Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/4

La bibliothèque libre.


CHAPITRE IV


LE BIENHEUREUX JACOPONE DE TODI


Les grands poëtes ne naissent pas d’ordinaire aux temps héroïques. Ils viennent après, lorsque ces temps sont assez loin pour laisser se dissiper les ombres qui s’attachent toute gloire humaine, assez près encore pour que l’intérêt du passé subsiste, et que le regret se mêle au souvenir. L’Iliade paraît au déclin des premières monarchies grecques, et Virgile ne fait qu’ensevelir avec une pompe toute divine la liberté romaine. La Providence met des poëtes dans les sociétés, qui tombent, comme elle met des nids d’oiseaux dans les ruines pour les consoler.

Les dernières années du treizième siècle réunissaient tous les signes d’une décadence. Deux grandes affaires avaient fait le tourment et la gloire du moyen âge : c’étaient les croisades et la querelle du Sacerdoce et de l’Empire. Maintenant, le dernier cri des croisades venait d’expirer avec saint Louis sous les murs de Tunis, et la chrétienté découragée ne ressentait encore que les désastres des guerres saintes, sans pouvoir en juger les bienfaits. D’un autre côté, cette génération de papes héroïques, dont Grégoire VII fut le premier, avait paru s’arrêter à Innocent IV. La puissance impériale, vaincue en la personne de Frédéric II, ne songeait plus qu’à dompter l’insubordination de ses vassaux d’Allemagne. Ainsi l’Italie avait vu finir cette lutte des deux pouvoirs spirituel et temporel qui la déchirait, mais pour la féconder. Au lieu des doctrines, c’étaient maintenant les intérêts qui armaient les villes contre les villes, les nobles contre les plébéiens, les plébéiens enrichis contre le petit peuple ; et ces formidables noms de Guelfes et de Gibelins, au lieu de représenter des idées, ne couvraient plus que des haines. L’abaissement de la société se faisait sentir dans l’École. Depuis qu’elle avait perdu ses deux chefs, saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure, le combat s’était engagé autour de ces illustres morts entre ceux qui se disputaient leurs dépouilles. À la métaphysique puissante qui soutenait tout l’édifice de la Somme de saint Thomas, se substituaient les subtilités de l’ontologie et de la dialectique. On commençait à délaisser les études libérales pour des sciences plus lucratives : et les dix mille écoliers qui se pressaient aux leçons des jurisconsultes de Bologne avaient plus soif d’or que de justice. Si quelques esprits meilleurs se dégageaient de la foule, la tristesse des choses humaines devait les pousser vers Dieu ; et quand il leur restait assez de pitié pour s’occuper des hommes, on comprend que, mécontents des grands et des lettrés, ils finissent par se tourner vers les ignorants, les petits et les pauvres. Ce fut la destinée d’un Italien plus ancien que Dante, et en qui l’Ordre de Saint-François trouva son poëte le plus populaire et le plus inspiré. Je veux parler du bienheureux Jacopone de Todi.

Je ne m’engage pas sans quelque hésitation dans l’histoire de cet homme extraordinaire, qui passa du cloître à la prison, et de la prison sur les autels. On y verra des temps difficiles, l’Église en feu, et un grand religieux en lutte avec un pape. Mais je ne puis éviter cette difficulté de mon sujet ; je continue l’étude des poëtes franciscains, j’arrive au plus illustre, à celui qui composa le Stabat : il faut bien savoir quels événements l’inspirèrent. D’ailleurs, la gloire de Dieu ne fut jamais intéressée à cacher les fautes des justes. Les incroyants peuvent s’en réjouir, les faibles s’en étonner. Les esprits fermes dans la foi en prennent sujet d’admirer la supériorité du Christianisme, qui jamais n’imagina ses saints comme les stoïciens voulurent leurs sages, comme des hommes impossibles, sans passions et sans faiblesses : il les conçoit tels que la nature les a faits, passionnés, faillibles, mais capables d’effacer par un jour de repentir plusieurs années d’erreurs.

À l’entrée de l’Ombrie, et sur une colline qui domine le confluent du Tibre et de la Naja, s’élève la vieille ville de Todi avec sa cathédrale, sa place carrée et ses trois enceintes, la première en blocs cyclopéens, la seconde de construction romaine, la troisième bâtie au moyen âge pour envelopper de populeux faubourgs. Alors la commune de Todi rangeait sous son gonfalon une armée de trente mille fantassins et de dix mille chevaux ; quatorze châteaux lui assuraient l’obéissance des campagnes voisines[1]. C’est dans cette cité puissante, agitée par toutes les passions qui remuaient les républiques italiennes, qu’avant le milieu du treizième siècle la noble famille des Benedetti célébrait le baptême d’un enfant nommé Jacques. Lui-même s’est plu à décrire dans un de ses poèmes les soins qui entourèrent son premier âge, sa mère s’éveillant chaque nuit, allumant la lampe, et se penchant avec une terreur pleine d’amour sur le berceau où criait le nouveau-né. Un peu plus tard, il nous montre son père grave et rigide, usant de la verge quand l’enfant mutin tardait d’aller à l’école, et pleurait d’envie à voir les jeunes garçons jouer dans les rues. Cependant Jacques parcourait rapidement les trois degrés qui formaient encore, comme au temps des Romains, toute l’économie de l’enseignement profane, c’est-à-dire la grammaire, la rhétorique et la jurisprudence. L’étude des lois le conduisit probablement à Bologne ; et je crois reconnaître les mœurs de cette fameuse école, quand Jacques peint les prodigalités de sa jeunesse, l’orgueil de se bien vêtir et de beaucoup donner, les festins et les fêtes auxquels tout l’or de Syrie ne suffirait pas. Puis venaient les querelles, la honte de rester sans vengeance, et, après s’être vengé, la crainte des représailles. Voilà bien les habitudes de ces turbulents écoliers de Bologne qu’on voit toujours en armes, défiant les magistrats, battant les archers de la commune, et poussant si loin la passion du luxe, qu’il fallut des défenses réitérées pour abolir la coutume de célébrer les examens par des banquets et des tournois[2].

