Œuvres complètes de Deschamps/Tome 9
Le Miroir de Mariage1.
487 a I. — Comment l’acteur commence sa matere des amis de Fortune.
oult sont d’amis et de parens*
Qui se moustrent plus apparens
De paroles a leurs amis,
Quant Fortune hault les a mis,
Que du leur n’y vouldroient traire, 5
Quant Fortune leur est contraire,
Et conceillent en conceillent
Conceil perilleux, essillenta
Selon la voulenté qu’ilz ont,
Et faingnent ainsi qu’ilz le font 10
Par vraie amour et naturele.
Mais l’entencion n’est pas tele,
Car se l’ami avoit doleur,
Riens n’y meteroient2 du leur ;
Ains si tost qu’estat lui fauldroit, 15
Ung chascun d’eulx en son endroit
Le3 larroit, c’est chose commune :
Ce sont les amis de Fortune,
Qui suient l’estat et l’avoir,
Non pas le corps, je vous di voir.
Mais l’ami de vraie amité
Suit l’ami en adversité,
Non pour remuneracion,
Pour estat, pour possession
Ne pour chose que cilz li donne,
Fors pour l’amour de sa personne,
Et le poursuit com vray afin (a)
Et porte (b) jusques a la fin
De cuer, de corps et de chevance,
Sanz fiction de decepvance.
II. Comment l’en pourra discerner entre vray ami et ami fortunel, et comment desir, folie, servitute et faintise viennent admonnester a franc vouloir qu’il se marie pour avoir lignie, afin qu’il puisse continuer son espece.
Et veulz tu congnoistre en appert (c)
Vray amy, aussi le couvert (d) ?
Le vray amy, se tu faiz mal,
Lui saichant, par especial
Le te dira pour toy garder.
Lors doiz tu a ce regarder,
Et s’aucuns besoings te court seure
Vraiz amis est qui en celle heure (e)
Apporte le sien, et avole(f)
De fait et non pas de parole,
Sanz ton parler, sanz ta requeste.
I. franchise.
(a). Parent.
(b). Et le soutient.
(c). Réellement.
(d). Faux.
(e). Presse.
Mais le faulx ami, par ma teste,
Blandist, flatte et va decepvent,
Et se tourne avecques le vent
Et consentira ta folie
Pour toy plaire a ce ne te lie
Chiens et oyseaulx te promettra
En ta bonneurté te sera
Compains, subgez obéissens
Il t’offerra milliers et cens
De flourins et quanqu’il couvient ;
Mais s’adverse fortune vient,
Et le requiers par adventure,
Tu trouveras response dure,
Ou il fera qu’il ne te voie.
Ou il fuira toudis ta voie,
Ou il dira : « Je n’ay denier :
J’ay bien du bief en mon grenier
Pour vivre jusques aux nouveaux
Je n’ay meubles, vaiches ne veaux
De quoy je puisse faire argent. »
La se moustrera indigent,
Se tu as ton estat perdu.
Tel ami soient confundu !
De paroles et non de fait
Est maint ami qui ainsi fait.
Si doit on l’ami tenir chier
Qui son avoir fait desmarchier (a),
Et qui l’apporte de son coffre
A son ami, ainçois qu’il l’offre,
Quant il voit que mestier li est ;
Et qui treuve un tel ami prest,
Il en doit faire son tresor,
Garder et amer com fin or
Et le croire, amer et cherir ;
Ci commencent les rubriches du livre appellé le Miroer de mariage
- ↑ Le mot manque à la table.