Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des animaux/Chapitre III

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Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome IV, Histoire naturelle des animauxp. 168-175).

CHAPITRE III

DE LA NUTRITION ET DU DÉVELOPPEMENT

Le corps d’un animal est une espèce de moule intérieur, dans lequel la matière qui sert à son accroissement se modèle et s’assimile au total ; de manière que, sans qu’il arrive aucun changement à l’ordre et à la proportion des parties, il en résulte cependant une augmentation dans chaque partie prise séparément, et c’est cette augmentation de volume qu’on appelle développement, parce qu’on a cru en rendre raison en disant que l’animal étant formé en petit comme il l’est en grand, il n’était pas difficile de concevoir que ses parties se développaient à mesure qu’une matière accessoire venait augmenter proportionnellement chacune de ces parties[NdÉ 1].

Mais cette même augmentation, ce développement, si on veut en avoir une idée nette, comment peut-il se faire, si ce n’est en considérant le corps de l’animal, et même chacune de ses parties qui doivent se développer, comme autant de moules intérieurs qui ne reçoivent la matière accessoire que dans l’ordre qui résulte de la position de toutes leurs parties ? Et ce qui prouve que ce développement ne peut pas se faire, comme on se le persuade ordinairement, par la seule addition aux surfaces, et qu’au contraire il s’opère par une susception intime et qui pénètre la masse, c’est que dans la partie qui se développe le volume et la masse augmentent proportionnellement et sans changer de forme ; dès lors, il est nécessaire que la matière qui sert à ce développement pénètre, par quelque voie que ce puisse être, l’intérieur de la partie et la pénètre dans toutes les dimensions ; et cependant il est en même temps tout aussi nécessaire que cette pénétration de substance se fasse dans un certain ordre et avec une certaine mesure, telle qu’il n’arrive pas plus de substance à un point de l’intérieur qu’à un autre point, sans quoi certaines parties du tout se développeraient plus vite que d’autres, et dès lors la forme serait altérée. Or, que peut-il y avoir qui prescrive en effet à la matière accessoire cette règle, et qui la contraigne à arriver également et proportionnellement à tous les points de l’intérieur, si ce n’est le moule intérieur ?

Il nous paraît donc certain que le corps de l’animal ou du végétal est un moule intérieur qui a une forme constante, mais dont la masse et le volume peuvent augmenter proportionnellement, et que l’accroissement, ou, si l’on veut, le développement de l’animal ou du végétal, ne se fait que par l’extension de ce moule dans toutes ses dimensions extérieures et intérieures, que cette extension se fait par l’intussusception d’une matière accessoire et étrangère qui pénètre dans l’intérieur, qui devient semblable à la forme et identique avec la matière du moule[NdÉ 2].

Mais de quelle nature est cette matière que l’animal ou le végétal assimile à sa substance ? quelle peut-être la force ou la puissance qui donne à cette matière l’activité et le mouvement nécessaires pour pénétrer le moule intérieur ? et, s’il existe une telle puissance, ne serait-ce pas par une puissance semblable que le moule intérieur lui-même pourrait être reproduit ?

Ces trois questions renferment, comme l’on voit, tout ce qu’on peut demander sur ce sujet, et me paraissent dépendre les unes des autres, au point que je suis persuadé qu’on ne peut pas expliquer d’une matière satisfaisante la reproduction de l’animal ou du végétal, si l’on n’a pas une idée claire de la façon dont peut s’opérer la nutrition : il faut donc examiner séparément ces trois questions, afin d’en comparer les conséquences.

La première, par laquelle on demande de quelle nature est cette matière que le végétal assimile à sa substance, me paraît être en partie résolue par les raisonnements que nous avons faits, et sera pleinement démontrée par des observations que nous rapporterons dans les chapitres suivants. Nous ferons voir qu’il existe dans la nature une infinité de parties organiques vivantes, que les êtres organisés sont composés de ces parties organiques, que leur production ne coûte rien à la nature, puisque leur existence est constante et invariable, que les causes de destruction ne font que les séparer sans les détruire : ainsi la matière que l’animal ou le végétal assimile à sa substance est une matière organique qui est de la même nature que celle de l’animal ou du végétal, laquelle par conséquent peut en augmenter la masse et le volume sans en changer la forme et sans altérer la qualité de la matière du moule, puisqu’elle est en effet de la même forme et de la même qualité que celle qui le constitue ; ainsi, dans la qualité d’aliments que l’animal prend pour soutenir sa vie et pour entretenir le jeu de ses organes, et dans la sève que le végétal tire par ses racines et par ses feuilles, il y en a une grande partie qu’il rejette par la transpiration, les sécrétions et les autres voies excrétoires, et il n’y en a qu’une petite portion qui serve à la nourriture intime des parties et à leur développement : il est très vraisemblable qu’il se fait, dans le corps de l’animal ou du végétal, une séparation des parties brutes de la matière des aliments et des parties organiques, que les premières sont emportées par les causes dont nous venons de parler, qu’il n’y a que les parties organiques qui restent dans le corps de l’animal ou du végétal, et que la distribution s’en fait au moyen de quelque puissance active qui les porte à toutes les parties dans une proportion exacte, et telle qu’il n’en arrive ni plus ni moins qu’il ne faut pour que la nutrition, l’accroissement ou le développement se fassent d’une manière à peu près égale[NdÉ 3].

