Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 01/Neuvième leçon

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 1, 1862p. 279-317).


COMMENT LES LETTRES


ENTRÈRENT DANS LE CHRISTIANISME


(NEUVIÈME LEÇON)




Messieurs,


Pendant que l’inspiration poétique s’éteignait, nous avons vu la tradition littéraire se perpétuer et s’affermir. Elle a son asile dans ces écoles que la politique des empereurs dote et multiplie, faisant du professorat une magistrature et de la science une institution. En matière d’enseignement, la loi romaine respecte la liberté, mais, en même temps, elle constitue l’autorité, et n’abandonne pas au hasard la culture des âmes. Elle maintient les droits du père de famille et ne lui refuse ni d’envoyer son fils aux grammairiens mercenaires dont des voiles de pourpre annoncent la demeure, ni même d’acheter, selon l’ancien usage, un esclave rhéteur au marché ; mais, en même temps, elle fonde une instruction publique qui serve de modèle et de règle, ne laisse rien périr des richesses de l’esprit humain, et les transmette scrupuleusement de main en main et sous un contrôle sévère. Nous avons vu avec quelle ardeur, au cinquième siècle, cette tradition est relevée, cultivée par tout un peuple de grammairiens, de rhéteurs, de scoliastes ; comment ils s’attachent au texte des anciens, s’efforcent d’en déduire les règles de la langue, les principes de chaque science, et de renfermer enfin toutes les connaissances humaines dans le cadre de cette encyclopédie que Martianus Capella achève à Rome en 470. Au moment où l’empire allait crouler, il fallait à tout prix sauver les lettres. On aurait bien étonné Claudien, Rutilius, Sidoine Apollinaire et tout ce qui restait de poëtes ou de gens prenant ce nom, si on leur avait dit que la postérité leur préférerait beaucoup Donatus, Servius, Macrobe, ces savants obscurs, ces tyrans des syllabes ; et cependant la postérité avait raison : car c’est chez les commentateurs et les grammairiens qu’elle trouvait d’abord la langue antique, et, avec elle, l’ensemble des connaissances, des idées, qui représentaient toute l’expérience du monde ancien ; elle y trouvait tous les textes de la littérature classique, conservés avec une scrupuleuse exactitude, transmis avec une sollicitude qui n’avait pas laissé périr une page ; elle y trouvait enfin et par-dessus tout l’exemple du travail, de l’étude épineuse. ingrate et désintéressée, car ces hommes ne pouvaient pas prévoir la récompense qui leur serait donnée. C’était là peut-être ce que les temps barbares devaient recueillir de plus précieux dans cette langue : quand Horace a dit que la lyre d’Orphée avait civilisé les peuples, je crains que son imagination ne l’ait trompé. Sans doute les muses sont pour quelque chose dans cette marche de la civilisation, sans doute les peuples ont aimé à voir les poëtes à leur tête, surtout dans les siècles difficiles ; mais souvent ces guides divins leur ont manqué : ce qui ne manque jamais aux nations qui doivent grandir, c’est le travail. Je ne me lasserai pas de le dire, car les époques que nous avons à traverser ensemble sont surtout des époques laborieuses, et c’est là que nous apprendrons quelles difficultés et quel mérite il y avait à plier à l’étude, à courber sur des textes, à enfermer dans des écoles, à faire asseoir sur des bancs, tous ces descendants de barbares dont les pères avaient hanté les forêts de la Germanie. C’étaient là les gens qu’il fallait civiliser, et le commencement de cette civilisation fut le travail : le génie vint ensuite pour en être la récompense et la fleur.

Mais, pour que la tradition littéraire de l’antiquité arrivât jusqu’au moyen âge, il fallait avant tout qu’elle passât par le christianisme ; il fallait que les lettres se fissent chrétiennes, que l’école voulût entrer dans l’église et que l’église voulût ouvrir ses portes à l’école. Et il ne s’agissait pas d’une question facile, mais d’un problème qui devait tourmenter pendant de longs siècles l’esprit humain, qui n’a pas cessé de le tourmenter ; il s’agissait de conclure un traité qui semble n’avoir jamais été définitif, tant il a fallu le recommencer et tant nous le voyons encore se débattre dans les temps où nous sommes ! Il y avait à résoudre ces questions immortelles des rapports de la science et de la foi, de l’alliance de l’Évangile et de la littérature profane, de la concordance de la religion et de la philosophie. Ces questions, qui sont encore posées tous les jours, étaient aussi, et autant que jamais, celles des siècles où nous entrons.

Mais ce qui les rendait bien autrement obscures et périlleuses au cinquième siècle, c’est que les écoles étaient profondément païennes. Nous savons en effet tout ce que le syncrétisme alexandrin avait tenté pour réunir et confondre la religion et les lettres ; nous savons que, sous l’influence de ces doctrines alexandrines, la poésie était redevenue un culte, un moyen de populariser la croyance aux faux dieux, l’éloquence était devenue une prédication, la philosophie une théologie : ainsi, tandis que Claudien reproduisait dans ses vers l’histoire de l’enlèvement de Proserpine, et faisait pénétrer de force tous les dieux du paganisme dans le conseil des princes chrétiens, en même temps le rhéteur Acacius écrit à Libanius, avec un accent de triomphe, qu’il a prêché dans le temple d’Esculape, qu’il a fait cette innovation de louer les dieux dans un discours en prose prononcé en présence des païens, non sans oublier d’injurier les chrétiens, dont le voisinage faisait ombrage aux immortels. Jamblique, Maxime d’Éphèse, et tous les derniers disciples de Plotin, qui avaient suivi ou altéré ses doctrines, plongés dans toutes les aberrations de la théurgie, n’étaient occupés qu’à invoquer les démons et les dieux. Le dernier rempart du paganisme était chez ces rhéteurs, ces poëtes, ces philosophes, aussi bien en Occident qu’en Orient : Libanius s’en félicite et nous dit qu’à Rome les sophistes grecs ont encore beaucoup d’alliés ; c’est aussi le témoignage d’Ausone, qui, parmi les professeurs publics de Bordeaux, compte un nommé Phœbitius, prêtre de Bélénus, qui se vantait d’être issu de la race des druides. L’école était si nécessairement païenne, que c’était une question de savoir jusqu’à quel point un chrétien pouvait continuer d’enseigner les lettres, et Tertullien n’hésitait pas à adopter la négative, « car, disait-il, il faut qu’ils enseignent les noms des dieux, leurs généalogies, les attributs que leur prête la Fable ; qu’ils observent les solennités et les fêtes païennes d’où dépendent leurs émoluments… La première redevance apportée par l’élève est consacrée à l’honneur et au nom de Minerve…… les étrennes se donnent au nom de Janus ; si les édiles sacrifient, c’est jour férié[1], » et Tertullien conclut en défiant celui qui enseigne les lettres de pouvoir se dégager de ces liens de l’idolâtrie.

