Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des animaux/Chapitre VI

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CHAPITRE VI

EXPÉRIENCES AU SUJET DE LA GÉNÉRATION

Je réfléchissais souvent sur les systèmes que je viens d’exposer, et je me confirmais tous les jours de plus en plus dans l’opinion que ma théorie était infiniment plus vraisemblable qu’aucun de ces systèmes ; je commençai dès lors à soupçonner que je pourrais peut-être parvenir à reconnaître les parties organiques vivantes, dont je pensais que tous les animaux et les végétaux tiraient leur origine. Mon premier soupçon fut que les animaux spermatiques qu’on voyait dans la semence de tous les mâles pouvaient bien n’être que ces parties organiques, et voici comment je raisonnais[NdÉ 1]. Si tous les animaux et les végétaux contiennent une infinité de parties organiques vivantes, on doit trouver ces mêmes parties organiques dans leur semence, et on doit les y trouver en bien plus grande quantité que dans aucune autre substance, soit animale, soit végétale, parce que la semence n’étant que l’extrait de tout ce qu’il y a de plus analogue à l’individu et de plus organique, elle doit contenir un très grand nombre de molécules organiques, et les animalcules qu’on voit dans la semence des mâles ne sont peut-être que ces mêmes molécules organiques vivantes, ou du moins ils ne sont que la première réunion ou le premier assemblage de ces molécules ; mais, si cela est, la semence de la femelle doit contenir, comme celle du mâle, des molécules organiques vivantes et à peu près semblables à celles du mâle, et l’on doit par conséquent y trouver, comme dans celle du mâle, des corps en mouvement, des animaux spermatiques ; et de même, puisque les parties organiques vivantes sont communes aux animaux et aux végétaux, on doit aussi les trouver dans les semences des plantes, dans le nectareum, dans les étamines, qui sont les parties les plus substantielles de la plante, et qui contiennent les molécules organiques nécessaires à la reproduction. Je songeai donc sérieusement à examiner au microscope les liqueurs séminales des mâles et des femelles, et les germes des plantes, et je fis sur cela un plan d’expériences : je pensai en même temps que le réservoir de la semence des femelles pouvait bien être la cavité du corps glanduleux dans laquelle Valisnieri et les autres avaient inutilement cherché l’œuf. Après avoir réfléchi sur ces idées pendant plus d’un an, il me parut qu’elles étaient assez fondées pour mériter d’être suivies ; enfin je me déterminai à entreprendre une suite d’observations et d’expériences qui demandait beaucoup de temps. J’avais fait connaissance avec M. Needham, fort connu de tous les naturalistes par les excellentes observations microscopiques qu’il a fait imprimer en 1745. Cet habile homme, si recommandable par son mérite, m’avait été recommandé par M. Folkes, président de la Société royale de Londres. M’étant lié d’amitié avec lui, je crus que je ne pouvais mieux faire que de lui communiquer mes idées, et comme il avait un excellent microscope, plus commode et meilleur qu’aucun des miens, je le priai de me le prêter pour faire mes expériences ; je lui lus toute la partie de mon ouvrage qu’on vient de voir, et en même temps je lui dis que je croyais avoir trouvé le vrai réservoir de la semence dans les femelles, que je ne doutais pas que la liqueur contenue dans la cavité du corps glanduleux ne fût la vraie liqueur séminale des femelles, que j’étais persuadé qu’on trouverait dans cette liqueur, en l’observant au microscope, des animaux spermatiques comme dans la semence des mâles, et que j’étais très fort porté à croire qu’on trouverait aussi des corps en mouvement dans les parties les plus substantielles des végétaux, comme dans tous les germes des amandes des fruits, dans le nectareum, etc., et qu’il y avait grande apparence que ces animaux spermatiques, qu’on avait découverts dans les liqueurs séminales du mâle, n’étaient que le premier assemblage des parties organiques qui devaient être en bien plus grand nombre dans cette liqueur que dans toutes les autres substances qui composent le corps animal. M. Needham me parut faire cas de ces idées, et il eut la bonté de me prêter son microscope ; il voulut même être présent à quelques-unes de mes observations. Je communiquai en même temps à MM. Daubenton, Gueneau et Dalibard mon système et mon projet d’expériences, et quoique je sois fort exercé à faire des observations et des expériences d’optique, et que je sache bien distinguer ce qu’il y a de réel ou d’apparent dans ce que l’on voit au microscope, je crus que je ne devais pas m’en fier à mes yeux seuls, et j’engageai M. Daubenton à m’aider ; je le priai de voir avec moi. Je ne puis trop publier combien je dois à son amitié d’avoir bien voulu quitter ses occupations ordinaires pour suivre avec moi pendant plusieurs mois les expériences dont je vais rendre compte ; il m’a fait remarquer un grand nombre de choses qui m’auraient peut-être échappé. Dans des matières aussi délicates, où il est si aisé de se tromper, on est fort heureux de trouver quelqu’un qui veuille bien non seulement vous juger, mais encore vous aider. M. Needham, M. Dalibard et M. Gueneau ont vu une partie des choses que je vais rapporter, et M. Daubenton les a toutes vues aussi bien que moi.

Les personnes qui ne sont pas fort habituées à se servir du microscope trouveront bon que je mette ici quelques remarques qui leur seront utiles lorsqu’elles voudront répéter ces expériences ou en faire de nouvelles. On doit préférer les microscopes doubles dans lesquels on regarde les objets du haut en bas aux microscopes simples et doubles dans lesquels on regarde l’objet contre le jour et horizontalement ; ces microscopes doubles ont un miroir plan ou concave qui éclaire les objets par-dessous : on doit se servir par préférence du miroir concave, lorsqu’on observe avec la plus forte lentille. Leeuwenhoek, qui sans contredit a été le plus grand et le plus infatigable de tous les observateurs au microscope, ne s’est cependant servi, à ce qu’il paraît, que de microscopes simples, avec lesquels il regardait les objets contre le jour ou contre la lumière d’une chandelle ; si cela est, comme l’estampe qui est à la tête de son livre paraît l’indiquer, il a fallu une assiduité et une patience inconcevables pour se tromper aussi peu qu’il l’a fait sur la quantité presque infinie de choses qu’il a observées d’une manière si désavantageuse. Il a légué à la Société de Londres tous ses microscopes ; M. Needham m’a assuré que le meilleur ne fait pas autant d’effet que la plus forte lentille de celui dont je me suis servi, et avec laquelle j’ai fait toutes mes observations. Si cela est, il est nécessaire de faire remarquer que la plupart des gravures que Leeuwenhoek a données des objets microscopiques, surtout celles des animaux spermatiques, les représentent beaucoup plus gros et plus longs qu’il ne les a vus réellement, ce qui doit induire en erreur ; et que ces prétendus animaux de l’homme, du chien, du lapin, du coq, etc., qu’on trouve gravés dans les Transactions philosophiques, no 141, et dans Leeuwenhoek, t. I, p. 161, et qui ont ensuite été copiés par Valisnieri, par M. Baker, etc., paraissent au microscope beaucoup plus petits qu’ils ne le sont dans les gravures qui les représentent. Ce qui rend les microscopes dont nous parlons préférables à ceux avec lesquels on est obligé de regarder les objets contre le jour, c’est qu’ils sont plus stables que ceux-ci, le mouvement de la main avec laquelle on tient le microscope produisant un petit tremblement qui fait que l’objet paraît vacillant et ne présente jamais qu’un instant la même partie. Outre cela, il y a toujours dans les liqueurs un mouvement causé par l’agitation de l’air extérieur, soit qu’on les observe à l’un ou à l’autre de ces microscopes, à moins qu’on ne mette la liqueur entre deux plaques de verre ou de talc très minces, ce qui ne laisse pas de diminuer un peu la transparence, et d’allonger beaucoup le travail manuel de l’observation ; mais le microscope qu’on tient horizontalement, et dont les porte-objets sont verticaux, a un inconvénient de plus : c’est que les parties les plus pesantes de la liqueur qu’on observe descendent au bas de la goutte par leur poids ; par conséquent il y a trois mouvements, celui du tremblement de la main, celui de l’agitation du fluide par l’action de l’air, et encore celui des parties de la liqueur qui descendent en bas, et il peut résulter une infinité de méprises de la combinaison de ces trois mouvements, dont la plus grande et la plus ordinaire est de croire que de certains petits globules qu’on voit dans ces liqueurs se meuvent par un mouvement qui leur est propre et par leurs propres forces, tandis qu’ils ne font qu’obéir à la force composée de quelques-unes des trois causes dont nous venons de parler.

Lorsqu’on vient de mettre une goutte de liqueur sur le porte-objet du microscope double dont je me suis servi, quoique ce porte-objet soit posé horizontalement, et par conséquent dans la situation la plus avantageuse, on ne laisse pas de voir dans la liqueur un mouvement commun qui entraîne du même côté tout ce qu’elle contient : il faut attendre que le fluide soit en équilibre et sans mouvement pour observer, car il arrive souvent que, comme ce mouvement du fluide entraîne plusieurs globules et qu’il forme une espèce de courant dirigé d’un certain côté, il se fait ou d’un côté ou de l’autre de ce courant, et quelquefois de tous les deux, une espèce de remous qui renvoie quelques-uns de ces globules dans une direction très différente de celle des autres ; l’œil de l’observateur se fixe alors sur ce globule qu’il voit suivre seul une route différente de celle des autres, et il croit voir un animal, ou du moins un corps qui se meut de soi-même, tandis qu’il ne doit son mouvement qu’à celui du fluide ; et, comme les liqueurs sont sujettes à se dessécher et à s’épaissir par la circonférence de la goutte, il faut tâcher de mettre la lentille au-dessus du centre de la goutte, et il faut que la goutte soit assez grosse et qu’il y ait une aussi grande quantité de liqueur qu’il se pourra, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que, si on en prenait davantage, il n’y aurait plus assez de transparence pour bien voir ce qui y est.

Avant que de compter absolument sur les observations qu’on fait, et même avant que d’en faire, il faut bien connaître son microscope ; il n’y en a aucun dans les verres duquel il n’y ait quelques taches, quelques bulles, quelques fils et d’autres défectuosités qu’il faut reconnaître exactement, afin que ces apparences ne se présentent pas comme si c’étaient des objets réels et inconnus ; il faut aussi apprendre à connaître l’effet que fait la poussière imperceptible qui s’attache aux verres du microscope ; on s’assurera du produit de ces deux causes en observant son microscope à vide un grand nombre de fois.

Pour bien observer, il faut que le point de vue ou le foyer du microscope ne tombe pas précisément sur la surface de la liqueur, mais un peu au-dessous. On ne doit pas compter autant sur ce que l’on voit se passer à la surface que sur ce que l’on voit à l’intérieur de la liqueur ; il y a souvent des bulles à la surface qui ont des mouvements irréguliers qui sont produits par le contact de l’air.

On voit beaucoup mieux à la lumière d’une ou de deux bougies basses qu’au plus grand et au plus beau jour, pourvu que cette lumière ne soit point agitée ; et, pour éviter cette agitation, il faut mettre une espèce de petit paravent sur la table, qui enferme de trois côtés les lumières et le microscope.

On voit souvent des corps qui paraissent noirs et opaques devenir transparents, et même se peindre de différentes couleurs, ou former des anneaux concentriques et colorés, ou des iris sur leur surface, et d’autres corps qu’on a d’abord vus transparents ou colorés devenir noirs et obscurs ; ces changements ne sont pas réels, et ces apparences ne dépendent que de l’obliquité sous laquelle la lumière tombe sur ces corps, et de la hauteur du plan dans lequel ils se trouvent.

