Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Époques de la nature/Cinquième époque

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Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome II, Époques de la naturep. 89-103).



CINQUIÈME ÉPOQUE

LORSQUE LES ÉLÉPHANTS ET LES AUTRES ANIMAUX DU MIDI ONT HABITÉ LES TERRES DU NORD.

Tout ce qui existe aujourd’hui dans la nature vivante a pu exister de même dès que la température de la terre s’est trouvée la même. Or, les contrées septentrionales du globe ont joui pendant longtemps du même degré de chaleur dont jouissent aujourd’hui les terres méridionales ; et dans le temps où ces contrées du nord jouissaient de cette température, les terres avancées vers le midi étaient encore brûlantes et sont demeurées désertes pendant un long espace de temps. Il semble même que la mémoire s’en soit conservée par la tradition, car les anciens étaient persuadés que les terres de la zone torride étaient inhabitées ; elles étaient en effet encore inhabitables longtemps après la population des terres du nord ; car, en supposant trente-cinq mille ans pour le temps nécessaire au refroidissement de la terre sous les pôles, seulement au point d’en pouvoir toucher la surface sans se brûler, et vingt ou vingt-cinq mille ans de plus, tant pour la retraite des mers que pour l’attiédissement nécessaire à l’existence des êtres aussi sensibles que le sont les animaux terrestres, on sentira bien qu’il faut compter quelques milliers d’années de plus pour le refroidissement du globe à l’équateur, tant à cause de la plus grande épaisseur de la terre que de l’accession de la chaleur solaire qui est considérable sur l’équateur et presque nulle sous le pôle.

Et quand même ces deux causes réunies ne seraient pas suffisantes pour produire une si grande différence de temps entre ces deux populations, l’on doit considérer que l’équateur a reçu les eaux de l’atmosphère bien plus tard que les pôles, et que par conséquent cette cause secondaire du refroidissement agissant plus promptement et plus puissamment que les deux premières causes, la chaleur des terres du nord se sera considérablement attiédie par la recette des eaux, tandis que la chaleur des terres méridionales se maintenait et ne pouvait diminuer que par sa propre déperdition. Et quand même on m’objecterait que la chute des eaux, soit sur l’équateur, soit sur les pôles, n’étant que la suite du refroidissement à un certain degré de chacune de ces deux parties du globe, elle n’a eu lieu dans l’une et dans l’autre que quand la température de la terre et celle des eaux tombantes ont été respectivement les mêmes, et que par conséquent cette chute d’eau n’a pas autant contribué que je le dis à accélérer le refroidissement sous le pôle plus que sous l’équateur, on sera forcé de convenir que les vapeurs, et par conséquent les eaux tombantes sur l’équateur, avaient plus de chaleur à cause de l’action du soleil, et que par cette raison elles ont refroidi plus lentement les terres de la zone torride, en sorte que j’admettrais au moins neuf à dix mille ans entre le temps de la naissance des éléphants dans les contrées septentrionales et le temps où ils se sont retirés jusqu’aux contrées les plus méridionales : car le froid ne venait et ne vient encore que d’en haut ; les pluies continuelles qui tombaient sur les parties polaires du globe en accéléraient incessamment le refroidissement, tandis qu’aucune cause extérieure ne contribuait à celui des parties de l’équateur. Or, cette cause qui nous paraît si sensible par les neiges de nos hivers et les grêles de notre été, ce froid qui des hautes régions de l’air nous arrive par intervalles, tombait à plomb et sans interruption sur les terres septentrionales, et les a refroidies bien plus promptement que n’ont pu se refroidir les terres de l’équateur, sur lesquelles ces ministres du froid, l’eau, la neige et la grêle, ne pouvaient agir ni tomber. D’ailleurs nous devons faire entrer ici une considération très importante sur les limites qui bornent la durée de la nature vivante : nous en avons établi le premier terme possible à trente-cinq mille ans de la formation du globe terrestre, et le dernier terme à quatre-vingt-treize mille ans à dater de ce jour, ce qui fait cent trente-deux mille ans pour la durée absolue de cette belle nature[1]. Voilà les limites les plus éloignées et la plus grande étendue de durée que nous ayons donnée, d’après nos hypothèses, à la vie de la nature sensible ; cette vie aura pu commencer à trente-cinq ou trente-six mille ans, parce qu’alors le globe était assez refroidi à ses parties polaires pour qu’on pût le toucher sans se brûler, et elle pourra ne finir que dans quatre-vingt-treize mille ans, lorsque le globe sera plus froid que la glace. Mais entre ces deux limites si éloignées, il faut en admettre d’autres plus rapprochées : les eaux et toutes les matières qui sont tombées de l’atmosphère n’ont cessé d’être dans un état d’ébullition qu’au moment où l’on pouvait les toucher sans se brûler ; ce n’est donc que longtemps après cette période de trente-six mille ans que les êtres doués d’une sensibilité pareille à celle que nous leur connaissons ont pu naître et subsister ; car si la terre, l’air et l’eau prenaient tout à coup ce degré de chaleur qui ne nous permettrait de pouvoir les toucher sans en être vivement offensés, y aurait-il un seul des êtres actuels capables de résister à cette chaleur mortelle, puisqu’elle excéderait de beaucoup la chaleur vitale de leurs corps ? Il a pu exister alors des végétaux, des coquillages et des poissons d’une nature moins sensible à la chaleur dont les espèces ont été anéanties par le refroidissement dans les âges subséquents, et ce sont ceux dont nous trouvons les dépouilles et les détriments dans les mines de charbon, dans les ardoises, dans les schistes et dans les couches d’argile, aussi bien que dans les bancs de marbres et des autres matières calcaires ; mais toutes les espèces plus sensibles et particulièrement les animaux terrestres n’ont pu naître et se multiplier que dans des temps postérieurs et plus voisins du nôtre.

