Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 02/Seizième leçon

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 2, 1873p. 157-198).


L’ÉLOQUENCE CHRÉTIENNE


(SEIZIÈME LEÇON)




Messieurs,


La langue latine périssait ; elle périssait par la dissolution qui atteint tôt ou tard les idiomes savants, qui en relâche les liens et finit par les décomposer en dialectes populaires. Et cependant c’était cette langue mourante qui devait être et rester celle du christianisme en Occident. Nous avons vu par quelle merveilleuse transformation le latin devint capable de ses nouvelles destinées ; comment la Bible, entrée de vive force dans le vieil idiome de Cicéron, l’élargit, et y fit pénétrer à la fois la hardiesse du symbolisme oriental et la richesse de la métaphysique grecque ; comment ce grand ouvrage fut secondé par la barbarie elle-même, par ces écrivains africains qui brisaient sans ménagements les formes antiques, par cette multitude d’étrangers de toute race qui violaient les lois de la langue aussi peu scrupuleusement que les frontières de l’empire, et qui, en défigurant cette langue, en la faisant grossière comme eux, la rendaient accessible à cette multitude de Goths, de Francs, de Saxons appelés à la parler un jour. Ainsi se formait le latin de l’Église, idiome étrange, à la fois ancien et nouveau, souvent sublime dans sa rudesse, qui eut aussi sa grâce, ses ornements et ses grands écrivains, assez riche pour tous les besoins de la liturgie, de la scolastique, du droit canonique et féodal, assez familier pour servir aux affaires, à l’enseignement, à l’éducation des barbares, et assez fécond pour produire toute la famille moderne des langues néo-latines.

Ainsi la langue de la civilisation chrétienne était trouvée : il reste à voir comment en sortiront ces choses qui font la substance de toute littérature, l’éloquence, l’histoire et la poésie.

Aujourd’hui nous traiterons de l’éloquence. L’antiquité avait aimé jusqu’à l’excès le plaisir de la parole : je dis le plaisir, car la parole n’avait pas seulement à satisfaire la pensée, il fallait surtout qu’elle charmât les sens. Pour les Grecs et pour les Romains eux-mêmes, l’éloquence était un spectacle et la tribune une scène. De même que le théâtre grec était une sorte de temple où l’acteur, avec la majesté du costume qui le rehaussait, représentait les héros et les anciens dieux, et devait garder une sorte de dignité sculpturale, de même à la tribune, l’orateur grec ou romain, avec la pureté de son costume, de son attitude et l’ornement de toute sa personne, devait avoir la correction d’une statue.de Praxitèle ou de Phidias. Sa voix s’élevait, soutenue, gardée, pour ainsi dire, par le joueur de flûte qui ne l’abandonnait pas, et l’oreille exigeante de la foule ne lui permettait ni de s’élever, ni de descendre au delà d’un certain nombre de tons requis pour satisfaire les exigences musicales de ces organisations délicates et sensuelles. Voilà pourquoi, quand, l’antiquité distingue cinq parties principales de la rhétorique, à savoir l’invention, la disposition, l’élocution, l’action et la mémoire, Démosthènes, ce grand maitre, déclarait que l’action les enveloppait toutes, et que le peuple était vaincu aussitôt qu’il était conquis par la vue et par l’oreille, c’est-à-dire par les sens ; et il devait en être ainsi et pour ces Grecs si sensuels, et pour ces Romains, le peuple au fond le plus matérialiste qui fut jamais. Mais le temps arriva où l’intérêt politique, qui soutenait ces grands spectacles, vint à manquer, et, de même que la scène grecque devint stérile, ne produisit plus de grands tragiques dès que les inspirations du patriotisme vaincu se retirèrent, de même aussi l’éloquence tarit dès que ces grands sujets qu’avaient donnés les siècles de liberté eurent disparu. Au temps où nous sommes, il ne reste plus à l’éloquence que trois emplois le barreau d’abord qui, sous Valentinien, a du moins reconquis la publicité de la parole. C’est là un des bienfaits des empereurs chrétiens, et dans le forum des grandes villes, à Milan, à Rome, à Carthage, subsistent encore un certain nombre d’orateurs renommés pour leur habileté à plaider une cause. Mais la fortune n’est pas là, car Martianus Capella, si vanté de ses contemporains, si remarquable par l’étendue de son érudition et la souplesse de son langage, avoue que jamais le barreau de Carthage ne l’avait enrichi, et qu’il mourait de faim au milieu des applaudissements dont on l’entourait au tribunal du proconsul.

Le deuxième emploi de l’éloquence, c’est le panégyrique panégyrique des empereurs, panégyrique des ministres et des favoris des empereurs, et encore des favoris des ministres. L’éloquence, avilie en se mettant ainsi aux pieds de toutes les grandeurs dégénérées et méprisables de ce temps, y devait perdre tout ce qui fait l’inspiration saine, c’est-à-dire la noblesse du cœur. En effet, qu’attendre de ces gens qui, pour louer Maximin, ce collègue de Dioclétien, ne trouvent moyen de le comparer qu’à Hercule car le comparer à Alexandre, ils n’y songèrent pas, c’est trop peu de chose ; ou bien ils auront tellement abaissé en misérables flatteries les ressources de leur esprit que, si la Providence envoie un grand homme, leur imagination ne leur suggérera plus rien pour le louer, et Pacatus, célébrant Théodose, ne trouvera rien à dire sinon que l’Espagne, en produisant ce prince, a effacé Délos, berceau d’Apollon, et l’île de Crète, patrie de Jupiter.

Ainsi c’est ailleurs qu’il faut chercher les derniers débris, les derniers restes de la parole antique, et peut-être les trouverons-nous dans un second genre moins connu, et cependant encore plus usité chez les anciens : je veux parler de ces déclamations, de ces discours prononcés par des rhéteurs ambulants, qui-allaient de ville en ville avec des morceaux soigneusement préparés pour y servir soit d’exorde, soit de péroraison, et qui, aux sollicitations de la ville, consentaient à improviser, précautions prises, et enlevaient les applaudissements de l’auditoire. Cet usage était bien ancien et montre jusqu’à quel point la Grèce était amoureuse de ces plaisirs de l’oreille auxquels la poésie toute seule ne suffisait pas. C’est ainsi qu’à Athènes on voit paraître, de bonne heure, Hippias, Gorgias, qui font métier d’enseigner, comment on prouve le juste et l’injuste, qui font étalage, pour achalander leur école, de leur art à soutenir une thèse ou à pousser jusqu’au bout une déclamation.