Lorsqu’il y a dans une liqueur des corps qui se meuvent avec une grande vitesse, surtout lorsque ces corps sont à la surface, ils forment par leur mouvement une espèce de sillon dans la liqueur, qui paraît suivre le corps en mouvement, et qu’on serait porté à prendre pour une queue ; cette apparence m’a trompé quelquefois dans les commencements, et j’ai reconnu bien clairement mon erreur lorsque ces petits corps venaient à en rencontrer d’autres qui les arrêtaient, car alors il n’y avait plus aucune apparence de queue. Ce sont là les petites remarques que j’ai faites, et que j’ai cru devoir communiquer à ceux qui voudraient faire usage du microscope sur les liqueurs.

EXPÉRIENCES

I

J’ai fait tirer des vésicules séminales d’un homme mort de mort violente, dont le cadavre était récent et encore chaud, toute la liqueur qui y était contenue ; et, l’ayant fait mettre dans un cristal de montre couvert, j’en ai pris une goutte assez grosse avec un cure-dent, et je l’ai mise sur le porte-objet d’un très bon microscope double, sans y avoir ajouté de l’eau et sans aucun mélange. La première chose qui s’est présentée étaient des vapeurs qui montaient de la liqueur vers la lentille et qui l’obscurcissaient. Ces vapeurs s’élevaient de la liqueur séminale, qui était encore chaude, et il fallut essuyer trois ou quatre fois la lentille avant que de pouvoir rien distinguer. Ces vapeurs étant dissipées, je vis d’abord des filaments assez gros, qui dans de certains endroits se ramifiaient et paraissaient s’étendre en différentes branches, et dans d’autres endroits ils se pelotonnaient et s’entremêlaient. Ces filaments me parurent très clairement agités intérieurement d’un mouvement d’ondulation, et ils paraissaient être des tuyaux creux qui contenaient quelque chose de mouvant. Je vis très distinctement deux de ces filaments, qui étaient joints suivant leur longueur, se séparer dans leur milieu et agir l’un à l’égard de l’autre par un mouvement d’ondulation ou de vibration, à peu près comme celui de deux cordes tendues qui seraient attachées et jointes ensemble par les deux extrémités, et qu’on tirerait par le milieu, l’une à gauche et l’autre à droite, et qui feraient des vibrations par lesquelles cette partie du milieu se rapprocherait et s’éloignerait alternativement ; ces filaments étaient composés de globules qui se touchaient et ressemblaient à des chapelets. Je vis ensuite des filaments qui se boursouflaient et se gonflaient dans de certains endroits, et je reconnus qu’à côté de ces endroits gonflés il sortait des globules et de petits ovales qui avaient un mouvement distinct d’oscillation, comme celui d’un pendule qui serait horizontal : ces petits corps étaient en effet attachés au filament par un petit filet qui s’allongeait peu à peu à mesure que le petit corps se mouvait, et enfin je vis ces petits corps se détacher entièrement du gros filament, et emporter après eux le petit filet par lequel ils étaient attachés. Comme cette liqueur était fort épaisse, et que les filaments étaient trop près les uns des autres pour que je pusse les distinguer aussi clairement que je le désirais, je délayai avec de l’eau de pluie pure, et dans laquelle je m’étais assuré qu’il n’y avait point d’animaux, une autre goutte de la liqueur séminale ; je vis alors les filaments bien séparés, et je reconnus très distinctement le mouvement des petits corps dont je viens de parler ; il se faisait plus librement, ils paraissaient nager avec plus de vitesse, et traînaient leur filet plus légèrement, et si je ne les avais pas vus se séparer des filaments et en tirer leur filet, j’aurais pris dans cette seconde observation le corps mouvant pour un animal, et le filet pour la queue de l’animal. J’observai donc avec grande attention un des filaments d’où ces petits corps mouvants sortaient, il était plus de trois fois plus gros que ces petits corps ; j’eus la satisfaction de voir deux de ces petits corps qui se détachaient avec peine, et qui entraînaient chacun un filet fort délié et fort long qui empêchait leur mouvement, comme je le dirai dans la suite.

Cette liqueur séminale était d’abord fort épaisse, mais elle prit peu à peu de la fluidité ; en moins d’une heure elle devint assez fluide pour être presque transparente ; à mesure que cette fluidité augmentait, les phénomènes changeaient, comme je vais le dire.

II

Lorsque la liqueur séminale est devenue plus fluide, on ne voit plus les filaments dont j’ai parlé ; mais les petits corps qui se meuvent paraissent en grand nombre ; ils ont pour la plupart un mouvement d’oscillation comme celui d’un pendule ; ils tirent après eux un long filet ; on voit clairement qu’ils font effort pour s’en débarrasser ; leur mouvement de progression en avant est fort lent, ils font des oscillations à droite et à gauche : le mouvement d’un bateau, retenu sur une rivière rapide par un câble attaché à un point fixe, représente assez bien le mouvement de ces petits corps, à l’exception que les oscillations du bateau se font toujours dans le même endroit, au lieu que les petits corps avancent peu à peu au moyen de ces oscillations, mais ils ne se tiennent pas toujours sur le même plan, ou, pour parler plus clairement, ils n’ont pas, comme un bateau, une base large et plate qui fait que les mêmes parties sont toujours à peu près dans le même plan ; on les voit au contraire, à chaque oscillation, prendre un mouvement de roulis très considérable, en sorte qu’outre leur mouvement d’oscillation horizontale, qui est bien marqué, ils en ont un de balancement vertical, ou de roulis, qui est aussi très sensible : ce qui prouve que ces petits corps sont de figure globuleuse, ou du moins que leur inférieure n’a pas une base plate assez étendue pour les maintenir dans la même position.

III

Au bout de deux ou trois heures, lorsque la liqueur est devenue plus fluide, on voit une plus grande quantité de ces petits corps qui se meuvent ; ils paraissent être plus libres, les filets qu’ils traînent après eux sont devenus plus courts qu’ils ne l’étaient auparavant ; aussi leur mouvement progressif commence-t-il à être plus direct, et leur mouvement d’oscillation horizontale est fort diminué ; car plus les filets qu’ils traînent sont longs, plus grand est l’angle de leur oscillation, c’est-à-dire qu’ils font d’autant plus de chemin de droite à gauche, et d’autant moins de chemin en avant, que les filets qui les retiennent et qui les empêchent d’avancer sont plus longs, et à mesure que ces filets diminuent de longueur, le mouvement d’oscillation diminue et le mouvement progressif augmente ; celui du balancement vertical subsiste et se reconnaît toujours, tant que celui de progression ne se fait pas avec une grande vitesse : or jusqu’ici, pour l’ordinaire, ce mouvement de progression est encore assez lent, et celui de balancement est fort sensible.

IV

Dans l’espace de cinq ou six heures la liqueur acquiert presque toute la fluidité qu’elle peut avoir sans se décomposer. On voit alors la plupart de ces petits corps mouvants entièrement dégagés du filet qu’ils traînaient ; ils sont de figure ovale et se meuvent progressivement avec une assez grande vitesse ; ils ressemblent alors plus que jamais à des animaux qui ont des mouvements en avant, en arrière et en tout sens. Ceux qui ont encore des queues, ou plutôt qui traînent encore leur filet, paraissent être beaucoup plus vifs que les autres ; et parmi ces derniers, qui n’ont plus de filet, il y en a qui paraissent changer de figure et de grandeur ; les uns sont ronds, la plupart ovales, quelques autres ont les deux extrémités plus grosses que le milieu, et on remarque encore à tous un mouvement de balancement et de roulis.

V

Au bout de douze heures la liqueur avait déposé au bas, dans le cristal de montre, une espèce de matière gélatineuse blanchâtre, ou plutôt couleur de cendre, qui avait de la consistance, et la liqueur qui surnageait était presque aussi claire que de l’eau ; seulement elle avait une teinte bleuâtre, et ressemblait très bien à de l’eau claire dans laquelle on aurait mêlé un peu de savon ; cependant elle conservait toujours de la viscosité, et elle filait lorsqu’on en prenait une goutte et qu’on la voulait détacher du reste de la liqueur ; les petits corps mouvants sont alors dans une grande activité, ils sont tous débarrassés de leur filet, la plupart sont ovales, il y en a de ronds, ils se meuvent en tous sens, et plusieurs tournent sur leur centre. J’en ai vu changer de figure sous mes yeux, et d’ovales devenir globuleux ; j’en ai vu se diviser, se partager, et d’un seul ovale ou d’un globule en former deux ; ils avaient d’autant plus d’activité et de mouvement qu’ils étaient plus petits.

VI

Vingt-quatre heures après, la liqueur séminale avait encore déposé une plus grande quantité de matière gélatineuse ; je voulus délayer cette matière avec de l’eau pour l’observer, mais elle ne se mêla pas aisément, et il faut un temps considérable pour qu’elle se ramollisse et se divise dans l’eau. Les petites parties que j’en séparai paraissaient opaques et composées d’une infinité de tuyaux, qui formaient une espèce de lacis où l’on ne remarquait aucune disposition régulière et pas le moindre mouvement ; mais il y en avait encore dans la liqueur claire, on y voyait quelques corps en mouvement ; ils étaient, à la vérité, en moindre quantité ; le lendemain il y en avait encore quelques-uns, mais après cela je ne vis plus dans cette liqueur que des globules sans aucune apparence de mouvement.

Je puis assurer que chacune de ces observations a été répétée un très grand nombre de fois et suivie avec toute l’exactitude possible, et je suis persuadé que ces filets, que ces corps en mouvement traînent après eux ne sont pas une queue ou un membre qui leur appartienne et qui fasse partie de leur individu, car ces queues n’ont aucune proportion avec le reste du corps ; elles sont de longueur et de grosseur fort différentes, quoique les corps mouvants soient à peu près de la même grosseur dans le même temps ; les unes de ces queues occupent une étendue très considérable dans le champ du microscope, et d’autres sont fort courtes ; le globule est embarrassé dans son mouvement d’autant plus que cette queue est plus longue ; quelquefois même il ne peut avancer ni sortir de sa place, et il n’a qu’un mouvement d’oscillation de droite à gauche ou de gauche à droite lorsque cette queue est fort longue : on voit clairement qu’ils paraissent faire des efforts pour s’en débarrasser.

VII

Ayant pris de la liqueur séminale dans un autre cadavre humain, récent et encore chaud, elle ne paraissait d’abord être à l’œil simple qu’une matière mucilagineuse presque coagulée et très visqueuse ; je ne voulus cependant pas y mêler de l’eau, et en ayant mis une goutte assez grosse sur le porte-objet du microscope, elle se liquéfia d’elle-même et sous mes yeux ; elle était d’abord comme condensée, et elle paraissait former un tissu assez serré, composé de filaments d’une longueur et d’une grosseur considérables, qui paraissaient naître de la partie la plus épaisse de la liqueur. Ces filaments se séparaient à mesure que la liqueur devenait plus fluide, et, enfin, ils se divisaient en globules qui avaient de l’action et qui paraissaient d’abord n’avoir que très peu de force pour se mettre en mouvement, mais dont les forces semblaient augmenter à mesure qu’ils s’éloignaient du filament, dont il paraissait qu’ils faisaient beaucoup d’effort pour se débarrasser et pour se dégager, et auquel ils étaient attachés par un filet qu’ils en tiraient et qui tenait à leur partie postérieure ; ils se formaient ainsi lentement chacun des queues de différentes longueurs, dont quelques-unes étaient si minces et si longues qu’elles n’avaient aucune proportion avec le corps de ces globules ; ils étaient tous d’autant plus embarrassés que ces filets ou ces queues étaient plus longues ; l’angle de leur mouvement d’oscillation, de gauche à droite et de droite à gauche, était aussi toujours d’autant plus grand que la longueur de ces filets était aussi plus grande, et leur mouvement de progression d’autant plus sensible que ces espèces de queues étaient plus courtes.