Et dans quelle contrée du nord les premiers animaux terrestres auront-ils pris naissance ? N’est-il pas probable que c’est dans les terres les plus élevées, puisqu’elles ont été refroidies avant les autres[NdÉ 1] ? Et n’est-il pas également probable que les éléphants et les autres animaux actuellement habitant les terres du midi sont nés les premiers de tous, et qu’ils ont occupé ces terres du nord pendant quelques milliers d’années et longtemps avant la naissance des rennes qui habitent aujourd’hui ces mêmes terres du nord ?

Dans ce temps, qui n’est guère éloigné du nôtre que de quinze mille ans, les éléphants, les rhinocéros, les hippopotames, et probablement toutes les espèces qui ne peuvent se multiplier actuellement que sous la zone torride, vivaient donc et se multipliaient dans les terres du nord, dont la chaleur était au même degré, et par conséquent tout aussi convenable à leur nature : ils y étaient en grand nombre ; ils y ont séjourné longtemps ; la quantité d’ivoire et de leurs autres dépouilles que l’on a découvertes et que l’on découvre tous les jours dans ces contrées septentrionales, nous montre évidemment qu’elles ont été leur patrie, leur pays natal et certainement la première terre qu’ils aient occupée ; mais, de plus, ils ont existé en même temps dans les contrées septentrionales de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique ; ce qui nous fait connaître que les deux continents étaient alors contigus, et qu’ils n’ont été séparés que dans des temps subséquents. J’ai dit que nous avions au Cabinet du Roi des défenses d’éléphants trouvées en Russie et en Sibérie, et d’autres qui ont été trouvées au Canada, près de la rivière d’Ohio. Les grosses dents molaires de l’hippopotame et de l’énorme animal dont l’espèce est perdue[NdÉ 2], nous sont arrivées du Canada, et d’autres toutes semblables sont venues de Tartarie et de Sibérie. On ne peut donc pas douter que ces animaux, qui n’habitent aujourd’hui que les terres du midi de notre continent, n’existassent aussi dans les terres septentrionales de l’autre et dans le même temps, car la terre était également chaude ou refroidie au même degré dans tous deux. Et ce n’est pas seulement dans les terres du nord qu’on a trouvé ces dépouilles d’animaux du midi, mais elles se trouvent encore dans tous les pays tempérés, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, etc. Nous avons sur cela des monuments authentiques, c’est-à-dire des défenses d’éléphants et d’autres ossements de ces animaux trouvés dans plusieurs provinces de l’Europe.

Dans les temps précédents, ces mêmes terres septentrionales étaient recouvertes par les eaux de la mer, lesquelles, par leur mouvement, y ont produit les mêmes effets que partout ailleurs : elles en ont figuré les collines, elles les ont composées de couches horizontales, elles ont déposé les argiles et les matières calcaires en forme de sédiment : car on trouve dans ces terres du nord, comme dans nos contrées, les coquillages et les débris des autres productions marines enfouies à d’assez grandes profondeurs dans l’intérieur de la terre, tandis que ce n’est pour ainsi dire qu’à sa superficie, c’est-à-dire à quelques pieds de profondeur, que l’on trouve les squelettes d’éléphants, de rhinocéros, et les autres dépouilles des animaux terrestres.

Il paraît même que ces premiers animaux terrestres étaient, comme les premiers animaux marins, plus grands qu’ils ne le sont aujourd’hui. Nous avons parlé de ces énormes dents carrées à pointes mousses, qui ont appartenu à un animal plus grand que l’éléphant, et dont l’espèce ne subsiste plus ; nous avons indiqué ces coquillages en volutes, qui ont jusqu’à huit pieds de diamètre sur un pied d’épaisseur[NdÉ 3], et nous avons vu de même des défenses, des dents, des omoplates, des fémurs d’éléphants d’une taille supérieure à celle des éléphants actuellement existants. Nous avons reconnu, par la comparaison immédiate des dents mâchelières des hippopotames d’aujourd’hui avec les grosses dents qui nous sont venues de la Sibérie et du Canada, que les anciens hippopotames auxquels ces grosses dents ont autrefois appartenu, étaient au moins quatre fois plus volumineux que ne le sont les hippopotames actuellement existants[NdÉ 4]. Ces grands ossements et ces énormes dents sont des témoins subsistants de la grande force de la nature dans ces premiers âges. Mais pour ne pas perdre de vue notre objet principal, suivons nos éléphants dans leur marche progressive du nord au midi.