C’est ici la seconde question : quelle peut être la puissance active qui fait que cette matière organique pénètre le moule intérieur et se joint, ou plutôt s’incorpore intimement avec lui ? Il paraît, par ce que nous avons dit dans le chapitre précédent, qu’il existe dans la nature des forces, comme celle de la pesanteur, qui sont relatives à l’intérieur de la matière, et qui n’ont aucun rapport avec les qualités extérieures des corps, mais qui agissent sur les parties les plus intimes et qui les pénètrent dans tous les points ; ces forces, comme nous l’avons prouvé, ne pourront jamais tomber sous nos sens, parce que leur action se faisant sur l’intérieur des corps, et nos sens ne pouvant nous représenter que ce qui se fait à l’extérieur, elles ne sont pas du genre des choses que nous puissions apercevoir ; il faudrait pour cela que nos yeux, au lieu de nous représenter les surfaces, fussent organisés de façon à nous représenter les masses des corps, et que notre vue pût pénétrer dans leur structure et dans la composition intime de la matière ; il est donc évident que nous n’aurons jamais d’idée nette de ces forces pénétrantes, ni de la manière dont elles agissent ; mais en même temps il n’est pas moins certain qu’elles existent, que c’est par leur moyen que se produisent la plus grande partie des effets de la nature, et qu’on doit en particulier leur attribuer l’effet de la nutrition et du développement, puisque nous sommes assurés qu’il ne se peut faire qu’au moyen de la pénétration intime du moule intérieur ; car de la même façon que la force de la pesanteur pénètre l’intérieur de toute matière, de même la force qui pousse ou qui attire les parties organiques de la nourriture pénètre aussi dans l’intérieur des corps organisés et les y fait entrer par son action ; et, comme ces corps ont une certaine forme que nous avons appelée le moule intérieur, les parties organiques, poussées par l’action de la force pénétrante, ne peuvent y entrer que dans un certain ordre relatif à cette forme, ce qui, par conséquent, ne la peut pas changer, mais seulement en augmenter toutes les dimensions, tant extérieures qu’intérieures, et produire ainsi l’accroissement des corps organisés et leur développement ; et si dans ce corps organisé, qui se développe par ce moyen, il se trouve une ou plusieurs parties semblables au tout, cette partie ou ces parties, dont la forme intérieure et extérieure est semblable à celle du corps entier, seront celles qui opéreront la reproduction[NdÉ 4].

Nous voici à la troisième question : n’est-ce pas par une puissance semblable que le moule intérieur lui-même est reproduit ? Non seulement c’est une puissance semblable, mais il paraît que c’est la même puissance qui cause le développement et la reproduction[NdÉ 5] ; car il suffit que, dans le corps organisé qui se développe, il y ait quelque partie semblable au tout, pour que cette partie puisse un jour devenir elle-même un corps organisé tout semblable à celui dont elle fait actuellement partie : dans le point où nous considérons le développement du corps entier, cette partie, dont la forme intérieure et extérieure est semblable à celle du corps entier, ne se développant que comme partie dans ce premier développement, elle ne présentera pas à nos yeux une figure sensible que nous puissions comparer actuellement avec le corps entier ; mais, si on la sépare de ce corps et qu’elle trouve de la nourriture, elle commencera à se développer comme corps entier, et nous offrira bientôt une forme semblable, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, et deviendra par ce second développement un être de la même espèce que le corps dont elle aura été séparée ; ainsi, dans les saules et dans les polypes comme il y a plus de parties organiques semblables au tout que d’autres parties, chaque morceau de saule ou de polype qu’on retranche du corps entier devient un saule ou un polype par ce second développement.