Lorsquela liberté a disparu et, avec elle, les causes sérieuses de l’éloquence, celle-là du moins subsiste encore. On voit, par exemple, le rhéteur Dion Chrysostome, poursuivi par la haine de l’empereur Domitien, obligé de s’exiler plus loin qu’Ovide, de se réfugier à Olbia, ville à moitié grecque, à moitié scythe, des bords de la mer Noire.Dès qu’il arrive, il est entouré par une foule d’hommes parlant un langage à peine grec, habitant des ruines, sans cesse menacés par les invasions des Scythes, obligés de veiller nuit et jour sur les murailles ; cependant, voyant un rhéteur au milieu d’eux, ils se pressent autour de lui, le conduisent au temple de Jupiter, s’assemblent en foule. sur les degrés et conjurent Dion de leur adresser la parole, si bien qu’il est obligé de leur faire un discours, de traiter devant eux un lieu commun où il entremêle l’éloge de leur ville[1]. Cette passion, si grande en Orient, n’était pas moindre en Occident. En Afrique, au second et peut-être au troisième siècle, nous en avons un grand exemple dans Apulée,qui voyage dans toutes les villes de la Numidie et de la Mauritanie, portant avec lui ce qu’il a appelé des Florida, des discours fleuris prêts à être prononcés dans les grandes circonstances. C’est ainsi qu’arrivant à Carthage, au milieu d’une nombreuse assemblée qui s’est, formée pour l’entendre, il prend la parole et se félicite d’abord de la foule immense dont il est environne, il ne veut pas qu’on le confonde avec ces misérables rhéteurs ambulants qui cachent la main d’un mendiant sous le manteau d’un philosophe. Il se compare au rhéteur Hippias ; mais s’il ne sait pas comme lui faire de ses propres mains ses vêtements, son anneau et son pot à l’huile, « en revanche, dit-il, je fais profession de savoir tirer d’une même plume des poëmes de toute espèce, ceux dont on marque la cadence sur la lyre, ceux qu’on récite chaussé du socque ou du cothurne ; des satires, des énigmes, des histoires de tout genre, des discours que loueront les hommes éloquents, des dialogues approuvés des philosophes, et tout cela à volonté, en grec ou en latin, avec la même application, avec le même style[2]  »

Voilà jusqu’où avait été poussée l’effronterie et je dirai, en même temps, l’avilissement de l’éloquence. ; et cet homme, qui commence à s’apercevoir qu’il s’est trop loué, s’excuse en disant qu’il s’est loué ainsi pour fixer l’attention du proconsul par l’éloge duquel il termine, se rendant deux fois odieux a force de vanité et à force de bassesse. Vous voyez que l’éloquence est perdue : peu importe que dans les écoles on donne encore des leçons de rhétorique, que l’on répète toujours les mêmes exercices, que les jeunes gens soient formés éternellement à composer des harangues, à renouveler les plaintes de Thétis sur la mort d’Achille ou celles de Didon sur le départ d’Énée. Ces exercices continueront pendant tous les temps barbares on les trouve dans les écrits d’Ennodius, qui en a composé plusieurs plus tard dans Alcuin, qui les recommande et y forme ses disciples. Mais il est évident que la vie n’est plus là. Le christianisme cependant ne pouvait pas laisser périr la parole, lui qui l’honora plus qu’aucune autre doctrine ne l’avait jamais fait, car le christianisme représentait la parole, c’est-à-dire le Verbe, comme la créatrice du monde c’était elle qui avait formé l’univers, qui l’avait sauvé, qui devait le juger un jour. C’était bien cette même parole divine qui devait se conserver, se perpétuer dans l’Église chrétienne par la prédication ; en telle sorte qu’aucune forme de respect n’était trop grande pour entourer la parole sainte. Les anciens avaient donné à la parole humaine le plus magnifique piédestal : ils lui avaient élevé la tribune, au milieu de l’Agora ou du Forum, d’où elle dominait ces villes intelligentes et passionnées dont la conquête était le prix de la parole victorieuse. Il était difficile de faire à quelque chose d’humain plus d’honneur ; le christianisme cependant fit plus : il la plaça non sur la tribune, mais dans le temple, à côte de l'autel. Il lui éleva une chaire, un second autel, pour ainsi dire, auprès du sanctuaire. On vit alors ce que le paganisme n’avait jamais vu, on vit la parole en prose, simple, et sans ornement, dans le temple, au milieu des mystères. Il est vrai que par là même le caractère de la parole changeait elle cessait d’être un spectacle pour devenir un enseignement ; son but n’était plus de flatte r les sens, mais d’éclairer les esprits et d’ébranler les cœurs. Voilà pourquoi, dans l’éloquence chrétienne, l’action disparaîtra presque entièrement ; et comment attendrait-on l’action de ces évêques qui, assis et presque immobiles sur leur trône pontifical, au fond de l’abside, s’adressent à une multitude composée de pauvres, d’esclaves, de femmes,de gens ne connaissant guère les délicatesses antiques de la déclamation grecque ou romaine[3] ? Eri second lieu, l’élocution même perdra beaucoup de son importance, la disposition sera négligée, et toute l’application de l’art chrétien se réfugiera, dans l’invention, dans la conception plus profonde, plus entière du sujet. Vous le voyez, l’art diminue, mais l’inspiration augmente, et, ce que je constate, c’est qu’au cinquième siècle l’inspiration s’était retirée de la rhétorique, n’y laissant qu’un fantôme d’art ; ici l’art est absent mais l’inspiration est revenue, bientôt l’art la suivra ; là où elle est présente, elle l’attire, tôt ou tard, comme le soleil, en se levant, appelle toutes les voix harmonieuses de la création pour le saluer.

Dès les commencements de l’éloquence chrétienne, j’y vois une séparation profonde d’avec les théories et l’art de l’antiquité, et j’y trouve encore ce je ne sais quoi d’original qui ébranle les hommes et qui est véritablement le secret de l’éloquence. Voyez saint Paul arrivant au milieu de cette multitude de Grecs si raffinés comme il foule aux pieds les misérables ressources de la parole humaine comme il fait peu de cas des sublimités du langage : Il fait profession de ne savoir qu’une seule chose : le Christ et le Christ crucifié. Je ne tarde pas à m’apercevoir, comme saint Jérôme, que cet homme, qui me paraissait sans culture, a en lui-même des ressources que ses auditeurs de l’Aréopage ne connaissaient plus’, et que ses paroles inattendues ; brusques, non préparées, frapperont comme des coups de foudre. A mesure que la société chrétienne grandit, la prédication s’étend elle finit par-avoir besoin de se régler. Il faut qu’un ministère si continuel et si considérable trouve ses lois, et quand saint Ambroise écrit son livre de Officiis ministrorum, imité à quelques égards du livre de 0fficiis de Cicéron lorsqu’il trace les devoirs du prêtre, il n’oublie pas le ministère de la parole. On a compté avec erreur saint Ambroise parmi ceux des Pères qui s’étaient montrés étrangers à part et ennemis des lettres : au contraire, il est encore tout nourri des chefs-d’œuvre de l’antiquité, et il en a si bien gardé-le parfum, qu’il s’attache à trouver les règles de l’art, même dans l’Écriture sainte. Dans les lettres qu’il écrit à un nommé Juste, il s’applique à montrer comment partout dans l’Écriture, il trouve les trois choses que les rhéteurs regardaient comme nécessaires pour faire un discours complet une cause, une matière et une conclusion. Ainsi saint Ambroise est tout pénétré des règles antiques, des grâces mêmes de l’antiquité, et il en paraîtra quelque chose dans les préceptes qu’il tracera à l’orateur chrétien. En voici le résumé « Que le dis «  cours soit correct, simple, clair, lucide, plein de dignité et de gravité ; qu’il n’y ait point d’élégance affectée, mais qu’il s’y mêle quelque grâce. Que dirai-je de la voix ? Il suffit, selon moi, qu’elle soit pure et nette ; car c’est de la nature et de nos efforts qu’il dépend de la rendre harmonieuse. Que la prononciation soit distincte et mâle, qu’elle s’éloigne du ton rude et grossier des campagnes sans prendre le rhythme emphatique de la scène, mais qu’elle conserve l’accent de la piété[4]. »


Ainsi, vous le voyez, il ne faut pas s’y méprendre, saint Ambroise est encore de cette école qui prenait soin non-seulement de la pensée, de la parole, mais du geste même de l’orateur et des plis de son vêtement.

