces cavernes et ces fentes contiennent des matières qui s’enflamment par la seule effervescence, ou qui sont allumées par les étincelles électriques de la chaleur intérieure du globe. Dès que le feu commence à se faire sentir, l’air attiré par la raréfaction en augmente la force et produit bientôt un grand incendie, dont l’effet est de produire à son tour les mouvements et les orages intestins, les tonnerres souterrains et toutes les impulsions, les bruits et les secousses qui précèdent et accompagnent l’éruption des volcans. On doit donc cesser d’être étonné que les volcans soient tous situés dans les hautes montagnes, puisque ce sont les seuls anciens endroits de la terre où les cavités intérieures se soient maintenues, les seuls où ces cavités communiquent de bas en haut, par des fentes qui ne sont pas encore comblées, et enfin les seuls où l’espace vide était assez vaste pour contenir la très grande quantité de matières qui servent d’aliment au feu des volcans permanents et encore subsistants. Au reste, ils s’éteindront comme les autres dans la suite des siècles ; leurs éruptions cesseront ; oserai-je même dire que les hommes pourraient y contribuer ? En coûterait-il autant pour couper la communication d’un volcan avec la mer voisine, qu’il en a coûté pour construire les pyramides d’Égypte ? Ces monuments inutiles d’une gloire fausse et vaine nous apprennent au moins qu’en employant les mêmes forces pour les monuments de sagesse, nous pourrions faire de très grandes choses, et peut-être maîtriser la nature, au point de faire cesser, ou du moins de diriger les ravages du feu comme nous savons déjà par notre art diriger et rompre les efforts de l’eau.

Jusqu’au temps de l’action des volcans, il n’existait sur le globe que trois sortes de matières : 1o les vitrescibles, produites par le feu primitif[NdÉ 6] ; 2o les calcaires, formées par l’intermède de l’eau ; 3o toutes les substances produites par le détriment des animaux et des végétaux ; mais le feu des volcans a donné naissance à des matières d’une quatrième sorte qui souvent participent de la nature des trois autres. La première classe renferme non seulement les matières premières solides et vitrescibles dont la nature n’a point été altérée, et qui forment le fond du globe, ainsi que le noyau de toutes les montagnes primordiales, mais encore les sables, les schistes, les ardoises, les argiles et toutes les matières vitrescibles décomposées et transportées par les eaux. La seconde classe contient toutes les matières calcaires, c’est-à-dire toutes les substances produites par les coquillages et autres animaux de la mer ; elles s’étendent sur des provinces entières et couvrent même d’assez vastes contrées ; elles se trouvent aussi à des profondeurs assez considérables, et elles environnent les bases des montagnes les plus élevées jusqu’à une très grande hauteur. La troisième classe comprend toutes les substances qui doivent leur origine aux matières animales et végétales, et ces substances sont en très grand nombre ; leur quantité paraît immense, car elles recouvrent toute la superficie de la terre. Enfin la quatrième classe est celle des matières soulevées et rejetées par les volcans, dont quelques-unes paraissent être un mélange des premières, et d’autres, pures de tout mélange, ont subi une seconde action du feu qui leur a donné un nouveau caractère[NdÉ 7]. Nous rapportons à ces quatre classes toutes les substances minérales, parce qu’en les examinant, on peut toujours reconnaître à laquelle de ces classes elles appartiennent, et par conséquent prononcer sur leur origine : ce qui suffit pour nous indiquer à peu près le temps de leur formation ; car, comme nous venons de l’exposer, il paraît clairement que toutes les matières vitrescibles solides, et qui n’ont pas changé de nature, ni de situation, ont été produites par le feu primitif, et que leur formation appartient au temps de notre seconde époque, tandis que la formation des matières calcaires, ainsi que celle des argiles, des charbons, etc., n’a eu lieu que dans des temps subséquents et doit être rapportée à notre troisième époque. Et comme dans les matières rejetées par les volcans, on trouve quelquefois des substances calcaires et souvent des soufres et des bitumes, on ne peut guère douter que la formation de ces substances rejetées par les volcans ne soit encore postérieure à la formation de toutes ces matières et n’appartienne à notre quatrième époque.

Quoique la quantité des matières rejetées par les volcans soit très petite en comparaison de la quantité des matières calcaires, elles ne laissent pas d’occuper d’assez grands espaces sur la surface des terres situées aux environs de ces montagnes ardentes et de celles dont les feux sont éteints et assoupis. Par leurs éruptions réitérées, elles ont comblé les vallées, couvert les plaines et même produit d’autres montagnes. Ensuite, lorsque les éruptions ont cessé, la plupart des volcans ont continué de brûler, mais d’un feu paisible et qui ne produit aucune explosion violente, parce qu’étant éloignés des mers, il n’y a plus de choc de l’eau contre le feu ; les matières en effervescence et les substances combustibles anciennement enflammées continuent de brûler, et c’est ce qui fait aujourd’hui la chaleur de toutes nos eaux thermales ; elles passent sur les foyers de ce feu souterrain et sortent très chaudes du sein de la terre : il y a aussi quelques exemples de mines de charbon qui brûlent de temps immémorial, et qui se sont allumées par la foudre souterraine ou par le feu tranquille d’un volcan dont les éruptions ont cessé ; ces eaux thermales et ces mines allumées se trouvent souvent comme les volcans éteints dans les terres éloignées de la mer.

La surface de la terre nous présente en mille endroits les vestiges et les preuves de l’existence de ces volcans éteints : dans la France seule, nous connaissons les vieux volcans de l’Auvergne, du Velay, du Vivarais, de la Provence et du Languedoc. En Italie, presque toute la terre est formée de débris de matières volcanisées, et il en est de même de plusieurs autres contrées. Mais pour réunir les objets sous un point de vue général, et concevoir nettement l’ordre des bouleversements que les volcans ont produits à la surface du globe, il faut reprendre notre troisième époque à cette date où la mer était universelle et couvrait toute la surface du globe à l’exception des lieux élevés sur lesquels s’était fait le premier mélange des scories vitrées de la masse terrestre avec les eaux : c’est à cette même date que les végétaux ont pris naissance et qu’ils se sont multipliés sur les terres que la mer venait d’abandonner ; les volcans n’existaient pas encore, car les matières qui servent d’aliment à leur feu, c’est-à-dire les bitumes, les charbons de terre, les pyrites et même les acides, ne pouvaient s’être formés précédemment, puisque leur composition suppose l’intermède de l’eau et la destruction des végétaux.