VIII

Ayant suivi ces observations pendant quatorze heures presque sans interruption, je reconnus que ces filets ou ces espèces de queues allaient toujours en diminuant de longueur, et devenaient si minces et si déliées qu’elles cessaient d’être visibles à leurs extrémités successivement, en sorte que ces queues, diminuant peu à peu par leurs extrémités, disparaissaient enfin entièrement ; c’était alors que les globules cessaient absolument d’avoir un mouvement d’oscillation horizontale, et que leur mouvement progressif était direct, quoiqu’ils eussent toujours un mouvement de balancement vertical, comme le roulis d’un vaisseau : cependant ils se mouvaient progressivement, à peu près en ligne droite, et il n’y en avait aucun qui eût une queue ; ils étaient alors ovales, transparents et tout à fait semblables aux prétendus animaux qu’on voit dans l’eau d’huître au six ou septième jour, et encore plus à ceux qu’on voit dans la gelée de veau rôti au bout du quatrième jour, comme nous le dirons dans la suite en parlant des expériences que M. Needham a bien voulu faire en conséquence de mon système, et qu’il a poussées aussi loin que je pouvais l’attendre de la sagacité de son esprit et de son habileté dans l’art d’observer au microscope.

IX

Entre la dixième et la onzième heure de ces observations, la liqueur étant alors fort fluide, tous ces globules me paraissaient venir du même côté et en foule ; ils traversaient le champ du microscope en moins de quatre secondes de temps ; ils étaient rangés les uns contre les autres, ils marchaient sur une ligne de sept ou huit de front, et se succédaient sans interruption, comme des troupes qui défilent. J’observai ce spectacle singulier pendant plus de cinq minutes, et comme ce courant d’animaux ne finissait point, j’en voulus chercher la source, et ayant remué légèrement mon microscope, je reconnus que tous ces globules mouvants sortaient d’une espèce de mucilage ou de lacis de filaments qui les produisaient continuellement sans interruption, et beaucoup plus abondamment et plus vite que ne les avaient produits les filaments dix heures auparavant : il y avait encore une différence remarquable entre ces espèces de corps mouvants produits dans la liqueur épaisse, et ceux qui étaient produits dans la même liqueur, mais devenue fluide ; c’est que ces derniers ne tiraient point de filets après eux, qu’ils n’avaient point de queue, que leur mouvement était plus prompt, et qu’ils allaient en troupeau comme des moutons qui se suivent. J’observai longtemps le mucilage d’où ils sortaient et où ils prenaient naissance, et je le vis diminuer sous mes yeux et se convertir successivement en globules mouvants, jusqu’à diminution de plus de moitié de son volume ; après quoi la liqueur s’étant trop desséchée, ce mucilage devint obscur dans son milieu, et tous les environs étaient marqués et divisés par de petits filets qui formaient des intervalles carrés à peu près comme un parquet, et ces petits filets paraissaient être formés des corps ou des cadavres de ces globules mouvants qui s’étaient réunis par le dessèchement, non pas en une seule masse, mais en filets longs, disposés régulièrement, dont les intervalles étaient quadrangulaires ; ces filets faisaient un réseau assez semblable à une toile d’araignée sur laquelle la rosée se serait attachée en une infinité de petits globules.

X

J’avais bien reconnu, par les observations que j’ai rapportées les premières, que ces petits corps mouvants changeaient de figure, et je croyais m’être aperçu qu’en général ils diminuaient tous de grandeur, mais je n’en étais pas assez certain pour pouvoir l’assurer. Dans ces dernières observations, à la douzième et treizième heure je le reconnus plus clairement, mais en même temps j’observai que, quoiqu’ils diminuassent considérablement de grandeur ou de volume, ils augmentaient en pesanteur spécifique, surtout lorsqu’ils étaient prêts à finir de se mouvoir, ce qui arrivait presque tout à coup, et toujours dans un plan différent de celui dans lequel ils se mouvaient, car lorsque leur action cessait, ils tombaient au fond de la liqueur et y formaient un sédiment couleur de cendre, que l’on voyait à l’œil nu, et qui au microscope paraissait n’être composé que de globules attachés les uns aux autres, quelquefois en filets, et d’autres fois en groupes, mais presque toujours d’une manière régulière, le tout sans aucun mouvement.

XI

Ayant pris de la liqueur séminale d’un chien, qu’il avait fournie par une émission naturelle en assez grande quantité, j’observai que cette liqueur était claire, et qu’elle n’avait que peu de ténacité. Je la mis, comme les autres dont je viens de parler, dans un cristal de montre, et, l’ayant examinée tout de suite au microscope sans y mêler de l’eau, j’y vis des corps mouvants presque entièrement semblables à ceux de la liqueur de l’homme ; ils avaient des filets ou des queues toutes pareilles, ils étaient aussi à peu près de la même grosseur, en un mot ils ressemblaient presque aussi parfaitement qu’il est possible à ceux que j’avais vus dans la liqueur humaine liquéfiée pendant deux ou trois heures. Je cherchai dans cette liqueur du chien les filaments que j’avais vus dans l’autre, mais ce fut inutilement ; j’aperçus seulement quelques filets longuets et très déliés, entièrement semblables à ceux qui servaient de queues à ces globules ; ces filets ne tenaient point à des globules, et ils étaient sans mouvement. Les globules en mouvement et qui avaient des queues me parurent aller plus vite et se remuer plus vivement que ceux de la liqueur séminale de l’homme ; ils n’avaient presque point de mouvement d’oscillation horizontale, mais toujours un mouvement de balancement vertical ou de roulis ; ces corps mouvants n’étaient pas en fort grand nombre, et, quoique leur mouvement progressif fût plus fort que celui des corps mouvants de la liqueur de l’homme, il n’était cependant pas rapide, et il leur fallait un petit temps bien marqué pour traverser le champ du microscope. J’observai cette liqueur d’abord continuellement pendant trois heures, et je n’y aperçus aucun changement et rien de nouveau : après quoi je l’observai de temps à autre successivement pendant quatre jours, et je remarquai que le nombre des corps mouvants diminuait peu à peu ; le quatrième jour il y en avait encore, mais en très petit nombre, et souvent je n’en trouvais qu’un ou deux dans une goutte entière de liqueur. Dès le second jour, le nombre de ceux qui avaient une queue était plus petit que celui de ceux qui n’en avaient plus ; le troisième jour il y en avait peu qui eussent des queues ; cependant au dernier jour il en restait encore quelques-uns qui en avaient ; la liqueur avait alors déposé au fond un sédiment blanchâtre qui paraissait être composé de globules sans mouvement, et de plusieurs petits filets qui me parurent être les queues séparées des globules ; il y en avait aussi d’attachés à des globules qui paraissaient être les cadavres de ces petits animaux, mais dont la forme était cependant différente de celle que je leur venais de voir lorsqu’ils étaient en mouvement, car le globule paraissait plus large et comme entr’ouvert, et ils étaient plus gros que les globules mouvants, et aussi que les globules sans mouvement qui étaient au fond et qui étaient séparés de leurs queues.

XII

Ayant pris une autre fois de la liqueur séminale du même chien, qu’il avait fournie de même par une émission naturelle, je revis les premiers phénomènes que je viens de décrire ; mais je vis de plus dans une des gouttes de cette liqueur une partie mucilagineuse qui produisait des globules mouvants, comme dans l’expérience ix, et ces globules formaient un courant, et allaient de front et comme en troupeau. Je m’attachai à observer ce mucilage ; il me parut animé intérieurement d’un mouvement de gonflement qui produisait de petites boursouflures dans différentes parties assez éloignées les unes des autres, et c’était de ces parties gonflées dont on voyait tout à coup sortir des globules mouvants avec une vitesse à peu près égale et une même direction de mouvement. Le corps de ces globules n’était pas différent de celui des autres, mais quoiqu’ils sortissent immédiatement du mucilage, ils n’avaient cependant point de queues. J’observai que plusieurs de ces globules changeaient de figure, ils s’allongeaient considérablement et devenaient longs comme de petits cylindres ; après quoi les deux extrémités du cylindre se boursouflaient, et ils se divisaient en deux autres globules, tous deux mouvants, et qui suivaient la même direction que celle qu’ils avaient lorsqu’ils étaient réunis, soit sous la forme de cylindre, soit sous la forme précédente de globule.

XIII

Le petit verre qui contenait cette liqueur ayant été renversé par accident, je pris une troisième fois de la liqueur du même chien ; mais, soit qu’il fût fatigué par des émissions trop réitérées, soit par d’autres causes que j’ignore, la liqueur séminale ne contenait rien du tout ; elle était transparente et visqueuse comme la lymphe du sang, et l’ayant observée dans le moment et une heure, deux heures, trois heures et jusqu’à vingt-quatre heures après, elle n’offrit rien de nouveau, sinon beaucoup de gros globules obscurs ; il n’y avait aucun corps mouvant, aucun mucilage, rien, en un mot, de semblable à ce que j’avais vu les autres fois.

XIV

Je fis ensuite ouvrir un chien et je fis séparer les testicules et les vaisseaux qui y étaient adhérents, pour répéter les mêmes observations, mais je remarquai qu’il n’y avait point de vésicules séminales, et apparemment dans ces animaux la semence passe directement des testicules dans l’urètre. Je ne trouvai que très peu de liqueur dans les testicules, quoique le chien fût adulte et vigoureux, et qu’il ne fût pas encore mort dans le temps que l’on cherchait cette liqueur. J’observai au microscope la petite quantité que je pus ramasser avec le gros bout d’un cure-dent ; il n’y avait point de corps en mouvement semblables à ceux que j’avais vus auparavant ; on y voyait seulement une grande quantité de très petits globules dont la plupart étaient sans mouvement, et dont quelques-uns, qui étaient les plus petits de tous, avaient entre eux différents petits mouvements d’approximation que je ne pus pas suivre, parce que les gouttes de liqueur que je pouvais ramasser étaient si petites qu’elles se desséchaient deux ou trois minutes après qu’elles avaient été mises sur le porte-objet.

XV

Ayant mis infuser les testicules de ce chien, que j’avais fait couper chacun en deux parties, dans un bocal de verre où il y avait assez d’eau pour les couvrir, et ayant fermé exactement ce bocal, j’ai observé trois jours après cette infusion que j’avais faite dans le dessein de reconnaître si la chair ne contient pas des corps en mouvement. Je vis, en effet, dans l’eau de cette infusion une grande quantité de corps mouvants de figure globuleuse et ovale, et semblables à ceux que j’avais vus dans la liqueur séminale du chien, à l’exception qu’aucun de ces corps n’avait de filets ; ils se mouvaient en tous sens, et même avec assez de vitesse. J’observai longtemps ces corps qui paraissaient animés ; j’en vis plusieurs changer de figure sous mes yeux, j’en vis qui s’allongeaient, d’autres qui se raccourcissaient, d’autres, et cela fréquemment, qui se gonflaient aux deux extrémités ; presque tous paraissaient tourner sur leur centre ; il y en avait de plus petits et de plus gros, mais tous étaient en mouvement ; et, à les prendre en totalité, ils étaient de la grosseur et de la figure de ceux que j’ai décrits dans la quatrième expérience.