Cependant le véritable fondateur de la rhétorique chrétienne, celui à,qui cette fonction appartenait, précisément à cause de sa profession d’ancien rhéteur, c’est saint Augustin, surtoutdans le quatrième livre d’un de ses traités fort considérables de Doctrina christiana et de Catechizandis rudibus. Après avoir consacré les trois premiers livres à montrer comment et dans quel esprit on doit étudier les Écritures, saint Augustin emploie le dernier à faire voir comment on doit communiquer aux autres la science dont a,su faire la conquête, et là, dans cette théorie de la prédication chrétienne, il est conduit à rassembler tous les préceptes d’une rhétorique nouvelle. « Et d’abord il déclare qu’il connaît la rhétorique des écoles, qu’il ne se propose ici ni d’en donner les préceptes, ni de les discréditer car, la rhétorique apprenant à persuader le vrai et le faux, qui osera dire que la ~vérité doit demeurer sans armes contre le mensonge[5]  ? » Mais il se montre novateur lorsqu’il ajoute ce que les anciens n’avaient pas osé dire, que l’éloquence se rencontre aussi sans la rhétorique, que l’on peut y arriver en écoutant, en lisant les auteurs éloquents, en s’exerçantsoi-mémeà à dicter et écrire. À ces conditions, on peut se passer de la subtilité de l’école, et, par cette voie, un homme peut rencontrer ce don ineffable de persuader et de bien dire.

Après avoir fait ce juste partage de l’éloquence et de la rhétorique, saint Augustin reprend, sans nous en avertir, les préceptes des anciens et en fait, pour ainsi dire, le triage, laissant de côté tout ce qui est devenu superflu pour la simplicité des temps nouveaux. Ainsi la part principale est faite à l’invention, comme il convenait aux temps chrétiens qui assurent à la pensée l’empire qu’elle doit avoir sur la forme. L’invention est donc le point principal, et, se fondant sur le beau traité de Cicéron, de Inventione, saint Augustin rappelle que la sagesse est le fonds même de toute éloquence, qu’elle est bien au-dessus car la sagesse, sans l’éloquence, a fondé les cités, et l’éloquence, sans la sagesse, les a plus d’une fois mises en ruines. Appliquant ces préceptes, il vaut mieux, dit-il, que les prédicateurs parlent éloquemment, mais-il suffit qu’ils parlent sagement. Ces préceptes étaient d’une admirable fécondité et d’un admirable à-propos car si le christianisme, aussi sévère que l’antiquité eu matière d’art, eût voulu donner la parole seulement à des hommes éloquents, alors à combien peu eût-il été permis de la répandre, et à combien peu de la recevoir. ! Et ainsi l’enseignement chrétien, au lieu d’être la lumière et la consolation de tous, serait resté le plaisir et le privilége d’un petit nombre. C’était donc une grande et féconde parole que celle qui-devait donner la liberté de la chaire, non plus seulement à celui qui serait exercé pendant de longues années aux luttes oratoires, comme Démosthènes et Cicéron, mais au plus humble prêtre, quand il aurait la foi qui inspire, et le bon sens qui ne permet pas de se fourvoyer. Saint Augustin conserve, avec Cicéron, la distinction des trois parties de l’invention oratoire : car, dit-il, il est d’une vérité éternelle que l’orateur doit convaincre, plaire et toucher. Et je ne m’étonne pas que saint Augustin veuille conserver à l’orateur chrétien cette mission de convaincre, ni qu’il l’exhorte à ébranler la volonté rebelle et à la toucher ; surtout je ne suis pas surpris qu’il lui permette de plaire, car je sais la pénétration de saint Augustin, ce grand connaisseur du cœur humain, et-je n’ignore pas que le secret de plaire est aussi celui de gagner les âmes. Cependant, la encore, il s’attache à l’essentiel, il déclare que, pourvu que la clef ouvre, il permet qu’elle ne soit pas d’or, qu’elle soit de plomb ou de bois: mais il faut qu’elle ouvre les barrières, qu’elle les ouvre à toutes les lumières de la vérité et à toutes les violences de la grâce divine. Quant à l’élocution, il conserve aussi, comme fondée sur la nature, la distinction des trois styles : le simple, le tempéré et le sublime. Le sujet de l’orateur chrétien est toujours sublime, mais il n’en est pas de même de son style. Le style simple, dit saint Augustin, est celui que l’auditeur supporte plus longtemps ; et ; plus d’une fois dans sa longue carrière, il a observé que l’admiration d’une belle parole arrache quelquefois moins d’applaudissements à l’auditoire que le plaisir d’avoir conçu, facilement et sans nuage, une vérité difficile mise à sa portée par une parole simple. Voilà tout ce que recommande saint Augustin pour l’élocution. En ce qui concerne le nombre oratoire, il déclare que, pour lui, il cherche à le conserver dans ses discours, sans affectation, mais qu’au fond il y tient peu et se réjouit de.ne pas le rencontrer dans les livres saints, qu’il éprouve quelque plaisir dans les beautés naïves, incultes, toutes spirituelles de l’Écriture, affranchie en quelque sorte de ces usages de la sensualité ancienne. Il y a quelques périls dans les dédains de saint Augustin pour les délicatesses du style ; il y a ici quelques traces de la décadence et du mauvais goût de son siècle. Cependant, s’il est insuffisant en ce qui concerne l’élocution, s’il n’a fait que répéter les règles de la rhétorique cicéronienne en ce qui regardait l’invention, il va se relever singulièrement lorsqu’il entrera jusque dans les dernières profondeurs de la philosophie de la parole, et qu’il donnera le véritable mystère de la nouvelle éloquence qu’il veut fonder. C’est ce qu’il fait dans un autre ouvrage, dont l’occasion même est digne d’intérêt, et qui peint bien l’âme de saint Augustin. Un diacre, nommé Deo Gratias, chargé de l’instruction des catéchumènes, lui avait écrit une lettre pour lui peindre ses dégoûts, ses peines, ses découragements dans une fonction si difficile. Saint Augustin cherche à relever son courage en lui faisant, avec une admirable analyse, la peinture de toutes les tristesses, de tous les découragements qui peuvent saisir un homme chargé de porter la parole devant ses frères, et cependant en lui montrant par quels moyens victorieux on peut dompter ses ennuis, ses découragements et triompher, tôt ou tard, de toutes les résistances de soi-même et d’autrui. Les deux secrets de toute cette éloquence dont saint Augustin va chercher le fond dans l’étude de l’esprit’humain, sont l’amour des hommes, qu’il faut instruire, et l’amour de la vérité, qui- n’est autre que Dieu même. Je dis d’abord l’amour des hommes, et saint Augustin trouve, en effet, une ressource d’éloquence que les anciens n’avaient pas connue dans la charité, dans ce besoin que nous avons de communiquer à autrui les vérités dont nous sommes pénétrés, dans cette ardeur qui fait que nous ne pouvons nous empêcher d’ouvrir la main, quand elle est pleine de ce que nous regardons comme vrai, comme beau, comme bon. « Car, dit-il, de même qu’un père se plaît a se faire petit avec son enfant, à bégayer avec lui les premiers mots, non qu’il y ait rien de bien attrayant à murmurer ainsi des mots confus, et cependant c’est là le bonheur rêve par tous les jeunes pères ; de même pour nous, pères des âmes, ce doit être un bonheur de nous faire petits avec les petits, de murmurer avec eux les premières paroles de la vérité, et d’imiter l’oiseau de l’Évangile qui réunit ses petits sous ses ailes, et n’est heureux qu’autant qu’il est réchauffé de leur chaleur et qu’il les réchauffe de la sienne. » C’est qu’en effet, personne mieux que saint Augustin n’a connu cette mystérieuse sympathie de l’orateur et de l’auditeur, par laquelle l’un éclaire, soutient, conduit l’autre, tandis que tous deux travaillent à la même heure, par le même effort, au dégagement et à l’éclat de la même vérité.