Ainsi les premiers volcans ont existé dans les terres élevées du milieu des continents, et à mesure que les mers en s’abaissant se sont éloignées de leur pied, leurs feux se sont assoupis et ont cessé de produire ces éruptions violentes qui ne peuvent s’opérer que par le conflit d’une grande masse d’eau contre un grand volume de feu. Or, il a fallu vingt mille ans pour cet abaissement successif des mers et pour la formation de toutes nos collines calcaires ; et comme les amas des matières combustibles et minérales qui servent d’aliment aux volcans n’ont pu se déposer que successivement, et qu’il a dû s’écouler beaucoup de temps avant qu’elles se soient mises en action, ce n’est guère que sur la fin de cette période, c’est-à-dire à cinquante mille ans de la formation du globe, que les volcans ont commencé à ravager la terre ; comme les environs de tous les lieux découverts étaient encore baignés des eaux, il y a eu des volcans presque partout, et il s’est fait de fréquentes et prodigieuses éruptions qui n’ont cessé qu’après la retraite des mers ; mais cette retraite ne pouvant se faire que par l’affaissement des boursouflures du globe, il est souvent arrivé que l’eau venant à flots remplir la profondeur de ces terres affaissées, elle a mis en action les volcans sous-marins qui, par leur explosion, ont soulevé une partie de ces terres nouvellement affaissées, et les ont quelquefois poussées au-dessus du niveau de la mer, où elles ont formé des îles nouvelles, comme nous l’avons vu dans la petite île formée auprès de celle de Santorin ; néanmoins ces effets sont rares, et l’action des volcans sous-marins n’est ni permanente ni assez puissante pour élever un grand espace de terre au-dessus de la surface des mers : les volcans terrestres, par la continuité de leurs éruptions, ont au contraire couvert de leurs déblais tous les terrains que les environnaient ; ils ont, par le dépôt successif de leurs laves, formé de nouvelles couches ; ces laves, devenues fécondes avec le temps, sont une preuve invincible que la surface primitive de la terre, d’abord en fusion, puis consolidée, a pu de même devenir féconde ; enfin les volcans ont aussi produit ces mornes ou tertres qui se voient dans toutes les montagnes à volcan, et ils ont élevé ces remparts de basalte qui servent de côtes aux mers dont ils sont voisins. Ainsi après que l’eau, par des mouvements uniformes et constants, eut achevé la construction horizontale des couches de la terre, le feu des volcans, par des explosions subites, a bouleversé, tranché et couvert plusieurs de ces couches ; et l’on ne doit pas être étonné de voir sortir du sein des volcans des matières de toute espèce, des cendres, des pierres calcinées, des terres brûlées, ni de trouver ces matières mélangées des substances calcaires et vitrescibles dont ces mêmes couches sont composées.

Les tremblements de terre ont dû se faire sentir longtemps avant l’éruption des volcans : dès les premiers moments de l’affaissement des cavernes, il s’est fait de violentes secousses qui ont produit des effets tout aussi violents et bien plus étendus que ceux des volcans. Pour s’en former l’idée, supposons qu’une caverne soutenant un terrain de cent lieues carrées, ce qui ne ferait qu’une des petites boursouflures du globe, se soit tout à coup écroulée, cet écroulement n’aura-t-il pas été nécessairement suivi d’une commotion qui se sera communiquée et fait sentir très loin par un tremblement plus ou moins violent ? Quoique cent lieues carrées ne fassent que la deux cent soixante millième partie de la surface de la terre, la chute de cette masse n’a pu manquer d’ébranler toutes les terres adjacentes et de faire peut-être écrouler en même temps les cavernes voisines : il ne s’est donc fait aucun affaissement un peu considérable qui n’ait été accompagné de violentes secousses de tremblement de terre, dont le mouvement s’est communiqué par la force du ressort dont toute matière est douée, et qui a dû se propager quelquefois très loin par les routes que peuvent offrir les vides de la terre, dans lesquels les vents souterrains, excités par ces commotions, auront peut-être allumé les feux des volcans ; en sorte que d’une seule cause, c’est-à-dire de l’affaissement d’une caverne, il a pu résulter plusieurs effets, tous grands, et la plupart terribles : d’abord, l’affaissement de la mer, forcée de courir à grands flots pour remplir cette nouvelle profondeur et laisser par conséquent à découvert de nouveaux terrains ; 2o l’ébranlement des terres voisines par la commotion de la chute des matières solides qui formaient les voûtes de la caverne ; et cet ébranlement fait pencher les montagnes, les fend vers leur sommet, et en détache des masses qui roulent jusqu’à leur base ; 3o le même mouvement, produit par la commotion et propagé par les vents et les feux souterrains, soulève au loin la terre et les eaux, élève des tertres et des mornes, forme des gouffres et des crevasses, change le cours des rivières, tarit les anciennes sources, en produit de nouvelles, et ravage, en moins de temps que je ne puis le dire, tout ce qui se trouve dans sa direction. Nous devons donc cesser d’être surpris de voir en tant de lieux l’uniformité de l’ouvrage horizontal des eaux détruite et tranchée par des fentes inclinées, des éboulements irréguliers, et souvent cachée par des déblais informes, accumulés sans ordre, non plus que de trouver de si grandes contrées toutes recouvertes de matières rejetées par les volcans : ce désordre, causé par les tremblements de terre, ne fait néanmoins que masquer la nature aux yeux de ceux qui ne la voient qu’en petit, et qui d’un effet accidentel et particulier font une cause générale et constante. C’est l’eau seule qui, comme cause générale et subséquente à celle du feu primitif, a achevé de construire et de figurer la surface actuelle de la terre[NdÉ 8] ; et ce qui manque à l’uniformité de cette construction universelle n’est que l’effet particulier de la cause accidentelle des tremblements de terre et de l’action des volcans.