XVI

Le lendemain le nombre de ces globules mouvants était encore augmenté, mais je crus m’apercevoir qu’ils étaient plus petits, leur mouvement était aussi plus rapide et encore plus irrégulier ; ils avaient une autre apparence pour la forme et pour l’allure de leur mouvement, qui paraissait être plus confus. Le surlendemain et les jours suivants il y eut toujours des corps en mouvement dans cette eau, jusqu’au vingtième jour ; leur grosseur diminuait tous les jours, et, enfin, diminua si fort que je cessai de les apercevoir uniquement à cause de leur petitesse ; car le mouvement n’avait pas cessé, et les derniers, que j’avais beaucoup de peine à apercevoir au dix-neuvième et vingtième jour, se mouvaient avec autant et même plus de rapidité que jamais. Il se forma au-dessus de l’eau une espèce de pellicule qui ne paraissait composée que des enveloppes de ces corps en mouvement, et dont toute la substance paraissait être un lacis de tuyaux, de petits filets, de petites écailles, etc., toutes sans aucun mouvement ; cette pellicule et ces corps mouvants n’avaient pu venir dans la liqueur par le moyen de l’air extérieur, puisque le bocal avait toujours été très soigneusement bouché.

XVII

J’ai fait ouvrir successivement, et à différents jours, dix lapins pour observer et examiner avec soin leur liqueur séminale : le premier n’avait pas une goutte de cette liqueur, ni dans les testicules, ni dans les vésicules séminales ; dans le second je n’en trouvai pas davantage, quoique je me fusse cependant assuré que ce second lapin était adulte, et qu’il fût même le père d’une nombreuse famille ; je n’en trouvai point encore dans le troisième, qui était cependant aussi dans le cas du second. Je m’imaginai qu’il fallait peut-être approcher ces animaux de leur femelle pour exciter et faire naître la semence, et je fis acheter des mâles et des femelles que l’on mit deux à deux dans des espèces de cages où ils pouvaient se voir et se faire des caresses, mais où il ne leur était pas permis de se joindre. Cela ne me réussit pas d’abord, car on en ouvrit encore deux où je ne trouvai pas plus de liqueur séminale que dans les trois premiers ; cependant le sixième que je fis ouvrir en avait en grande abondance ; c’était un gros lapin blanc qui paraissait fort vigoureux ; je lui trouvai dans les vésicules séminales autant de liqueur congelée qu’il en pouvait tenir dans une petite cuiller à café ; cette matière ressemblait à de la gelée de viande, elle était d’un jaune citron et presque transparente ; l’ayant examinée au microscope, je vis cette matière épaisse se résoudre lentement et par degrés en filaments et en gros globules dont plusieurs paraissaient attachés les uns aux autres comme des grains de chapelet, mais je ne leur remarquai aucun mouvement bien distinct ; seulement comme la matière se liquéfiait elle formait une espèce de courant par lequel ces globules et ces filaments paraissaient tous être entraînés du même côté : je m’attendais à voir prendre à cette matière un plus grand degré de fluidité, mais cela n’arriva pas ; après qu’elle se fut un peu liquéfiée, elle se dessécha, et je ne pus jamais voir autre chose que ce que je viens de dire, en observant cette matière sans addition ; je la mêlai donc avec de l’eau, mais ce fut encore sans succès d’abord, car l’eau ne la pénétrait pas tout de suite et semblait ne pouvoir la délayer.

XVIII

Ayant fait ouvrir un autre lapin, je n’y trouvai qu’une très petite quantité de matière séminale, qui était d’une couleur et d’une consistance différentes de celle dont je viens de parler ; elle était à peine colorée de jaune, et plus fluide que celle-là ; comme il n’y en avait que très peu, et que je craignais qu’elle ne se desséchât trop promptement, je fus forcé de la mêler avec de l’eau ; dès la première observation, je ne vis pas les filaments ni les chapelets que j’avais vus dans l’autre, mais je reconnus sur-le-champ les gros globules, et je vis de plus qu’ils avaient tous un mouvement de tremblement et comme d’inquiétude ; ils avaient aussi un mouvement de progression, mais fort lent ; quelques-uns tournaient aussi autour de quelques autres, et la plupart paraissaient tourner sur leur centre. Je ne pus pas suivre cette observation plus loin, parce que je n’avais pas une assez grande quantité de cette liqueur séminale, qui se dessécha promptement.

XIX

Ayant fait chercher dans un autre lapin, on n’y trouva rien du tout, quoiqu’il eût été depuis quelques jours aussi voisin de sa femelle que les autres ; mais dans les vésicules séminales d’un autre on trouva presque autant de liqueur congelée que dans celui de l’observation xvii. Cette liqueur congelée, que j’examinai d’abord de la même façon, ne me découvrit rien de plus, en sorte que je pris le parti de mettre infuser toute la quantité que j’en avais pu rassembler dans une quantité presque double d’eau pure, et, après avoir secoué violemment et souvent la petite bouteille où ce mélange était contenu, je le laissai reposer pendant dix minutes ; après quoi j’observai cette infusion en prenant toujours à la surface de la liqueur les gouttes que je voulais examiner : j’y vis les mêmes gros globules dont j’ai parlé, mais en petit nombre et entièrement détachés et séparés, et même fort éloignés les uns des autres ; ils avaient différents mouvements d’approximation les uns à l’égard des autres, mais ces mouvements étaient si lents qu’à peine étaient-ils sensibles. Deux ou trois heures après il me parut que ces globules avaient diminué de volume et que leur mouvement était devenu plus sensible ; ils paraissaient tous tourner sur leurs centres, et quoique leur mouvement de tremblement fût bien plus marqué que celui de progression, cependant on apercevait clairement qu’ils changeaient tous de place irrégulièrement les uns par rapport aux autres ; il y en avait même quelques-uns qui tournaient lentement autour des autres. Six ou sept heures après, les globules étaient encore devenus plus petits et leur action était augmentée ; ils me parurent être en beaucoup plus grand nombre, et tous leurs mouvements étaient sensibles. Le lendemain il y avait dans cette liqueur une multitude prodigieuse de globules en mouvement, et ils étaient au moins trois fois plus petits qu’ils ne m’avaient paru d’abord. J’observai ces globules tous les jours plusieurs fois pendant huit jours ; il me parut qu’il y en avait plusieurs qui se joignaient et dont le mouvement finissait après cette union, qui cependant ne paraissait être qu’une union superficielle et accidentelle. Il y en avait de plus gros, de plus petits ; la plupart étaient ronds et sphériques, les autres étaient ovales, d’autres étaient longuets ; les plus gros étaient les plus transparents, les plus petits étaient presque noirs ; cette différence ne provenait pas des accidents de la lumière, car dans quelque plan et dans quelque situation que ces petits globules se trouvassent ils étaient toujours noirs ; leur mouvement était bien plus rapide que celui des gros, et ce que je remarquai le plus clairement et le plus généralement sur tous, ce fut leur diminution de grosseur, en sorte qu’au huitième jour ils étaient si petits que je ne pouvais presque plus les apercevoir, et, enfin, ils disparurent absolument à mes yeux sans avoir cessé de se mouvoir.

XX

Enfin ayant obtenu avec assez de peine de la liqueur séminale d’un autre lapin, telle qu’il la fournit à sa femelle, avec laquelle il ne reste pas plus d’une minute en copulation, je remarquai qu’elle était beaucoup plus fluide que celle qui avait été tirée des vésicules séminales, et les phénomènes qu’elle offrit étaient aussi fort différents, car il y avait dans cette liqueur les globules en mouvement dont j’ai parlé, et des filaments sans mouvement, et encore des espèces de globules avec des filets ou des queues, et qui ressemblaient assez à ceux de l’homme et du chien, seulement ils me parurent plus petits et beaucoup plus agiles ; ils traversaient en un instant le champ du microscope ; leurs filets ou leurs queues me parurent être beaucoup plus courtes que celles de ces autres animaux spermatiques, et j’avoue que, quelque soin que je me sois donné pour les bien examiner, je ne suis pas sûr que quelques-unes de ces queues ne fussent pas de fausses apparences produites par le sillon que ces globules mouvants formaient dans la liqueur qu’ils traversaient avec trop de rapidité pour pouvoir les bien observer ; car d’ailleurs cette liqueur, quoique assez fluide, se desséchait fort promptement.

XXI

Je voulus ensuite examiner la liqueur séminale du bélier ; mais, comme je n’étais pas à portée d’avoir de ces animaux vivants, je m’adressai à un boucher, auquel je recommandai de m’apporter sur-le-champ les testicules et les autres parties de la génération des béliers qu’il tuerait. Il m’en fournit à différents jours, au moins de douze ou treize différents béliers, sans qu’il me fût possible de trouver dans les épididymes, non plus que dans les vésicules séminales, assez de liqueur pour pouvoir la bien observer ; dans les petites gouttes que je pouvais ramasser, je ne vis que des globules sans mouvement. Comme je faisais ces observations au mois de mars, je pensai que cette saison n’était pas celle du rut des béliers, et qu’en répétant les mêmes observations au mois d’octobre, je pourrais trouver alors la liqueur séminale dans les vaisseaux, et les corps mouvants dans la liqueur. Je fis couper plusieurs testicules en deux dans leur plus grande longueur, et ayant ramassé avec le gros bout d’un cure-dent la petite quantité de liqueur qu’on pouvait en exprimer, cette liqueur ne m’offrit, comme celle des épididymes, que des globules de différente grosseur et qui n’avaient aucun mouvement : au reste, tous ces testicules étaient fort sains et tous étaient au moins aussi gros que des œufs de poule.

XXII

Je pris trois de ces testicules de trois différents béliers, je les fis couper chacun en quatre parties, je mis chacun des testicules ainsi coupés en quatre dans un bocal de verre avec autant d’eau seulement qu’il en fallait pour les couvrir, et je bouchai exactement les bocaux avec du liège et du parchemin ; je laissai cette chair infuser ainsi pendant quatre jours, après quoi j’examinai au microscope la liqueur de ces trois infusions : je les trouvai toutes remplies d’une infinité de corps en mouvement, dont la plupart étaient ovales et les autres globuleux ; ils étaient assez gros, et ils ressemblaient à ceux dont j’ai parlé (exp. viii). Leur mouvement n’était pas brusque, ni incertain, ni fort rapide, mais égal, uniforme et continu dans toutes sortes de directions ; tous ces corps en mouvement étaient à peu près de la même grosseur dans chaque liqueur, mais ils étaient plus gros dans l’une, un peu moins gros dans l’autre, et plus petits dans la troisième ; aucun n’avait de queue, il n’y avait ni filaments ni filets dans cette liqueur où le mouvement de ces petits corps s’est conservé pendant quinze à seize jours ; ils changeaient souvent de figure et semblaient se dévêtir successivement de leur tunique extérieure ; ils devenaient aussi tous les jours plus petits, et je ne les perdis de vue au seizième jour que par leur petitesse extrême ; car le mouvement subsistait toujours lorsque je cessai de les apercevoir.

XXIII

Au mois d’octobre suivant je fis ouvrir un bélier qui était en rut, et je trouvai une assez grande quantité de liqueur séminale dans l’un des épididymes ; l’ayant examiné sur-le-champ au microscope, j’y vis une multitude innombrable de corps mouvants ; ils étaient en si grande quantité que toute la substance de la liqueur paraissait en être composée en entier ; comme elle était trop épaisse pour pouvoir bien distinguer la forme de ces corps mouvants, je la délayai avec un peu d’eau, mais je fus surpris de voir que l’eau avait arrêté tout à coup le mouvement de tous ces corps ; je les voyais très distinctement dans la liqueur, mais ils étaient tous absolument immobiles : ayant répété plusieurs fois cette observation, je m’aperçus que l’eau qui, comme je l’ai dit, délaye très bien les liqueurs séminales de l’homme, du chien, etc., au lieu de délayer la semence du bélier, semblait au contraire la coaguler ; elle avait peine à se mêler avec cette liqueur, ce qui me fit conjecturer qu’elle pouvait être de la nature du suif, que le froid coagule et durcit ; et je me confirmai bientôt dans cette opinion, car ayant fait ouvrir l’autre épididyme où je comptais trouver de la liqueur, je n’y trouvai qu’une matière coagulée, épaissie et opaque ; le peu de temps pendant lequel ces parties avaient été exposées à l’air avait suffi pour refroidir et coaguler la liqueur séminale qu’elles contenaient.