Si l’amour des hommes est un des principes de l’éloquence nouvelle, il y a un amour plus sacré encore, c’est l’amour de la vérité, l’amour de cet idéal souverain dont l’orateur doit être rempli, dont il n’atteint jamais toute la-perfection et toute la splendeur, qu’il perd par moments, mais dont a vue, de temps a autre, le soutient, le réveille, et lui rend toute son ardeur. Voilà ce que saint Augustin avait connu mieux peut-être qu’aucun des hommes éloquents de l’antiquité, et ce qu’il exprime dans une page qu’il faut vous lire tout entière :

« Pour moi, presque toujours mon discours me déplaît, car je suis avide d’un mieux, que souvent je possède au dedans de moi, avant que j’aie commencé à l’exprimer par le bruit de la parole ; et quand tous mes efforts sont restés au-dessous de ce que j’ai conçu, je m’afflige de sentir que ma langue n’a pas pu suffire à mon cœur. L’idée illumine mon esprit avec la rapidité de l’éclair mais le langage ne lui ressemble point : il est lent, tardif ; et, tandis qu’il se déroule, déjà l’idée est rentrée dans son mystère. Cependant comme elle a laissé des vestiges admirablement imprimés dans la mémoire, ces vestiges durent assez pour se prêter à la lenteur des syllabes, et c’est sur eux que nous formons ces paroles qu’on appelle langue latine, grecque, hébraïque ou tout autre ; car les vestiges mêmes de l’Idée ne sont ni latins, ni grecs, ni hébreux, ni d’aucune nation ; mais comme les traits se marquent dans le visage, ainsi l’Idée dans l’esprit. De là il est facile de conjecturer quelle est la distance des bruits échappés de notre bouche à cette première vue de la pensée. Cependant, passionnés pour le bien de l’auditeur, nous voudrions parler comme nous concevons... et parce que nous n’y réussissons pas nous nous tourmentons et comme si nos peines étaient inutiles, nous séchons d’ennui, et l’ennui fait languir le discours et le rend plus impuissant qu’au moment même où, du sentiment de son impuissance, l’ennui nous est venu[6]. »

C’est admirable ! il n’est pas besoin de vous le dire l’éloquence est retrouvée, quand on en a retrouvé non-seulement toutes les inspirations, mais surtout tous les découragements, toute la mélancolie et tous les désespoirs. Voilà comment la doctrine théorique de l’éloquence nouvelle avait été reconstruite par les grands orateurs chrétiens. Il resterait maintenant à la voir à l’œuvre et à se demander comment ces ressources nouvelles se produisirent dans leurs discours. Je ne m’engagerai pas témérairement ni volontiers dans un sujet que M. Villemain a traité avec une supériorité si grande, qu’il n’est permis à personne d’y toucher après lui mon sujet, d’ailleurs, ne le comporte pas et me ramène seulement à tracer les principaux traits des changements qui devaient s’accomplir, peu à peu, sous l’empire de ces règles, et conduire l’éloquence de la forme qu’elle avait eue chez les anciens à celle qu’elle devait prendre au moyen âge.

L’éloquence chrétienne semble naître en Grèce du défi que Julien avait adressé au christianisme lorsque, dans un jour de mépris et de colère, il engageait les Galiléens à aller dans leurs églises étudier Luc et Matthieu. C’est alors que saint Grégoire de Nazianze lui répondait « Je vous abandonne tout le reste, richesse, naissance, gloire, autorité et tous les biens d’ici-bas, dont le souvenir passe comme un songe ; mais je mets la main sur l’éloquence, et je ne regrette pas les travaux, les voyages sur terre et sur mer que j’ai entrepris pour la conquérir[7]. »

Ainsi ils étaient bien loin de vouloir abandonner leur part de la puissance de la parole, et alors, en effet, commence cette grande école où florissaient, à côté de Grégoire de Nysse, saint Basile, saint Chrysostome, dont la conversion faisait le regret éternel du rhéteur Libanius, lorsqu’il s’affligeait tous les jours qu’on lui eût enlevé Chrysostome auquel il se proposait de léguer son école. À mon sens, Chrysostome n’a pas beaucoup perdu.

Les Latins n’ont pas, comme les Grecs, cet art de la disposition, cet éclat et ces grâces de l’élocution, ces comparaisons toujours anciennes et toujours neuves tirées de la mer, du port, du théâtre et de la palestre. Ils n’ont pas non plus la même pureté dans le choix des expressions. La barbarie se fait sentir par la subtilité et une certaine grossièreté, la recherche, les raffinements qu’entraîne le mauvais goût. C’est que les Pères latins ne parlent pas à une population aussi polie, ils s’adréssent à une multitude bien autrement mêlée. A Antioche, à Césarée, à Constantinople, les Pères grecs ont encore devant eux les restes choisis de la société ancienne mais à Hippone, le peuple qui se presse autour de la chaire de son évêque n’est composé que de pécheurs et de paysans ; à Milan même et à Rome, au milieu de toute cette multitude, je reconnais un nombre incalculable d’affranchis et de mercenaires dont le son de voix guttural rappelle les forêts d’où ils sont sortis. Pour faire la conquête de ces populations si mêlées, si peu sensibles aux charmes extérieurs de.la parole, il faut d’autres moyens il faut être avec elles familier, sensé, pathétique. Ces trois conditions sont, en général, le caractère dominant de l’éloquence des Pères latins.