Mais un lien bien autrement fort, c’était le charme de ces fables discréditées, ce semble, qui faisaient hausser les épaules à Cicéron et embarrassaient Varron. Ces fables semblent ressusciter en présence du christianisme : en présence de ces doctrines si sévères, si pleines de mortifications et d’austérités, quelque chose de charnel et d’enchanteur se soulève et se rejette avec force du côté des grâces, des muses et des voluptés. Voilà à quels attraits il fallait s’arracher pour que les lettres devinssent chrétiennes, voilà contre quelles tendances il fallait lutter pour entrer au giron de la vérité nouvelle, qui ordonnait d’abandonner même les charmes et les illusions d’esprit. Il ne faut donc pas s’étonner du grand nombre d’apostasies que l’on trouve, à cette époque, parmi les gens de lettres. Ne sont-ce pas les muses de la Grèce, Homère lui-même, qui deviennent coupables de l’apostasie de Julien ? Quand Julien est monté sur le trône, faut-il nous étonner de voir tous ces gens de lettres se précipiter dans les temples à sa suite ? De même encore, lorsque Théodose rend ses décrets terribles contre l’apostasie, on sent que ce mal ronge profondément le christianisme. Licentius, élève de saint Augustin, un jeune homme en qui il a mis toutes ses complaisances, qui a passé plusieurs mois avec lui dans ces sublimes et familiers entretiens de Cassiciacum, Licentius est chrétien ; cependant le démon de la poésie le poursuit, le tourmente, et il s’échappe pour aller composer une pièce sur Pyrame et Thisbé. Rien n’est plus touchant que de voir alors les efforts de saint Augustin : tantôt il raille Licentius, et il essaye de l’arracher à ses muses, tantôt, croyant le conseil plus sage, il l’engage à continuer, à finir ces fables ; mais, lorsqu’il aura représenté ces deux êtres mourants aux pieds l’un de l’autre, qu’il donne carrière à sa verve pour faire entendre les louanges de cet amour vainqueur qui mène les âmes à la lumière, qui les fait vivre et jamais ne les fait périr. Ces conseils semblent empreints d’une sagesse souveraine, et qui peut dire qu’ils ne fussent pas périlleux ? Saint Augustin retourna en Afrique ; Licentius fut attiré à Rome par les honneurs et par les plaisirs ; il y trouva des fêtes et fut bientôt entouré de toute l’aristocratie païenne ; il eut un songe et rêva que les dieux lui apparaissaient, lui promettant, s’il revenait à eux, qu’il serait consul et souverain pontife : ce songe, ces fêtes et la poésie aidant, Licentius redevint païen.

Voilà les irrésolutions de ces âmes de poëtes, de philosophes, de toutes ces âmes littéraires dont le mal éternel est une sorte d’incorrigible faiblesse, une mollesse de cœur qui laisse prise aux séductions, une activité d’esprit qui aperçoit, du même coup d’œil, le fort et le faible des choses, et qui se trouve en même temps incapable de se décider, de choisir, par l’excès de savoir ; belles intelligences servies par des volontés faibles ! Que nous en connaissons de ces âmes irrésolues qui n’ont pas le courage de la foi !

De là les efforts de saint Paulin écrivant à Jovius pour l’engager à devenir chrétien et pour résoudre ses doutes. « Tu respires les parfums de tous les poëtes, tu portes dans ton sein tous les fleuves d’éloquence des orateurs, tu t’es baigné à toutes les fontaines de la philosophie, tu as goûté au miel des lettres attiques. Où sont les affaires quand tu lis Démosthènes ou Cicéron, quand tu relis Xénophon, Platon, Caton, Varron, et tant d’autres dont je ne sais pas même les noms, et dont tu sais les livres entiers ? Pour te livrer à eux, tu es libre et maître de toi. S’il s’agit de connaître le Christ, c’est-à-dire la sagesse de Dieu, tu es esclave des affaires ; tu trouves le temps d’être philosophe et tu ne le trouves pas d’être chrétien. Change plutôt de pensées, porte ailleurs ton éloquence ; car on n’exige point que tu abdiques la philosophie, pourvu que tu la consacres par la foi, et que, l’unissant à la religion, tu en fasses un plus sage emploi. Sois le philosophe de Dieu, le poëte de Dieu, empressé non plus de le chercher, mais de l’imiter. Mets ta science dans ta vie plus que dans tes paroles, et fais de grandes choses au lieu de grands discours[2]. » Voilà le langage mâle et ferme qu’il fallait tenir à ces générations amollies, à ces générations de gens d’esprit, à ces générations d’hommes sensibles et impuissants qu’il fallait précipiter de force, en quelque sorte, dans les saintes et fécondes austérités de la foi.

À la fin, cependant, ces efforts furent bénis ; de bonne heure on commence à voir un certain nombre d’âmes plus fortes qui ont le courage de s’enfoncer dans ces mystères, où elles trouveront la récompense de leur héroïsme : ce sont d’abord Quadratus, Athénagore, saint Justin, c’est-à-dire les élèves des plus illustres écoles philosophiques de la Grèce ; plus tard ce sont les rhéteurs Tertullien, Arnobe, Lactance. Jusqu’ici, en entrant dans le christianisme, en général, ils ferment leurs écoles et les quittent, ils abjurent leur métier de rhéteurs dont ils ont honte, et ne peuvent le concilier avec les lettres chrétiennes. Bientôt le christianisme leur demandera un sacrifice de plus : de conserver la science et de rester dans leurs écoles, avec tous les périls, toutes les charges et toutes les difficultés nouvelles de la foi.

C’est ainsi qu’au quatrième siècle saint Basile trouvera un maître chrétien dans la personne de Prohérésius ; et que les deux Apollinaire, l’un poëte, l’autre rhéteur, traduiront l’Ancien Testament en vers pour reproduire la forme des poëmes épiques, et le Nouveau Testament en dialogue à la manière de Platon, afin de conserver chez les anciens ces traditions littéraires qui leur étaient si précieuses. C’est ainsi que Julien a peur des maîtres chrétiens et rend cet édit, chef-d’œuvre d’hypocrisie, où il dit : « Comme maintenant nous jouissons, grâces aux dieux, de la liberté, je tiens pour absurde de laisser les gens enseigner des poëtes qu’ils réprouvent. Quoi donc ! Homère, Hésiode, Démosthènes, Hérodote, n’avouent-ils pas les dieux pour auteurs de leur science ? Plusieurs d’entre eux ne s’étaient ils pas consacrés à Mercure et aux Muses ? Si donc ces maîtres les croient dans l’erreur, qu’ils aillent dans les églises des Galiléens interpréter Luc et Matthieu. » Cette persécution, que le christianisme trouva la plus odieuse de toutes celles qu’il eut à subir, atteste quel était le nombre des maîtres chrétiens, car on voit de toutes parts s’élever des protestations éclatantes. Les uns fermaient leurs écoles, les autres les maintenaient et cherchaient à éluder les rigueurs de la loi nouvelle.

Cependant le temps arrivait où ces résistances devenaient inutiles, où tout cédait à la force dominatrice du christianisme, où les derniers rhéteurs allaient être obligés de se rendre. Lisez l’histoire de Victorin.