XXIV

Je fis donc ouvrir un autre bélier, et, pour empêcher la liqueur séminale de se refroidir et de se figer, je laissai les parties de la génération dans le corps de l’animal, que l’on couvrait avec des linges chauds ; avec ces précautions il me fut aisé d’observer un très grand nombre de fois la liqueur séminale dans son état de fluidité ; elle était remplie d’un nombre infini de corps en mouvement, ils étaient tous oblongs, et ils se remuaient en tous sens ; mais, dès que la goutte de liqueur qui était sur le porte-objet du microscope était refroidie, le mouvement de tous ces corps cessait dans un instant, de sorte que je ne pouvais les observer que pendant une minute ou deux. J’essayai de délayer la liqueur avec de l’eau chaude, le mouvement des petits corps dura quelque temps de plus, c’est-à-dire trois ou quatre minutes. La quantité de ces corps mouvants était si grande dans cette liqueur, quoique délayée, qu’ils se touchaient presque tous les uns les autres ; ils étaient tous de la même grosseur et de la même figure, aucun n’avait de queue, leur mouvement n’était pas fort rapide, et lorsque par la coagulation de la liqueur ils venaient à s’arrêter, ils ne changeaient pas de forme.

XXV

Comme j’étais persuadé non seulement par ma théorie, mais aussi par l’examen que j’avais fait des observations et des découvertes de tous ceux qui avaient travaillé avant moi sur cette matière, que la femelle a, aussi bien que le mâle, une liqueur séminale et vraiment prolifique, et que je ne doutais pas que le réservoir de cette liqueur ne fût la cavité du corps glanduleux du testicule, où les anatomistes prévenus de leur système avaient voulu trouver l’œuf[NdÉ 2], je fis acheter plusieurs chiens et plusieurs chiennes, et quelques lapins mâles et femelles que je fis garder et nourrir tous séparément les uns des autres. Je parlai à un boucher pour avoir les portières de toutes les vaches et de toutes les brebis qu’il tuerait ; je l’engageai à me les apporter dans le moment même où la bête viendrait d’expirer ; je m’assurai d’un chirurgien pour faire les dissections nécessaires ; et, afin d’avoir un objet de comparaison pour la liqueur de la femelle, je commençai par observer de nouveau la liqueur séminale d’un chien, qu’il avait fournie par une émission naturelle ; j’y trouvai les mêmes corps en mouvement que j’y avais observés auparavant ; ces corps traînaient après eux des filets qui ressemblaient à des queues dont ils avaient peine à se débarrasser ; ceux dont les queues étaient les plus courtes se mouvaient avec plus d’agilité que les autres ; ils avaient tous, plus ou moins, un mouvement de balancement ou de roulis, et en général leur mouvement progressif, quoique fort sensible et très marqué, n’était pas d’une grande rapidité.

XXVI

Pendant que j’étais occupé à cette observation, l’on disséquait une chienne vivante qui était en chaleur depuis quatre ou cinq jours, et que le mâle n’avait point approchée. On trouva aisément les testicules qui sont aux extrémités des cornes de la matrice ; ils étaient à peu près gros comme des avelines : ayant examiné l’un de ces testicules, j’y trouvai un corps glanduleux, rouge, proéminent et gros comme un pois ; ce corps glanduleux ressemblait parfaitement à un petit mamelon, et il y avait au dehors de ce corps glanduleux une fente très visible, qui était formée par deux lèvres dont l’une avançait en dehors un peu plus que l’autre ; ayant entr’ouvert cette fente avec un stylet, nous en vîmes dégoutter de la liqueur que nous recueillîmes pour la porter au microscope, après avoir recommandé au chirurgien de remettre les testicules dans le corps de l’animal qui était encore vivant, afin de les tenir chaudement. J’examinai donc cette liqueur au microscope, et du premier coup d’œil j’eus la satisfaction d’y voir des corps mouvants avec des queues, qui étaient presque absolument semblables à ceux que je venais de voir dans la liqueur séminale du chien[NdÉ 3]. MM. Needham et Daubenton, qui observèrent après moi, furent si surpris de cette ressemblance qu’ils ne pouvaient se persuader que ces animaux spermatiques ne fussent pas ceux du chien que nous venions d’observer ; ils crurent que j’avais oublié de changer de porte-objet, et qu’il avait pu rester de la liqueur du chien, ou bien que le cure-dent avec lequel nous avions ramassé plusieurs gouttes de cette liqueur de la chienne pouvait avoir servi auparavant à celle du chien. M. Needham prit donc lui-même un autre porte-objet, un autre cure-dent, et ayant été chercher de la liqueur dans la fente du corps glanduleux, il l’examina le premier et y revit les mêmes animaux, les mêmes corps en mouvement, et il se convainquit avec moi non seulement de l’existence de ces animaux spermatiques dans la liqueur séminale de la femelle, mais encore de leur ressemblance avec ceux de la liqueur séminale du mâle. Nous revîmes au moins dix fois de suite et sur différentes gouttes les mêmes phénomènes, car il y avait une assez bonne quantité de liqueur séminale dans ce corps glanduleux, dont la fente pénétrait dans une cavité profonde de près de trois lignes.

XXVII

Ayant ensuite examiné l’autre testicule, j’y trouvai un corps glanduleux dans son état d’accroissement ; mais ce corps n’était pas mûr, il n’y avait point de fente à l’extérieur, il était bien plus petit et bien moins rouge que le premier, et l’ayant ouvert avec un scalpel je n’y trouvai aucune liqueur ; il y avait seulement une espèce de petit pli dans l’intérieur, que je jugeai être l’origine de la cavité qui doit contenir la liqueur. Ce second testicule avait quelques vésicules lymphatiques très visibles à l’extérieur ; je perçai l’une de ces vésicules avec une lancette, et il en jaillit une liqueur claire et limpide que j’observai tout de suite au microscope ; elle ne contenait rien de semblable à celle du corps glanduleux, c’était une matière claire, composée de très petits globules qui étaient sans aucun mouvement ; ayant répété souvent cette observation, comme on le verra dans la suite, je m’assurai que cette liqueur que renferment les vésicules n’est qu’une espèce de lymphe qui ne contient rien d’animé, rien de semblable à ce que l’on voit dans la semence de la femelle, qui se forme et qui se perfectionne dans le corps glanduleux.

XXVIII

Quinze jours après je fis ouvrir une autre chienne qui était en chaleur depuis sept ou huit jours, et qui n’avait pas été approchée par le mâle : je fis chercher les testicules ; ils sont contigus aux extrémités des cornes de la matrice ; ces cornes sont fort longues, leur tunique extérieure enveloppe les testicules, et ils paraissent recouverts de cette membrane comme d’un capuchon. Je trouvai sur chaque testicule un corps glanduleux en pleine maturité ; le premier que j’examinai était entr’ouvert, et il avait un conduit ou un canal qui pénétrait dans le testicule et qui était rempli de la liqueur séminale ; le second était plus proéminent et plus gros, et la fente ou le canal qui contenait la liqueur était au-dessous du mamelon qui sortait au dehors. Je pris de ces deux liqueurs, et les ayant comparées je les trouvai tout à fait semblables ; cette liqueur séminale de la femelle est au moins aussi liquide que celle du mâle ; ayant ensuite examiné au microscope ces deux liqueurs tirées des deux testicules, j’y trouvai les mêmes corps en mouvement ; je revis à loisir les mêmes phénomènes que j’avais vus auparavant dans la liqueur séminale de l’autre chienne ; je vis de plus plusieurs globules qui se remuaient très vivement, qui tâchaient de se dégager du mucilage qui les environnait, et qui emportaient après eux des filets ou des queues ; il y en avait une aussi grande quantité que dans la semence du mâle.

XXIX

J’exprimai de ces deux corps glanduleux toute la liqueur qu’ils contenaient, et l’ayant rassemblée et mise dans un petit cristal de montre il y en eut une quantité suffisante pour suivre ces observations pendant quatre ou cinq heures ; je remarquai qu’elle faisait un petit dépôt au bas, ou du moins que la liqueur s’y épaississait un peu. Je pris une goutte de cette liqueur plus épaisse que l’autre, et l’ayant mise au microscope, je reconnus que la partie mucilagineuse de la semence s’était condensée, et qu’elle formait comme un tissu continu ; au bord extérieur de ce tissu, et dans une étendue assez considérable de sa circonférence, il y avait un torrent ou un courant qui paraissait composé de globules qui coulaient avec rapidité ; ces globules avaient des mouvements propres, ils étaient même très vifs, très actifs, et ils paraissaient être absolument dégagés de leur enveloppe mucilagineuse et de leurs queues ; ceci ressemblait si bien au cours du sang lorsqu’on l’observe dans les petites veines transparentes, que quoique la rapidité de ce courant de globules de la semence fût plus grande, et que de plus ces globules eussent des mouvements propres et particuliers, je fus frappé de cette ressemblance, car ils paraissaient non seulement être animés par leurs propres forces, mais encore être poussés par une force commune, et comme contraints de se suivre en troupeau. Je conclus, de cette observation et de la ixe et xiie, que quand le fluide commence à se coaguler ou à s’épaissir, soit par le dessèchement ou par quelques autres causes, ces globules actifs rompent et déchirent les enveloppes mucilagineuses dans lesquelles ils sont contenus, et qu’ils s’échappent du côté où la liqueur est demeurée plus fluide. Ces corps mouvants n’avaient alors ni filets ni rien de semblable à des queues ; ils étaient pour la plupart ovales et paraissaient un peu aplatis par-dessous, car ils n’avaient aucun mouvement de roulis, du moins qui fût sensible.

XXX

Les cornes de la matrice étaient à l’extérieur mollasses, et elles ne paraissaient pas être remplies d’aucune liqueur ; je les fis ouvrir longitudinalement et je n’y trouvai qu’une très petite quantité de liqueur ; il y en avait cependant assez pour qu’on pût la ramasser avec un cure-dent. J’observai cette liqueur au microscope, c’était la même que celle que j’avais exprimée des corps glanduleux du testicule, car elle était pleine de globules actifs qui se mouvaient de la même façon et qui étaient absolument semblables en tout à ceux que j’avais observés dans la liqueur tirée immédiatement du corps glanduleux ; aussi ces corps glanduleux sont posés de façon qu’ils versent aisément cette liqueur sur les cornes de la matrice, et je suis persuadé que tant que la chaleur des chiennes dure, et peut-être encore quelque temps après, il y a une stillation ou un dégouttement continuel de cette liqueur, qui tombe du corps glanduleux dans les cornes de la matrice, et que cette stillation dure jusqu’à ce que le corps glanduleux ait épuisé les vésicules du testicule auxquelles il correspond ; alors il s’affaisse peu à peu, il s’efface, et il ne laisse qu’une petite cicatrice rougeâtre qu’on voit à l’extérieur du testicule.

XXXI

Je pris cette liqueur séminale qui était dans l’une des cornes de la matrice et qui contenait des corps mouvants ou des animaux spermatiques, semblables à ceux du mâle, et ayant pris en même temps de la liqueur séminale d’un chien, qu’il venait de fournir par une émission naturelle, et qui contenait aussi, comme celle de la femelle, des corps en mouvement, j’essayai de mêler ces deux liqueurs en prenant une petite goutte de chacune, et ayant examiné ce mélange au microscope, je ne vis rien de nouveau, la liqueur étant toujours la même, les corps en mouvement les mêmes ; ils étaient tous si semblables qu’il n’était pas possible de distinguer ceux du mâle et ceux de la femelle ; seulement je crus m’apercevoir que leur mouvement était un peu ralenti, mais à cela près je ne vis pas que ce mélange eût produit la moindre altération dans la liqueur.