Nous ne pouvons douter qu’après avoir occupé les parties septentrionales de la Russie et de la Sibérie jusqu’au 60e degré[2], où l’on a trouvé leurs dépouilles en grande quantité, ils n’aient ensuite gagné les terres moins septentrionales, puisqu’on trouve encore de ces mêmes dépouilles en Moscovie, en Pologne, en Allemagne, en Angleterre, en France, en Italie ; en sorte qu’à mesure que les terres du nord se refroidissaient, ces animaux cherchaient des terres plus chaudes ; et il est clair que tous les climats, depuis le nord jusqu’à l’équateur, ont successivement joui du degré de chaleur convenable à leur nature. Ainsi, quoique de mémoire d’homme l’espèce de l’éléphant ne paraisse avoir occupé que les climats actuellement les plus chauds dans notre continent, c’est-à-dire les terres qui s’étendent à peu près à 20 degrés des deux côtés de l’équateur, et qu’ils y paraissent confinés depuis plusieurs siècles, les monuments de leurs dépouilles trouvées dans toutes les parties tempérées de ce même continent, démontrent qu’ils ont aussi habité pendant autant de siècles les différents climats de ce même continent ; d’abord : du 60e au 50e degré, puis du 50e au 40e, ensuite du 40e au 30e, et du 30e au 20e, enfin, du 20e à l’équateur et au delà à la même distance. On pourrait même présumer qu’en faisant des recherches en Laponie, dans les terres de l’Europe et de l’Asie qui sont au delà du 60e degré, on pourrait y trouver de même des défenses et des ossements d’éléphants, ainsi que des autres animaux du midi, à moins qu’on ne veuille supposer (ce qui n’est pas sans vraisemblance) que la surface de la terre étant réellement encore plus élevée en Sibérie que dans toutes les provinces qui l’avoisinent du côté du nord, ces mêmes terres de la Sibérie ont été les premières abandonnées par les eaux, et par conséquent les premières où les animaux terrestres aient pu s’établir. Quoi qu’il en soit, il est certain que les éléphants ont vécu, produit, multiplié pendant plusieurs siècles dans cette même Sibérie et dans le nord de la Russie ; qu’ensuite ils ont gagné les terres du 50e au 40e degré, et qu’ils y ont subsisté plus longtemps que dans leur terre natale, et encore plus longtemps dans les contrées du 40e au 30e degré, etc., parce que le refroidissement successif du globe a toujours été plus lent, à mesure que les climats se sont trouvés plus voisins de l’équateur, tant par la plus forte épaisseur du globe que par la plus grande chaleur du soleil.

Nous avons fixé, d’après nos hypothèses, le premier instant possible du commencement de la nature vivante à trente-cinq ou trente-six mille ans, à dater de la formation du globe, parce que ce n’est qu’à cet instant qu’on aurait pu commencer à le toucher sans se brûler, en donnant vingt-cinq mille ans de plus pour achever l’ouvrage immense de la construction de nos montagnes calcaires, pour leur figuration par angles saillants et rentrants, pour l’abaissement des mers, pour les ravages des volcans et pour le dessèchement de la surface de la terre, nous ne compterons qu’environ quinze mille ans depuis le temps où la terre, après avoir essuyé, éprouvé tant de bouleversements et de changements, s’est enfin trouvée dans un état plus calme et assez fixe pour que les causes de destruction ne fussent pas plus puissantes et plus générales que celles de la production. Donnant donc quinze mille ans d’ancienneté à la nature vivante telle qu’elle nous est parvenue, c’est-à-dire quinze mille ans d’ancienneté aux espèces d’animaux terrestres nées dans les terres du nord, et actuellement existantes dans celles du midi, nous pourrons supposer qu’il y a peut-être cinq mille ans que les éléphants sont confinés dans la zone torride, et qu’ils ont séjourné tout autant de temps dans les climats qui forment aujourd’hui les zones tempérées, et peut-être autant dans les climats du nord, où ils ont pris naissance.

Mais cette marche régulière qu’ont suivie les plus grands, les premiers animaux dans notre continent, paraît avoir souffert des obstacles dans l’autre : il est très certain qu’on a trouvé, et il est très probable qu’on trouvera encore des défenses et des ossements d’éléphants en Canada, dans le pays des Illinois, au Mexique et dans quelques autres endroits de l’Amérique septentrionale ; mais nous n’avons aucune observation, aucun monument qui nous indiquent le même fait pour les terres de l’Amérique méridionale. D’ailleurs, l’espèce même de l’éléphant qui s’est conservée dans l’ancien continent ne subsiste plus dans l’autre : non seulement cette espèce ni aucune autre de toutes celles des animaux terrestres qui occupent actuellement les terres méridionales de notre continent ne se sont trouvées dans les terres méridionales du nouveau monde, mais même il paraît qu’ils n’ont existé que dans les contrées septentrionales de ce nouveau continent ; et cela, dans le même temps qu’ils existaient dans celles de notre continent. Ce fait ne démontre-t-il pas que l’ancien et le nouveau continent n’étaient pas alors séparés vers le nord, et que leur séparation ne s’est faite que postérieurement au temps de l’existence des éléphants dans l’Amérique septentrionale, où leur espèce s’est probablement éteinte par le refroidissement, et à peu près dans le temps de cette séparation des continents, parce que ces animaux n’auront pu gagner les régions de l’équateur dans ce nouveau continent comme ils l’ont fait dans l’ancien, tant en Asie qu’en Afrique ? En effet, si l’on considère la surface de ce nouveau continent, on voit que les parties méridionales voisines de l’isthme de Panama sont occupées par de très hautes montagnes : les éléphants n’ont pu franchir ces barrières invincibles pour eux, à cause du trop grand froid qui se fait sentir sur ces hauteurs ; ils n’auront donc pas été au delà des terres de l’isthme, et n’auront subsisté dans l’Amérique septentrionale qu’autant qu’aura duré dans cette terre le degré de chaleur nécessaire à leur multiplication. Il en est de même de tous les autres animaux des parties méridionales de notre continent, aucun ne s’est trouvé dans les parties méridionales de l’autre. J’ai démontré cette vérité par un si grand nombre d’exemples, qu’on ne peut la révoquer en doute[3].