Or, dans cette construction de la surface de la terre par le mouvement et le sédiment des eaux, il faut distinguer deux périodes de temps : la première a commencé après l’établissement de la mer universelle, c’est-à-dire après la dépuration parfaite de l’atmosphère, par la chute des eaux et de toutes les matières volatiles que l’ardeur du globe y tenait reléguées : cette période a duré autant qu’il était nécessaire pour multiplier les coquillages, au point de remplir de leurs dépouilles toutes nos collines calcaires ; autant qu’il était nécessaire pour multiplier les végétaux et pour former de leurs débris toutes nos mines de charbon ; enfin autant qu’il était nécessaire pour convertir les scories du verre primitif en argiles, et former les acides, les sels, les pyrites, etc. Tous ces premiers et grands effets ont été produits ensemble dans les temps qui se sont écoulés depuis l’établissement des eaux jusqu’à leur abaissement. Ensuite a commencé la seconde période. Cette retraite des eaux ne s’est pas faite tout à coup, mais par une longue succession de temps, dans laquelle il faut encore saisir des points différents. Les montagnes composées de pierres calcaires ont certainement été construites dans cette mer ancienne, dont les différents courants les ont tout aussi certainement figurées par angles correspondants. Or, l’inspection attentive des côtes de nos vallées nous démontre que le travail particulier des courants a été postérieur à l’ouvrage général de la mer. Ce fait, qu’on n’a pas même soupçonné, est trop important pour ne le pas appuyer de tout ce qui peut le rendre sensible à tous les yeux.

Prenons pour exemple la plus haute montagne calcaire de la France, celle de Langres, qui s’élève au-dessus de toutes les terres de la Champagne, s’étend en Bourgogne jusqu’à Montbard, et même jusqu’à Tonnerre, et qui, dans la direction opposée, domine de même sur les terres de la Lorraine et de la Franche-Comté. Ce cordon continu de la montagne de Langres qui, depuis les sources de la Seine jusqu’à celles de la Saône, a plus de quarante lieues en longueur, est entièrement calcaire, c’est-à-dire entièrement composé des productions de la mer ; et c’est par cette raison que je l’ai choisi pour nous servir d’exemple. Le point le plus élevé de cette chaîne de montagnes est très voisin de la ville de Langres, et l’on voit que, d’un côté, cette même chaîne verse ses eaux dans l’Océan par la Meuse, la Marne, la Seine, etc., et que, de l’autre côté, elle les verse dans la Méditerranée par les rivières qui aboutissent à la Saône. Le point où est situé Langres se trouve à peu près au milieu de cette longueur de quarante lieues, et les collines vont en s’abaissant à peu près également vers les sources de la Seine et vers celles de la Saône : enfin ces collines, qui forment les extrémités de cette chaîne de montagnes calcaires, aboutissent également à des contrées de matières vitrescibles ; savoir, au delà de l’Armanson près de Semur, d’une part ; et au delà des sources de la Saône et de la petite rivière du Conay, de l’autre part.

En considérant les vallons voisins de ces montagnes, nous reconnaîtrons que le point de Langres étant le plus élevé, il a été découvert le premier dans le temps que les eaux se sont abaissées : auparavant, ce sommet était recouvert comme tout le reste par les eaux, puisqu’il est composé de matières calcaires ; mais au moment qu’il a été découvert, la mer ne pouvant plus le surmonter, tous ses mouvements se sont réduits à battre ce sommet des deux côtés, et par conséquent à creuser par des courants constants les vallons et les vallées que suivent aujourd’hui les ruisseaux et les rivières qui coulent des deux côtés de ces montagnes. La preuve évidente que les vallées ont toutes été creusées par des courants réguliers et constants, c’est que leurs angles saillants correspondent partout à des angles rentrants : seulement on observe que les eaux ayant suivi les pentes les plus rapides, et n’ayant entamé d’abord que les terrains les moins solides et les plus aisés à diviser, il se trouve souvent une différence remarquable entre les deux coteaux qui bordent la vallée. On voit quelquefois un escarpement considérable et des rochers à pic d’un côté, tandis que de l’autre les bancs de pierre sont couverts de terres en pente douce ; et cela est arrivé nécessairement toutes les fois que la force du courant s’est portée plus d’un côté que de l’autre, et aussi toutes les fois qu’il aura été troublé ou secondé par un autre courant.

Si l’on suit le cours d’une rivière ou d’un ruisseau voisin des montagnes d’où descendent leurs sources, on reconnaîtra aisément la figure et même la nature des terres qui forment les coteaux de la vallée. Dans les endroits où elle est étroite, la direction de la rivière et l’angle de son cours indiquent au premier coup d’œil le côté vers lequel se doivent porter ses eaux, et par conséquent le côté où le terrain doit se trouver en plaine, tandis que, de l’autre côté, il continuera d’être en montagne. Lorsque la vallée est large, ce jugement est plus difficile : cependant on peut, en observant la direction de la rivière, deviner assez juste de quel côté les terrains s’élargiront ou se rétréciront. Ce que nos rivières font en petit aujourd’hui, les courants de la mer l’ont autrefois fait en grand : ils ont creusé tous nos vallons, ils les ont tranchés des deux côtés, mais en transportant ces déblais ils ont souvent formé des escarpements d’une part et des plaines de l’autre. On doit aussi remarquer que dans le voisinage du sommet de ces montagnes calcaires, et particulièrement dans le sommet de Langres, les vallons commencent par une profondeur circulaire, et que de là ils vont toujours en s’élargissant à mesure qu’ils s’éloignent du lieu de leur naissance ; les vallons paraissent aussi plus profonds à ce point où ils commencent et semblent aller toujours en diminuant de profondeur à mesure qu’ils s’élargissent et qu’ils s’éloignent de ce point ; mais c’est une apparence plutôt qu’une réalité : car dans l’origine la portion du vallon la plus voisine du sommet a été la plus étroite et la moins profonde ; le mouvement des eaux a commencé par y former une ravine qui s’est élargie et creusée peu à peu ; les déblais ayant été transportés et entraînés par le courant des eaux dans la portion inférieure de la vallée, ils en auront comblé le fond, et c’est par cette raison que les vallons paraissent plus profonds à leur naissance que dans le reste de leur cours, et que les grandes vallées semblent être moins profondes à mesure qu’elles s’éloignent davantage du sommet auquel leurs rameaux aboutissent : car l’on peut considérer une grande vallée comme un tronc qui jette des branches par d’autres vallées, lesquelles jettent des rameaux par d’autres petits vallons qui s’étendent et remontent jusqu’au sommet auquel ils aboutissent.