Mais, quand Jacques de Benedetti, promu au doctorat, eut été, selon l’usage, promené en robe rouge, à cheval, précédé de quatre trompettes de l’université, des pensées plus sérieuses l’occupèrent, et son nouveau titre le mit en mesure de réparer bientôt les brèches faites, comme il le dit, au coffre-fort paternel. Rien n’égalait alors le crédit des docteurs en droit : parmi eux, les princes choisissaient leurs chanceliers, et les communes leurs podestats. D’ailleurs, chez les Italiens du treizième siècle, âpres au gain et processifs comme les vieux Romains, un jurisconsulte de quelque renom ne paraissait point sur la place publique sans un nombreux cortège de clients. Jacques, revenu dans sa ville natale, négligea les honneurs pour la fortune ; il la poursuivit avec plus d’habileté que de scrupule ; et, comme le Digeste et le Code n’avaient pas de labyrinthes si tortueux dont il ne tînt le fil, en patronnant les affaires de ses concitoyens, il eut bientôt rétabli les siennes. À tant de prospérités il crut avoir ajouté le bonheur véritable, lorsque, entre toutes les jeunes filles de Todi, il se fut choisi une compagne parfaitement belle, avec tous les dons de la richesse, de la naissance et de la vertu. Mais c’était là que l’attendait un de ces coups terribles qui forcent les hommes de se souvenir de Dieu.

Il arriva qu’un jour de l’année 1268[3] la ville de Todi célébrait des jeux publics. La jeune épouse du jurisconsulte fut invitée ; elle prit place sur une estrade couverte de nobles femmes, pour jouir de la fête et pour en faire le plus aimable ornement. Tout à coup l’estrade s’écroule. Au bruit des madriers qui se brisent et des cris qui éclatent, Jacques se précipite, reconnaît sa femme parmi les victimes, l’enlève encore palpitante, et veut la délivrer de ses vêtements. Mais elle, d’une main pudique, repoussait les efforts de son mari, jusqu’à ce que, l’ayant portée dans un lieu retiré, il put la découvrir enfin. Sous les riches tissus qu’elle portait, il aperçut un cilice au même instant, la mourante rendit le dernier soupir.

Cette mort soudaine, ces austères habitudes chez une personne nourrie dans toutes les délicatesses de l’opulence, la certitude enfin d’être le seul coupable des péchés expiés sous ce cilice, frappèrent le jurisconsulte Todi comme d’un coup de foudre. Le bruit se répandit que l’excès de la douleur venait de déranger ce grand esprit. Après quelques jours d’une morne stupeur, il avait vendu tous ses biens pour les distribuer aux pauvres ; on le rencontrait couvert de haillons, parcourant les églises et les rues, poursuivi par les enfants qui le montraient au doigt, et l’appelaient Jacques l’Insensé, Jacopone. On racontait même qu’invité aux noces de sa nièce, il s’y était rendu sous un étrange travestissement, tout hérissé de plumes, peut-être pour railler amèrement la frivolité des plaisirs qu’il venait troubler. Sa famille lui reprochant ce délire : « Mon frère, avait-il répondu, pense illustrer notre nom par sa magnificence ; j’y veux réussir par ma folie. » En effet, c’était bien ce fou qui devait immortaliser la riche mais obscure maison des Benedetti. Sous les égarements du désespoir, il cachait les premiers transports d’une pénitence héroïque. La pensée de la mort ne lui laissait pas de repos : il demandait la paix aux Livres saints, qu’il lut d’un bout à l’autre. Il y apprenait à expier par la pauvreté volontaire les délices de sa première vie, et, en retour des applaudissements qu’il avait trop aimés, à chercher l’humiliation, le mépris, les huées des enfants. Il y apprenait à réparer le tort d’une éloquence trop souvent prêtée à l’injustice des hommes, en les instruisant désormais, en les avertissant comme faisaient les prophètes, par des signes plus puissants que tous les discours. De même que Jérémie avait paru sur les places de Jérusalem avec des fers aux mains et le cou chargé d’un joug, pour figurer la captivité prochaine ainsi, au milieu d’une fête, Jacopone s’était montré demi-nu, se traînant sur les mains, bâté et bridé comme une bête de somme ; les spectateurs s’étaient retirés pensifs, en voyant où venait aboutir une destinée si brillante et si enviée. Une autre fois, un de ses parents qui sortait du marché portant une paire de poulets, le pria de s’en charger pour un moment « Vous les remettrez, « dit-il, à ma demeure. » Jacopone alla droit à l’église de Saint-Fortunat, où ce parent avait la sépulture de sa famille, et déposa les poulets sous la pierre du caveau. Quelques heures après, l’autre, tout en colère, vint se plaindre de n’avoir pas trouvé ses bêtes au logis « Ne m’aviez-vous pas prié, répondit Jacopone, de les porter à votre demeure ? Et quelle demeure est la vôtre, sinon « celle que vous habiterez pour toujours ? » C’était la parole de David « Leurs tombeaux deviendront « leurs maisons pour l’éternité[4]. »

Dans les villes italiennes du moyen âge, chez des peuples passionnés, naïfs, dont toute la vie se passait sur la place publique, ces souvenirs bibliques ne semblaient pas déplacés, et la prédication pouvait prendre des libertés qu’autorisait l’exemple des saints. Souvent, quand les folies de Jacopone avaient attroupé la foule, il se retournait pour la prêcher, et, profitant du droit qu’on lui accordait de tout dire, il attaquait sans ménagement les vices de ses concitoyens. Cependant cet orateur populaire n’avait pas encore de mission. Il s’était affilié seulement au tiers ordre de Saint-François, milice laïque établie pour les fidèles qui, sans quitter le siècle, voulaient vivre sous les lois de la pauvreté et de la charité. C’est alors, sans doute, qu’affranchi des assujettissements du monde, et libre encore des observances monastiques, il s’enfonça avec passion dans l’étude de la théologie, dans les obscurités des mystères, dans des questions dont plus tard il reconnut la témérité. Au bout de dix ans, il comprit le danger d’un genre de vie trop indulgent pour la fougue de son caractère et pour l’indiscipline de son esprit. En 1278, il vint frapper à la porte du cloître, et voulut être admis parmi les Frères-Mineurs. Ceux-ci hésitèrent d’abord à recevoir l’insensé, et le renvoyèrent d’un jour à l’autre, jusqu’à ce qu’enfin il leur prouva son bon sens en leur apportant deux petites pièces, l’une en prose latine rimée, l’autre en vers italiens. La séquence latine disait[5]  :