« Victorin était Africain et enseignait à Rome la rhétorique depuis longtemps ; il avait vu entre ses disciples les plus illustres sénateurs, et on lui avait érigé pour son mérite une statue dans le forum de Trajan : mais il était demeuré idolâtre jusques à la vieillesse. À la fin, il se convertit. Il lisait l’Écriture sainte, examinait soigneusement tous les livres chrétiens, et disait en secret à un ami chrétien qu’il avait, nommé Simplicien : — Sachez que je suis déjà chrétien. Simplicien répondait : — Je n’en croirai rien, que je ne vous voie dans l’église. Victorin se moquait de lui en disant : — Sont-ce les murailles qui font les chrétiens ? Ils se redirent souvent la même chose de part et d’autre : car Victorin craignait de choquer des amis puissants qu’il avait parmi les idolâtres. Enfin, s’étant fortifié par la lecture, il eut peur que Jésus-Christ ne le renonçât devant les saints anges, s’il craignait de le confesser devant les hommes ; il vint trouver Simplicien lorsqu’il s’y attendait le moins, et lui dit : — Allons à l’église : je veux devenir chrétien. Simplicien, transporté de joie, l’y conduisit. Victorin reçut les cérémonies du catécuménat, et donna son nom peu après pour être baptisé, au grand étonnement de Rome et au grand dépit des païens. Quand vint l’heure de faire la profession de foi, que l’on prononçait à Rome d’un lieu élevé, à la vue de tous les fidèles, les prêtres offrirent à Victorin de le faire en secret, comme on l’accordait à quelques-uns que la honte pouvait troubler : mais il aima mieux la prononcer en public. Lorsqu’il monta pour réciter le symbole, comme il était connu de tout le monde, il s’éleva un murmure universel, chacun disant tout bas pour s’en réjouir avec son voisin : — Victorin ! Victorin ! Un moment après, le désir de l’entendre fit faire silence, il prononça le symbole avec fermeté, et chacun des assistants le mettait dans son cœur par la joie et l’amour[3]. »

C’est ainsi que l’école entre dans l’Église ; mais il s’agit de savoir si l’Église recevra l’école et lui ouvrira ses portes, si des difficultés nouvelles ne vont pas arrêter les lettres dans cet effort qu’elles font pour se réconcilier avec un culte si nouveau pour elles. Il semble d’abord que le christianisme doive se prêter difficilement à cette alliance des lettres avec la foi ; car la foi se présente comme principe supérieur, dominant, qui écrase la science humaine. C’est la parole de saint Paul qui fait gloire au christianisme d’avoir été réputé folie par les Grecs ; il se plaît à son tour à confondre cette sagesse orgueilleuse de la Grèce, il se félicite de ce que le christianisme n’ait eu pour lui qu’un petit nombre de sages, et ait choisi de préférence les ignorants, les petits, ceux qui n’étaient rien, afin de confondre par eux les savants et les puissants. Ce n’est pas avec des paroles apprises dans des écoles d’éloquence, chez les philosophes dont il les engage à se défier, que leur parle l’apôtre, et il a raison ; car Cicéron lui-même a dit qu’il fallait s’en défier, que la philosophie est l’ornement de l’esprit humain, mais qu’il faut prendre garde d’y chercher la règle des mœurs, qu’il est un guide plus fort et plus sûr, l’usage, mos majorum, et qu’il n’y a pas d’erreur qui n’ait été enseignée par les philosophes. L’apôtre a encore raison lorsque nous voyons la philosophie pénétrer dans le christianisme avec les gnostiques qui le réduisent à n’être plus qu’une mythologie, qui opposent sans cesse le monde de la matière au monde de l’esprit qu’ils font éternels tous les deux, renouvelant toutes les erreurs du panthéisme et du dualisme oriental. Il y a là une partie de la vérité, mais ce n’est pas la vérité tout entière : le christianisme avait aussi enseigné que le Verbe est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde : comment fouler aux pieds la raison, après lui avoir donné cette divine origine ? Aussi saint Paul ne manquait pas de dire que la philosophie de l’antiquité avait connu Dieu, que les œuvres de Dieu, manifestées à l’homme, avaient suffi pour lui faire connaître son Créateur, et que le crime des philosophes ne fut pas d’ignorer, mais de cacher la vérité, de la retenir captive, de bien se garder de la faire paraître au dehors pour ne point subir le sort d’Anaxagore et de Socrate ; de n’avoir rien osé, d’avoir reculé, abandonnant la vérité qu’ils devaient servir. De là deux principes également proposés par saint Paul, et également maintenus par le christianisme : il reconnaît l’insuffisance de la raison et la puissance de la raison ; le danger des lettres et l’utilité des lettres, deux principes qui s’accordent, mais qui devaient s’isoler et inspirer diversement deux écoles différentes.

Cependant il semble que l’accord voulu par l’apôtre a été compris : l’Orient tout illuminé des lumières d’Alexandrie, la Grèce enchantée des paroles qui ont retenti dans Athènes, ces peuples spéculatifs occupés du beau et du vrai ne peuvent pas se résoudre à se laisser arracher l’héritage de tant de chefs-d’œuvre, de tant de merveilles, de cet enseignement qu’ils ont reçu de leurs ancêtres. Aussi on voit de bonne heure les efforts se combiner pour rapprocher la foi et la science, pour conclure la paix et une paix durable entre ces deux rivales ; et c’est là le motif qui préside à la fondation de l’école catéchétique d’Alexandrie qui paraît remonter au temps des apôtres, bien qu’un des premiers maîtres connus soit saint Pantène, qui vivait au second siècle.

À Antioche, à Césarée, à Nisibe, à Édesse, nous voyons, à la même époque, s’élever de grandes écoles théologiques dans lesquelles on s’efforce d’éclairer les obscurités de la philosophie ancienne à la lumière du christianisme, et réciproquement, d’entourer les mystères chrétiens de toutes les lumières légitimes de la raison humaine. C’est ce grand travail dont saint Clément d’Alexandrie nous donne l’exemple dans ses trois ouvrages : l’Exhortation aux Grecs, le Pédagogue et les Stromates. Ce n’est pas le lieu d’examiner ici ces trois admirables livres, mais nous en recueillerons les principales pensées. Saint Clément d’Alexandrie veut que la philosophie elle-même, que la science profane soit asservie à la foi, il lui prédit une sorte de servage comme Agar à Sara ; mais, en même temps, il veut que la servante soit traitée comme sœur, et voici en quels termes il s’en explique : « Non, la philosophie ne nuit point à la vie chrétienne, et ceux-là l’ont calomniée qui l’ont représentée comme une ouvrière de fausseté et de mauvaises mœurs, quand elle est la lumière, une image de la vérité, un don que Dieu a fait aux Grecs, et qui, loin de nous arracher à la foi par un vain prestige, nous donne un rempart de plus, et devient pour nous comme une science sœur qui ajoute à la démonstration de la foi…. Car la philosophie fut le pédagogue des Grecs comme la loi fut le pédagogue des Hébreux, pour conduire les uns et les autres au Christ[4]. »

La méthode de Clément d’Alexandrie est aussi celle d’Origène, dont tous les efforts tendent à comparer, à rapprocher les doctrines philosophiques de son temps, afin de faire surgir, non pas le doute de leurs contradictions, mais, de leur accord, les vérités fondamentales sur lesquelles il établira les premières assises de la foi. C’est aussi là l’enseignement de Grégoire de Nysse, d’Eusèbe, de Synésius, de Némésius et de tous ces Orientaux si remplis, si enchantés encore des doctrines de Platon.