Les animaux, au contraire, qui peuplent actuellement nos régions tempérées et froides se trouvent également dans les parties septentrionales des deux continents ; ils y sont nés postérieurement aux premiers et s’y sont conservés, parce que leur nature n’exige pas une aussi grande chaleur. Les rennes et les autres animaux qui ne peuvent subsister que dans les climats les plus froids sont venus les derniers, et qui sait si par succession de temps, lorsque la terre sera plus refroidie, il ne paraîtra pas de nouvelles espèces dont le tempérament différera de celui du renne autant que la nature du renne diffère à cet égard de celle de l’éléphant ? Quoi qu’il en soit, il est certain qu’aucuns des animaux propres et particuliers aux terres méridionales de notre continent ne se sont trouvés dans les terres méridionales de l’autre, et que même dans le nombre des animaux communs à notre continent et à celui de l’Amérique septentrionale, dont les espèces sont se conservées dans tous deux, à peine peut-on en citer une qui soit arrivée à l’Amérique méridionale. Cette partie du monde n’a donc pas été peuplée comme toutes les autres ni dans le même temps ; elle est demeurée pour ainsi dire isolée et séparée du reste de la terre par les mers et par ses hautes montagnes. Les premiers animaux terrestres, nés dans les terres du nord, n’ont donc pu s’établir par communication dans ce continent méridional de l’Amérique, ni subsister dans son continent septentrional qu’autant qu’il a conservé le degré de chaleur nécessaire à leur propagation ; et cette terre de l’Amérique méridionale, réduite à ses propres forces, n’a enfanté que des animaux plus faibles et beaucoup plus petits que ceux qui sont venus du nord pour peupler nos contrées du midi.

Je dis que les animaux qui peuplent aujourd’hui les terres du midi de notre continent y sont venus du nord, et je crois pouvoir l’affirmer avec tout fondement : car, d’une part, les monuments que nous venons d’exposer le démontrent, et d’autre côté nous ne connaissons aucune espèce grande et principale, actuellement subsistante dans ces terres du midi, qui n’ait existé précédemment dans les terres du nord, puisqu’on y trouve des défenses et des ossements d’éléphants, des squelettes de rhinocéros, des dents d’hippopotames et des têtes monstrueuses de bœufs, qui ont frappé par leur grandeur, et qu’il est plus que probable qu’on y a trouvé de même des débris de plusieurs autres espèces moins remarquables ; en sorte que si l’on veux distinguer dans les terres méridionales de notre continent les animaux qui y sont arrivés du nord, de ceux que cette même terre a pu produire par ses propres forces, on reconnaîtra que tout ce qu’il y a de colossal et de grand dans la nature a été formé dans les terres du nord, et que si celles de l’équateur ont produit quelques animaux, ce sont des espèces inférieures, bien plus petites que les premières.

Mais ce qui doit faire douter de cette production, c’est que ces espèces que nous supposons ici produites par les propres forces des terres méridionales de notre continent auraient dû ressembler aux animaux des terres méridionales de l’autre continent, lesquels n’ont de même été produits que par la propre force de cette terre isolée ; c’est néanmoins tout le contraire, car aucun des animaux de l’Amérique méridionale ne ressemble assez aux animaux des terres du midi de notre continent pour qu’on puisse les regarder comme de la même espèce ; ils sont pour la plupart d’une forme si différente que ce n’est qu’après un long examen qu’on peut les soupçonner d’être les représentants de quelques-uns de ceux de notre continent. Quelle différence de l’éléphant au tapir, qui cependant est de tous le seul qu’on puisse lui comparer, mais qui s’en éloigne déjà beaucoup par la figure, et prodigieusement par la grandeur ; car ce tapir, cet éléphant du nouveau monde, n’a ni trompe ni défenses, et n’est guère plus grand qu’un âne. Aucun animal de l’Amérique méridionale ne ressemble au rhinocéros : aucun à l’hippopotame, aucun à la girafe ; et quelle différence encore entre le lama et le chameau quoiqu’elle soit moins grande qu’entre le tapir et l’éléphant !

L’établissement de la nature vivante, surtout de celle des animaux terrestres, s’est donc fait dans l’Amérique méridionale, bien postérieurement à son séjour déjà fixé dans les terres du nord, et peut-être la différence du temps est-elle de plus de quatre ou cinq mille ans : nous avons exposé une partie des faits et des raisons qui doivent faire penser que le nouveau monde, surtout dans ses parties méridionales, est une terre plus récemment peuplée que celle de notre continent ; que la nature, bien loin d’y être dégénérée par vétusté, y est au contraire née tard et n’y a jamais existé avec les mêmes forces, la même puissance active que dans les contrées septentrionales, car on ne peut douter, après ce qui vient d’être dit, que les grandes et premières formations des êtres animés ne soient faites dans les terres élevées du nord, d’où elles ont successivement passé dans les contrées du midi sous la même forme et sans avoir rien perdu que sur les dimensions de leur grandeur ; nos éléphants et nos hippopotames qui nous paraissent si gros, ont eu des ancêtres plus grands dans les temps qu’ils habitaient les terres septentrionales où ils ont laissé leurs dépouilles ; les cétacés d’aujourd’hui sont aussi moins gros qu’ils ne l’étaient anciennement, mais c’est peut-être par une autre raison[NdÉ 5].