XXXII

Ayant fait disséquer une autre chienne qui était jeune, qui n’avait pas porté, et qui n’avait point encore été en chaleur, je ne trouvai sur l’un des testicules qu’une petite protubérance solide, que je reconnus aisément pour être l’origine d’un corps glanduleux qui commençait à pousser, et qui aurait pris son accroissement dans la suite, et sur l’autre testicule je ne vis aucun indice du corps glanduleux ; la surface de ces testicules était lisse et unie, et on avait peine à y voir à l’extérieur les vésicules lymphatiques, que je trouvai cependant fort aisément en faisant séparer les tuniques qui revêtent ces testicules ; mais ces vésicules n’étaient pas considérables, et ayant observé la petite quantité de liqueur que je pus ramasser dans ces testicules avec le cure-dent, je ne vis que quelques petits globules sans aucun mouvement, et quelques globules, beaucoup plus gros et plus aplatis, que je reconnus aisément pour être les globules du sang dont cette liqueur était, en effet, un peu mêlée.

XXXIII

Dans une autre chienne qui était encore plus jeune et qui n’avait que trois ou quatre mois, il n’y avait sur les testicules aucune apparence du corps glanduleux, ils étaient blancs à l’extérieur, unis, sans aucune protubérance, et recouverts de leur capuchon comme les autres ; il y avait quelques petites vésicules, mais qui ne me parurent contenir que peu de liqueur, et même la substance intérieure des testicules ne paraissait être que de la chair assez semblable à celle d’un ris de veau, et à peine pouvait-on remarquer quelques vésicules à l’extérieur, ou plutôt à la circonférence de cette chair. J’eus la curiosité de comparer l’un de ces testicules avec celui d’un jeune chien de même grosseur à peu près que la chienne ; ils me parurent tout à fait semblables à l’intérieur, la substance de la chair était, pour ainsi dire, de la même nature. Je ne prétends pas contredire par cette remarque ce que les anatomistes nous ont dit au sujet des testicules des mâles, qu’ils assurent n’être qu’un peloton de vaisseaux qu’on peut dévider, et qui sont fort menus et fort longs ; je dis seulement que l’apparence de la substance intérieure des testicules des femelles est semblable à celle des testicules des mâles, lorsque les corps glanduleux n’ont pas encore poussé.

XXXIV

On m’apporta une portière de vache qu’on venait de tuer, et comme il y avait près d’une demi-lieue de l’endroit où on l’avait tuée jusque chez moi, on enveloppa cette portière dans des linges chauds, et on la mit dans un panier sur un lapin vivant, qui était lui-même couché sur du linge au fond du panier ; de cette manière elle était, lorsque je la reçus, presque aussi chaude qu’au sortir du corps de l’animal. Je fis d’abord chercher les testicules, que nous n’eûmes pas de peine à trouver ; ils sont gros comme de petits œufs de poule, ou au moins comme des œufs de gros pigeons ; l’un de ces testicules avait un corps glanduleux gros comme un gros pois, qui était protubérant au dehors du testicule, à peu près comme un petit mamelon ; mais ce corps glanduleux n’était pas percé, il n’y avait ni fente ni ouverture à l’extérieur, il était ferme et dur ; je le pressai avec les doigts, il n’en sortit rien ; je l’examinai de près, et à la loupe, pour voir s’il n’avait pas quelque petite ouverture imperceptible : je n’en aperçus aucune, il avait cependant de profondes racines dans la substance intérieure du testicule. J’observai, avant que de faire entamer ce testicule, qu’il y avait deux autres corps glanduleux à d’assez grandes distances du premier ; mais ces corps glanduleux ne commençaient encore qu’à pousser ; ils étaient dessous la membrane commune du testicule, ils n’étaient guère plus gros que de grosses lentilles ; leur couleur était d’un blanc jaunâtre, au lieu que celui qui paraissait avoir percé la membrane du testicule, et qui était au dehors, était d’un rouge couleur de rose. Je fis ouvrir longitudinalement ce dernier corps glanduleux qui approchait, comme l’on voit, beaucoup plus de sa maturité que les autres ; j’examinai avec grande attention l’ouverture qu’on venait de faire, et qui séparait ce corps glanduleux par son milieu, je reconnus qu’il y avait au fond une petite cavité ; mais ni cette cavité, ni tout le reste de la substance de ce corps glanduleux ne contenait aucune liqueur : je jugeai donc qu’il était encore assez éloigné de son entière maturité.

XXXV

L’autre testicule n’avait aucun corps glanduleux qui fût proéminent au dehors, et qui eût percé la membrane commune qui recouvre le testicule ; il y avait seulement deux petits corps glanduleux qui commençaient à naître et à former chacun une petite protubérance au-dessous de cette membrane ; je les ouvris tous les deux avec la pointe du scalpel, il n’en sortit aucune liqueur, c’étaient des corps durs, blanchâtres, un peu teints de jaune : on y voyait à la loupe quelques petits vaisseaux sanguins. Ces deux testicules avaient chacun quatre ou cinq vésicules lymphatiques, qu’il était très aisé de distinguer à leur surface ; il paraissait que la membrane qui recouvre le testicule était plus mince dans l’endroit où étaient ces vésicules, et elle était comme transparente : cela me fit juger que ces vésicules contenaient une bonne quantité de liqueur claire et limpide ; et en effet, en ayant percé une dans son milieu avec la pointe d’une lancette, la liqueur jaillit à quelques pouces de distance, et ayant percé de même les autres vésicules, je ramassai une assez grande quantité de cette liqueur pour pouvoir l’observer aisément et à loisir, mais je n’y découvris rien du tout ; cette liqueur est une lymphe pure, très transparente, et dans laquelle je ne vis que quelques globules très petits, et sans aucune sorte de mouvement : après quelques heures j’examinai de nouveau cette liqueur des vésicules ; elle me parut être la même, il n’y avait rien de différent, si ce n’est un peu moins de transparence dans quelques parties de la liqueur ; je continuai à l’examiner pendant deux jours, jusqu’à ce qu’elle fût desséchée, et je n’y reconnus aucune altération, aucun changement, aucun mouvement.

XXXVI

Huit jours après on m’apporta deux autres portières de vaches qui venaient d’être tuées et qu’on avait enveloppées et transportées de la même façon que la première ; on m’assura que l’une était d’une jeune vache qui n’avait pas encore porté, et que l’autre était d’une vache qui avait fait plusieurs veaux, et qui cependant n’était pas vieille. Je fis d’abord chercher les testicules de cette vache qui avait porté, et je trouvai sur l’un de ces testicules un corps glanduleux, gros et rouge comme une bonne cerise ; ce corps paraissait un peu mollasse à l’extrémité de son mamelon ; j’y distinguai très aisément trois petits trous où il était facile d’introduire un crin : ayant un peu pressé ce corps glanduleux avec les doigts, il en sortit une petite quantité de liqueur que je portai sur-le-champ au microscope, et j’eus la satisfaction d’y voir des globules mouvants, mais différents de ceux que j’avais vus dans les autres liqueurs séminales : ces globules étaient petits et obscurs ; leur mouvement progressif, quoique fort distinct et fort aisé à reconnaître, était cependant fort lent, la liqueur n’était pas épaisse ; ces globules mouvants n’avaient aussi aucune apparence de queues ou de filets, et ils n’étaient pas à beaucoup près tous en mouvement, il y en avait un bien plus grand nombre qui paraissaient très semblables aux autres, et qui cependant n’avaient aucun mouvement. Voilà tout ce que je pus voir dans cette liqueur que ce corps glanduleux m’avait fournie ; comme il n’y en avait qu’une très petite quantité qui se dessécha bien vite, je voulus presser une seconde fois le corps glanduleux, mais il ne me fournit qu’une quantité de liqueur encore plus petite et mêlée d’un peu de sang ; j’y revis les petits globules en mouvement, et leur diamètre, comparé à celui des globules du sang qui était mêlé dans cette liqueur, me parut être au moins quatre fois plus petit que celui de ces globules sanguins.

XXXVII

Ce corps glanduleux était situé à l’une des extrémités du testicule, du côté de la corne de la matrice, et la liqueur qu’il préparait et qu’il rendait devait tomber dans cette corne : cependant ayant fait ouvrir cette corne de la matrice, je n’y trouvai point de liqueur dont la quantité fût sensible. Ce corps glanduleux pénétrait fort avant dans le testicule, et en occupait plus du tiers de la substance intérieure ; je le fis ouvrir et séparer en deux longitudinalement, j’y trouvai une cavité assez considérable, mais entièrement vide de liqueur : il y avait sur le même testicule, à quelque distance du gros corps glanduleux, un autre petit corps de même espèce, mais qui commençait encore à naître et qui formait sous la membrane de ce testicule une petite protubérance de la grosseur d’une bonne lentille ; il y avait aussi deux petites cicatrices, à peu près de la même grosseur d’une lentille, qui formaient deux petits enfoncements, mais très superficiels ; ils étaient d’un rouge foncé : ces cicatrices étaient celles des anciens corps glanduleux qui s’étaient oblitérés. Ayant ensuite examiné l’autre testicule de cette même vache qui avait porté, j’y comptai quatre cicatrices et trois corps glanduleux, dont le plus avancé avait percé la membrane ; il n’était encore que d’un rouge couleur de chair, et gros comme un pois ; il était ferme et sans aucune ouverture à l’extrémité, et il ne contenait encore aucune liqueur ; les deux autres étaient sous la membrane, et quoique gros comme de petits pois, ils ne paraissaient pas encore au dehors, ils étaient plus durs que le premier, et leur couleur était plus orangée que rouge. Il ne restait sur le premier testicule que deux ou trois vésicules lymphatiques bien apparentes, parce que le corps glanduleux de ce testicule, qui était arrivé à son entière maturité, avait épuisé les autres vésicules, au lieu que sur le second testicule où le corps glanduleux n’avait encore pris que le quart de son accroissement, il y avait un beaucoup plus grand nombre de vésicules lymphatiques ; j’en comptai huit à l’extérieur de ce testicule, et ayant examiné au microscope la liqueur de ces vésicules de l’un et de l’autre testicule, je ne vis qu’une matière fort transparente et qui ne contenait rien de mouvant, rien de semblable à ce que je venais de voir dans la liqueur du corps glanduleux.

XXXVIII

J’examinai ensuite les testicules de l’autre vache qui n’avait pas porté ; ils étaient cependant aussi gros, et peut-être un peu plus gros que ceux de la vache qui avait porté ; mais il est vrai qu’il n’y avait point de cicatrice ni sur l’un ni sur l’autre de ces testicules ; l’un était même absolument lisse, sans protubérance et fort blanc ; on distinguait seulement à sa surface plusieurs endroits plus clairs et moins opaques que le reste, et c’étaient les vésicules lymphatiques qui y étaient en grand nombre : on pouvait en compter aisément jusqu’à quinze, mais il n’y avait aucun indice de la naissance des corps glanduleux. Sur l’autre testicule je reconnus les indices de deux corps glanduleux, dont l’un commençait à naître, et l’autre était déjà gros comme un petit pois un peu aplati ; ils étaient tous deux recouverts de la membrane commune du testicule, comme le sont tous les corps glanduleux dans le temps qu’ils commencent à se former ; il y avait aussi sur ces testicules un grand nombre de vésicules lymphatiques ; j’en fis sortir avec la lancette de la liqueur que j’examinai et qui ne contenait rien du tout, et ayant percé avec la même lancette les deux petits corps glanduleux, il n’en sortit que du sang.