Or, un corps organisé dont toutes les parties seraient semblables à lui-même, comme ceux que nous venons de citer, est un corps dont l’organisation est la plus simple de toutes, comme nous l’avons dit dans le premier chapitre, car ce n’est que la répétition de la même forme, et une composition de figures semblables toutes organisées de même, et c’est par cette raison que les corps les plus simples, les espèces les plus imparfaites sont celles qui se reproduisent le plus aisément et le plus abondamment ; au lieu que, si un corps organisé ne contient que quelques parties semblables à lui-même, alors il n’y a que ces parties qui puissent arriver au second développement, et par conséquent la reproduction ne sera ni aussi facile ni aussi abondante dans ces espèces qu’elle l’est dans celles dont toutes les parties sont semblables au tout ; mais aussi l’organisation de ces corps sera plus composée que celle des corps dont toutes les parties sont semblables, parce que le corps entier sera composé de parties, à la vérité toutes organiques, mais différemment organisées, et plus il y aura dans le corps organisé de parties différentes du tout, et différentes entre elles, plus l’organisation de ce corps sera parfaite et plus la reproduction sera difficile.

Se nourrir, se développer et se reproduire sont donc les effets d’une seule et même cause ; le corps organisé se nourrit par les parties des aliments qui lui sont analogues, il se développe par la susception intime des parties organiques qui lui conviennent, et il se reproduit parce qu’il contient quelques parties organiques qui lui ressemblent[NdÉ 6]. Il reste maintenant à examiner si ces parties organiques, qui lui ressemblent, sont venues dans le corps organisé par la nourriture, ou bien si elles y étaient auparavant. Si nous supposons qu’elles y étaient auparavant, nous retombons dans le progrès à l’infini des parties ou germes semblables contenus les uns dans les autres, et nous avons fait voir l’insuffisance et les difficultés de cette hypothèse ; ainsi nous pensons que les parties semblables au tout arrivent au corps organisé par la nourriture, et il nous paraît qu’on peut, après ce qui a été dit, concevoir la manière dont elles arrivent et dont les molécules organiques qui doivent les former peuvent se réunir.

Il se fait, comme nous l’avons dit, une séparation de parties dans la nourriture : celles qui ne sont point organiques, et qui par conséquent ne sont point analogues à l’animal ou au végétal, sont rejetées hors du corps organisé par la transpiration et par les autres voies excrétoires ; celles qui sont organiques restent et servent au développement et à la nourriture du corps organisé[NdÉ 7] ; mais dans ces parties organiques il doit y avoir beaucoup de variétés et des espèces de parties organiques très différentes les unes des autres ; et, comme chaque partie du corps organisé reçoit les espèces qui lui conviennent le mieux, et dans un nombre et une proportion assez égale, il est très naturel d’imaginer que le superflu de cette matière organique qui ne peut pas pénétrer les parties du corps organisé parce qu’elles ont reçu tout ce qu’elles pouvaient recevoir, que ce superflu, dis-je, soit renvoyé de toutes les parties du corps dans un ou plusieurs endroits communs où, toutes ces molécules organiques se trouvant réunies, elles forment de petits corps organisés semblables au premier, et auxquels il ne manque que les moyens de se développer ; car toutes les parties du corps organisé renvoyant des parties organiques semblables à celles dont elles sont elles-mêmes composées, il est nécessaire que de la réunion de toutes ces parties il résulte un corps organisé semblable au premier : cela étant entendu, ne peut-on pas dire que c’est par cette raison que, dans le temps de l’accroissement et du développement, les corps organisés ne peuvent encore produire ou ne produisent que peu, parce que les parties qui se développent absorbent la quantité entière des molécules organiques qui leur sont propres, et que n’y ayant point de parties superflues, il n’y en a point de renvoyées de chaque partie du corps, et par conséquent il n’y a encore aucune reproduction[NdÉ 8].

Cette explication de la nutrition et de la reproduction ne sera peut-être pas reçue de ceux qui ont pris pour fondement de leur philosophie de n’admettre qu’un certain nombre de principes mécaniques, et de rejeter tout ce qui ne dépend pas de ce petit nombre de principes. C’est là, diront-ils, cette grande différence qui est entre la vieille philosophie et celle d’aujourd’hui ; il n’est plus permis de supposer des causes, il faut rendre raison de tout par les lois de la mécanique, et il n’y a de bonnes explications que celles qu’on en peut déduire ; et comme celle que vous donnez de la nutrition et de la reproduction n’en dépend pas, nous ne devons pas l’admettre. J’avoue que je pense bien différemment de ces philosophes ; il me semble qu’en n’admettant qu’un certain nombre de principes mécaniques, ils n’ont pas senti combien ils rétrécissaient la philosophie, et ils n’ont pas vu que, pour un phénomène qu’on pourrait y rapporter, il y en avait mille qui en étaient indépendants.