En suivant cet objet dans l’exemple que nous venons de présenter, si l’on prend ensemble tous les terrains qui versent leurs eaux dans la Seine, ce vaste espace formera une vallée du premier ordre, c’est-à-dire de la plus grande étendue ; ensuite, si nous ne prenons que les terrains qui portent leurs eaux à la rivière d’Yonne, cet espace sera une vallée du second ordre ; et, continuant à remonter vers le sommet de la chaîne des montagnes, les terrains qui versent leurs eaux dans l’Armançon, le Serin et la Cure formeront des vallées du troisième ordre ; et ensuite la Brenne, qui tombe dans l’Armançon, sera une vallée du quatrième ordre, et enfin l’Oze et l’Ozerain, qui tombent dans la Brenne, et dont les sources sont voisines de celles de la Seine, forment des vallées du cinquième ordre. De même, si nous prenons les terrains qui portent les eaux de la Marne, cet espace sera une vallée du second ordre ; et, continuant à remonter vers le sommet de la chaîne des montagnes de Langres, si nous ne prenons que les terrains dont les eaux s’écoulent dans la rivière de Rognon, ce sera une vallée du troisième ordre ; enfin les terrains, qui versent leurs eaux dans les ruisseaux de Bussière et d’Orguevaux, forment des vallées du quatrième ordre.

Cette disposition est générale dans tous les continents terrestres. À mesure que l’on remonte et qu’on s’approche du sommet des chaînes de montagnes, on voit évidemment que les vallées sont plus étroites ; mais, quoiqu’elles paraissent aussi plus profondes, il est certain néanmoins que l’ancien fond des vallées inférieures était beaucoup plus bas autrefois que ne l’est actuellement celui des vallons supérieurs. Nous avons dit que dans la vallée de la Seine, à Paris, l’on a trouvé des bois travaillés de main d’homme à soixante-quinze pieds de profondeur ; le premier fond de cette vallée était donc autrefois bien plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui, car au-dessous de ces soixante-quinze pieds on doit encore trouver les déblais pierreux et terrestres entraînés par les courants depuis le sommet général des montagnes, tant par les vallées de la Seine que par celles de la Marne, de l’Yonne et de toutes les rivières qu’elles reçoivent. Au contraire, lorsque l’on creuse dans les petits vallons voisins du sommet général, on ne trouve aucun déblai, mais des bancs solides de pierre calcaire posée par lits horizontaux, et des argiles au-dessous à une profondeur plus ou moins grande. J’ai vu, dans une gorge assez voisine de la crête de ce long cordon de la montagne de Langres, un puits de deux cents pieds de profondeur creusé dans la pierre calcaire avant de trouver l’argile[1].

Le premier fond des grandes vallées, formées par le feu primitif ou même par les courants de la mer, a dont été recouvert et élevé successivement de tout le volume des déblais entraînés par le courant à mesure qu’il déchirait les terrains supérieurs : le fond de ceux-ci est demeuré presque nu, tandis que celui des vallées inférieures a été chargé de toute la matière que les autres ont perdue ; de sorte que, quand on ne voit que superficiellement la surface de nos continents, on tombe dans l’erreur en la divisant en bandes sablonneuses, marneuses, schisteuses, etc. ; car toutes ces bandes ne sont que des déblais superficiels qui ne prouvent rien et qui ne font, comme je l’ai dit, que masquer la nature et nous tromper sur la vraie théorie de la terre. Dans les vallons supérieurs, on ne trouve d’autres déblais que ceux qui sont descendus, longtemps après la retraite des mers, par l’effet des eaux pluviales, et ces déblais ont formé les petites couches de terre qui recouvrent actuellement le fond et les coteaux de ces vallons. Ce même effet a eu lieu dans les grandes vallées, mais avec cette différence que dans les petits vallons, les terres, les graviers et les autres détriments amenés par les eaux pluviales et par les ruisseaux, se sont déposés immédiatement sur un fond nu et balayé par les courants de la mer, au lieu que dans les grandes vallées, ces mêmes détriments amenés par les eaux pluviales n’ont pu que se superposer sur les couches beaucoup plus épaisses des déblais entraînés et déposés précédemment par ces mêmes courants : c’est par cette raison que, dans toutes les plaines et les grandes vallées, nos observateurs croient trouver la nature en désordre, parce qu’ils y voient les matières calcaires mélangées avec les matières vitrescibles, etc. Mais n’est-ce pas vouloir juger d’un bâtiment par les gravois, ou de toute autre construction par les recoupes des matériaux ?

Ainsi, sans nous arrêter sur ces petites et fausses vues, suivons notre objet dans l’exemple que nous avons donné.

Les trois grands courants, qui se sont formés au-dessous des sommets de la montagne de Langres, nous sont aujourd’hui représentés par les vallées de la Meuse, de la Marne et de la Vingeanne. Si nous examinons ces terrains en détail, nous observons que les sources de la Meuse sortent en partie des marécages du Bassigny et d’autres petites vallées très étroites et très escarpées ; que la Mance et la Vingeanne, qui toutes deux se jettent dans la Saône, sortent aussi de vallées très étroites de l’autre côté du sommet ; que la vallée de la Marne sous Langres a environ cent toises de profondeur ; que, dans tous ces premiers vallons, les coteaux sont voisins et escarpés ; que dans les vallées inférieures, et à mesure que les courants se sont éloignés du sommet général et commun, ils se sont étendus en largeur, et ont par conséquent élargi les vallées, dont les côtes sont aussi moins escarpées, parce que le mouvement des eaux y était plus libre et moins rapide que dans les vallons étroits des terrains voisins du sommet.

L’on doit encore remarquer que la direction des courants a varié dans leur cours, et que la déclinaison des coteaux a changé par la même cause. Les courants dont la pente était vers le midi, et qui nous sont représentés par les vallons de la Tille, de la Venelle, de la Vingeanne, du Saulon et de la Mance, ont agi plus fortement contre les coteaux tournés vers le sommet de Langres, et à l’aspect du nord. Les courants, au contraire, dont la pente était vers le nord, et qui nous sont représentés par les vallons de l’Aujon, de la Suize, de la Marne et du Rognon, ainsi que par ceux de la Meuse, ont plus fortement agi contre les coteaux qui sont tournés vers ce même sommet de Langres, et qui se trouvent à l’aspect du midi.