« Pourquoi le monde s’enrôle-t-il sous la bannière de la vaine gloire, dont si passagère est la félicité ? -Sa puissance tombe comme le vase d’argile qui se brise.- Plutôt qu’aux vains mensonges du monde, croyez aux lettres qu’on a tracées sur la glace. —Dites que sont devenus Salomon, jadis si fameux, et Samson, le chef invincible, et le bel Absalon, et le très aimable Jonathas ? -Où est allé César en descendant de la hauteur de son empire, et le mauvais riche au sortir de son festin ?.- Que la gloire du monde est une courte fête sa joie passe comme l’ombre de l’homme. -Ô pâture des vers ô poignée de poussière ! ô goutte de rosée ! ô néant ! pourquoi s’élever ainsi ? –Tu ne sais si tu vivras demain : fais du bien, fais-en à tous les hommes aussi longtemps que tu le peux. N’appelle jamais tien ce que tu peux perdre. Songe à ce qui est en haut ! que ton cœur soit au ciel ! Heureux qui sut mépriser le monde » Le style de cette petite composition n’avait rien qui la distinguât des exercices ordinaires de l’école ; mais le cantique italien, dont elle était accompagnée, étincelait de verve. Une originalité hardie, quelquefois triviale, y éclatait sous un dialecte rustique, sous un rhythme choisi pour les oreilles du peuple. La douleur et la solitude, ces deux grandes maîtresses du génie, avaient fait du jurisconsulte un poëte[6] .

« Écoutez, disait-il, une folie nouvelle dont la fantaisie me vient. -L’envie me vient d’être mort, parce que j’ai mal vécu. Je quitte les joies du monde pour prendre un plus droit chemin... -Je veux montrer si je suis un homme ; je veux me renier moi-même et porter ma croix, pour faire une folie mémorable.- La folie est telle que je vais la dire : Je veux me jeter à corps perdu chez des hommes rustiques et qui déraisonnent, qui déraisonnent par une sainte démence.

« Christ, tu connais ma pensée, et que je tiens à grand mépris le monde où je restais dans le désir de bien savoir la philosophie. Je prétendais savoir la métaphysique afin de pénétrer dans la théologie, et de voir comment l’âme peut jouir de Dieu en passant par tous les degrés de la hiérarchie céleste. Je prétendais pénétrer comment la Trinité n’est qu’un seul Dieu, comment il fut nécessaire que le Verbe descendît dans Marie. La science est chose divine c’est un creuset où se purifie l’or de bon aloi. Mais une théologie sophistique a fait la ruine de plusieurs. Or écoutez ce que je viens de penser : « J’ai résolu de passer pour stupide, ignorant et dépourvu de sens, et pour un homme plein de bizarrerie, Je vous laisse les syllogismes, les piéges de paroles et les sophismes, les questions insolubles et les aphorismes, et l’art subtil du calcul. Je vous laisse crier à votre aise, Socrate, et toi, Platon, épuiser votre haleine, argumenter de part et d’autre, et vous enfoncer dans le bourbier. Je laisse l’art merveilleux dont Aristote écrivit le secret, et les doctrines platoniciennes, qui le plus souvent ne sont qu’hérésies.– Une intelligence simple et pure s’élève toute seule, et, sans le secours de leur philosophie, monte jusqu’en présence de Dieu. Je vous abandonne les vieux livres que j’aimai tant, et les rubriques de Cicéron dont la mélodie m’était si douce. Je vous laisse le son des instruments et les chansonnettes, les dames et demoiselles jolies, leurs artifices, et leurs flèches qui portent la mort, et toutes leurs subtilités. A vous tous les florins, les ducats et les carlins, et les nobles et les écus génois, et toute marchandise de même-sorte. Je vais m’essayer dans une religion puissante et dure si je suis airain ou laiton : c’est ce que l’épreuve montrera bientôt. -,Je vais à une grande bataille, à un grand effort, un grand labeur. Ô Christ ! que ta force m’assiste si bien, que je sois victorieux ! Je vais aimer d’amour la croix dont l’ardeur déjà m’embrase, et lui demander d’une humble voix qu’elle me pénètre de sa folie. Je vais me faire une âme contemplative, et qui triomphe du monde je vais trouver la paix et la joie dans une très-douce agonie. Je vais voir si je puis entrer en paradis par le chemin dont je m’avise, pour y goûter les chants et les sourires d’une compagnie immortelle. Seigneur, donne-moi de savoir et de faire ta volonté ici-bas, puis je ne m’inquiète plus si c’est ton plaisir de me damner ou de me sauver .[7] » Après la lecture de ces vers, les Frères Mineurs ne craignirent plus d’ouvrir leurporte à Jacopone : ils reconnurent que sa folie était celle de saint François lui-même, lorsqu’aux premiers jours de sa pénitence on le voyait comme un insensé pourchassé à coups de pierres sur les places publiques d’Assise, ou qu’on le rencontrait dans la campagne, tout en pleurs, parce qu’il songeait à la mort du Christ. La même passion possédait maintenant le pénitent de Todi ; elle avait fait le prodige de toucher cette âme endurcie aux leçons des légistes, au froissement des affaires ; elle le poussait non-seulement au pied des autels, mais aux champs, dans les bois, dans tous les lieux où le Créateur se révélait par la beauté des créatures. Il allait chantant des psaumes, improvisant des vers, noyant ses chants dans ses larmes ; il embrassait d’une étreinte désespérée les troncs des arbres et, quand on lui. demandait pourquoi il pleurait de la sorte : « Ah je pleure, s’écriait-il, de ce que l’amour n’est pas aimé. » Et comme on le pressait d’expliquer à quels signes le chrétien peut s’assurer qu’il aime son Dieu : « J’ai le signe de la charité, disait-il, si je demande une chose à Dieu, et que, Dieu ne la faisant pas, je l’en aime davantage, et que, Dieu faisant le contraire, je l’en aime deux fois plus[8]