Mais c’est surtout dans saint Basile, dans cet ami de saint Grégoire de Nazianze, dans ce rival de Julien, élève de l’école d’Athènes au moment où le christianisme y jetait ses premiers rayons, c’est là qu’il faut chercher les véritables et saines doctrines sur le partage que le chrétien doit faire dans ce legs profane de l’antiquité ; c’est lui qui improvisait et écrivait ensuite pour les écoles cette homélie sur l’usage qu’on doit faire des écrivains païens, où, commençant par établir la nécessité de subordonner toutes choses à la vie future, il reconnaît ensuite que la vie future elle-même peut emprunter quelques lumières à ces lettres qui sont l’ornement de la vie présente ; car, comme il le dit dans sa belle langue, qui, avec ses comparaisons, rappelle bien le langage de Platon : Comme les teinturiers disposent par de certaines préparations le tissu destiné à la teinture, et le trempent ensuite dans la pourpre, ainsi, pour que la pensée du bien demeure ineffaçable dans nos âmes, nous nous initierons premièrement à ces connaissances du dehors, et ensuite nous écouterons l’enseignement sacré des mystères… Et comme encore la vertu propre des arbres est de porter leurs fruits dans la saison, et que cependant ils se parent de fleurs et de rameaux verts, de même la vérité sacrée est le fruit de l’âme, mais il y a quelque grâce à la revêtir d’une sagesse étrangère, comme d’un feuillage qui abrite le fruit, et lui prête le charme de sa verdure[5]. » Et, appliquant ces maximes, il considère ce qu’on peut recevoir et adopter de la sagesse des anciens, et ce qu’il faut, au contraire, repousser loin de soi ; ce qu’il faut fuir dans les poëtes, ce sont les peintures du vice, c’est ce qu’ils enseignent de la nature des faux dieux, les sentiments voluptueux, trop souvent l’âme de leurs poëmes, c’est ce paganisme farouche qui ne connaît plus ni sœur, ni mère, ni charité ; mais il faut savoir, en même temps, démêler et retenir tout ce qui inspire de la vertu ; il faut savoir reconnaître Homère bien moins encore comme le fabuleux narrateur des amours des dieux que comme l’oracle savant qui, sous des formes allégoriques, a su envelopper les doctrines les plus sages que l’antiquité ait entendues ; car Ulysse, qu’est-il autre chose que le symbole de la vertu ? Et quoi de plus beau que le spectacle de cet homme qui arrive tout nu sur le rivage des Phéaciens et sur lequel la jeune princesse, fille d’Alcinoüs, n’ose lever les yeux qu’avec respect ? mais sa sagesse, son courage, sa vertu, l’enveloppent comme d’un manteau, et, lorsqu’il paraît ensuite dans l’assemblée des Phéaciens, il les confond tous par la supériorité de son courage et par l’aspect d’un héros, tout meurtri de batailles et de naufrages, de sorte que de tous ces Phéaciens il n’en est pas un qui ne voulût être Ulysse et Ulysse naufragé. C’est ainsi que l’évêque chrétien pénètre dans ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus fort dans la poésie d’Homère pour en exprimer tout le miel qu’elle renferme. Il se plaît ensuite à parcourir les autres poëtes de l’antiquité, Hésiode, Théognis, Euripide, Platon, et à répéter tout ce qu’il y a dans leurs œuvres de glorieux pour l’esprit humain ; car il n’est pas de ceux qui sont avides de nier la vertu des anciens : saint Basile n’a aucune peur des vertus païennes ; il cite avec joie, avec fierté, les exemples d’Aristide, de Thémistocle et de tous les autres, car il sait que le christianisme n’a rien à craindre de la comparaison.

Ainsi l’Église grecque accepte les lettres, mais avec partage ; elle les admet comme préparation au christianisme et comme démonstration du christianisme ; comme préparation, car la philosophie a servi de pédagogue au monde ancien, et il fallait, pour parler comme saint Basile, teindre dans les connaissances de l’antiquité toutes ces jeunes âmes, qui aspiraient au christianisme, pour les tremper ensuite dans la pourpre de la foi. En second lieu, la philosophie était pour eux un moyen de démonstration, parce que la foi maîtresse agira d’elle-même sur l’intelligence qui cherche la lumière, cette lumière qu’elle a aperçue de loin dans le sein de Dieu. Et les écoles, et la science, viendront prêter leur secours à la religion et entourer d’une clarté nouvelle, toujours croissante, les germes du christianisme.

Ainsi l’alliance est conclue. Vous croyez peut-être que Clément d’Alexandrie a fait la philosophie esclave, qu’il n’y a plus de philosophie, que la charte de l’esprit humain est déchirée jusqu’au moment où Luther la fera de nouveau sortir des couvents d’Allemagne : vous vous méprenez étrangement, car, à l’heure même où la foi semble enchaîner la philosophie, regardez de près, elle la délivre de l’esclavage des écoles, de l’esclavage du maître, de ce mot αὐτὸς ἒφη, ipse dixit, qui est le dernier mot de toute l’antiquité, et qui a été répété de générations en générations sans que personne fît l’effort nécessaire pour s’en affranchir. Cet éclectisme qu’Alexandrie nomma sans jamais l’obtenir, c’est chez les Pères qu’on le trouve, c’est dans toutes les écoles et non dans une seule qu’il faut chercher la vérité ; il faut savoir, d’une main égale, frapper à la porte d’Aristote et de Platon, il faut savoir détourner les yeux d’une page enchanteresse lorsque cette page ne dit pas la vérité, rester maître de tout ce qui est humain et ne reconnaître d’autorité que dans les choses divines.

Et en même temps que la foi affranchit ainsi l’esprit humain de la servitude du maître, elle l’affranchit aussi de la servitude du doute éternel ; car le doute était au fond de toutes ces écoles, qui recommençaient sans cesse à chercher Dieu et l’âme, apparemment parce qu’elles n’avaient encore trouvé ni Dieu, ni l’âme. Selon moi, c’est là la gloire du christianisme de n’avoir plus voulu qu’on cherchât Dieu et l’âme ; le christianisme s’était donné au monde bien plus que le monde ne s’était donné à lui. Il ne permet plus qu’on retienne les générations loin de la lumière, il leur dit : « Le Christ est ici, n’allez pas plus loin. » En ôtant à l’homme cette incertitude, le christianisme lui rend sa liberté, brise la chaîne qui le retenait captif et l’empêchait de porter ses investigations, d’appliquer son ambitieuse ardeur jusqu’aux dernières limites du fini et de l’infini.

Cependant, en présence de cette école qui devait durer quatorze siècles, une autre se formait, moins nombreuse, moins considérable, mais qui ne devait pas durer moins. Cette autre école, frappée du péril, trouve plus facile de retrancher les lettres que de les émonder ; jugeant la philosophie dangereuse, elle la déclare impuissante, et veut réduire l’homme à la foi par le désespoir de la raison ; elle trouve la philosophie dangereuse chez les gnostiques, et elle a bien raison ; elle la trouve dangereuse chez les épicuriens et chez les stoïciens, et ce jugement n’a rien d’injuste. En présence de ce danger, elle forme la résolution d’en dégoûter les hommes ; elle la montre incapable de toutes choses, elle fait ressortir ses contradictions éternelles pour mieux constater son impuissance ; c’est à cette œuvre que va se consacrer toute cette suite d’apologistes qui commence à Hermias chez les Grecs, mais qui continue surtout chez les Latins, dont l’esprit est pratique plus que spéculatif, chez lesquels les lettres avaient toujours été un peu étrangères, qui étaient plus à leurs affaires qu’aux doctrines, à ce point que Cicéron était obligé d’excuser ses travaux philosophiques et de montrer, ou du moins de feindre le plus profond mépris pour les subtilités grecques. Aussi, à la suite d’Hermias, qui s’applique à montrer la contradiction des écoles, nous trouvons Tertullien, Arnobe et Lactance, qui vont repousser tout accord entre la religion et les lettres, renier même les services de la dialectique. Tertullien prend en pitié Aristote, architecte de cet art qui apprend à construire et à détruire, de cette logique épineuse dans ses argumentations, source de controverses éternelles, qui ne sert qu’à diviser les hommes, qui revient sans cesse sur chaque question comme si elle était mécontente d’en avoir fini. Tertullien s’indigne de tous les efforts de quelques-uns de ses contemporains pour accorder le christianisme avec la philosophie : « Quoi de commun, s’écrie-t-il, entre Athènes et Jérusalem, entre l’Académie et l’Église, entre les hérétiques et les chrétiens ? Notre doctrine vient du Portique, mais du Portique de Salomon, qui nous apprend à chercher Dieu dans la simplicité du cœur ! Qu’ils s’accordent donc avec lui, ceux qui veulent nous faire un christianisme stoïcien, un christianisme platonicien, un christianisme dialectique. Pour nous, nous n’avons pas besoin de science après le Christ, ni d’études après l’Évangile, et, quand nous croyons, nous ne cherchons plus[6]. »