Il y avait donc, lorsque les eaux ont laissé le sommet de Langres à découvert, une mer dont les mouvements et les courants étaient dirigés vers le nord, et, de l’autre côté de ce sommet, une autre mer, dont les mouvements étaient dirigés vers le midi ; ces deux mers battaient les deux flancs opposés de cette chaîne de montagnes, comme l’on voit dans la mer actuelle les eaux battre les deux flancs opposés d’une longue île ou d’un promontoire avancé : il n’est donc pas étonnant que tous les coteaux escarpés de ces vallons se trouvent également des deux côtés de ce sommet général des montagnes ; ce n’est que l’effet nécessaire d’une cause très évidente.

Si l’on considère le terrain qui environne l’une des sources de la Marne près de Langres, on reconnaîtra qu’elle sort d’un demi-cercle coupé presque à plomb ; et, en examinant les lits de pierre de cette espèce d’amphithéâtre, on se démontrera que ceux des deux côtés et ceux du fond de l’arc de cercle qu’il présente, étaient autrefois continus et ne faisaient qu’une seule masse, que les eaux l’ont détruite dans la partie qui forme aujourd’hui ce demi-cercle. On verra la même chose à l’origine des deux autres sources de la Marne ; savoir : dans le vallon de Balesme et dans celui de Saint-Maurice ; tout ce terrain était continu avant l’abaissement de la mer ; et cette espèce de promontoire, à l’extrémité duquel la ville de Langres est située, était dans ce même temps continu non seulement avec ces premiers terrains, mais avec ceux de Breuvonne, de Peigney, de Noidan-le-Rocheux, etc. : il est aisé de se convaincre, par ses yeux, que la continuité de ces terrains n’a été détruite que par le mouvement et l’action des eaux.

Dans cette chaîne de la montagne de Langres, on trouve plusieurs collines isolées, les unes en forme de cônes tronqués, comme celles de Montsaugeon ; les autres en forme elliptique, comme celles de Montbard, de Montréal ; et d’autres tout aussi remarquables autour des sources de la Meuse, vers Clémont et Montigny-le-Roi, qui est situé sur un monticule adhérent au continent par une langue de terre très étroite. On voit encore une de ces collines isolées à Andilly, une autre auprès d’Heuilly-Coton, etc. Nous devons observer qu’en général ces collines calcaires isolées sont moins hautes que celles qui les environnent, et desquelles ces collines sont actuellement séparées, parce que le courant, remplissant toute la largeur du vallon, passait par-dessus ces collines isolées avec un mouvement direct et les détruisait par le sommet, tandis qu’il ne faisait que baigner le terrain des coteaux du vallon, et ne les attaquait que par un mouvement oblique ; en sorte que les montagnes qui bordent les vallons sont demeurées plus élevées que les collines isolées qui se trouvent entre deux. À Montbard, par exemple, la hauteur de la colline isolée au-dessus de laquelle sont situés les murs de l’ancien château n’est que de cent quarante pieds, tandis que les montagnes qui bordent le vallon des deux côtés, au nord et au midi, en ont plus de trois cent cinquante ; et il en est de même des autres collines calcaires que nous venons de citer : toutes celles qui sont isolées sont en même temps moins élevées que les autres, parce qu’étant au milieu du vallon et au fil de l’eau, elles ont été minées sur leurs sommets par le courant, toujours plus violent et plus rapide dans le milieu que vers les bords de son cours.

Lorsqu’on regarde ces escarpements, souvent élevés à pic à plusieurs toises de hauteur ; lorsqu’on les voit composés du haut en bas de bancs de pierres calcaires très massives et fort dures, on est émerveillé du temps prodigieux qu’il faut supposer pour que les eaux aient ouvert et creusé ces énormes tranchées ; mais deux circonstances ont concouru à l’accélération de ce grand ouvrage : l’une de ces circonstances est que, dans toutes les collines et montagnes calcaires, les lits supérieurs sont les moins compacts et les plus tendres, en sorte que les eaux ont aisément entamé la superficie du terrain et formé la première ravine qui a dirigé leur cours ; la seconde circonstance est que, quoique ces bancs de matière calcaire se soient formés et même séchés et pétrifiés sous les eaux de la mer, il est néanmoins très certain qu’ils n’étaient d’abord que des sédiments superposés de matières molles, lesquelles n’ont acquis de la dureté que successivement par l’action de la gravité sur la masse totale, et par l’exercice de la force d’affinité de leurs parties constituantes. Nous sommes donc assurés que ces matières n’avaient pas acquis toute la solidité et la dureté que nous leur voyons aujourd’hui, et que dans ce temps de l’action des courants de la mer, elles devaient lui céder avec moins de résistance. Cette considération diminue l’énormité de la durée du temps de ce travail des eaux, et explique d’autant mieux la correspondance des angles saillants et rentrants des collines, qui ressemble parfaitement à la correspondance des bords de nos rivières dans tous les terrains aisés à diviser.