Les baleines, les gibbars, molars, cachalots, narvals et autres grands cétacés, appartiennent aux mers septentrionales, tandis que l’on ne trouve dans les mers tempérées et méridionales que les lamantins, les dugons, les marsouins, qui tous sont inférieurs aux premiers en grandeur. Il semble donc, au premier coup d’œil, que la nature ait opéré d’une manière contraire et par une succession inverse, puisque tous les plus grands animaux terrestres se trouvent actuellement dans les contrées du midi, tandis que tous les plus grands animaux marins n’habitent que les régions de notre pôle. Et pourquoi ces grandes et presque monstrueuses espèces paraissent-elles confinées dans ces mers froides ? Pourquoi n’ont-elles pas gagné successivement, comme les éléphants, les régions les plus chaudes ? En un mot, pourquoi ne se trouvent-elles, ni dans les mers tempérées ni dans celles du midi ? Car, à l’exception de quelques cachalots qui viennent assez souvent autour des Açores et quelquefois échouer sur nos côtes, et dont l’espèce paraît la plus vagabonde de ces grands cétacés, toutes les autres sont demeurées et ont encore leur séjour constant dans les mers boréales des deux continents. On a bien remarqué, depuis qu’on a commencé la pêche, ou plutôt la chasse de ces grands animaux, qu’ils se sont retirés des endroits où l’homme allait les inquiéter. On a de plus observé que ces premières baleines, c’est-à-dire celles que l’on pêchait il y a cent cinquante et deux cents ans, étaient beaucoup plus grosses que celles d’aujourd’hui : elles avaient jusqu’à cent pieds de longueur, tandis que les plus grandes que l’on prend actuellement n’en ont que soixante ; on pourrait même expliquer d’une manière assez satisfaisante les raisons de cette différence de grandeur. Car les baleines, ainsi que tous les autres cétacés, et même la plupart des poissons, vivent sans comparaison bien plus longtemps qu’aucun des animaux terrestres ; et dès lors leur entier accroissement demande aussi un temps beaucoup plus long. Or, quand on a commencé la pêche des baleines, il y a cinquante ou deux cents ans, on a trouvé les plus âgées et celles qui avaient pris leur entier accroissement ; on les a poursuivies, chassées de préférence, enfin on les a détruites, et il ne reste aujourd’hui dans les mers fréquentées par nos pêcheurs, que celles qui n’ont pas encore atteint toutes leurs dimensions ; car, comme nous l’avons dit ailleurs, une baleine peut bien vivre mille ans, puisqu’une carpe en vit plus de deux cents.

La permanence du séjour de ces grands animaux dans les mers boréales semble fournir une nouvelle preuve de la continuité des continents vers les régions de notre nord, et nous indiquer que cet état de continuité a subsisté longtemps ; car si ces animaux marins, que nous supposerons pour un moment nés en même temps que les éléphants, eussent trouvé la route ouverte, ils auraient gagné les mers du midi, pour peu que le refroidissement des eaux leur eût été contraire ; et cela serait arrivé, s’ils eussent pris naissance dans le temps que la mer était encore chaude. On doit donc présumer que leur existence est postérieure à celle des éléphants et des autres animaux qui ne peuvent subsister que dans les climats du midi. Cependant il se pourrait aussi que la différence de température fût pour ainsi dire indifférente ou beaucoup moins sensible aux animaux aquatiques qu’aux animaux terrestres. Le froid et le chaud sur la surface de la terre et de la mer suivent à la vérité l’ordre des climats, et la chaleur de l’intérieur du globe est la même dans le sein de la mer et dans celui de la terre à la même profondeur, mais les variations de température, qui sont si grandes à la surface de la terre, sont beaucoup moindres et presque nulles à quelques toises de profondeur sous les eaux. Les injures de l’air ne s’y font pas sentir, et ces grands cétacés ne les éprouvent pas ou du moins peuvent s’en garantir : d’ailleurs, par la nature même de leur organisation, ils paraissent être plutôt munis contre le froid que contre la grande chaleur ; car, quoique leur sang soit à peu près aussi chaud que celui des animaux quadrupèdes, l’énorme quantité de lard et d’huile qui recouvre leur corps, en les privant du sentiment vif qu’ont les autres animaux, les défend en même temps de toutes les impressions extérieures, et il est à présumer qu’ils restent où ils sont, parce qu’ils n’ont pas même le sentiment qui pourrait les conduire vers une température plus douce, ni l’idée de se trouver mieux ailleurs, car il faut de l’instinct pour se mettre à son aise, il en faut pour se déterminer à changer de demeure, et il y a des animaux et même des hommes si brutes qu’ils préfèrent de languir dans leur ingrate terre natale, à la peine qu’il faudrait prendre pour se gîter plus commodément ailleurs[4] ; il est donc très probable que ces cachalots, que nous voyons de temps en temps arriver des mers septentrionales sur nos côtes, ne se décident pas à faire ces voyages pour jouir d’une température plus douce, mais qu’ils y sont déterminés par les colonnes de harengs, de maquereaux et d’autres petits poissons qu’ils suivent et avalent par milliers[5].