Ne nous défions pas de ces transports, comme d’un élan de l’imagination, sans effet pour l’amendement du cœur. C’était au feu de l’amour de Dieu qu’il fallait rallumer l’amour des hommes dans un siècle de haine. Ce jurisconsulte, longtemps mêlé aux querelles des familles, échauffé-de tous les ressentiments qui armaient les villes d’Italie et, pour tout dire, contemporain des Vêpres siciliennes, professait maintenant le pardon des offenses, et réunissait dans une même affection, non plus ses concitoyens seulement, mais les étrangers. Il disait « Je connais que j’aime mon frère, s’il m’offense et que je ne l’en aime pas moins. » Il disait encore « Je jouis du royaume de France bien plus que le roi de France car je prends part à tout ce qui lui arrive d’heureux, sans avoir le souci de ses affaires[9]. » Et, poussant enfin la charité jusqu’au dernier effort, il ajoutait « Je voudrais, pour l’amour du Christ, souffrir avec une parfaite résignation tous les travaux de cette vie, toutes les peines, les angoisses, les douleurs qu’on peut exprimer par la parole ou concevoir par la pensée. Je voudrais aussi de bon cœur qu’au sortir de la vie les démons emportassent mon âme dans le lieu des supplices, pour y supporter tous les tourments dus à mes péchés, à ceux des justes qui souffrent en purgatoire, et même des réprouvés et des démons, s’ils se pouvait ; et cela jusqu’au jour du jugement dernier, et plus longtemps encore, selon le bon plaisir de la majesté divine. Et, par-dessus tout, il me serait très-agréable et d’un souverain contentement, que tous ceux pour qui j’aurais souffert entrassent avant moi dans le ciel, et qu’enfin, si j’arrivais après eux, tous ensemble s’entendissent pour me déclarer qu’ils ne me sont redevables de rien. » Sans doute il y a de l’excès. dans des vœux si hardis mais c’est l’excès de Moïse et de saint Paul souhaitant de devenir anathèmes pour le salut des pécheurs[10].

Le danger de cette hauteur de sentiments, c’est de s’y complaire c’est l’orgueil, qui tente le Stylite sur sa colonne, aussi bien que, le Cynique dans son tonneau. Voilà pourquoi Jacopone, voulant établir solidement l’amour de Dieu et des hommes, le fondait sur le mépris de soi-même. Chargé de poursuivre à la cour, de Rome une négociation difficile, il étonnait ses compagnons par sa patience : « Comment, lui disait-on, ne vous lassez-vous point de vivre avec de telles gens ? Et moi, répondait-il, je m’étonne qu’ils me supportent et ne me chassent pas comme le démon. » En. effet, c était sa doctrine comme celle de tous les sages, que l’homme doit s’appliquer a la connaissance de soi. Mais celui qui se connaît se, voit méchant, il se juge donc haïssable, il veut donc être haï ; et dès lors périssent dans leur germe l’orgueil, l’envie et la colère. Cependant l’homme, en détestant le mal qui est en lui, ne saurait cesser d’aimer l’existence, qui lui vient de Dieu et Jacopone voulait concilier tous les droits, de telle sorte « qu’on ne tombât point dans le vice. pour sauver la nature, mais qu’on ne détruisît pas la nature pour déraciner le vice[11]. Ainsi écartait- il ce reproche injustement adressé au mysticisme chrétien, d’avoir serré les liens de la nature humaine jusqu’à l’étouffer. Pendant qu’il enchaînait les sens, il ne travaillait qu’à l’affranchissement de l’âme c’est ce qu’il exprimait par la parabole suivante, où se montre bien l’imagination d’un poëte : « Une jeune fille parfaitement belle, et qui possédait une pierre du plus grand prix, avait cinq frères mal accommodés des biens de ce monde. Le premier était joueur de luth, le second peintre, le troisième parfumeur, le quatrième cuisinier, et le cinquième faisait un trafic honteux. Or le musicien, pressé du besoin, vint trouver la jeune fille, et lui dit « Ma sœur, tu vois que je suis pauvre ; donne-moi donc ta pierre, et en retour j’accorderai mon luth et je te jouerai ma plus belle mélodie. » Mais la sœur répondit « La mélodie finie, qui me fera vivre ? Non, je ne te vendrai point ma pierre, -mais je la garderai jusqu’à ce qu’elle me serve à trouver un époux qui m’entretienne honorablement. » Ensuite vint le peintre, puis les autres, chacun demandant le joyau, et en retour, proposant ses services. Leur sœur les congédia tous avec les mêmes paroles. Enfin parut un grand roi qui voulut aussi se faire donner la pierre. La jeune fille répondit « Sachez, seigneur, que je ne possède rien au monde que ce joyau si donc je vous en fais présent, que me donnerez-vous en échange ? » Et le roi promit de la prendre pour épouse, de la tenir pour sa dame très-auguste, et de lui assurer une vie éternelle avec une grande affluence de tous les biens désirables, « Seigneur, dit-elle alors, vos promesses sont si grandes, que je ne puis vous refuser ce présent ; je vous le fais volontiers. » Et en parlant ainsi elle lui donna sa pierre précieuse ; Or la jeune fille représente l’âme de l’homme, et la pierre le libre arbitre, seul bien dont elle dispose souverainement  ; les cinq frères figurent les cinq sens, et le roi est Dieu même, à qui l’âme se donne, et qui à ce prix veut bien la déclarer son épouse. »

À cette époque voisine encore des commencements de l’Ordre, où chacun des couvents de Saint-François avait ses traditions domestiques, ses maîtres préférés dont on retenait les maximes et les exemples, les discours de Jacopone devaient se conserver fidèlement dans la mémoire des religieux de Todi. Ses compagnons racontaient aussi comment il avait réduit en pratique la doctrine du mépris de soi-même et de la répression des sens. Lui qui avait pâli sur les traités d’Aristote et de Cicéron, comme sur les lois de Justinien, refusait maintenant les honneurs du sacerdoce ; il voulait rester frère lai et se réduire aux plus humbles services de la maison. Il gardait le nom dérisoire de Jacopone que le peuple lui avait donné. Accoutumé à tous les raffinements d’une vie somptueuse, il jeûnait au pain et à l’eau ; il mêlait de l’absinthe à ses aliments. Si par hasard quelque mets moins grossier avait réveillé la complaisance de ses sens, il les châtiait par de rudes fatigues. La tradition ajoute un dernier trait qu’il faut reproduire, précisément parce qu’il soulève notre délicatesse, parce qu’on y voit mieux l’énergie implacable et pour ainsi dire sauvage de ce pénitent, résolu de dompter à tout prix les révoltes de la nature. On rapporte qu’au milieu de ses jeûnes il se souvenait des banquets délicieux où jadis il avait convié ses amis. Poursuivi de la tentation de rompre l’abstinence, il prit une viande sanglante, la suspendit dans sa cellule, et l’y garda jusqu’à ce qu’elle fût tombée en pourriture. « Voilà, disait-il à ses sens, la pâture que vous avez souhaitée ; jouissez-en. » Mais il arriva que l’odeur de la chair corrompue se répandit dans le couvent, et trahit l’infraction de la discipline. Les cellules furent visitées, le coupable reconnu, et jeté dans le lieu le plus odieux de la maison. Alors, vengé de lui-même, il composa un cantique de triomphe sur ce refrain : « Ô joie du cœur, qui fais chanter d’amour.[12] »

Il semble qu’arrivée à ce point d’anéantissement volontaire, la vie du pénitent de Todi n’ait plus qu’à finir et c’est au contraire ici qu’elle recommence. C’est dans le secret de ses guerres intérieures que cette âme intrépide s’était préparée aux luttes publiques où le malheur des temps allait la précipiter, ou elle devait pécher par l’emportement de son zèle, et se faire tout pardonner par la pureté de ses intentions.