C’est pour la construction même de ces terrains calcaires, et non pour leur division, qu’il est nécessaire d’admettre une très longue période de temps ; en sorte que dans les vingt mille ans, j’en prendrais au moins les trois premiers quarts pour la multiplication des coquillages, le transport de leurs dépouilles et la composition des masses qui les renferment, et le dernier quart pour la division et pour la configuration de ces mêmes terrains calcaires : il a fallu vingt mille ans pour la retraite des eaux, qui d’abord étaient élevées de deux mille toises au-dessus du niveau de nos mers actuelles ; et ce n’est que vers la fin de cette longue marche en retraite que nos vallons ont été creusés, nos plaines établies, et nos collines découvertes : pendant tout ce temps le globe n’était peuplé que de poissons et d’animaux à coquilles ; les sommets des montagnes et quelques terres élevées, que les eaux n’avaient pas surmontés ou qu’elles avaient abandonnés les premiers, étaient aussi couverts de végétaux ; car leurs détriments en volume immense ont formé les veines de charbon, dans le même temps que les dépouilles des coquillages ont formé les lits de nos pierres calcaires. Il est donc démontré par l’inspection attentive de ces monuments authentiques de la nature, savoir, les coquilles dans les marbres, les poissons dans les ardoises, et les végétaux dans les mines de charbon, que tous ces êtres organisés ont existé longtemps avant les animaux terrestres ; d’autant qu’on ne trouve aucun indice, aucun vestige de l’existence de ceux-ci dans toutes ces couches anciennes qui se sont formées par le sédiment des eaux de la mer. On n’a trouvé les os, les dents, les défenses des animaux terrestres que dans les couches superficielles ou bien dans ces vallées et dans ces plaines dont nous avons parlé, qui ont été comblées de déblais entraînés des lieux supérieurs par les eaux courantes : il y a seulement quelques exemples d’ossements trouvés dans des cavités sous des rochers, près des bords de la mer, et dans des terrains bas ; mais ces rochers sous lesquels gisaient ces ossements d’animaux terrestres sont eux-mêmes de nouvelle formation, ainsi que toutes les carrières calcaires en pays bas, qui ne sont formées que des détriments des anciennes couches de pierre, toute situées au-dessus de ces nouvelles carrières ; et c’est par cette raison que je les ai désignées par le nom de carrières parasites, parce qu’elles se forment en effet aux dépens des premières.

Notre globe, pendant trente-cinq mille ans, n’a donc été qu’une masse de chaleur et de feu, dont aucun être sensible ne pouvait approcher ; ensuite, pendant quinze ou vingt mille ans, sa surface n’était qu’une mer universelle[NdÉ 9] : il a fallu cette longue succession de siècles pour le refroidissement de la terre et pour la retraite des eaux, et ce n’est qu’à la fin de cette seconde période que la surface de nos continents a été figurée.

Mais ces derniers effets de l’action des courants de la mer ont été précédés de quelques autres effets encore plus généraux, lesquels ont influé sur quelques traits de la face entière de la terre. Nous avons dit que les eaux, venant en plus grande quantité du pôle austral, avaient aiguisé toutes les pointes des continents ; mais après la chute complète des eaux, lorsque la mer universelle eut pris son équilibre, le mouvement du midi au nord cessa, et la mer n’eut plus à obéir qu’à la puissance constante de la lune, qui, se combinant avec celle du soleil, produisit les marées et le mouvement constant d’orient en occident ; les eaux, dans leur premier avènement, avaient d’abord été dirigées des pôles vers l’équateur, parce que les parties polaires, plus refroidies que le reste du globe, les avaient reçues les premières ; ensuite elles ont gagné successivement les régions de l’équateur ; et lorsque ces régions ont été couvertes, comme toutes les autres, par les eaux, le mouvement d’orient en occident s’est dès lors établi pour jamais : car non seulement il s’est maintenu pendant cette longue période de la retraite des mers, mais il se maintient encore aujourd’hui. Or, ce mouvement général de la mer d’orient en occident a produit sur la surface de la masse terrestre un effet tout aussi général ; c’est d’avoir escarpé toutes les côtes occidentales des continents terrestres et d’avoir en même temps laissé tous les terrains en pente douce du côté de l’orient.

À mesure que les mers s’abaissaient et découvraient les pointes les plus élevées des continents, ces sommets, comme autant de soupiraux qu’on viendrait de déboucher, commencèrent à laisser exhaler les nouveaux feux produits dans l’intérieur de la terre par l’effervescence des matières qui servent d’aliment aux volcans. Le domaine de la terre, sur la fin de cette seconde période de vingt mille ans, était partagé entre le feu et l’eau : également déchirée et dévorée par la fureur de ces deux éléments, il n’y avait nulle part ni sûreté ni repos ; mais heureusement ces anciennes scènes, les plus épouvantables de la nature, n’ont point eu de spectateurs, et ce n’est qu’après cette seconde période entièrement révolue que l’on peut dater la naissance des animaux terrestres[NdÉ 10] ; les eaux étaient alors retirées, puisque les deux grands continents étaient unis vers le nord et également peuplés d’éléphants ; le nombre des volcans était aussi beaucoup diminué, parce que leurs éruptions ne pouvant s’opérer que par le conflit de l’eau et du feu, elles avaient cessé dès que la mer en s’abaissant s’en était éloignée. Qu’on se représente encore l’aspect qu’offrait la terre immédiatement après cette seconde période, c’est-à-dire à cinquante-cinq ou soixante mille ans de sa formation. Dans toutes les parties basses, des mares profondes, des courants rapides et des tournoiements d’eau ; des tremblements de terre presque continuels, produits par l’affaissement des cavernes et par les fréquentes explosions des volcans, tant sous mer que sur terre ; des orages généraux et particuliers ; des tourbillons de fumée et des tempêtes excitées par les violentes secousses de la terre et de la mer ; des inondations, des débordements ; des déluges occasionnés par ces mêmes commotions ; des fleuves de verre fondu, de bitume et de soufre, ravageant les montagnes et venant dans les plaines empoisonner les eaux ; le soleil même presque toujours offusqué, non seulement par des nuages aqueux, mais par des masses épaisses de cendres et de pierres poussées par les volcans, et nous remercierons le Créateur de n’avoir pas rendu l’homme témoin de ces scènes effrayantes et terribles qui ont précédé, et pour ainsi dire annoncé la naissance de la nature intelligente et sensible[NdÉ 11].