Cependant chez saint Ambroise on trouve mieux ; on trouve plus fidèlement conservés les restes et comme un dernier parfum de l’art ancien. Dé même que, dans sa doctrine, il faisait une part plus large aux grâces de la forme et même du costume, de même aussi, dans son langage, il a je ne sais quel miel attique. On racontait que, saint Ambroise encore au berceau, dormant un jour dans la cour du prétoire à Trêves, un essaim d’abeilles vint se poser sur ses lèvres, comme autrefois sur les lèvres de Platon. Ce récit s’accrédita avec le grand renom d’éloquence de saint Ambroise. ; cette éloquence suffisait à maintenir à la fois dans la persévérance et le devoir, dans la fermeté et dans la soumission, le peuple de Milan pendant plusieurs jours, tandis que les soldats de l’impératrice Justine assiégeaient la basilique pour la livrer aux ariens. Cette éloquence entraînait à ce point que les mères cachaient leurs filles quand saint Ambroise glorifiait la virginité. C’était cette même éloquence qui devait arrêter Théodose coupable à la porte du sanctuaire et qui suspendit à la douceur de sa parole Augustin, encore à moitié manichéen, encore indécis, mais déjà plus qu’à demi gagné par le charme d’un orateur qui disait si bien[8].

Voilà le caractère de l’éloquence d’Ambroise, mais j’ai hâte d’arriver à saint Augustin, qui occupe une place bien plus grande dans la postérité. Saint Augustin a moins d’ornements, il est moins antique, il a eu moins de commerce avec la Grèce ; il n’avait pas, comme saint Ambroise, tradùit du grec un grand nombre d’écrits des Pères. Il nous a laissé jusqu’à trois cent quatre-vingt-dix-huit sermons, sans compter plusieurs traités prêchés avant d’être écrits. Si vous les parcourez, vous y trouverez précisément les caractères que je marquais, les caractères que saint Augustin recommandait lui-même dans ses préceptes et qui doivent donner une forme nouvelle à la prédication je veux dire ce familier abandon et ce style simple, celui dont on se lasse le moins.

En effet, le discours de l’évêque d’Hippone est un entretien avec son peuple, qui l’interrompt souvent et auquel il répond : Souvent aussi l’évêque rend compte de ses affaires les plus intérieures et les plus domestiques par exemple, il y a deux sermons où saint Augustin décrit à ses auditeurs la vie qu’il mène en commun avec ses clercs, comment ils sont réunis pour imiter la communauté primitive de Jérusalem, aucun d’entre eux ne possédant rien en propre, et il vient de lui-même au-devant des objections. On se plaignait, à Hip’pone, que l’église était pauvre parce que son évêque ne voulait recevoir ni donations, ni legs, et que personne ne voulait plus donner. Augustin répond qu’en effet il refusé des héritages ou des legs de plusieurs pères qui avaient déshérité leurs fils pour enrichir l’Église : « Car de quel front, moi qui, si tous deux étaient vivants, devrais m’employer à leur réconciliation, recevrais-je cet héritage témoin d’une colère incapable de pardonner ; mais qu’un père qui a neuf enfants compte le Christ pour un dixième, j’accepterai alors. Quand un père déshéritera son fils pour enrichir l’Église, qu’il aille chercher un qu’Augustin pour recevoir le legs, ou plutôt, Dieu veuille qu’il ne trouve personne[9]. » C’est ainsi qu’il communique à son peuple les affaires intérieures et jusqu’aux comptes de sa maison. Cependant cela ne l’empêche pas d’expliquer les parties les plus ardues des Écritures, d’initier ses auditeurs à tous les mystères de l’explication allégorique, de leur faire voir l’historique des personnages et des événements, le sens figuré sous le sens propre, et de réfuter les manichéens qui opposeraient l’Ancien Testament au Nouveau. Il faut aussi lutter contre l’arianisme ; et devant ce peuple grossier, il aborde toutes les difficultés, toutes les objections, il pénètre dans tous les nuages, s’efforce de les dissiper, et, par un art admirable, il parvient à faire passer dans ses discours, si simples et si rustiques, les plus grandes considérations, les vues les plus vastes répandues dans les écrits théologiqùes qu’il avait composés pour tout le peuple chrétien. Il réussit à faire comprendre à ses humbles auditeurs comment la Trinité a son image dans la triple unité de la mémoire, de l’intelligence et de la volonté. C’est là une idée longuement développée dans les écrits philosophiques de saint Augustin il la reprend devant ses pêcheurs, ses paysans, il fait de la psychologie avec eux, il entre dans tous les détails de la pensée humaine, il leur demande : « Avez-vous une mémoire  ? mais, si vous n’aviez pas une mémoire, comment retiendriez-vous les paroles que je vous adresse ? Avez-vous une intelligence ? mais si vous n’aviez pas d’intelligence, comment comprendriez-vous ce que je vous dis ? Avez-vous une volonté ? Si vous n’aviez pas de volonté, comment me répondriez-vous ? –Et après les avoir ainsi amenés à dégager eux-mêmes de ce chaos de leur intelligence grossière les trois facultés constitutives de l’âme, il leur en montre à la fois l’unité et la variété. Peu à peu cette foule le comprend, le suit, le devance ; il aperçoit qu’il est entendu, il est ravi, et il s’écrie : « Je le dis sincèrement à votre charité : je craignais de réjouir la subtilité des habiles et de décourager les esprits lents ; maintenant je vois que par votre application à écouter, par votre promptitude à comprendre, non-seulement vous avez saisi la parole, mais que vous l’avez devancée. Je rends grâces à Dieu[10]». C’était, en effet, un prodige que d’arriver à élever à ce degré de métaphysique, à cette puissance intellectuelle des âmes si grossières et si mal préparées, et quand Platon écrivait sur sa porte « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre,» il était glorieux d’écrire au contraire sur sa porte, comme le Christ : Venite ad me, omnes. Vous tous qui travaillez, qui bêchez la terre, qui pêchez dans la mer, qui portez des fardeaux, qui construisez lentement, difficilement, des barques sur lesquelles vos frères iront braver les flots, vous tous, entrez ici je vous expliquerai non pas seulement le γνῶθι σεαυτόν de Socrate, mais les derniers, les plus profonds mystères, le mystère de la Trinité. Voilà le secret de cette éloquence simple. D’autres fois, il se plaît à orner davantage son discours, à donner plus de place à l’art ancien, toujours avec cette forme d’un entretien familier, à faire passer tour à tour ses auditeurs par les plus grands souvenirs de l’Écriture sainte, et aussi par les réminiscences littéraires qui pouvaient gagner les esprits du petit nombre de lettrés qui se trouvaient parmi eux.