Ce langage est fier, superbe et près du châtiment des superbes, près de l’erreur, près de la chute, et c’est ce que nous allons voir bientôt. Ces doctrines seront, jusqu’à un certain point, celles de Lactance, qui les reproduit, en se contredisant, et finit par faire à la philosophie une certaine part. Ce n’est pas seulement un petit nombre de rhéteurs chrétiens des troisième, quatrième et cinquième siècles qui parleront ainsi : dans tous les âges qui suivront, ils trouveront des disciples et des imitateurs ; au moyen âge, dans les écoles mystiques dont quelques-unes iront aux derniers excès contre la raison humaine ; au dix-septième siècle, dans la personne de Huet, qui consacre ses ouvrages à établir une espèce de scepticisme inévitable, et dans la personne même de ce glorieux Pascal. Enfin, cette école compte encore des élèves de nos jours, elle ne s’est jamais fermée ; la thèse qu’elle a adoptée n’a pas cessé de trouver des défenseurs ; il s’en est trouvé dans tous les temps, dans tous les siècles, qui jettent le gant à la raison humaine et s’efforcent d’y produire un pyrrhonisme artificiel, une sorte de doute systématique et de renverser tous les ouvrages de l’esprit humain afin de faire une part plus libre, plus vaste à la foi.

Ils ont contre eux les traditions générales de l’Église, les grands hommes qui ont fait la gloire du christianisme ; ils ont surtout contre eux leurs propres fautes. Ce n’est pas sans péril qu’on se porte à ces excès, surtout dans le sein du christianisme, qui a horreur des excès, dont le caractère est empreint de sagesse et de modération. Cet empressement de brûler tout ce qu’on a autrefois adoré sans distinguer l’idole du métal précieux, cette exagération, excusable chez de nouveaux chrétiens, deviennent plus périlleux chez les docteurs qui professent, raisonnent et dogmatisent ; elle montre chez eux peu de foi, une foi qui s’effraye, qui a peur de la raison, qui a peur des lettres de l’antiquité, qui croit que le christianisme a quelque chose à craindre de la philosophie, comme si la foi, misérable flambeau allumé pendant la nuit, était destiné à pâlir !

Ce faible se trahit par des chutes éclatantes : ce fut ainsi que Tertullien déserta à tout jamais la science pour se mettre à la suite de l’hérétique Montan et des deux femmes qu’il traînait après lui. Les mystiques du moyen âge prennent eux-mêmes des chemins qui amèneront tous les excès des hérétiques du quinzième siècle, et on vit Pascal lui-même s’acheminer sur une des routes de l’erreur. Reconnaissons donc que, si cette doctrine fut opiniâtre, elle n’eut jamais pour elle le caractère de l’autorité, de la sagesse, le nombre des maîtres ; et ce qui lui est resté de plus illustre a fini par se démentir, comme cet éloquent M. de Maistre, qui, s’il eut le tort de fouler aux pieds la raison, a cependant écrit ce grand mot, que « Platon avait fait la préface humaine de l’Évangile. »

L’accord de la science et de la foi, de la religion et des lettres, n’était pas une question facile, et, quand elle se présenta, au cinquième siècle, avec ce cortége de sectateurs pour et contre, avec tout l’Orient pour, avec tout l’Occident contre, il y avait lieu de douter sur la solution qui allait être donnée, lorsque enfin il fallut que l’Occident se décidât dans la personne de ses deux grands docteurs : saint Jérôme et saint Augustin.

Jusque-là, les maîtres d’Occident avaient voulu renoncer à la succession, avaient repoussé l’héritage ; au contraire, les maîtres de l’Église grecque inclinaient à le recueillir. C’était un devoir formidable que celui de se décider sous les yeux de l’Église entière, attentive et inquiète ; aussi je ne suis pas étonné des hésitations de saint Jérôme. D’ailleurs, il était tout pénétré de la lecture des grammairiens, des rhéteurs, des philosophes, bien qu’en même temps tout brûlant de foi. Il avait médité Platon, s’était exercé à déclamer des controverses oratoires comme on faisait dans toutes les écoles ; l’esprit de Dieu le saisit, il s’enfuit au désert, mais il y porte sa bibliothèque : il jeûne et il lit Cicéron ; il pleure ses péchés et il ouvre Plaute. Lorsque, revenant à lui-même, il prend les saintes Écritures, il en trouve le style inculte. Vers le milieu du carême qui suivit, étant tombé dangereusement malade, il eut un songe : il se crut transporté au pied du trône de Jésus-Christ ; et, le Sauveur lui ayant demandé : « Qui es-tu ? — Je suis chrétien, répondit saint Jérôme. — Non, « reprit le Christ, non, tu n’es pas chrétien, tu es cicéronien. » Confondu par ce reproche, saint Jérôme promet à Dieu, au milieu d’abondantes larmes, d’abandonner à tout jamais la lecture des auteurs profanes[7].

Voilà un grand engagement, et saint Jérôme semble le contracter de nouveau dans une lettre qu’il écrit bientôt après à Eustochie. Vers le même temps, il envoie au pape Damase un grand commentaire, une parabole de l’enfant prodigue, où il déclame contre ces prêtres, contre ces évêques qui savent Virgile par cœur, récitent des chants bucoliques, des poëmes d’amour, et se délassent à déclamer des tragédies entières, car tout cela, dit-il, tous les vers des poëtes, l’éloquence des orateurs, la sagesse des philosophes, sont les festins des démons ; sans doute on peut y découvrir des vérités, mais alors il faut le faire avec discrétion pour ne pas scandaliser les fidèles. Ces maximes sont bien sévères, mais il faut regarder à leur date, 383 et 384, c’est-à-dire qu’elles ont été écrites dans la première fièvre de la conversion ; si saint Jérôme se montre si dur, c’est parce qu’il s’accuse lui-même ; il ne frappe si fort que parce qu’il sent qu’il frappe sur lui, il y a là un fonds de remords ; mais laissez venir la sagesse, les bons conseils de la solitude et du désert, et il en sera tout autrement. Il continue d’écrire, et Virgile continue à faire les frais du quart de ses lettres ; Platon, tous les anciens, y viennent tour à tour et y prodiguent tous les trésors de leur éloquence, tant ce beau génie ne pouvait s’en séparer ! tant cette antiquité débordait et s’échappait inévitablement dans ses écrits ! Aussi on s’en scandalise, et Magnus, rhéteur romain, qui portait quelque jalousie à saint Jérôme, lui reproche d’avoir ainsi rempli ses livres de souvenirs païens et de déshonorer la blancheur de l’Église par des souillures profanes, de ne pouvoir écrire une page, une lettre à une femme, sans alléguer ceux qu’il appelle notre Cicéron, notre Horace, notre Virgile ; mais saint Jérôme lui répond : « Que son interlocuteur ne lui eût jamais adressé un tel reproche s’il connaissait l’antiquité sacrée. Saint Paul, plaidant à l’Aréopage la cause du Christ, ne craint pas de faire servir à la défense de sa foi l’inscription d’un autel païen, et d’invoquer le témoignage du poëte Aratus. L’austérité de ses doctrines n’empêche point l’apôtre de citer Épiménide dans l’épître à Tite, et ailleurs un vers de Ménandre. C’est qu’il avait lu dans le Deutéronome comment le Seigneur permit aux fils d’Israël de purifier leurs captives et de les prendre pour épouses. Et quoi donc d’étonnant si, épris de la science du siècle à cause de la beauté de ses traits et de la grâce de ses discours, je veux, d’esclave qu’elle est, la faire israélite[8] ? »