Les dissensions que Jacopone avait cru fuir en quittant le monde l’attendaient dans l’Église, et jusque dans la paix apparente du cloître. Au moment où il entrait chez les Frères Mineurs, cette grande famille s’était divisée en deux partis. D’une part, on commençait à se relâcher de la pauvreté primitive, à demander l’adoucissement d’une règle écrite, disait-on, plus pour les anges que pour les hommes. D’un autre côté, le petit nombre des rigides prétendaient retourner à l’ancienne austérité en secouant l’autorité des supérieurs, qu’ils trouvaient complices des abus. Les premiers avaient pour eux la possession des dignités de l’Ordre, la gravité d’une vie sédentaire : on les nommait Conventuels. Les seconds étonnaient le monde par la sincérité de leur pénitence ; et comme ils gardaient mieux l’esprit de la règle, on les appelait les Frères Spirituels. Ce fut de ce côté que le désir de souffrir et d’expier jeta Jacopone ; et les événements semblèrent d’abord lui donner raison[13]

Il arriva qu’en 1294, le Saint-Siége étant vacant depuis vingt-sept mois, les cardinaux s’accordèrent à finir le veuvage de l’Église et à lui donner pour chef un saint, en la personne de l’ermite Pierre de Morrone. Quand l’austère vieillard, tiré de sa cellule et couronné sous le nom de Célestin V, eut pris le gouvernement du monde chrétien, tout son zèle se déclara pour la stricte observance des règles monastiques : les Frères Spirituels obtinrent de lui le privilège de vivre selon la première rigueur de l’Ordre, dans des couvents séparés et sous des supérieurs de leur choix. Ce bienfait devait toucher Jacopone ; il montra sa reconnaissance en homme moins jaloux de plaire à ses amis que de sauver leurs âmes. Il adressa au nouveau Pontife une épître en vers, dont les rudes avertissements s’accordaient mal avec le langage ordinaire des cours : « Que vas-tu faire, Pierre de Morrone ? Te voilà venu à l’épreuve : nous verrons l’œuvre que préparaient les contemplations de ta cellule. Si tu trompes l’attente du monde, malédiction s’ensuivra. — Comme la flèche vise au but, ainsi le monde entier regarde vers toi : si tu ne tiens la balance droite, c’est à Dieu qu’on appellera de tes jugements. — Je ressentis pour toi une grande amertume de cœur, quand sortit de ta bouche ce mot : Je le veux, qui te mit sur le cou un joug assez lourd pour faire craindre ta damnation. — Défie-toi des bénéficiers, toujours affamés des prébendes. Leur soif est telle, que nul breuvage ne l’éteint. — Garde-toi des concussionnaires, ils te montreront blanc ce qui est noir. Si tu ne sais t’en défendre, tu chanteras un triste chant[14]. »

Les cris d’alarme de Jacopone ne trouvaient que trop d’accès auprès de Célestin, déjà effrayé des périls du pontificat. Le vieil anachorète se vit avec terreur seul au sommet de ce tourbillon d’intérêts, de passions et de discordes qui menaçait d’emporter la chrétienté, et que la main des papes les plus fermes avait eu peine à contenir. Au bout de cinq mois, il abdiqua et reprit le chemin de son désert. Les cardinaux lui donnèrent pour successeur Benoît Gaetani, si célèbre et si calomnié sous le nom de Boniface VIII. Le caractère énergique de Boniface, sa science profonde du droit canonique et civil, une longue vie usée dans les affaires contentieuses de l’Église, tout en lui annonçait un homme d’État. Mais il était permis de craindre que les qualités du prince séculier ne gênassent l’âme du prêtre, et que ce canoniste consommé ne poussât quelquefois l’amour de la justice jusqu’à l’oubli de la miséricorde. Telles pouvaient être les appréhensions de Jacopone, lorsque le Pape, troublé par une vision singulière, le consulta. Il avait vu, disait-il, une cloche sans battant, et dont la circonférence embrassait toute la terre. « Sache Votre Sainteté, répondit le religieux, que la grandeur de la cloche désigne la puissance pontificale qui embrasse le monde. Mais prenez garde que le battant ne soit le bon exemple que vous ne donnerez pas[15] ».

Ces présages sinistres semblèrent se réaliser aux yeux de Jacopone, lorsque Boniface, révoquant les concessions de son prédécesseur, supprima les priviléges des Frères Spirituels, et les remit sous l’obéissance des supérieurs Conventuels. Au moment où un coup si funeste frappait les ardents réformateurs de l’Ordre de Saint-François, des rumeurs étranges commençaient à se répandre. On accusait Boniface d’avoir extorqué l’abdication de Célestin V, en l’effrayant par des bruits nocturnes ; d’avoir jeté le saint vieillard dans une prison pour l’y faire mourir de la main des bourreaux. Rien n’était vrai dans ces récits mais le mécontentement les semait, la crédulité les recueillait ; et les consciences trompées commençaient à se demander si l’on pouvait reconnaître pour le vicaire du Christ le meurtrier d’un saint, si l’abdication de Célestin était licite, le pouvoir de Boniface légitime. Voilà les formidables questions qui se soulevaient de toutes parts, quand le 10 mai 1297, deux cardinaux ennemis du Pape, Jacques et Pierre Colonna, réunis avec un petit nombre de leurs partisans au château de Lunghezza, près de Rome, osèrent protester, par un acte solennel, contre l’élection de Boniface VIII, et, comme usurpateur du Saint Siège, le citèrent au jugement du prochain concile universel[16] .