Je vous citerai, comme exemple, un discours de saint Augustin, non pas plus éloquent, mais plus curieux peut-être que les autres. C’est une homélie sur la prière, au moment où il vient d’apprendre la prise de Rome par Alaric. Il importe de recueillir les échos que cette grande catastrophe réveilla par tout l’univers, à Hippone comme à Bethléem, alors qu’une foule de fugitifs cherchaient asile sur tous les rivages, ayant abandonné or, argent, trésors, pour avoir la vie sauve. Tant de désastres avaient agité les esprits, et, en Afrique même, les pêcheurs et les paysans, comme dans le sénat de Rome Symmaque et les siens, commençaient à dire que toutes choses périssaient dans les temps chrétiens, que le christianisme avait porté malheur à la grandeur romaine, et que les anciens dieux l’avaient bien mieux gardée. Saint Augustin, provoqué par ces plaintes, répondit avec un mélange d’ironie, d’enjouement et de gravité « Vous dites Voici que tout périt dans les temps chrétiens. Pourquoi murmurez-vous ? Dieu n’a point promis que ces choses terrestres ne périraient point; le Christ ne l’a point promis.Eternel, il a promis des choses éternelles. La cité qui nous a engendrés temporellement est elle encore debout ? rendons grâces à Dieu, et puisse-t-elle, régénérée par l’esprit, passer avec nous à l’éternité Mais si la cité qui nous donne la vie temporelle n’est plus, celle qui nous a engendrés spirituellement est debout Quelle cité ? ta cité sainte, — la cité fidèle, la cité voyageuse sur. la terre, mais qui a ses fondements dans le ciel. Chrétien, ne laisse pas périr l’espérance, ni se perdre la charité, ceins tes reins. « Pourquoi t’effrayer si les empires terrestres périssent ? La promesse t’a été faite d’en haut que tu ne périrais point avec eux car ces ruines ont été prédites. Et ceux qui ont promis l’éternité aux empires de la terre ont menti pour flatter les hommes. Un de leurs poëtes fait parler Jupiter, et lui fait dire des Romains

His ego nec metas rerum nec tempora pono,
Imperium sine fine dedi.

La vérité répond mal à ces promesses. Cet empire sans fin que tu leur donnes, ô Jupiter ! qui ne leur as jamais rien donné, est-il au ciel ou sur la terre ? sur la terre sans doute ; mais, fût-il au ciel, n’est-il pas écrit que le ciel et la terre passeront : Ce que Dieu a fait passera combien plus vite ce qu’a fondé Romulus ! Peut-être, si nous voulions quereller Virgile pour ces vers, il nous prendrait à part et nous dirait : J’en sais autant que vous ; mais que faire quand j’avais à charmer l’oreille des Romains ? Et cependant j’ai pris mes précautions en mettant ces paroles dans la bouche de leur Jupiter un Dieu faux ne pouvait être qu’un oracle menteur. Mais ailleurs, quand j’ai parlé en mon nom, j’ai dit :

Non res romanae perituraque regna.

Vous le voyez, j’ai dit que leur empire périrait. »

On voit bien que saint Augustin n’a cité Virgile que pour opposer le poëte au poëte lui-même et ébranler la trop grande autorité que lui prêtaient encore quelques lettrés.

Puis Augustin, sachant qu’un certain nombre de ses auditeurs se plaignaient de sa sévérité pour les calamités romaines, qu’autour de lui on murmurait quand il prenait la parole sur les événements de Rome, car il paraît qu’en Afrique il y avait deux partis un parti romain et un parti opposé au Romains, dont saint Augustin était considéré comme le chef, il va au-devant des objections : Je sais qu’on dit de moi : « Surtout qu’il ne parle pas de Rome Oh! s’il pouvait ne rien dire de Rome ! » Comme si je venais pour-insulter autrui et non pour fléchir Dieu et pour vous exhorter selon la mesure de mes forces. A Dieu ne plaise que j’insulte Rome ! N’y comptions-nous pas beaucoup de frères ? n’en avons-nous pas encore beaucoup ? Une grande partie de la cité de Dieu voyageuse en ce monde n’y a-t-elle point sa demeure!... Que dis-je donc quand je ne veux point me taire, si ce n’est qu’il est faux que notre Christ ait perdu Rome, et qu’elle fut mieux gardée par ses dieux de pierre ou de bois. Les voulez-vous plus précieux ? ses dieux d’airain ; ajoutez ses dieux d’argent et d’or. Voilà à qui des hommes savants avaient confié la garde de Rome. Comment donc garderaient-ils vos maisons, ces dieux qui n’ont pas pu garder leurs idoles ? Il y a longtemps qu’Alexandrie a perdu ses faux dieux ; il y a longtemps que Constantinople a perdu les siens, et, reconstruite par un empereur, chrétien, elle a grandi cependant, elle grandit encore, elle demeure, elle demeurera autant que Dieu l’a résolu ; car même à cette cité chrétienne nous ne promettons pas l’éternité[11]».

Ce dernier fragment a beaucoup de grandeur, cette opposition des nouvelles destinées de Constantinople à celles de la vieille Rome et, en même temps surtout, cette vue d’un empire grand, mais périssable, attaché à Constantinople même, tout cela montre l’étonnante justesse de coup d’œll que saint Augustin a portée dans l’histoire : il semble qu’il ait vu, à travers les temps, ces autres barbares et cet autre Àlaric, qui devaient annoncer un jour à Constantinople que l’heure était venue. On trouverait dans les sermons de saint Augustin des passages non moins éloquents, des morceaux entiers tout resplendissants de beautés analogues à celles qui sont si communes dans saint Jean Chrysostome et dans saint Basile, notamment un passage d’un admirable discours sur la Résurrection : «  Vous êtes triste d’avoir porté au sépulcre celui que vous aimiez, et parce que tout à coup vous n’entendez plus sa voix. Il vivait et il est mort il mangeait et il ne mange plus il ne se mêle plus aux joies et aux plaisirs des vivants. Pleurez vous donc la semence quand vous la confiez au sillon ? Si un homme était assez ignorant de toutes choses pour pleurer le grain qu’on apporte aux champs, qu’on met dans la terre et qu’on ensevelit sous la glèbe brisée ; et si cet homme disait en lui-même : « Comment donc a-t-on enterré ce blé moissonné avec tant de peine, battu, émondé, conservé dans le grenier : nous le voyions, et sa beauté faisait notre joie ! maintenant il a disparu de nos yeux ! S’il pleurait ainsi, ne lui dirait-on pas: « Ne t’afflige point ; ce grain enfoui n’est assurément plus dans le grenier, il n’est plus dans nos mains mais nous viendrons plus tard visiter ce champ, et tu te réjouiras de voir la richesse de la récolte, là où tu pleures l’aridité du sillon...» Les moissons se voient chaque année, celle du genre humain ne se fera qu’une fois à la un des siècles... En attendant, toute créature, si nous ne sommes pas sourds, nous parle de résurrection. Le sommeil et le réveil sont de tous les jours la lune disparaît, et se renouvelle tous les mois. Pourquoi viennent, pourquoi s’en vont les feuilles des arbres ? Voici l’hiver assurément ces arbres desséchés reverdiront au printemps. Sera-ce la première fois, ou l’avez-yous vu l’an passé ? Vous l’avez vu l’automne amena l’hiver, le printemps ramène l’été. L’année recommence dans un temps qui lui est marqué ; et les hommes faits à l’image de Dieu mourraient pour ne plus revivre ! »

J’ai hâte d’en finir, et, pour montrer comment Augustin savait s’élever à ce troisième degré de l’éloquence qu’il appelle le sublime, comment après avoir traversé le langage simple et familier, et cet autre, qui n’est dénué ni d’ornements ni d’érudition, il savait aussi arracher au fond des cœurs une victoire disputée.

J’aime mieux vous citer deux faits racontés par saint Augustin lui-même, par nécessité, et non pour vanter son éloquence..