L’idée de ramener l’explication de tous les phénomènes à des principes mécaniques est assurément grande et belle ; ce pas est le plus hardi qu’on pût faire en philosophie, et c’est Descartes qui l’a fait ; mais cette idée n’est qu’un projet, et ce projet est-il fondé ? Quand même il le serait, avons-nous les moyens de l’exécuter ? Ces principes mécaniques sont l’étendue de la matière, son impénétrabilité, son mouvement, sa figure extérieure, sa divisibilité, la communication du mouvement par la voie de l’impulsion, par l’action des ressorts, etc. Les idées particulières de chacune de ces qualités de la matière nous sont venues par les sens, et nous les avons regardées comme principes, parce que nous avons reconnu qu’elles étaient générales, c’est-à-dire qu’elles appartenaient ou pouvaient appartenir à toute la matière ; mais devons-nous assurer que ces qualités soient les seules que la matière ait en effet, ou plutôt ne devons-nous pas croire que ces qualités, que nous prenons pour des principes, ne sont autre chose que des façons de voir ; et ne pouvons-nous pas penser que, si nos sens étaient autrement conformés, nous reconnaîtrions dans la matière des qualités très différentes de celles dont nous venons de faire l’énumération ? Ne vouloir admettre dans la matière que les qualités que nous lui connaissons me paraît une prétention vaine et mal fondée ; la matière peut avoir beaucoup d’autres qualités générales que nous ignorerons toujours ; elle peut en avoir d’autres que nous découvrirons, comme celle de la pesanteur, dont on a dans ces derniers temps fait une qualité générale, et avec raison, puisqu’elle existe également dans toute la matière que nous pouvons toucher et même dans celle que nous sommes réduits à ne connaître que par le rapport de nos yeux : chacune de ces qualités générales deviendra un nouveau principe tout aussi mécanique qu’aucun des autres, et l’on ne donnera jamais l’explication ni des uns ni des autres. La cause de l’impulsion, ou de tel autre principe mécanique reçu, sera toujours aussi impossible à trouver que celle de l’attraction ou de telle autre qualité générale qu’on pourrait découvrir ; et dès lors, n’est-il pas très raisonnable de dire que les principes mécaniques ne sont autre chose que les effets généraux que l’expérience nous a fait remarquer dans toute la matière et que, toutes les fois que l’on découvrira, soit par des réflexions, soit par des comparaisons, soit par des mesures ou des expériences, un nouvel effet général, on aura un nouveau principe mécanique qu’on pourra employer avec autant de sûreté et d’avantage qu’aucun des autres ?

Le défaut de la philosophie d’Aristote était d’employer comme causes tous les effets particuliers ; celui de celle de Descartes est de ne vouloir employer comme causes qu’un petit nombre d’effets généraux, en donnant l’exclusion à tout le reste. Il me semble que la philosophie sans défaut serait celle où l’on n’emploierait pour causes que des effets généraux, mais où l’on chercherait en même temps à en augmenter le nombre, en tâchant de généraliser les effets particuliers[NdÉ 9].

J’ai admis, dans mon explication du développement et de la reproduction, d’abord les principes mécaniques reçus, ensuite celui de la force pénétrante de la pesanteur qu’on est obligé de recevoir, et par analogie j’ai cru pouvoir dire qu’il y avait d’autres forces pénétrantes qui s’exerçaient dans les corps organisés, comme l’expérience nous en assure. J’ai prouvé par des faits que la matière tend à s’organiser, et qu’il existe un nombre infini de parties organiques ; je n’ai donc fait que généraliser les observations, sans avoir rien avancé de contraire aux principes mécaniques, lorsqu’on entendra par ce mot ce que l’on doit entendre en effet, c’est-à-dire les effets généraux de la nature.