Toutes ces considérations nous font présumer que les régions de notre nord, soit de la mer, soit de la terre, ont non seulement été les premières fécondées, mais que c’est encore dans ces mêmes régions que la nature vivante s’est élevée à ses plus grandes dimensions. Et comment expliquer cette supériorité de force et cette priorité de formation donnée à cette région du nord exclusivement à toutes les autres parties de la terre ? car nous voyons par l’exemple de l’Amérique méridionale, dans les terres de laquelle il ne se trouve que de petits animaux, et dans les mers le seul lamantin, qui est aussi petit en comparaison de la baleine que le tapir l’est en comparaison de l’éléphant ; nous voyons, dis-je, par cet exemple frappant, que la nature n’a jamais produit dans les terres du midi des animaux comparables en grandeur aux animaux du nord ; et nous voyons de même, par un second exemple tiré des monuments, que dans les terres méridionales de notre continent les plus grands animaux sont ceux qui sont venus du nord, et que s’il s’en est produit dans ces terres de notre midi, ce ne sont que des espèces très inférieures aux premières en grandeur et en force. On doit même croire qu’il ne s’en est produit aucune dans les terres méridionales de l’ancien continent, quoiqu’il s’en soit formé dans celles du nouveau, et voici les motifs de cette présomption.

Toute production, toute génération, et même tout accroissement, tout développement, supposent le concours et la réunion d’une grande quantité de molécules organiques vivantes : ces molécules, qui animent tous les corps organisés, sont successivement employées à la nutrition et à la génération de tous les êtres[NdÉ 6]. Si tout à coup la plus grande partie de ces êtres était supprimée on verrait paraître des espèces nouvelles, parce que ces molécules organiques, qui sont indestructibles et toujours actives, se réuniraient pour composer d’autres corps organisés ; mais étant entièrement absorbées par les moules intérieurs des êtres actuellement existants, il ne peut se former d’espèces nouvelles, du moins dans les premières classes de la nature, telles que celles des grands animaux. Or, ces grands animaux sont arrivés du nord sur les terres du midi ; ils s’y sont nourris, reproduits, multipliés, et ont par conséquent absorbé les molécules vivantes ; en sorte qu’ils n’en ont point laissé de superflues qui auraient pu former des espèces nouvelles, tandis qu’au contraire dans les terres de l’Amérique méridionale, où les grands animaux du nord n’ont pu pénétrer, les molécules organiques vivantes ne se trouvant absorbées par aucun moule animal déjà subsistant, elles se seront réunies pour former des espèces qui ne ressemblent point aux autres, et qui toutes sont inférieures, tant par la force que par la grandeur, à celles des animaux venus du nord.

Ces deux formations, quoique d’un temps différent, se sont faites de la même manière et par les mêmes moyens ; et si les premières sont supérieures à tous égards aux dernières, c’est que la fécondité de la terre, c’est-à-dire la quantité de la matière organique vivante, était moins abondante dans ces climats méridionaux que dans celui du nord. On peut en donner la raison, sans la chercher ailleurs que dans notre hypothèse : car toutes les parties aqueuses, huileuses et ductiles, qui devaient entrer dans la composition des êtres organisés sont tombées avec les eaux sur les parties septentrionales du globe, bien plus tôt et en bien plus grande quantité que sur les parties méridionales : c’est dans ces matières aqueuses et ductiles que les molécules organiques vivantes ont commencé à exercer leur puissance pour modeler et développer les corps organisés ; et comme les molécules organiques ne sont produites que par la chaleur sur les matières ductiles, elles étaient aussi plus abondantes dans les terres du nord qu’elles n’ont pu l’être dans les terres du midi, où ces mêmes matières étaient en moindre quantité, il n’est pas étonnant que les premières, les plus fortes et les plus grandes productions de la nature vivante se soient faites dans ces mêmes terres du nord, tandis que dans celles de l’équateur, et particulièrement dans celles de l’Amérique méridionale, où la quantité de ces mêmes matières ductiles était bien moindre, il ne s’est formé que des espèces inférieures plus petites et plus faibles que celles des terres du nord.

Mais revenons à l’objet principal de notre époque : dans ce même temps où les éléphants habitaient nos terres septentrionales, les arbres et les plantes qui couvrent actuellement nos contrées méridionales existaient aussi dans ces mêmes terres du nord. Les monuments semblent le démontrer ; car toutes les impressions bien avérées des plantes qu’on a trouvées dans nos ardoises et nos charbons, présentent la figure de plantes qui n’existent actuellement que dans les Grandes Indes ou dans les autres parties du midi. On pourra m’objecter, malgré la certitude du fait par l’évidence de ces preuves, que les arbres et les plantes n’ont pu voyager comme les animaux, ni par conséquent se transporter du nord au midi. À cela je réponds : 1o que ce transport ne s’est pas fait tout à coup, mais successivement ; les espèces de végétaux se sont semées de proche en proche dans les terres dont la température leur devenait convenable[NdÉ 7] ; et ensuite ces mêmes espèces, après avoir gagné jusqu’aux contrées de l’équateur, auront péri dans celles du nord, dont elles ne pouvaient supporter le froid ; 2o ce transport, ou plutôt ces accrues successives de bois, ne sont pas mêmes nécessaires pour rendre raison de l’existence de ces végétaux dans les pays méridionaux ; car en général la même température, c’est-à-dire le même degré de chaleur, produit partout les mêmes plantes sans qu’elles y aient été transportées[NdÉ 8]. La population des terres méridionales par les végétaux est donc encore plus simple que par les animaux.