De temps immémorial existait en Mauritanie, à Césarée, une coutume qu’on appelait la Caterva; c’était une petite guerre, mais sérieuse et meurtrière, qu’on se faisait chaque année chaque année, les habitants de la ville, divisés en deux bandes, les pères et les fils, les frères et les frères, armés les uns contre les autres, se faisaient, pendant cinq ou six jours, une guerre à mort des flots de sang coulaient dans la ville. Aucune prescription des êmpereurs n’avait pu déraciner ce détestable usage cela étonnera moins ceux qui sauront que l’Italie, au moyen âge, connut quelques coutumes semblables, et qu’il fallut des efforts persévérants pour les effacer. Saint Augustin tâcha d’abolir ce que les édits des empereurs avaient vainement voulu détruire : il parla, il ébranla, il fut couvert d’applaudissements ; mais il ne se crut pas vainqueur tant qu’il n’entendit que des acclamations : il parla encore; enfin il vit couler des larmes ; alors il sentit que la victoire était gagnée : « En effet, dit-il, il y a huit ans que j’ai parlé, et il y a huit ans que la coutume annuelle n’a pas reparu[12]. »


Une autre fois, il s’agissait, d’un usage moins dangereux, mais plus difficile à déraciner On avait institué à Hippone des banquets demi-païens qui se célébraient dans l’église et s’appelaient Laetitia. Les gens d’Hippone paraissaient bien disposés à ne pas renoncer à cette coutume le vieil évêque Valère avait appelé Augustin à venir partager avec lui le fardeau de l’épiscopat et le ministère de la parole. Il le chargea d’attaquer encore une fois cette coutume profane, contre laquelle tous ses efforts étaient demeurés impuissants. Ce fut pour Augustin l’occasion d’un nouveau triomphe. Aussitôt qu’on sut qu’il parlerait sur ce point, on s’entendit pour ne tenir aucun compte de son discours. Cependant, par curiosité, on alla l’entendre il parla trois fois, à trois jours différents, et, le jour où il resta maître du terrain, il avait pris en quelque sorte avec lui toutes ses armes, il avait fait apporter tous les livres de l’Écriture sainte, il avait fait lire l’Évangile du Sauveur chassant les marchands du temple, il avait lu l’Exode, où sont représentés les Juifs adorant les faux dieux, et prenant ensuite le livre des Épîtres de saint Paul, il avait lu les passages dans lesquels saint Paul flétrit l’ivresse et les banquets ; ayant enfin rendu tous ces livres à celui qui en était le gardien : « Je commençai, dit-il, à leur représenter le commun péril et d’eux qui nous étaient confiés, et de nous qui rendrions compte au prince des pasteurs ; et, par les injures du Christ, par sa couronne d’épines, par sa croix et par son sang, je les suppliai que, s’ils voulaient se perdre, ils eussent pitié de nous, et qu’ils songeassent a la charité du vieil et vénérable évêque Valère, qui, pour l’amour d’eux, m’avait imposé la formidable charge de leur annoncer la parole de vérité. « Et, tandis que je leur faisais ces reproches, il arriva que le maître des âmes me donna de l’inspiration selon le besoin et le péril. Mes larmes ne provoquèrent point les leurs ; mais, tandis que je parlais, prévenu par leurs pleurs, j’avoue que je ne pus me défendre de laisser éclater les miens, et, quand nous eûmes pleuré ensemble, je mis fin à mon discours avec un ferme espoir de leur conversion.[13] »

Voilà assurément de beaux exemples des victoires de la parole. Et ne vous arrêtez pas à ce qu’ils ont de petit et d’obscur par leur objet, car toutes les conquêtes spirituelles commencent ainsi par être humbles et obscures ; mais cette parole, qui avait vaincu les habitants de Césarée, en Mauritanie, et les gens d’Hippone, vous la verrez grandir et triompher sur d’autres champs de bataille.

Il nous resterait a étudier bien d’autres orateurs chrétiens de l’école de saint Ambroise et de saint Augustin. Ils sont nombreux au quatrième et au cinquième siècle : je citerai seulement, saint Léon, si magnifique lorsqu’il dévoile les destinées de Rome chrétienne et qu’il invite saint Pierre à venir prendre possession de cette capitale de tous les paganismes[14]; saint Zénon de Vérone, dont les discours sont fort instructifs et surtout très-curieux ils sont adressés aux catéchumènes au moment où ils vont recevoir le baptême ; je pourrais citer encore saint Pierre Chrysologue de Ravenne, Gaudence de Brescia, Maxime de Turin. Mais il faut convenir que les discours de saint Augustin restèrent, avec ceux de Grégoire le Grand, comme le modèle principal et favori de la prédication chrétienne au moyen âge. Nous en avons la preuve dans les discours de saint Césaire d’Arles, que longtemps on a confondus avec ceux de saint Augustin et qu’il faut encore rechercher aujourd’hui dans l’Appendice des œuvres de celui-ci, tant est grande la ressemblance de ces deux esprits ! tant le disciple a suivi le maître pas à pas ! A son tour, le recueil des discours de saint Césaire devint le manuel de tous ceux qui étaient incapables de prêcher par eux-mêmes. On en a formé des homéliaires ou livres d’homélies, manuels des missionnaires innombrables envoyés à toutes les extrémités du monde pour conquérir les barbares à la foi.

Les temps nouveaux sont en possession de l’ . éloquence qui leur convient : elle sera simple, comme il la faut à saint Eloi, à saint Gall, à saint Boniface, pour toucher les âmes de ces néophytes encore tout remplis des souvenirs de leur paganisme grossier et des divinités sanguinaires du Valhalla. Elle sera familière et rustique s’il le faut, comme il convient aux prédicateurs dés temps carlovingiens qui auront à instruire et à éclairer des porchers et des bouviers pour lesquels ils stipulent avec tant de soin le repos du dimanche, afin qu’il leur reste un jour au moins pour s’instruire et-arriver à la connaissance de leur religion. Il faudra aussi que cette parole reste assez élevée, assez puissante, pour conserver les hautes pensées de la métaphysique chrétienne, en rendre toute la délicatesse, tous les détails les plus difficiles à saisir et les faire pénétrer, les uns après les autres, dans des intelligences qui semblent les moins faites pour les entendre il faudra enfin qu’elle demeure assez forte et assez efficace pour que, a un moment donné, elle puisse ébranler les nations. Après avoir étudié les prodiges obscurs de la parole, nous ne serons plus étonnés de ce qu’elle a fait au huitième et au neuvième siècle ; il est plus difficile de créer des sociétés que de les conduire et de les armer ensuite. Quand je vois la prédication chrétienne assez forte pour arracher des populations entières au paganisme, pour les amener à des mœurs nouvelles, pour déraciner les plus opiniâtres passions, je ne suis pas étonné de la trouver, plus tard, assez puissante pour réconcilier les villes lombardes et Jean de Vicence dans les champs de Vérone, assez puissante pour précipiter, avec saint Bernard, toute l’assemblée de Vézelay à la croisade.