Jacopone eut le malheur de paraître dans l’acte, comme témoin requis pour en certifier l’authenticité par conséquent, il encourut l’excommunication qui frappa les deux cardinaux et leurs adhérents. Il résidait depuis trois mois au couvent que les Frères Spirituels avaient encore dans la ville de Palestrina, fief des Colonna et leur principale forteresse. C’était de là, c’est-à-dire d’un lieu ennemi, où toutes les accusations trouvaient foi, qu’il avait jugé la question qui divisait les esprits et, par une de ces illusions que Dieu permet pour humilier la sagesse des hommes, dans une affaire si capitale, l’ancien jurisconsulte, le théologien, le pénitent, se trompa. Mais son erreur fut celle d’un cœur passionné pour l’honneur de l’Église et déchiré de ses plaies. Toute la tristesse de ces jours de scandale se fait sentir dans les vers suivants, où je trouve bien moins de colère que d’amour : « L’Église pleure, elle pleure et se lamente, elle sent tout le malheur d’une détestable condition. — Ô très-noble et douce mère, pourquoi pleurer ? Tu sembles souffrir de grandes douleurs. Conte-moi ce qui te fait pousser des plaintes sans mesure. — Mon fils, si je pleure, j’en ai bien sujet : je me vois sans père et sans époux. J’ai perdu enfants, frères et neveux ; tous mes amis sont captifs et chargés de liens. — Les miens jadis vivaient en paix : maintenant je les vois en discorde ; les infidèles m’appellent immonde, à cause du mauvais exemple que mes enfants ont semé. — Je vois la pauvreté bannie… Ils ont remis en honneur l’or et l’argent. Mes ennemis ont fait ensemble un grand festin ; toute bonne coutume s’est évanouie. De là mes larmes et mes gémissements. — Où sont tes patriarches pleins de foi… les prophètes pleins d’espérance ?… Où sont les apôtres pleins d’amour… et les martyrs pleins de force ? — Où sont les prélats justes et fervents, dont la vie faisait le salut des nations ? La pompe, la puissance et les grandeurs sont venues me gâter une si noble compagnie. — Où sont les docteurs pleins de sagesse ? J’en vois beaucoup qui ont grandi en science, mais leur vie ne s’accorde point avec mes lois. ils m’ont foulée aux pieds, jusqu’à désoler mon cœur. — Ô religieux ! votre tempérance faisait jadis mon plaisir. Maintenant, je vais visitant tous les monastères : il en est peu où mon âme soit consolée… — Nul n’accourt à mes cris. Dans tous les États je vois le Christ mort. Ô ma vie ! ô mon espoir ! ô ma joie ! Dans tous les cœurs, mon Dieu, je te vois étouffé[17]. »

Mais si l’amour trompé inspirait ces lamentations, la politique des Colonna s’en servait. Les plaintes du pénitent de Todi, soutenues de autorité de son nom, portées sur les ailes de la rime et du chant, allaient susciter des ennemis à Boniface VIII d’un bout à l’autre de l’Italie. C’est vers le même temps que les biographes de Jacopone fixent la date d’une satire trop célèbre, où l’on aperçoit, derrière le Franciscain fourvoyé, la main des hommes d’État qui le poussent la chanson italienne prépare les voies aux griefs articulés bientôt après par les jurisconsultes de Philippe le Bel : «  Ô pape Boniface tu as joué beaucoup au jeu de ce monde je ne pense pas que tu en sortes content. Comme la salamandre vit dans le feu, ainsi dans le scandale tu trouves ta joie et ton plaisir. Tu tournes ta langue contre toute règle religieuse, et tu profères le blasphème au mépris de toute loi. Ni roi, ni empereur, ni quelque autre que ce fût, ne te quitta jamais sans emporter une cruelle blessure. Ô criminelle avarice ! soif prodigieuse, capable de boire tant d’argent et d’être encore altérée ! » Il faut assurément détester ce langage mais il faut rappeler que Jacopone, égaré, croyait flétrir un usurpateur, et non le chef légitime de l’Église. Il faut enfin considérer le péril d’un siècle de luttes où deux grands esprits peuvent se rencontrer sans se reconnaître, et employer à se combattre des armes qu’ils devaient réunir pour le service de Dieu. D’autres se scandaliseront d’un tel spectacle nous pouvons nous y instruire. Nous y apprendrons, pour les temps de discorde, à croire la vertu possible dans des rangs qui ne sont pas les nôtres, et à mesurer nos coups dans la mêlée, puisqu’ils peuvent tomber sur des adversaires dignes de tous nos respects[18] . a faute du religieux était grande: la pénitence fut terrible. Lorsqu’on septembre 1298 Boniface, après un long siège, eut réduit Palestrina, Jacopone expia ses vers au fond d’un cachot. Lui-même nous décrit le lieu souterrain où il fut enfermé « comme un lion, » les chaînes qu’il traînait retentissant sur le pavé, la corbeille où le geôlier lui laissait son pain de chaque jour, l’égout au bord duquel il se penchait pour étancher sa soif. Mais le vieux pénitent se riait de ces rigueurs. On ne pouvait, disait-il, lui faire plus de mal qu’il ne s’en voulait. Il y avait trente ans qu’il priait Dieu de le punir et, dans la joie de se voir exaucé, il mêlait ses chants au bruit de ses fers.[19] Cependant cet homme invincible aux souffrances plia sous l’excommunication. Dans le silence du cachot, il eut le temps de considérer la cause pour laquelle il se trouvait mis au ban de la chrétienté. Il se vit seul dans la disgrâce de Dieu et des hommes, pendant que les auteurs mêmes du schisme, les Colonna, en habits de deuil et la corde au cou, étaient allés se jeter aux pieds de Boniface, désormais chef incontesté de l’Église universelle. Il se rendit enfin, et demanda grâce dans des vers qui respirent encore la fierté d’une âme mal domptée. Le prisonnier y défie son vainqueur et son juge;il lui propose un nouveau genre de combat « Absous-moi, dit-il, et laisse-moi les autres peines. jusqu’à l’heure de quitter ce monde. Frappe tant qu’il te plaît, je m’assure de vaincre à force d’aimer. Car je porte au cou deux boucliers sous lesquels je ne crains pas de blessure : le premier, d’un diamant éprouvé, c’est la haine de moi même ; l’autre, d’une escarboucle flamboyante, c’est l’amour d’autrui[20] . » Boniface ne répondit point à ce pieux défi. Les mois s’écoulèrent, et avec l’an 1500 s’ouvrit le jubilé universel, où le souverain Pontife convoquait les fidèles de toute la terre. Du fond de sa prison, Jacopone entendit les cantiques des pèlerins qui passaient, traînant leurs enfants avec eux, et portant sur leur dos leurs vieux pères pour aller chercher le pardon au tombeau des apôtres. Et pendant que deux cent mille étrangers à la fois inondaient les basiliques de Rome, pendant que les pécheurs repentants y trouvaient la paix, lui, tout brisé d’austérités, il n’avait part ni aux joies, ni aux prières, ni aux sacrements du peuple chrétien. Il adressa au Pape une seconde lettre, plus humble et plus suppliante[21] : « Le pasteur, pour mon péché, m’a mis hors la bergerie et mes bêlements ne m’en font point rouvrir la porte. Ô pasteur ! pourquoi ne point te réveiller à mes gémissements ? Longtemps j’appellai, mais je ne fus pas entendu. Je suis comme l’aveugle qui criait sur le chemin. Quand les passants le reprenaient, il ne criait que plus fort «  Ô Dieu ! prenez pitié de moi. -Que me demandes-tu ? dit le Seigneur. -Seigneur, que je revoie la lumière! que je puisse à haute voix chanter l’Hosanna des enfants !» Je suis le serviteur du centurion, et je ne mérite point que tu descendes sous mon toit. Il suffit que par écrit me soit donnée l’absolution ta parole me tirera du milieu des pourceaux. Il y a trop longtemps que je reste couché sous le portique de Salomon, au bord de la Piscine. Un grand mouvement s’est fait dans les eaux en ces jours de pardon. Le temps passe, et j’attends encore qu’il me soit dit de me lever, de prendre mon lit, et de retourner à ma demeure. La jeune fille était morte dans la maison du chef de la synagogue. Pire est la condition de mon âme, tant lui pèse le joug de la mort. Je te prie de me tendre la main et de me rendre à saint François, pour qu’il me donne ma place à table, à côté de mes frères.