XXXIX

Je fis couper chacun de ces testicules en quatre parties, tant ceux de la vache qui n’avait pas porté que ceux de la vache qui avait porté, et les ayant mis chacun séparément dans des bocaux, j’y versai autant d’eau pure qu’il en fallait pour les couvrir, et après avoir bouché bien exactement les bocaux, je laissai cette chair infuser pendant six jours ; après quoi ayant examiné au microscope l’eau de ces infusions, j’y vis une quantité innombrable de petits globules mouvants ; ils étaient tous, et dans toutes ces infusions, extrêmement petits, fort actifs, tournant la plupart en rond et sur leur centre ; ce n’était, pour ainsi dire, que des atomes, mais qui se mouvaient avec une prodigieuse rapidité et en tout sens. Je les observai de temps à autre pendant trois jours, ils me parurent toujours devenir plus petits, et, enfin, ils disparurent à mes yeux, par leur extrême petitesse, le troisième jour.

XL

On m’apporta, les jours suivants, trois autres portières de vaches qui venaient d’être tuées. Je fis d’abord chercher les testicules pour voir s’il ne s’en trouverait pas quelqu’un dont le corps glanduleux fût en parfaite maturité ; dans deux de ces portières je ne trouvai sur les testicules que des corps glanduleux en accroissement, les uns plus gros, les autres plus petits, les uns plus, les autres moins colorés. On n’avait pu me dire si ces vaches avaient porté ou non, mais il y avait grande apparence que toutes avaient été plusieurs fois en chaleur, car il y avait des cicatrices en assez grand nombre sur tous ces testicules. Dans la troisième portière je trouvai un testicule sur lequel il y avait un corps glanduleux gros comme une cerise et fort rouge ; il était gonflé et me parut être en maturité ; je remarquai à son extrémité un petit trou qui était l’orifice d’un canal rempli de liqueur[NdÉ 4] ; ce canal aboutissait à la cavité intérieure, qui en était aussi remplie : je pressai un peu ce mamelon avec les doigts, et il en sortit assez de liqueur pour pouvoir l’observer un peu à loisir. Je retrouvai dans cette liqueur des globules mouvants qui paraissent être absolument semblables à ceux que j’avais vus auparavant dans la liqueur que j’avais exprimée de même du corps glanduleux d’une autre vache dont j’ai parlé (art. xxxvi) ; il me parut seulement qu’ils étaient en plus grande quantité, et que leur mouvement progressif était moins lent ; ils me parurent aussi plus gros, et les ayant considérés longtemps, j’en vis qui s’allongeaient et qui changeaient de figure ; j’introduisis ensuite un stylet très fin dans le petit trou du corps glanduleux, il y pénétra aisément à plus de quatre lignes de profondeur, et ayant ouvert le long du stylet ce corps glanduleux, je trouvai la cavité intérieure remplie de liqueur ; elle pouvait en contenir en tout deux grosses gouttes. Cette liqueur m’offrit au microscope les mêmes phénomènes, les mêmes globules en mouvement, mais je ne vis jamais dans cette liqueur, non plus que dans celle que j’avais observée auparavant (art. xxxvi), ni filaments, ni filets, ni queues à ces globules. La liqueur des vésicules que j’observai ensuite ne m’offrit rien de plus que ce que j’avais déjà vu les autres fois ; c’était toujours une matière presque entièrement transparente et qui ne contenait rien de mouvant : j’aurais bien désiré d’avoir de la semence de taureau pour la comparer avec celle de la vache, mais les gens à qui je m’étais adressé pour cela me manquèrent de parole.

XLI

On m’apporta encore, à différentes fois, plusieurs autres portières de vache ; je trouvai dans les unes les testicules chargés de corps glanduleux presque mûrs ; dans les testicules de quelques autres je vis que les corps glanduleux étaient dans différents états d’accroissement, et je ne remarquai rien de nouveau, sinon que dans deux testicules de deux vaches différentes je vis le corps glanduleux dans son état d’affaissement ; la base de l’un de ces corps glanduleux était aussi large que la circonférence d’une cerise, et cette base n’avait pas encore diminué de largeur, mais l’extrémité du mamelon était mollasse, ridée et abattue ; on y reconnaissait aisément deux petits trous par où la liqueur s’était écoulée. J’y introduisis avec assez de peine un petit crin, mais il n’y avait plus de liqueur dans le canal, non plus que dans la cavité intérieure, qui était encore sensible, comme je le reconnus en faisant fendre avec un scalpel ce corps glanduleux ; l’affaissement du corps glanduleux commence donc par la partie la plus extérieure, par l’extrémité du mamelon ; il diminue de hauteur d’abord, et ensuite il commence à diminuer en largeur, comme je l’observai sur un autre testicule où ce corps glanduleux était diminué de près des trois quarts ; il était presque entièrement abattu, ce n’était, pour ainsi dire, qu’une peau d’un rouge obscur qui était vide et ridée ; et la substance du testicule qui l’environnait à sa base avait resserré la circonférence de cette base et l’avait déjà réduite à plus de moitié de son diamètre.

XLII

Comme les testicules des femelles de lapin sont petits et qu’il s’y forme plusieurs corps glanduleux qui sont aussi forts petits, je n’ai pu rien observer exactement au sujet de leur liqueur séminale, quoique j’aie fait ouvrir plusieurs de ces femelles devant moi ; j’ai seulement reconnu que les testicules des lapines sont dans des états très différents les uns des autres, et qu’aucun de ceux que j’ai vus ne ressemble parfaitement à ce que Graaf a fait graver ; et je ne leur ai jamais vu une extrémité pointue comme il la dépeint ; mais je n’ai pas assez suivi ce détail anatomique pour en rien dire de plus.

XLIII

J’ai trouvé, sur quelques-uns des testicules de vache que j’ai examinés, des espèces de vessies pleines d’une liqueur transparente et limpide ; j’en ai remarqué trois qui étaient dans différents états : la plus grosse était grosse comme un gros pois, et attachée à la membrane extérieure du testicule par un pédicule membraneux et fort ; une autre un peu plus petite était encore attachée de même par un pédicule plus court ; et la troisième, qui était à peu près de la même grosseur que la seconde, paraissait n’être qu’une vésicule lymphatique beaucoup plus éminente que les autres. J’imagine donc que ces espèces de vessies qui tiennent au testicule, ou qui s’en séparent quelquefois, qui aussi deviennent quelquefois d’une grosseur très considérable, et que les anatomistes ont appelé des hydatides, pourraient bien être de la même nature que les vésicules lymphatiques du testicule ; car, ayant examiné au microscope la liqueur que contiennent ces vessies, je la trouvai entièrement semblable à celle des vésicules lymphatiques du testicule ; c’était une liqueur transparente, homogène, et qui ne contenait rien de mouvant. Au reste, je ne prétends pas dire que toutes les hydatides que l’on trouve, ou dans la matrice, ou dans les autres parties de l’abdomen, soient semblables à celles-ci ; je dis seulement qu’il m’a paru que celles que j’ai vues attachées aux testicules semblaient tirer leur origine des vésicules lymphatiques et qu’elles étaient en apparence de la même nature.

XLIV

Dans ce même temps je fis des observations sur de l’eau d’huîtres, sur de l’eau où l’on avait fait bouillir du poivre, et sur de l’eau où l’on avait simplement fait tremper du poivre, et encore sur de l’eau où j’avais mis infuser de la graine d’œillet ; les bouteilles qui contenaient ces infusions étaient exactement bouchées. Au bout de deux jours je vis dans l’eau d’huîtres une grande quantité de corps ovales et globuleux qui semblaient nager comme des poissons dans un étang, et qui avaient toute l’apparence d’être des animaux ; cependant ils n’ont point de membres, et pas même de queues ; ils étaient alors transparents, gros et fort visibles ; je les ai vus changer de figure sous mes yeux, je les ai vus devenir successivement plus petits pendant sept ou huit jours de suite qu’ils ont duré, et que je les ai observés tous les jours ; et, enfin, j’ai vu dans la suite, avec M. Needham, des animaux si semblables dans une infusion de gelée de veau rôti, qui avait aussi été bouchée très exactement, que je suis persuadé que ce ne sont pas de vrais animaux, au moins dans l’acception reçue de ce terme, comme nous l’expliquerons dans la suite.

L’infusion d’œillet m’offrit au bout de quelques jours un spectacle que je ne pouvais me lasser de regarder ; la liqueur était remplie d’une multitude innombrable de globules mouvants, et qui paraissaient animés comme ceux des liqueurs séminales et de l’infusion de la chair des animaux ; ces globules étaient même assez gros les premiers jours et dans un grand mouvement, soit sur eux-mêmes autour de leur centre, soit en droite ligne, soit en ligne courbe, les uns autour des autres ; cela dura plus de trois semaines ; ils diminuèrent de grandeur peu à peu, et ne disparurent que par leur extrême petitesse[NdÉ 5].

Je vis la même chose, mais plus tard, dans l’eau de poivre bouillie, et encore la même chose, mais encore plus tard, dans celle qui n’avait pas bouilli. Je soupçonnai dès lors que ce qu’on appelle fermentation pouvait bien n’être que l’effet du mouvement de ces parties organiques des animaux et des végétaux, et pour voir quelle différence il y avait entre cette espèce de fermentation et celle des minéraux, je mis au microscope un tant soit peu de poudre de pierre sur laquelle on versa une petite goutte d’eau forte, ce qui produisit des phénomènes tout différents : c’étaient de grosses bulles qui montaient à la surface et qui obscurcissaient dans un instant la lentille du microscope, c’était une dissolution de parties grossières et massives qui tombaient à côté et qui demeuraient sans mouvement, et il n’y avait rien qu’on pût comparer en aucune façon avec ce que j’avais vu dans les infusions d’œillet et de poivre.

XLV

J’examinai la liqueur séminale qui remplit les laites de différents poissons, de la carpe, du brochet, du barbeau : je faisais tirer la laite tandis qu’ils étaient vivants, et ayant observé avec beaucoup d’attention ces différentes liqueurs, je n’y vis pas autre chose que ce que j’avais vu dans l’infusion d’œillet, c’est-à-dire une grande quantité de petits globules obscurs en mouvement ; je me fis apporter plusieurs autres de ces poissons vivants, et ayant comprimé seulement en pressant un peu avec les doigts la partie du ventre de ces poissons par laquelle ils répandent cette liqueur, j’en obtins, sans faire aucune blessure à l’animal, une assez grande quantité pour l’observer, et j’y vis de même une infinité de globules en mouvement qui étaient tous obscurs, presque noirs et fort petits.