EXTRAIT DES NOTES DE LA LEÇON


I


C’est dans tous les Pères, mais peut-être dans saint Ambroise excellemment, qu’il faut voir le type de l’homélie. La parole même de Dieu donnant non-seulement le sujet, mais toute la trame de la prédication. Hexaemeron. Sermons sur l’oeuvre des six jours, prêchés matin et soir au peuple de Milan pendant la dernière semaine du carême. Un notarius les écrivait. Plus tard Ambroise les rédigea. Il y réunit ce que les anciens savaient de la nature : Pline, Virgile. Il anima le récit de la création, s’attacha à combattre les objections des païens et des hérétiques, et en relevant le sens symbolique à retrouver dans cette vie de la nature l’image et la règle de la vie humaine. Physique. -Métaphysique. –Morale.

Admirables tableaux de la mer : « Quelle verdure des prairies, quel charme des jardins peut égaler l’azur de l’Océan ? Les jardins brillent émaillés de lis, la mer est semée de voiles. Les lis ne portent qu’un parfum, tes navires portent le salut des hommes. Ajoutez les poissons bondissant, les dauphins se jouant et les flots retentissant d’un sombre murmure. » D’autres fois il se complaît aux plus humbles peintures : La cigogne nourrissant ses vieux parents, les abeilles combattant pour leur reine, le rossignol enchantant les nuits où il couve ses petits : « Je lui compare cette pauvre mais chaste femme qui se lève la nuit pour tourner la meule et moudre le pain de ses petits enfants, et qui essaye de charmer par ses chants l’ennui de sa pauvreté. Et quoiqu’elle ne puisse imiter la mélodie du rossignol, du moins elle en imite la tendresse. »

Sages instructions.- Premier jour. -Contre les philosophes qui font le monde et la matière éternels. -Le dogme de la création.- Quatrième jour. -Contre l’astrologie.- Le soleil n’est que le serviteur du Christ. -Si vous croyez à la fatalité de l’horoscope, pourquoi des lois, des châtiments; pourquoi le laboureur n’attend il pas que ses greniers se remplissent d’eux-mêmes ?

Applications morales. La rose était d’abord sans épine, elle s’en couvrit ensuite et devint le symbole de notre vie. Car l’élégance de notre vie est tout assiégée et toute pressée de sollicitudes, de façon que la tristesse soit unie au plaisir ; et si quelqu’un, par la justesse de sa raison, ou par le succès d’une heureuse carrière, a lieu de se féliciter lui-même, il faut qu’il se souvienne du péché qui dans, nos âmes couvertes comme des fleurs aux parfums du paradis terrestre a fait naître les ronces. « Ô homme ! vous avez beau briller de tout votre éclat : regardez au-dessous de vous, vous fleurissez sur des épines. »

La création de l’homme. Conclusion. « Remercions le Seigneur notre Dieu d’avoir fait cet ouvrage où il put se reposer. Il fit le ciel, je ne lis pas qu’il se reposa; il fit la terre, je ne lis pas qu’il se reposa; il fit le soleil et les étoiles, je ne lis pas encore qu’il se soit reposé. Mais je lis qu’il fit l’homme, et alors il se reposa, car il avait à qui pardonner. »

II
SERMON POUR LA FÊTE DES APÔTRES.

La solennité d’aujourd’hui sollicite la piété de toute la terre : mais une joie plus vive doit célébrer cette fête dans cette ville où s’accomplit leur glorieux martyre. C’est par eux, ô Rome ! que l’Évangile du Christ a lui pour toi, et que, maîtresse de l’erreur, tu es devenue disciple de la vérité. Par eux tu es née sous de meilleurs auspices qu’au jour où celui qui te donna son nom te souilla du sang de son frère. Ce sont eux qui t’ont conduite à ce degré de gloire où je te vois, peuple élu, famille sainte, cité sacerdotale et royale, devenue, par le siège de Pierre, la capitale du monde, régnant par la foi plus loin que par l’empire. Car, si tes victoires ont étendu ta puissance sur la terre et sur les mers, les labeurs guerriers t’ont soumis moins de provinces que la paix chrétienne.

Dieu bon, juste et tout-puissant, qui ne refusa jamais sa miséricorde au genre humain… a pris pitié de notre malice en nous envoyant son Verbe égal et coéternel à lui… et afin que l’effet de cette grâce inénarrable se communiquât par tout le monde, il y pourvut par une admirable providence en fondant l’empire romain, dont les frontières grandissantes reculèrent jusqu’à ce qu’elles touchassent à tous les peuples. Car il convenait souverainement à l’œuvre divine qui se préparait, que les royaumes divers se confondissent sous une même puissance, et que le gouvernement d’une cité reine, en maîtrisant tant de peuples, ouvrît parmi eux les voies à la prédication universelle. Rome, cependant, ignorant l’auteur de ses progrès, en même temps qu’elle régnait sur toutes les nations, s’était rendue l’esclave de toutes les erreurs, et croyait s’être fait une grande religion, parce qu’elle n’avait repoussé aucun mensonge… Quand les apôtres se partagent le monde, le bienheureux Pierre est destiné à la capitale de l’empire romain… Quelle nation n’avait pas alors ici quelques-uns des siens, quels peuples pouvaient ignorer ce que Rome enseignait ? C’était ici qu’il fallait fouler aux pieds les opinions des philosophes, ici qu’on devait confondre les vanités de la sagesse terrestre, humilier le culte des démons, détruire l’impiété des sacrifices ; c’était ici où la superstition semblait avoir pris soin de réunir tout ce que l’imposture avait conçu. Voilà donc cette ville où vous ne craignez pas de venir fixer votre demeure, bienheureux apôtre saint Pierre. Vous entrez dans cette forêt peuplée des bêtes rugissantes, vous vous avancez sur les profondeurs orageuses de cet océan, plus courageux qu’au jour où vous marchiez sur la mer ; et vous ne redoutez pas Rome maîtresse du genre humain, vous qui, dans la maison de Caïphe, aviez eu peur.de la servante du prêtre… Vous apportiez au Capitole le trophée de la croix et la gloire du martyre.

  1. Dioniq Borysthenica, oratio 36.
  2. Apulée, Florid. I II. initio.
  3. EXTRAIT DES NOTES DE LA ’LEÇON. La parole ; c’est la prédication ; l’orateur, c’est l’évêque ; la -parole, c’est l’accomplissement d’un devoir ; c’est un acte, un ministère, c’est un sacerdoce ; elle n’est plus au service de l’intelligence, mais de l’amour.
  4. S. Ambroise, de Officiis ministrorum, c. 22, 23.
  5. S.Augustin, de Doctrina chrisdtiana, I, IV c. 2
  6. S. Augustin, de Catechizandis rudibus, cap. 2 ;
  7. S. Greg. Naz., Op., t. 1, p. 132, Orat. IV.
  8. Voir les notes à la fin de la leçon
  9. S. Augustin, de Vita clericorum suorum, serm. 355.
  10. S. Augustin, de Trinitate, serm. 52.
  11. S. Augustin, serm. 105, c. 7 et 9.
  12. S. Augustin, de Doctrina christiana, 1. IV, 24.
  13. Epis. XXIX, ad Alypium.
  14. Voir les notes à la fin de la leçon, II.