« Destiné à l’enfer, j’en touche déjà la porte. La Religion, qui fut ma mère, mène un grand deuil avec tout son cortége. Elle voudrait entendre ta voix puissante me dire « Vieil, homme, lève-toi.» Alors se changeront en cantiques de joie les pleurs qu’elle a versés sur ma vieillesse. »

Des supplications si touchantes ne fléchirent pas la sévérité de Boniface VIII. On raconte même qu’un. jour, passant devant le cachot où languissait Jacopone, il se pencha vers les barreaux « Eh bien, « Jacques, lui cria-t-il, quand sortiras-tu de prison ? « –Saint-Père, répondit le religieux, quand vous y « entrerez. » La prédiction ne tarda pas à s’accomplir. Le 7 septembre de l’an 1505, Sciarra Colonna, neveu des cardinaux de cenom.et Guillaume de Nogaret, émissaire de Philippe le Bel, entraient dans Anagni à la tête de trois cents chevaux, forçaient les portes du palais et portaient une main sacrilége sur le Pontife, qui, un mois après, en mourut de douleur. Toute la chrétienté s’émut à ce récit. Plusieurs même parmi les ennemis politiques de Boniface se souvinrent qu’ils étaient chrétiens, et Dante flétrit d’un vers immortel ceux qui avaient fait le Christ prisonnier en la personne de son vicaire[22] .

Jacopone fut absous de l’excommunication quand Benoît XI, successeur de Boniface, par une bulle datée du 23 décembre 1505, leva les peines prononcées contre les Colonna et leurs adhérents. Il trouva dans le couvent des Frères Mineurs, à Collazone, le repos de ses dernières années. C’est là qu’on aime à voir le vieil athlète désarmé, et ce caractère impétueux, capable encore de tendresse, non-seulement pour Dieu, mais pour les hommes. Une amitié très-douce l’attachait à frère Jean de l’Alvernia, en qui semblait revivre l’âme de saint François. Un jour qu’il le savait pris d’une fièvre quarte, abattu de corps et d’esprit, il lui adressa des vers et un présent. Les vers exhortaient frère Jean à souffrir, comme le vase de métal souffre les coups du marteau qui le façonnent. Ils rappelaient que la douleur est expiatoire pour le pécheur, glorieuse pour l’homme sans péché. Le présent qui accompagnait cette épître se composait de deux sentences latines : « J’ai toujours considéré et je considère comme une grande chose de savoir jouir de Dieu.. Pourquoi ? Parce que dans ces heures de jouissance l’humilité s’exerce avec respect. Mais j’ai considéré et je considère comme la plus grande chose de savoir rester privé de Dieu. Pourquoi ? Parce que dans ces heures d’épreuve la foi s’exerce sans témoignage, l’espérance sans attente de la récompense, et la charité sans aucun signe de la bienveillance divine[23].. » C’est tout l’abrégé de l’ascétisme chrétien, et l’ Imitation n’a pas de doctrine plus solide.

Mais en même temps les cantiques de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix n’ont pas de langueurs plus passionnées que le petit poëme suivant, ouvrage de la vieillesse de Jacopone, et comme le dernier son de cette corde qui allait se briser : « Ô amour, divin amour pourquoi m’avoir assiégé ? Tu sembles épris de moi jusqu’à la folie je ne te laisse point de repos. Tu as mis le siége devant mes cinq portes : l’ouïe, la vue, le goût, l’odorat et le toucher. Si je sors de moi par la vue, tout ce que je vois est amour. Dans toutes les formes, c’est toi qui te peins, toi sous toutes les couleurs...- Si je sors par la porte de l’ouïe pour trouver la paix, que signifient pour moi les sons ? C’est encore toi, Seigneur ; et tout ce que j’entends ne parle que d’aimer. -Si je sors par la porte du goût, par celles de l’odorat et du toucher, je retrouve ton image en toute créature. Amour, que je suis insensé de vouloir te fuir ! -Amour, je vais fuyant pour ne point te livrer mon cœur. Je vois que tu me transfigures et que tu me fais devenir amour comme toi, si bien que je n’habite plus dans mon cœur, et que je ne sais plus me retrouver. -Si j’aperçois dans un homme quelque mal, ou vice, ou tentation, je me transforme et j’entre en lui je me pénètre de sa douleur. Amour sans mesure, quelle âme chétive tu as entrepris d’aimer ! Ô Christ mort ! mets la main sur moi, tire-moi de la mer au rivage. Ici tu me fais languir à la vue de tes plaies. Ah pourquoi les as-tu souffertes ? Tu l’as voulu pour me sauver. »