Il reste celle de l’homme : a-t-elle été contemporaine à celle des animaux ? Des motifs majeurs et des raisons très solides se joignent ici pour prouver qu’elle s’est faite postérieurement à toutes nos époques, et que l’homme est en effet le grand et dernier œuvre de la création[NdÉ 9]. On ne manquera pas de nous dire que l’analogie semble démontrer que l’espèce humaine a suivi la même marche et qu’elle date du même temps que les autres espèces ; qu’elle s’est même plus universellement répandue, et que si l’époque de sa création est postérieure à celle des animaux, rien ne prouve que l’homme n’ait pas au moins subi les mêmes lois de la nature, les mêmes altérations, les mêmes changements. Nous conviendrons que l’espèce humaine ne diffère pas essentiellement des autres espèces par ses facultés corporelles, et qu’à cet égard son sort eût été le même à peu près que celui des autres espèces ; mais pouvons-nous douter que nous ne différions prodigieusement des animaux par le rayon divin qu’il a plu au souverain Être de nous départir ; ne voyons-nous pas que dans l’homme la matière est conduite par l’esprit : il a donc pu modifier les effets de la nature ; il a trouvé le moyen de résister aux intempéries des climats ; il a créé de la chaleur lorsque le froid l’a détruite : la découverte et les usages de l’élément du feu, dus à sa seule intelligence, l’ont rendu plus fort et plus robuste qu’aucun des animaux, et l’ont mis en état de braver les tristes effets du refroidissement. D’autres arts, c’est-à-dire d’autres traits de son intelligence, lui ont fourni des vêtements, des armes, et bientôt il s’est trouvé le maître du domaine de la terre : ces mêmes arts lui ont donné les moyens d’en parcourir toute la surface et de s’habituer partout ; parce qu’avec plus ou moins de précautions tous les climats lui sont devenus pour ainsi dire égaux. Il n’est donc pas étonnant que, quoiqu’il n’existe aucun des animaux du midi de notre continent dans l’autre, l’homme seul, c’est-à-dire son espèce, se trouve également dans cette terre isolée de l’Amérique méridionale, qui paraît n’avoir eu aucune part aux premières formations des animaux, et aussi dans toutes les parties froides ou chaudes de la surface de la terre : car quelque part et quelque loin que l’on ait pénétré depuis la perfection de l’art de la navigation, l’homme a trouvé partout des hommes : les terres les plus disgraciées, les îles les plus isolées, les plus éloignées des continents, se sont presque toutes trouvées peuplées ; et l’on ne peut pas dire que ces hommes, tels que ceux des îles Marianes ou ceux d’Othahiti et des autres petites îles situées dans le milieu des mers à de si grandes distances de toutes terres habitées, ne soient néanmoins des hommes de notre espèce puisqu’ils peuvent produire avec nous, et que les petites différences qu’on remarque dans leur nature ne sont que de légères variétés causées par l’influence du climat et de la nourriture.

Néanmoins, si l’on considère que l’homme, qui peut se munir aisément contre le froid, ne peut au contraire se défendre par aucun moyen contre la chaleur trop grande ; que même il souffre beaucoup dans les climats que les animaux du midi cherchent de préférence, on aura une raison de plus pour croire que la création de l’homme a été postérieure à celle de ces grands animaux. Le souverain Être n’a pas répandu le souffle de vie dans le même instant sur toute la surface de la terre ; il a commencé par féconder les mers et ensuite les terres les plus élevées, et il a voulu donner tout le temps nécessaire à la terre pour se consolider, se figurer, se refroidir, se découvrir, se sécher et arriver enfin à l’état de repos et de tranquillité où l’homme pouvait être le témoin intelligent, l’admirateur paisible du grand spectacle de la nature et des merveilles de la création. Ainsi, nous sommes persuadés, indépendamment de l’autorité des livres sacrés, que l’homme a été créé le dernier, et qu’il n’est venu prendre le sceptre de la terre que quand elle s’est trouvée digne de son empire. Il paraît néanmoins que son premier séjour a d’abord été, comme celui des animaux terrestres, dans les hautes terres de l’Asie, que c’est dans ces mêmes terres où sont nés les arts de première nécessité, et bientôt après les sciences, également nécessaires à l’exercice de la puissance de l’homme, et sans lesquelles il n’aurait pu former de société, ni compter sa vie, ni commander aux animaux, ni se servir autrement des végétaux que pour les brouter. Mais nous nous réservons d’exposer dans notre dernière époque les principaux faits qui ont rapport à l’histoire des premiers hommes.