Notes de Buffon.
  1. Au château de Rochefort, près d’Anières en Champagne.
Notes de l’éditeur.
  1. D’après John Herschel, « sur 225 volcans que l’on sait avoir été en éruption dans le cours des cent cinquante dernières années, on n’en cite qu’un seul, le mont Demawend en Perse, qui soit à 512 kilomètres de la mer, et encore est-il situé sur les bords de la Caspienne, qui est la plus considérable de toutes les mers intérieures. » M. Lyell ajoute à cette observation : « Le Jorullo, au Mexique, qui fit éruption en 1759, n’est pas à moins de 192 kilomètres de l’océan le plus voisin ; mais, ainsi que le fait observer Daubeny, il fait partie d’une suite de volcans dont l’extrémité touche presque à la mer. Le volcan situé dans la Tartarie centrale et qui, dit-on, se montra en activité au viie siècle, se trouve à 260 milles géographiques de l’océan, mais non loin d’un grand lac. »
  2. Buffon attribue, on le voit, les volcans au choc d’une grande masse d’eau avec une masse également considérable de matières en fusion. Cette manière de voir a été confirmée par les recherches de la science moderne. Voici ce que dit sur ce sujet M. Lyell : « On peut supposer qu’il existe à une profondeur de plusieurs kilomètres au-dessous de la surface de la terre de vastes cavités souterraines dans lesquelles s’accumule de la lave fondue, et que lorsque de l’eau, mêlée à de l’air dans les proportions ordinaires, vient à pénétrer dans ces cavités, il s’y produit de la vapeur qui exerce une certaine pression sur la lave et la force à monter dans le conduit d’un volcan de la même manière qu’une colonne d’eau est poussée de bas en haut dans le tube d’un geyser. Dans d’autres cas, on peut supposer une colonne continue de lave liquide mêlée avec de l’eau à la température de la chaleur rouge ou de la chaleur blanche (car l’eau, suivant le professeur Bunsen, peut se trouver en cet état lorsqu’elle est soumise à une certaine pression), et qui serait douée d’une température croissant de haut en bas d’une façon régulière. Que l’équilibre vienne à être rompu dans la masse, il se produit près de la surface, par suite de l’expansion et de la conversion en gaz de l’eau emprisonnée dans le sein des diverses substances qui constituent la lave, une éruption dont le résultat sera de diminuer la pression supportée par la colonne liquide ; une plus grande quantité de vapeur d’eau venant alors à se dégager, elle entraîne avec elle des jets de roche fondue qui, lancés dans l’air, retomberont en pluies de scories ou de cendres sur la contrée environnante. Enfin, l’arrivée de la lave et de l’eau, de plus en plus chauffées à l’orifice du conduit ou du cratère du volcan, peut donner à la force d’expansion une puissance suffisante pour expulser un courant de lave massive. L’éruption terminée, survient une période de repos pendant laquelle de nouvelles provisions de calorique montent du foyer intérieur et fondent peu à peu des masses nouvelles de roche, en même temps que l’eau de la mer ou celle de l’atmosphère descend de la surface dans les cavités inférieures ; jusqu’à ce qu’enfin toutes les conditions requises pour une nouvelle explosion se trouvant parfaites, une autre série de phénomènes se reproduise dans un ordre tout à fait semblable. »

    Le fait de la pénétration de l’eau dans les cavernes souterraines d’où s’échappent par les volcans les laves fondues a été démontré d’un grand nombre de façons. Fouqué a constaté que les vapeurs rejetées par l’Etna ont leur composition chimique identique à celle qui leur convient, quand on attribue leur formation à la décomposition de l’eau de la mer et de ses gaz. On a trouvé dans le tuf qui recouvre Pompéi et qui est formé de lave rejetée par le Vésuve, une quantité considérable de tests siliceux de diatomées et de protozoaires qui ne peuvent provenir que de l’eau ayant pénétré dans le volcan et ayant ensuite été rejetée par lui.

    [Note de Wikisource : En réalité, la pénétration d’eau de mer ou d’eau météorique dans les volcans est très rare ; l’eau détectée dans les laves ou les fumées provient, soit du magma lui-même, enrichi en éléments volatils, lors de sa production (c’est en particulier le cas aux bords des océans, où la plaque océanique, chargée d’eau, se déshydrate en s’enfonçant sous la plaque continentale) ou de sa remontée (cas de contamination du magma par les roches carbonatées de la croûte), soit de nappes d’eau souterraines, eau souvent salée en bord de mer, situées au-dessus de la chambre magmatique. Dans le premier cas, l’éruption est due souvent au dégazage du magma, qui provoque une augmentation de la pression sur les terrains sus-jacents jusqu’à leur rupture ; dans le second cas, l’éruption est en fait une explosion de la nappe souterraine, qui est brutalement vaporisée par la chaleur du magma arrivé à son voisinage, sans que pour autant il y ait de contact entre le magma et l’eau phréatique.]

  3. Berzélius émis la proposition inverse ; il a attribué la chaleur à l’union des deux électricités de nom contraire. Mais, à l’heure actuelle, l’hypothèse des deux électricités est à peu près généralement abandonnée et la manière de voir de Berzélius n’est plus admissible. Ce qui reste vrai, c’est que la chaleur peut produire l’électricité, de même que l’électricité peut produire de la chaleur, ou, pour mieux dire, l’électricité peut se transformer en chaleur et la chaleur peut se transformer en électricité, toutes les deux n’étant, comme la lumière, que des formes particulières du mouvement moléculaire de la matière.

    Quoi qu’il en soit, l’électricité joue, sans nul doute, un rôle de la plus haute importance dans les phénomènes volcaniques comme dans tous les autres phénomènes chimiques. Des courants magnétiques d’une grande intensité sont produits dans le globe terrestre par les changements périodiques que l’on observe dans les taches solaires, et certains géologues pensent que ces courants pourraient bien être pour notre planète la cause d’une production de chaleur capable de compenser les pertes qu’elle subit par le rayonnement. [Note de Wikisource : Ces vues sont totalement erronées : l’électricité ni le magnétisme n’ont aucune part au déclenchement des éruptions, ni à la chaleur propre du globe. Les « courants magnétiques » observés sont produits par les mouvements du noyau métallique liquide de la Terre, qui donnent naissance au champ magnétique terrestre ; celui-ci est perturbé par les orages magnétiques solaires (dont les périodes de forte activité se signalent par la recrudescence des taches solaires), mais sans jamais être vaincu par ces derniers. Quant à la chaleur interne du globe, elle est entretenue en majeure partie par la désintégration des éléments radioactifs du manteau.]