XLVI

Avant que de finir ce chapitre, je vais rapporter les expériences de M. Needham sur la semence d’une espèce de seiches, appelées calmar. Cet habile observateur ayant cherché des animaux spermatiques dans les laites de plusieurs poissons différents, les a trouvés d’une grosseur très considérable dans la laite du calmar ; ils ont trois ou quatre lignes de longueur, vus à l’œil simple. Pendant tout l’été qu’il disséqua des calmars à Lisbonne, il ne trouva aucune apparence de laite, aucun réservoir qui lui parût destiné à recevoir la liqueur séminale, et ce ne fut que vers le milieu de décembre qu’il commença à apercevoir les premiers vestiges d’un premier vaisseau rempli d’un suc laiteux. Ce réservoir augmenta, s’étendit, et le suc laiteux ou la semence qu’il contenait y était répandu assez abondamment. En examinant cette semence au microscope, M. Needham n’aperçut dans cette liqueur que de petits globules opaques qui nageaient dans une espèce de matière séreuse, sans aucune apparence de vie ; mais ayant examiné quelque temps après la laite d’un autre calmar et la liqueur qu’elle contenait, il y trouva des parties organiques toutes formées dans plusieurs endroits du réservoir, et ces parties organiques n’étaient autre chose que de petits ressorts faits en spirale et renfermés dans une espèce d’étui transparent. Ces ressorts lui parurent dès la première fois aussi parfaits qu’ils le sont dans la suite : seulement il arrive qu’avec le temps le ressort se resserre et forme une espèce de vis, dont les pas sont d’autant plus serrés que le temps de l’action de ces ressorts est plus prochain. La tête de l’étui dont nous venons de parler est une espèce de valvule qui s’ouvre en dehors, et par laquelle on peut faire sortir tout l’appareil qui est contenu dans l’étui ; il contient de plus une autre valvule, un barillet et une substance spongieuse. Ainsi toute la machine consiste en un étui extérieur, transparent et cartilagineux, dont l’extrémité supérieure est terminée par une tête arrondie qui n’est formée que par l’étui lui-même, qui se contourne et fait office de valvule. Dans cet étui extérieur est contenu un tuyau transparent qui renferme le ressort dont nous avons parlé, une soupape, un barillet et une substance spongieuse ; la vis occupe la partie supérieure du tuyau et de l’étui, le piston et le barillet sont placés au milieu, et la substance spongieuse occupe la partie inférieure. Ces machines pompent la liqueur laiteuse, la substance spongieuse qu’elles contiennent s’en remplit, et avant que l’animal fraie, toute la laite n’est plus qu’un composé de ces parties organiques qui ont absolument pompé et desséché la liqueur laiteuse ; aussitôt que ces petites machines sortent du corps de l’animal et qu’elles sont dans l’eau ou dans l’air, elles agissent, le ressort monte, suivi de la soupape, du barillet et du corps spongieux qui contient la liqueur, et dès que le ressort et le tuyau qui le contient commencent à sortir hors de l’étui, ce ressort se plie, et cependant tout l’appareil qui reste en dedans continue à se mouvoir jusqu’à ce que le ressort, la soupape et le barillet soient entièrement sortis ; dès que cela est fait, tout le reste saute dehors en un instant, et la liqueur laiteuse qui avait été pompée et qui était contenue dans le corps spongieux s’écoule par le barillet[NdÉ 6].

Comme cette observation est très singulière et qu’elle prouve incontestablement que les corps mouvants qui se trouvent dans la laite du calmar ne sont pas des animaux, mais de simples machines, des espèces de pompes, j’ai cru devoir rapporter ici ce qu’en dit M. Needham, ch. vi[1].

« Lorsque les petites machines sont, dit-il, parvenues à leur entière maturité, plusieurs agissent dans le moment qu’elles sont en plein air, cependant la plupart peuvent être placées commodément pour être vues au microscope avant que leur action commence ; et même pour qu’elle s’exécute il faut humecter avec une goutte d’eau l’extrémité supérieure de l’étui extérieur, qui commence alors à se développer, pendant que les deux petits ligaments qui sortent hors de l’étui se contournent et s’entortillent en différentes façons. En même temps la vis monte lentement, les volutes qui sont à son bout supérieur se rapprochent et agissent contre le sommet de l’étui ; cependant celles qui sont plus bas avancent aussi et semblent être continuellement suivies par d’autres qui sortent du piston ; je dis qu’elles semblent être suivies, parce que je ne crois pas qu’elles le soient effectivement : ce n’est qu’une simple apparence produite par la nature du mouvement de la vis. Le piston et le barillet se meuvent aussi suivant la même direction, et la partie inférieure qui contient la semence s’étend en longueur et se meut en même temps vers le haut de l’étui, ce qu’on remarque par le vide qu’elle laisse au fond. Dès que la vis, avec le tube dans lequel elle est renfermée, commence à paraître hors de l’étui, elle se plie, parce qu’elle est retenue par ses deux ligaments ; et cependant tout l’appareil intérieur continue à se mouvoir lentement, et par degrés, jusqu’à ce que la vis, le piston et le barillet soient entièrement sortis : quand cela est fait, tout le reste saute dehors en un moment ; le piston se sépare du barillet ; le ligament apparent, qui est au-dessous de ce dernier, se gonfle et acquiert un diamètre égal à celui de la partie spongieuse qui le suit : celle-ci, quoique beaucoup plus large que dans l’étui, devient encore cinq fois plus longue qu’auparavant ; le tube qui renferme le tout s’étrécit dans son milieu, et forme ainsi deux espèces de nœuds, distants environ d’un tiers de sa longueur de chacune de ses extrémités ; ensuite la semence s’écoule par le barillet, et elle est composée de petits globules opaques, qui nagent dans une matière séreuse, sans donner aucun signe de vie, et qui sont précisément tels que j’ai dit les avoir vus, lorsqu’ils étaient répandus dans le réservoir de la laite[2]. Dans la figure, la partie comprise entre les deux nœuds paraît être frangée : quand on l’examine avec attention, l’on trouve que ce qui la fait paraître telle, c’est que la substance spongieuse qui est en dedans du tube est rompue et séparée en parcelles à peu près égales ; les phénomènes suivants prouveront cela clairement.

» Quelquefois il arrive que la vis et le tube se rompent précisément au-dessus du piston, lequel reste dans le barillet ; alors le tube se ferme en un moment et prend une figure conique en se contractant, autant qu’il est possible, par-dessus l’extrémité de la vis ; cela démontre qu’il est très élastique en cet endroit, et la manière dont il s’accommode à la figure de la substance qu’il renferme, lorsque celle-ci souffre le moindre changement, prouve qu’il l’est également partout ailleurs. »

M. Needham dit ensuite qu’on serait porté à croire que l’action de toute cette machine serait due au ressort de la vis ; mais il prouve par plusieurs expériences que la vis ne fait au contraire qu’obéir à une force qui réside dans la partie spongieuse ; dès que la vis est séparée du reste, elle cesse d’agir et elle perd toute son activité. L’auteur fait ensuite des réflexions sur cette singulière machine.

« Si j’avais vu, dit-il, les animalcules qu’on prétend être dans la semence d’un animal vivant, peut-être serais-je en état de déterminer si ce sont réellement des créatures vivantes, ou simplement des machines prodigieusement petites, et qui sont en miniature ce que les vaisseaux du calmar sont en grand. »

Par cette analogie et par quelques autres raisonnements, M. Needham conclut qu’il y a grande apparence que les vers spermatiques des autres animaux ne sont que des corps organisés et des espèces de machines semblables à celles-ci, dont l’action se fait en différents temps ; car, dit-il, supposons que dans le nombre prodigieux de vers spermatiques qu’on voit en même temps dans le champ du microscope, il y en ait seulement quelques milliers qui agissent et se développent en même temps, cela suffira pour nous faire croire qu’ils sont tous vivants : concevons de même, ajoute-t-il que le mouvement de chacun de ces vers spermatiques dure, comme celui des machines du calmar, environ une demi-minute ; alors, comme il y aura succession d’action et de machines les unes aux autres, cela pourra durer longtemps, et les prétendus animaux paraîtront mourir successivement. D’ailleurs, pourquoi le calmar seul n’aurait-il dans sa semence que des machines, tandis que tous les autres animaux auraient des vers spermatiques, de vrais animaux ? L’analogie est ici d’une si grande force, qu’il ne paraît pas possible de s’y refuser. M. Needham remarque encore très bien que les observations mêmes de Leeuwenhoek semblent indiquer que les vers spermatiques ont beaucoup de ressemblance avec les corps organisés de la semence du calmar. J’ai pris, dit Leeuwenhoek en parlant de la semence du cabillaud, ces corps ovales pour ceux des animalcules qui étaient crevés et distendus, parce qu’ils étaient quatre fois plus gros que les corps des animalcules lorsqu’ils étaient en vie ; et dans un autre endroit, j’ai remarqué, dit-il, en parlant de la semence du chien, que ces animaux changent souvent de figure, surtout quand la liqueur dans laquelle ils nagent s’évapore ; leur mouvement progressif ne s’étend pas au delà du diamètre d’un cheveu. (Voyez Leeuwenhoek, Arc. nat., pages 306, 309 et 319.)

Tout cela étant pesé et examiné, M. Needham a conjecturé que les prétendus animaux spermatiques pouvaient bien n’être en effet que des espèces de machines naturelles, des corps bien plus simplement organisés que le corps d’un animal. J’ai vu à son microscope, et avec lui, ces mêmes machines de la laite du calmar, et on peut être assuré que la description qu’il en a donnée est très fidèle et très exacte. Ces observations nous font donc voir que la semence est composée de parties qui cherchent à s’organiser, qu’elle produit en effet dans elle-même des corps organisés, mais que ces corps organisés ne sont pas encore des animaux ni des corps organisés semblables à l’individu qui les produit. On pourrait croire que ces corps organisés ne sont que des espèces d’instruments qui servent à perfectionner la liqueur séminale et à la pousser avec force, et que c’est par cette action vive et intérieure qu’elle pénètre plus intimement la liqueur de la femelle.


Notes de Buffon
  1. Voyez Nouvelles découvertes faites avec le microscope par M. Needham. Leyde, 1747, p. 53.
  2. Je dois remarquer que M. Needham n’avait pas alors suivi ces globules assez loin, car, s’il les eût observés attentivement, il aurait sans doute reconnu qu’ils viennent à prendre de la vie, ou plutôt de l’activité et du mouvement, comme toutes les autres parties organiques des semences animales ; et de même, si dans ce temps, il eût observé la première liqueur laiteuse dans les vues qu’il a eues depuis, d’après ma théorie que je lui ai communiquée, je ne doute pas, et il le croit lui-même, qu’il aurait vu entre ces globules quelque mouvement d’approximation, puisque les machines se sont formées de l’assemblage de ces globules ; car on doit observer que les ressorts, qui sont les parties qui paraissent les premières, sont entièrement détachés du vaisseau séminal qui les contient, et qu’ils nagent librement dans la liqueur, ce qui prouve qu’il sont formés immédiatement de cette même liqueur.
Notes de l’éditeur
  1. On a vu déjà, dans un chapitre précédent, que Buffon admet l’existence dans le monde d’un nombre pour ainsi dire infini de « parties organiques vivantes » à l’aide desquelles se formerait et s’accroîtrait le corps des animaux et des végétaux. Cette première idée domine tout son système de la génération. Il n’a d’autre préoccupation que de trouver les « parties organiques vivantes » dans le corps de la femelle et dans celui du mâle. C’est dans ce but qu’il attache tant d’importance à la découverte d’une « liqueur séminale » de la femelle qui n’existe pas ; il cherche, en effet, dans ces liqueurs les parties organiques vivantes qui, par leur union, formeront le jeune animal.
  2. Et où il existe véritablement.
  3. Il est difficile de comprendre comment Buffon a pu commettre une aussi grave erreur d’observation que celle dont il parle ici. Le liquide des vésicules de de Graaf ne contient pas du tout de « corps mouvants avec des queues ». Il ne faut pas oublier que les « corps glanduleux » sur lesquels Buffon porte toute son attention, qu’il considère comme les glandes femelles parvenues à maturité, sont des vésicules de de Graaf ayant déjà expulsé leur œuf et en voie de cicatrisation, ce que l’on nomme aujourd’hui les corps jaunes.
  4. Le petit trou est l’orifice par lequel l’œuf est sorti de la vésicule de de Graaf.
  5. Il est à peine besoin de dire que les organismes dont parle ici Buffon sont des Infusoires. L’étonnement qu’il manifeste suffit pour donner une idée de l’ignorance dans laquelle il se trouvait de tout ce qui concerne les animaux inférieurs.
  6. Buffon décrit ici les spermatophores du calmar.