Notes de Buffon.
  1. Voyez le tableau, t. Ier, p. 395.
  2. On a trouvé cette année même, 1776, des défenses et des ossements d’éléphant près de Saint-Pétersbourg, qui, comme l’on sait, est à très peu près sous cette latitude de 60 degrés.
  3. Voyez les trois Discours sur les animaux des deux continents.
  4. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  5. Nous n’ignorons pas qu’en général les cétacés ne se tiennent pas au delà du 78 ou 79e degré, et nous savons qu’ils descendent en hiver à quelques degrés au-dessous ; mais ils ne viennent jamais en nombre dans les mers tempérées ou chaudes.
Notes de l’éditeur.
  1. Il n’est nullement démontré que les régions septentrionales aient été refroidies avant les autres. Si l’on admet, avec la majorité des géologues, que la distribution de la chaleur de notre globe est due à la distribution des continents et des mers, à celle des montagnes et des plaines, etc., et si, d’autre part, on se rappelle que cette distribution a varié aux diverses époques de l’évolution de notre globe, on conclura que l’opinion exposée ici par Buffon n’est probablement pas absolument exacte.
  2. L’animal fossile que Buffon désigne ici sous le nom d’hippopotame est le Mastodonte.
  3. Les ammonites. Il en existait des espèces énormes.
  4. Nous avons déjà dit que l’animal dont parle Buffon est le mastodonte. Il en exagère beaucoup les dimensions, qui cependant étaient gigantesques.
  5. Buffon commence par admettre que les régions septentrionales du globe ont été refroidies les premières ; il en déduit logiquement qu’elles ont été peuplées les premières et que les animaux produits dans ces contrées ne se sont portés vers le sud qu’au bout d’un temps fort long, nécessaire pour que les régions équatoriales se fussent refroidies ; enfin, il admet que l’Amérique du Sud n’a été peuplée que longtemps après l’Amérique du Nord, et surtout après l’ancien monde dans lequel il suppose que toutes les espèces ont pris naissance. J’ai déjà dit ce qu’il faut penser de la première partie de cette théorie, et j’ai rappelé que la distribution actuelle des climats ne peut nous donner aucune idée de ce qu’ils ont été aux diverses périodes de l’histoire de notre globe. En ce qui concerne l’apparition des êtres vivants, l’opinion la plus probable est qu’ils se sont montrés simultanément sur des points multiples du globe, mais chaque espèce ne se montrant à la fois que dans un seul point. Relativement à l’Amérique du Sud, je dois me borner à ajouter qu’à l’époque de Buffon on n’y avait trouvé encore que peu de fossiles. Ceux qu’on y a découverts depuis un siècle permettent de croire que cette portion du globe a été peuplée beaucoup plus tôt que ne le supposait Buffon ; mais elle ne s’est soulevée qu’après l’Amérique du Nord.
  6. Voyez le Mémoire de Buffon sur la Génération, et les notes que j’y ai ajoutées.
  7. Le déplacement ou, si l’on veut, la migration des végétaux est aussi bien démontrée que celui des animaux ; et Buffon a raison de dire que les plantes, comme les animaux, se sont lentement avancées vers les régions dont le climat leur convenait le mieux, tandis qu’elles disparaissaient dans celles dont la température cessait d’être adaptée à leurs besoins. Les plantes se déplacent, comme le dit Buffon, de proche en proche par les semis ; mais elles peuvent aussi subir des migrations brusques, lointaines et rapides. Les fruits et les graines d’un grand nombre de plantes présentent des détails d’organisation admirablement adaptés à leur dispersion loin des pieds qui les ont produits. Les uns sont pourvus d’ailes ou d’aigrettes lisses qui permettent au vent de les emporter à de très grandes distances ; d’autres sont armés de crochets qui se prennent dans les poils des mammifères ou le duvet des oiseaux, et qui facilitent leur transport en des localités souvent très éloignées de celles où ils se sont développés ; certains fruits ont une pulpe gluante qui les fait adhérer aux plumes des oiseaux ; d’autres ont leurs graines protégées par des noyaux très durs que les oiseaux ne peuvent ni broyer ni digérer et qu’ils rendent avec leurs excréments parfois très loin du lieu où ils ont fait leur repas. Grâce à ces traits spéciaux de leur organisation, les fruits et les graines d’un grand nombre de plantes sont disséminés sur une surface géographique d’autant plus considérable que les vents ont plus de force ou que les animaux qui servent à leur transport ont eux-mêmes une aire de dispersion plus étendue.
  8. Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer dans des notes antérieures, il est à peu près certain que chaque espèce d’animaux ou de végétaux a une patrie unique, et qu’aucune apparu simultanément dans deux ou plusieurs régions distinctes. Quand on trouve une même espèce dans deux contrées, on peut être certain qu’elle a été transportée dans l’une des deux.
  9. De ce que l’homme est de beaucoup le plus parfait de tous les êtres vivants, il ne faudrait pas conclure qu’il soit le dernier né de tous ceux que nous connaissons et qui vivent notre époque. Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait que tous les animaux formassent une chaîne unique, à chaînons tous reliés uniquement avec le chaînon précédent et avec le chaînon suivant, et tous plus parfaits que le chaînon antérieur et moins parfaits que le chaînon postérieur. Ce n’est pas ce qui existe. Les animaux ne forment pas une chaîne unique, mais un nombre plus ou moins considérable de chaînes dont chacune se rattache à une autre par son extrémité initiale, tandis que son autre extrémité est libre. Il n’est pas probable, par exemple, que la chaîne des singes se continue avec la chaîne des hommes ; ce qui est plus probable, c’est que ces deux chaînes ont un point de départ commun. Si l’on aime mieux cette comparaison, on peut considérer l’espèce humaine et le groupe des singes comme deux rameaux d’une même branche, rameaux qui se sont développés indépendamment l’un de l’autre, et qui n’ont de commun que leur origine. On voit par là que l’homme peut être le plus parfait de tous les animaux sans être le plus récent. On admet aujourd’hui qu’il date de l’époque tertiaire.