  4. D’après M. Fouqué, dans l’éruption de l’Etna qui eut lieu en 1865, les gaz exhalés par le volcan étaient identiques, par leur composition chimique, à ceux qui auraient pris naissance si des masses énormes d’eau de mer « ayant pénétré dans les réservoirs de lave souterraine, s’y étaient décomposés et en avaient ensuite été expulsés avec la lave. Bien plus, il a calculé que la quantité de vapeur d’eau était parfaitement proportionnelle avec celle des autres gaz, et que les nombreuses bouches ouvertes à la surface de l’Etna avaient émis journellement non moins de 22 000 mètres cubes de vapeur aqueuse. » (Lyell.)
  5. Ainsi que je l’ai fait déjà observer à plusieurs reprises, Buffon commet une erreur en considérant les montagnes comme « les plus grandes boursouflures qui se sont faites à la surface du globe dans le temps qu’il a pris sa consistance». Les principales chaînes de montagnes ont toutes un âge différent : aucune des chaînes actuelles ne date d’une époque aussi reculée que celle de la solidification de la planète. « Les chaînes de montagnes actuellement existantes, dit Lyell, appartiennent à des âges différents, et il en est peu qui doivent l’ensemble de leur présente conformation aux mouvements qui se sont manifestés dans une seule et même époque. Les forces agissant de haut en bas ou de bas en haut qui leur ont donné naissance et qui ont déterminé, dans le cours des siècles, la position variable des continents et des bassins océaniques, ont évidemment transporté leurs points principaux de développement d’une région à une autre, comme les volcans et les tremblements de terre, et sont toutes, dans le fait, le résultat des mêmes opérations intérieures auxquelles donnent lieu la chaleur, l’électricité, le magnétisme et l’affinité chimique. »

    Quant à la situation des volcans dans les régions montagneuses, elle s’explique suffisamment si l’on admet que les montagnes sont des soulèvements produits par l’expansion des vapeurs contenues dans les cavités souterraines, pleines de matières en fusion, qui servent comme de chaudières aux laves. D’après la dilatation des principales roches, on a calculé qu’une masse de grès de 1 600 mètres d’épaisseur, dont la température serait élevée de 93° 33 centigrades, soulèverait un lit sus-jacent de roches à une hauteur de 3 mètres. D’après ces données, si l’on suppose qu’une portion déterminée de la croûte terrestre d’une épaisseur de km soit portée de 315° 55 à 426° 66 centigrades, il en résulterait un soulèvement de 300 à 450 mètres. Un abaissement égal de la température amènerait, bien entendu, un affaissement égal. Or cette élévation ou cet abaissement de la température peuvent parfaitement être expliqués par les seules actions chimiques et électriques qui se produisent sans cesse dans le sol. (Voyez mon Introduction.)

    [Note de Wikisource : Le soulèvement des volcans est en réalité plutôt dû à la pression exercée par le magma sur les terrains sus-jacents lors de sa remontée ; surtout, les cônes volcaniques s’accroissent en hauteur par l’injection de magma à leur base, par la solidification des laves émises à leur surface, ou par la consolidation des cendres et des retombées sur leurs flancs.]

  6. Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer dans d’autres notes, il n’existe plus, à notre époque, de roches qu’on puisse attribuer « au feu primitif ». Toutes les roches cristallines actuelles se sont formées par transformation des matériaux situés à la surface du globe ou par transformation de matières situées dans la profondeur de la croûte terrestre, sous l’influence des foyers de calorique contenus dans cette croûte.
  7. Cette quatrième classe contient, par conséquent, toutes les roches que l’on désigne actuellement sous le nom de métamorphiques. Buffon est le premier qui en ait fait mention. Il désigne ainsi toutes les roches qui ont subi, après leur dépôt, l’action de la chaleur ; ces roches appartiennent à des époques différentes et à des espèces minérales très diverses, aucune sorte de roches n’ayant échappé aux actions métamorphiques. « Leur transformation, dit Lyell, peut être attribuée à l’influence de la chaleur souterraine s’exerçant sous une forte pression, à laquelle est venue s’ajouter celle de l’eau ou de la vapeur chaude, et de plusieurs autres gaz qui, pénétrant les roches poreuses, ont donné lieu à diverses décompositions et à de nouvelles combinaisons chimiques. »
  8. Buffon admet, dans l’histoire des transformations de la surface de la terre, deux périodes distinctes : l’une, pendant laquelle la chaleur seule agit ; l’autre, postérieure, pendant laquelle l’action de l’eau remplace celle de la chaleur. Si l’on admet, comme tout tend à le faire supposer, que la terre a d’abord été en fusion, il est bien évident que l’action de l’eau n’a pu se produire qu’après la solidification de la surface de la planète, et que les causes ignées de transformation de la surface ont agi avant les causes aqueuses ; mais Buffon suppose toujours que la mer a d’abord recouvert simultanément tous les points de la surface du globe ; or on peut faire à cette manière de voir bien des objections. On pense généralement aujourd’hui qu’au contraire la mer n’a occupé d’abord que des parties limitées du globe, d’autres parties restant émergées, puis que ces dernières s’étant affaissées, tandis que les premières se soulevaient, la mer a changé de place. Or ces affaissements et ces soulèvements étant le fait de la dilatation ou de la contraction des roches souterraines [Note de Wikisource : non pas le fait de la dilatation ou de la contraction des roches, mais le fait des contraintes isostatiques ou tectoniques], l’eau et la chaleur agissaient simultanément pour modifier l’aspect de la surface de notre globe. Il est facile de constater la simultanéité de ces deux actions pendant toute la période archaïque qui est la plus ancienne que nous puissions étudier. Certaines portions de notre Europe ont été, pendant cette phase de l’évolution de notre globe, plusieurs fois couvertes par les eaux et découvertes, et des éruptions considérables ont métamorphisé les roches déposées par les eaux. Pendant le même temps la pluie, les fleuves, les torrents, etc., agissaient de leur côté pour modifier l’aspect des portions émergées de la surface du globe terrestre.
  9. Ces chiffres, si forts qu’ils soient, sont de beaucoup inférieurs à la réalité.
  10. Les végétaux et les animaux terrestres peuvent tous être considérés comme produits par la transformation d’espèces aquatiques préexistantes. (Voyez mon Introduction.)
  11. Ce tableau est fort beau, mais il est probablement inexact. Le plus grand nombre des phénomènes qui ont donné lieu aux transformations multiples de la surface de notre globe se sont effectués avec une telle lenteur, que les spectateurs, s’il en existait, ne pouvaient pas s’en apercevoir.