Mais le songe, mais la promesse, l’engagement pris de ne plus ouvrir de livres profanes ? Saint Jérôme s’était si peu souvenu de la parole donnée, qu’il faisait copier par des moines les dialogues de Cicéron, et qu’allant à Jérusalem il portait avec lui un traité de Platon pour ne pas perdre son temps ; il professe la grammaire à Bethléem, explique Virgile, les lyriques, les comiques, les historiens, à des enfants qu’on lui a confiés pour les former à la crainte de Dieu ; à l’accusation de Rufin il ne sera pas embarrassé de répondre qu’après tout il s’agit d’un songe : « Rufin me reproche, dit-il, la promesse que j’ai faite dans un rêve, et les réminiscences parjures qu’il relève dans mes écrits. Mais qui donc peut oublier son enfance ? J’ai la tête deux fois chauve, et cependant que de fois en dormant je crois me revoir jeune homme aux longs cheveux, à la toge drapée, déclamant devant le rhéteur… Faut-il donc boire l’eau du Léthé ? C’est ce que je répondrais s’il s’agissait d’un engagement pris dans la plénitude de mes sens éveillés. Mais celui qui me reproche mon songe, je le renvoie aux prophètes qui enseignent que les songes sont vains et ne méritent point de foi[9]. » Ce qui est grave, ce qui est remarquable, c’est que saint Jérôme écrit ceci en 397 et en 402 ; il est vieux, il a l’expérience de la vie, il a assisté à tous ces grands débats qui se sont agités autour de lui, et il ne s’est sans doute pas décidé sans raison ; il a contracté une sagesse plus douce, plus éloignée des excès de la jeunesse ; et de même que dans l’ordre moral il a appris à pardonner beaucoup aux volontés humaines, il apprend aussi à permettre beaucoup aux intelligences[10].

Voyons maintenant quelle était à ce sujet la doctrine de saint Augustin, quel fut le travail d’esprit dont ce grand homme nous donne le spectacle, et par lequel il va contribuer, bien plus encore que saint Jérôme, à décider la question agitée dans toute l’antiquité chrétienne. Je ne vous parlerai pas de cette première passion de saint Augustin pour les lettres anciennes, des larmes que Didon lui coûtait, de l’ardeur avec laquelle il lisait l’Hortensius de Cicéron et, plus tard, les livres des platoniciens ; je veux m’arrêter au temps de sa conversion, dépasser l’époque où il abjura toutes ses erreurs ; je le suis dans sa retraite de Cassiciacum, où il voit s’écouler paisiblement quelques mois avec ses amis et élèves, Trygetius et Licentius ; ils consacrent leurs matinées à discuter les grandes questions théologiques, ils commentent l’Hortensius de Cicéron, et lisent chaque jour la moitié d’un chant de Virgile. Saint Augustin n’est donc pas pressé d’abjurer tout ce qu’il admira autrefois ; il n’ignore pas cependant les déclamations de Tertullien, d’Arnobe, de Lactance, de tous ces hommes que l’Église n’a pas rangés au nombre des saints. C’est ainsi que, dans les Confessions, le livre le plus pieux sorti d’une âme pieuse, il rappelle l’époque où des livres platoniciens lui étaient tombés entre les mains : « Vous m’avez remis, Seigneur, par les mains d’un homme, plusieurs livres des platoniciens, traduits du grec en latin, où j’ai lu, quoique en d’autres termes, qu’au commencement était le Verbe, et que le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu, enfin que le Verbe de Dieu est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde… Mais qu’il soit venu chez lui et que les siens ne l’aient pas reçu, et qu’à ceux qui l’ont reçu il ait donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, que le Verbe se soit fait chair et qu’il ait habité parmi nous, voilà ce que je n’ai point lu dans ces livres… Qu’il soit avant le temps, au delà des temps, dans une immuable éternité, que, pour être heureuses, les âmes reçoivent de sa plénitude, cela est bien chez les platoniciens ; mais qu’il soit mort dans le temps par les impies, voilà ce qu’on n’y trouve point. Vous avez caché ces choses aux sages, mon Dieu, et les avez révélées aux petits, afin de faire venir à lui les souffrants et les surchargés pour qu’il les soulage[11]. »

Voilà la mesure, voilà le partage et le secret de la réponse à cette question qui depuis tant de siècles tourmente le monde. Non, la philosophie n’est pas impuissante, car elle amené l’homme aux pieds de Dieu ; mais la raison était insuffisante, car elle n’a pas conduit l’esprit humain à comprendre l’Homme-Dieu, à comprendre la charité et les mystères d’un amour infini. Voilà ce que saint Augustin répète à chaque instant dans l’Église, non pas seulement au commencement de sa conversion, mais lorsqu’il écrit ses Confessions, lorsqu’il est devenu le grand docteur de l’Occident ; à toutes les pages de la Cité de Dieu, il parle avec respect des platoniciens, et il finit par cette belle parole : « J’aurais pardonné aux païens si, au lieu d’élever un temple à Cybèle, ils eussent dressé un sanctuaire à Platon où on lirait ses livres. »

En ouvrant ainsi les portes à la philosophie, comment les aurait-on fermées au reste des connaissances humaines ? Aussi, dans le beau livre de l’Ordre, saint Augustin trace le plan d’une éducation chrétienne ; et, selon cette loi immuable en Dieu, qui se transcrit pour ainsi dire dans les âmes des sages, il fait deux parts : la discipline de la vie et la discipline de la science. La première procède de l’autorité, la seconde de la raison.