Notes de l’éditeur
  1. Il suffit, dans cc paragraphe et les suivants, de supprimer le terme de « moule intérieur » qui est une sorte de superfétation, pour que la proposition exprimée devienne absolument juste. Buffon constate avec raison, d’une part, que le développement résulte de l’augmentation de masse de chacune des parties de l’organisme, et, d’autre part, que l’accroissement des parties élémentaires se fait par une véritable intussusception, ou, comme il le dit, par une « susception intime » de la masse, c’est-à-dire que les molécules nouvelles pénètrent entre les molécules préexistantes les plus profondément situées, dans tous les points également, de manière à ce que la forme ne soit pas modifiée.
  2. La façon dont Buffon explique ici le rôle de son « moule intérieur » montre bien qu’il ne faut pas entendre ce mot dans son sens vulgaire. Buffon aurait pu le retrancher sans aucun inconvénient ; il ne s’en sert que comme d’un moyen de traduire sa pensée par l’image d’un objet tangible, et sa pensée, il n’est pas permis d’en douter, est celle-ci : chaque corps a une forme propre, et l’accroissement de ses diverses parties se fait d’une façon si intime et si régulière que cette forme ne subit aucune modification. Ainsi entendue, sa manière de voir est absolument juste.
  3. Buffon se montre ici très inférieur à ce qu’il est dans d’autres parties de son œuvre. Il admet ailleurs que la matière vivante n’est qu’une forme spéciale de la matière non vivante ; il semble qu’il eût dû comprendre que cette transformation de l’une des formes de la matière en l’autre se produisait précisément dans la nutrition des êtres vivants. Il préfère admettre la préexistence, dans la nature, de « parties organiques vivantes », qui s’incorporeraient aux parties vivantes de l’organisme. Il commet en cela une erreur grossière, fort excusable, d’ailleurs, étant donné l’état d’infériorité dans lequel se trouvait à son époque la chimie.
  4. L’ignorance dans laquelle on se trouvait à l’époque de Buffon, relativement aux phénomènes les plus simples de la chimie, ne permettait pas à Buffon de connaître la « force pénétrante » dont il parle et dont le rôle, bien compris par lui, est de déterminer la pénétration, la fusion et la combinaison des matériaux nutritifs avec les principes qui préexistent dans l’organisme. Cette force est celle que les chimistes désignent sous le nom d’affinité. (Voyez mon Introduction.)
  5. La reproduction n’est réellement qu’une forme du développement.
  6. Il est facile de se rendre compte, par la lecture attentive de tout le passage relatif à « la troisième question » posée par Buffon, qu’il n’avait une idée nette ni de son « moule intérieur », ni de « ces parties intérieures semblables à l’animal tout entier », auxquelles il attribue la faculté de le reproduire. Son « moule intérieur » n’est évidemment qu’une image destinée à traduire sa pensée. Quant à la « partie intérieure semblable au tout », il indique suffisamment qu’il ne la considère comme « semblable » que virtuellement, c’est-à-dire qu’elle a simplement la faculté de se développer en une forme nouvelle semblable à celle dont elle faisait partie. Cette interprétation, la seule qu’on puisse donner des paroles de Buffon, étant admise, on est émerveillé de la sagacité avec laquelle le grand naturaliste résout la question de la reproduction. Ainsi qu’il le dit, la nutrition, le développement et la reproduction sont les effets d’une seule et même cause ou, si l’on veut, les trois faces différentes d’un même phénomène. Il a aussi très bien vu que, moins un organisme vivant est élevé, moins les différentes parties de son être sont différenciées, et plus chacune de ces parties a les qualités nécessaires pour reproduire l’organisme dont on la détache. (Voyez mon Introduction.)
  7. La « séparation de parties dans la nourriture » dont parle Buffon s’effectue réellement, mais non pas de la façon dont il l’entend. La seule séparation qui se fasse est celle des corps qui peuvent être absorbés par la surface intestinale et des corps qui ne sont pas absorbables ou qui, pour une cause ou une autre, ne sont pas absorbés. Parmi les premiers, figurent aussi bien des corps inorganiques, comme l’eau, les sels, etc., que des corps organiques comme l’albumine, et les uns et les autres sont destinés à servir à l’accroissement des éléments anatomiques en les pénétrant et en se combinant avec leurs principes constituants. L’erreur de Buffon, dans toute cette question, est de croire que « les parties organiques » seules servent à la nutrition et au développement des êtres vivants.
  8. La pensée exprimée dans cette dernière phrase est juste. Il est vrai que la reproduction n’est que la conséquence d’une sorte de suractivité de la nutrition et du développement. (Voyez mon Introduction.) [Note de Wikisource : Idée aujourd’hui complètement périmée.]
  9. Vue très exacte.