« La raison est un effort de l’âme capable de nous mener jusqu’à nous-mêmes et jusqu’à Dieu si elle n’était arrêtée par les préoccupations des sens. La raison cherche d’abord le commerce des hommes en qui la raison réside : de là les lettres et la grammaire, qui embrasse tout ce que les lettres transmettent à la mémoire des hommes, l’histoire par conséquent. — Puis, se repliant sur ce travail, la raison se rend compte des définitions, des règles, des divisions qu’elle a produites, c’est la dialectique, — et celle-ci ne suffisant pas pour persuader, la rhétorique s’y ajoute. — Arrivée aux hommes, la raison veut aller à Dieu et cherche des degrés pour y atteindre : de là l’idée du beau. — Le beau perçu par l’ouïe, le son, le rhythme et le nombre, c’est la musique. — Le beau perçu par la vue, les figures, les dimensions et encore le nombre, c’est la géométrie et l’astronomie. — Mais ce que voient les yeux n’est pas comparable à ces harmonies que l’âme découvre, — Ainsi dans ces études tout se réduit aux nombres, mais dont elle voit les ombres plus que la réalité. Alors la raison prend confiance et commence à soupçonner qu’elle pourrait bien être un nombre capable de mesurer tous les autres. De cet effort naît la philosophie, et avec elle ces deux questions : l’âme et Dieu, notre nature et notre origine. L’une nous rend dignes du bonheur, l’autre nous rend heureux. — C’est l’ordre des études, c’est la méthode de cette sagesse par laquelle on devient propre à connaître l’ordre souverain des choses, à distinguer les deux mondes et à pénétrer jusqu’au Père de l’univers. »

Ce qui est merveilleux, c’est que ce plan est à peu près celui des anciens, renouvelé, régénéré par un esprit chrétien supérieur : c’est l’encyclopédie tout entière des anciens, l’encyclopédie des sept arts, modifiée en ce que l’arithmétique se confond avec la géométrie ; mais la philosophie y occupe une place distincte, tandis que, dans l’encyclopédie de Martianus Capella, elle est confondue avec la dialectique. La conception de l’esprit chrétien est bien plus grande : il regarde les sciences comme autant de degrés destinés à conduire l’homme de la terre qu’il habite jusque près du Souverain des mondes. Saint Augustin ne se dissimule pas les objections qu’on va lui faire ; il sait qu’on va lui dire qu’il déshonore la science sacrée et que l’homme doit tout attendre de la foi ; mais il répond avec une admirable supériorité : Dieu aurait pu se servir du ministère des anges ; mais il a voulu honorer l’humanité en rendant ses oracles dans un temple humain. La charité même périrait si les hommes n’avaient rien à apprendre des hommes, ni les âmes à verser leur trop plein sur d’autres âmes.

«Si donc ceux qu’on nomme les philosophes, et sur-tout les platoniciens, ont des doctrines vraies et qui s’accordent avec la foi ; non-seulement il ne faut point en prendre ombrage, mais il faut les revendiquer comme sur d’injustes possesseurs. Car, de même que les Égyptiens n’avaient pas seulement des idoles que le peuple d’Israël devait fuir et détester, mais des vases et des ornements d’or et d’argent, et des vêtements que ce peuple emporta dans sa fuite, ainsi les sciences des gentils ne se composent pas seulement de fictions superstitieuses que le chrétien doit tenir en horreur, mais on y trouve les arts libéraux qui peuvent se prêter au service de la vérité, et de sages préceptes de morale comme autant d’or et d’argent qu’ils n’ont point créé, mais tiré pour ainsi dire des mines de la Providence, distribué par toute la terre, et que le chrétien a droit d’emporter avec lui quand il se sépare de leur société. »

La question était résolue et la dispute finie pour bien des siècles. Sur la parole d’Augustin et par les mêmes motifs, tous les âges qui suivront accepteront l’héritage des anciens ; mais l’Église l’accepte comme il convient à une tutelle sage, comme on accepte les successions des mineurs, c’est-à-dire sous bénéfice d’inventaire. C’est par la même raison que se déterminent Cassiodore, Bède, Alcuin ; tous, par un phénomène intellectuel qu’il est bon de signaler, tous plus frappés des comparaisons que des raisons, des images que des grands motifs, répéteront cette parabole que le christianisme a dû faire comme le peuple hébreu au sortir de l’Égypte, et emporter les vases d’or et d’argent de ses ennemis. Ce sera sur cette parole que les sciences, les arts, les traditions de l’antiquité passeront au moyen âge[12]  ; c’est ainsi que ce grand problème a été résolu et que s’est fait le nœud littéraire, intellectuel, qui devait réunir les deux âges.

Il me resterait à vous montrer comment Virgile, divinisé par la science païenne, érigé en pontife, en flamine, en héritier de la tradition sacerdotale, devint aussi le représentant de la religion de l’avenir, et comment, pour le sauver, les siècles barbares ont jeté sur lui un bout de manteau de prophète. Grâce à sa quatrième églogue, il fut regardé, dans le monde chrétien, comme l’un de ceux qui avaient annoncé le christianisme, et cette interprétation, qui commence à Eusèbe, dès le quatrième siècle, se continue pendant tout le moyen âge ; il fut rangé au nombre des prophètes, et par là ses œuvres furent respectées davantage. Une tradition nous rapporte que saint Paul, ce fier contempteur des sciences profanes, étant venu à Naples, alla visiter le tombeau de Virgile, et qu’ayant ouvert le livre des églogues et lu la quatrième, il se prit à pleurer. Le souvenir de cette tradition était conservé dans une séquence chantée longtemps à la cathédrale de Mantoue, et qui rappelait cette légende en termes charmants :

Ad Maronis mausoleum
Ductus, fudit super eum
Piæ rorem lacrymæ :

Quem te, inquit, reddidissem,
Si te vivum invenissem,
Poetarum maxime.

La tradition populaire voulut elle-même ajouter quelque chose à cette légende plus ancienne, et longtemps le pâtre qui faisait voir aux voyageurs le tombeau du poëte montrait tout auprès une petite chapelle : c’était, disait-il, celle où Virgile entendait la messe !

Ainsi toute la civilisation païenne ne périt pas et ne devait pas périr : une partie devait se conserver par le christianisme, une autre partie malgré lui, tant il fallait que cette civilisation, que nous avons vue d’abord atteinte d’une maladie mortelle, se continuât pour l’éducation des races suivantes ! Nous aurions facilement cru que la science païenne périrait et que le christianisme se conserverait seul ; non, la civilisation païenne est conservée en partie par le christianisme, qui recueille tout ce qu’il y avait en elle de grand, d’équitable, de généreux, de bienfaisant ; mais en même temps et malgré le christianisme, se perpétue dans les traditions littéraires la mythologie, que l’Église avait avec raison proscrite ; dans la religion se perpétue l’élément superstitieux qui vient donner la main au paganisme de l’antiquité ; dans les lois, tous les principes d’une fiscalité odieuse qui maintient la tyrannie politique, le divorce qui entraîne avec lui la tyrannie domestique, et la confusion du sacerdoce et de l’empire qui va engendrer les luttes sanglantes du moyen âge.

L’Église sauve la tradition littéraire ; mais, malgré elle, se conserve le panthéisme mythologique, tous ces sentiments voluptueux et charnels qui reparaîtront et éclateront de nouveau dans les moments de désordre et d’anarchie intellectuelle. En un mot, l’antiquité transmit non-seulement les lumières, mais les vices aux temps barbares, et, lorsque vous serez tentés d’accuser vos ancêtres, de leur reprocher leur barbarie, dites seulement que c’étaient bien là les héritiers des raffinements de la décadence, car il y a une analogie singulière entre les vices des décadences et les vices de la barbarie, et, la faiblesse des vieillards se rapprochant de la faiblesse des enfants, il arrive un moment où l’on ne sait pas si l’on a affaire à un peuple qui vieillit ou à un peuple qui naît.

On a voulu séparer pour toujours les temps anciens et les temps modernes ; en 476 on ouvre un abîme et l’on dit : Voilà les temps modernes à droite, à gauche les temps anciens, rien de commun entre les deux ; mais Dieu, qui est plus fort que les historiens, ne souffre pas de lacune pareille ; il met partout l’ordre et l’unité, dans les temps, comme dans l’espace, et il fait servir à ses desseins même les passions et les désordres des hommes. Les temps que nous divisons sont liés par deux chaînes : la chaîne d’or du bien que Dieu fait, la chaîne de fer du mal que Dieu tolère ; l’histoire n’a pas d’autre but que d’en retrouver tous les anneaux et d’établir ainsi ce dogme de la solidarité que la science moderne confirme, à laquelle aspirent les sociétés humaines, dogme fondamental du christianisme…… Messieurs, nous avons beau faire, nous ne sommes pas aussi indépendants que nous le voudrions, et nous tenons à nos pères par la responsabilité de leurs fautes comme par la reconnaissance de leurs bienfaits.



EXTRAITS DES NOTES DE LA LEÇON.
I

C’est la tradition des Pères, et saint Jérôme cite les premiers apologistes du christianisme, Quadratus, Justin, et Aristide, qui présente à l’empereur Adrien une défense des chrétiens toute tissue pour ainsi dire des pensées des philosophes. — Le stoïcien Pantène, à cause de sa grande érudition, fut chargé d’aller prêcher le Christ aux brachmanes de l’Inde. — Clément, prêtre d’Alexandrie, le plus savant des nôtres, à mon sens, a écrit huit livres de Stromates, autant d’Hypotyposes, un livre contre les gentils, et trois sous le titre de Pédagogue. Je demande quelle trace d’ignorance on y trouve, ou plutôt quel passage n’est pas tiré des entrailles mêmes de la philosophie. Origène l’a imité, et, dans ses dix livres de Stromates, comparant les doctrines des chrétiens et celles des philosophes, il a confirmé tous nos dogmes par le témoignage de Platon et d’Aristote, de Mummius et de Cornutus… — Nous avons aussi les écrits d’Eusèbe d’Émèse, de Tite, évêque de Bosra, de Basile, Grégoire et Amphiloque, qui enrichissent leurs livres des maximes des philosophes, tellement que vous ne savez qu’admirer en eux davantage, l’érudition du siècle ou la science des Écritures.

Passons aux latins. Quoi de plus savant que Tertullien ? De tous les écrits des païens, quel est celui auquel Minutius Félix n’a pas touché ? Arnobe a écrit sept livres contre les gentils, et son disciple, Lactance, tout autant : ouvrez-les, et vous y trouverez un abrégé des dialogues de Cicéron… Hilaire, son contemporain, évêque et confesseur, s’attachant à Quintilien, a égalé le nombre et imité le style de ses douze livres. Sous Constantin, le prêtre Juvencus a mis en vers l’histoire du Sauveur, et n’a pas craint de faire passer la majesté de l’Évangile sous le joug de la prosodie… Et n’allez point croire que cet usage de la sagesse antique, permis dans la dispute avec les païens, doive disparaître ailleurs. Car presque tous nos écrivains, à l’exception de ceux qui, à l’exemple d’Épicure, ont méprisé les lettres, sont pleins d’érudition et de doctrine.


II

La solution donnée par saint Augustin passe au moyen âge, mais non sans contradiction.

1. Les premiers instituteurs des temps barbares ; Cassiodore et Boëce.

Cassiodore écrivant pour ses moines de Vivaria. — Nécessité de recourir aux arts libéraux pour interpréter les livres saints. — Moïse instruit dans la sagesse de l’Égypte.

Boëce en prison : une consolation vient le visiter, c’est la philosophie, et une philosophie toute platonicienne. Il imite les mètres des lyriques latins, et traduit l’Introduction de Porphyre.

Aldhelm croit civiliser les Anglo-Saxons en leur apprenant à écrire des vers latins, et voudrait, sur les pas de Virgile, ramener dans sa patrie les Muses du Parnasse.

Bède pense de même, et sa bibliothèque épiscopale d’York contient les œuvres d’Aristote, de Cicéron, de Pline, Virgile, Stace et Lucain.

2. Point de danger pour ces Irlandais et ces Anglo-Saxons, chez qui les Muses étaient étrangères. Il en était autrement en Italie, en Espagne, en Gaule. — Inquiétudes de saint Grégoire le Grand.

Saint Ouen :«  Que nous servent Platon et Aristote ? De quel profit sont les tristes chants de ces poëtes criminels, Homère, Virgile et Ménandre ? » — Cependant l’enseignement des auteurs classiques continue. — Saint Didier explique Virgile. — L’Église de Toulouse a deux bibliothèques. — La renaissance carlovingienne remet en honneur toute l’antiquité classique. — Hésitations d’Alcuin.

3. Les mêmes scrupules chez Odon de Cluny. — Abailard, qui aime les thèses violentes, trouve dans l’Écriture et les Pères tout ce qui peut former les hommes à l’art de bien penser et de bien dire ; il veut qu’on chasse les poëtes de l’Église comme Platon les chasse de sa république. Mais cette opinion ne triomphe pas. — Les écoles ecclésiastiques. — Waltbert, diacre de Spire. — Confié aux moines tout enfant, il consacre deux années aux premiers éléments : lecture, écriture, psalmodie. — Quatre ans de grammaire : explication des poëtes : Virgile, Lucain, Stace, Horace, Juvénal, Perse, Térence. Toute la mythologie, depuis Prométhée jusqu’à Achille ! — En deux autres années, la dialectique avec l’Introduction de Porphyre, la rhétorique et les quatre sciences du Quadrivium.

Ecce quater duplices cum sole peregimus orbes,
Quod spatio dignum tanto lustravimus æquor.

Honorius écolâtre d’Autun. De exilio animæ et patria. Le peuple de Dieu était en exil à Babylone, il avait sa patrie à Jérusalem. L’exil de l’homme est l’ignorance, sa patrie est la sagesse. De la demeure des ténèbres il faut monter au royaume de la lumière. Le chemin, c’est la science ; elle y va en passant par dix arts, qui sont comme dix cités sur la route. Ce nombre est mystérieux. Dix commandements de Dieu, dix catégories d’Aristote. — La première cité, c’est la grammaire divisée en huit quartiers. Le verbe et le nom sont les deux consuls, le pronom, proconsul. Donatus et Priscien y tiennent école. — Quatre bourgs : tragédie, Lucain ; comédie, Térence ; satire, Perse ; lyrique, Horace. — Deuxième cité : Rhétorique, Cicéron, — 3e. Dialectique, Aristote. — 4e. Arithmétique. — 5e. Musique. — 6e. Géométrie, Aratus. — 7e. Astronomie, César. — 8e. Physique, Hippocrate. — 9e. Mécanique. — 10e. Économie.


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  1. Tertull., de Idololatria, c. X.
  2. S. Paulin, Ep. XVI, 6.
  3. Fleury, t. IV, l. 15, p. 14.
  4. Clém. Alex., Stromat., l. I, 5,6.
  5. S. Basil., Ad adolescentes, quomodo possint ex Gentilium libris fructum capere, c. IV.
  6. Tertull., de Præscriptione hæreticorum, c. VIII.
  7. S. Hieronymi Epist. XVIII, ad Eust.
  8. S. Hieronymi Epist. LXXXIII, ad Magnum.
  9. Contra Rufinum,. l. I, 30.
  10. Voir les notes à la fin de la leçon, ler.
  11. S. August., Confessionum l. VII, c. IX.
  12. Voir les notes à la fin de la leçon, II.