Vers la fin de 1506, Jacopone, chargé d’années, tout brisé des étreintes de l’amour divin, tomba malade et reconnut les approches de la mort. Ses compagnons le pressaient de demander les sacrements de l’Église mais il déclara qu’il attendrait frère Jean de l’Alvernia dont il était tendrement aimé, et des mains de qui il voulait recevoir le très saint corps de Jésus-Christ. À ces mots, les religieux commencèrent à s’affliger, car il n’y avait nul espoir que frère Jean pût être averti en temps utile. Mais le mourant, comme s’il ne les entendait point, se soulevant sur sa couche, entonna le cantique Anima benedetta . Il avait à peine achevé ce chant, quand les frères virent venir dans la campagne deux des leurs, dont l’un était Jean de l’Alvernia. Un pressentiment impérieux l’amenait au lit de mortde son vieil ami : il lui donna d’abord le baiser de paix, et ensuite les saints mystères. Alors Jacopone, ravi de joie, chanta le cantique Jesu, nostra fidanza; après quoi il exhorta les frères à bien vivre, leva les mains au ciel, et rendit le dernier soupir. C’était la nuit de Noël, au moment où le prêtre, commençant la messe dans l’église voisine, entonnait le Gloria in excelsis. Le souvenir des dissensions religieuses s’était effacé. Il ne restait de Jacopone que la tradition de sa pénitence, l’exemple de l’amour de Dieu poussé par lui jusqu’au dernier effort de la nature, et enfin ses cantiques populaires, répandus comme une rosée du ciel sur les montagnes de l’Ombrie. Les ignorants et les pauvres aimèrent ce saint homme qui avait chanté pour eux, et ils se pressèrent à son tombeau ; Jacopone reçut un culte public, et fut mis au nombre des Bienheureux : Il est vrai qu’on ne trouve ni les actes ni la date de sa béatification dans les Annales de l'ordre de saint François . Mais on voit, en 1596, l’évêque Angelo Cesi élever, dans l’église de Saint-Fortunat de Todi, un monument où il recueillit les restes du saint pénitent ; il y fit graver cette inscription : « Ce sont les os du bienheureux Jacopone de Benedetti, de Todi, Frère Mineur, qui, s’étant rendu insensé pour l’amour du Christ par un artifice nouveau, trompa le monde et ravit le ciel[24]. » Souvent l’esprit de schisme a cherché sa justification dans la conduite des saints qui poursuivirent d’une parole sévère les désordres du clergé, ou que le malheur des temps mit en lutte avec les princes de l’Église. Ceux qui remuent toute l’histoire pour trouver des— ennemis à la Papauté n’ont eu garde d’oublier Jacopone. Toutefois ce qu’ils voulaient tourner à la confusion du Catholicisme fait précisément sa gloire. Rome ne craignit pas de souffrir a ses portes, dans une ville du domaine pontifical, le culte public rendu à cet homme juste, mais trompé. Elle avait puni d’une peine temporelle l’erreur d’un moment ; elle permit qu’on récompensât d’honneurs sans fin une vie de vertus. L’Église, en pardonnant les violences de Jacopone, montra une fois de plus qu’elle a sondé jusqu’au fond le cœur humain, et qu’elle en a compris les contradictions car il y a dans le cœur de l’homme un amour sévère, jaloux, incapable de rien souffrir d’imparfait chez ce qu’il aime. Son langage est dur, et les étrangers le prennent souvent pour le langage de la haine ; mais ceux de la famille savent ce qui se cache de tendresse sous ces emportements. Nous connaissons maintenant le poëte il est temps d’ouvrir son livre, et de chercher, sous la poussière de ces pages trop négligées, quelques-unes des plus belles inspirations du mysticisme catholique.

  1. Orlandini, Corografia fisica, storica, statistica d’Italia, tom. X.
  2. Wadding, Scriptores ordinis Minoris, cum supplemento Sbaraleæ, p 366. — Id. Annales ordinis Minorum, tom. V, ad annum 1298. — Rader, Viridarium Sanctorum. — Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge. — Le poesie spirituali del B. Jacopone de Todi fratte minore, con le scolie et annotazioni di fra Francesco Tresatti, da Lugnano. Venezia, Misserini, 1617, lib. I, sat. 2. stanz. 7, 13, 14, 15. Tiraboschi, Storia della Lett. ital., tom. IX, l. I cap. iii.
  3. C’est la première date certaine que nous trouvons dans la vie de Jacopone. Aucun historien, aucun acte public ne fixe l’année de sa naissance ; nous savons seulement qu’en 1298, il y avait vingt ans qu’il était entré en religion, et qu’il y entra dix ans après la mort de sa femme.
  4. Wadding, tom. V. Psalm. 48, verset 12 « Et sepulcra eorum domus illorum in aeternum. »
  5. Cur mundus militat sub vana gloria,
    Cujus prosperitas est transitoria ?
    Tam cito labitur ejus potentia
    Quam vasa figuli quae sunt fragilia, etc...

  6. Jacopone, Poesie spirituali, lib. I, sat. 1

    Udite nova pazzia,
    Che mi viene in fantasia.
    Viemmi voglia d’esser morto,
    Perche io sono visso a torto
    Io lasso il mondan conforto,
    Per pigliar piu dritta via.

  7. Je renvoie au moment où je m’occuperai des œuvres de Jacopone , l’examen de ces sentiments, dont on pourrait redouter l’excès, s’ils n’étaient corrigés par d’autres passages d’une doctrine irréprochable.
  8. Rader, Wadding, Bartholomeus Pisanus, Opus conformitatum vitae B. Francisci ad vitam Domini nostri Jesu Christi. Mediolani, 1513, f°53 recto.
  9. Rader. Nam de regno Franciae : ego melius habeo quam rex Franciae quia jucundor de suo bono, et honore, et commoditate, et ipse hanc jucunditatem habet cum multa sollicitudine et multis laboribus et angustiis, quae non habeo ego.
  10. Wadding « Ad haec Jesu Christi amore supplicia tolerarem omnia pro demonibus, paratus ad inferos ad diem usque supremum judicii habitare, et diutius etiam, quamdiu videlicet divinae majestati videretur necessarium», etc.
  11. Conformitatem, , f. 53, recto et verso : « Ordo autem odiendi est ut odiatur consuetudo vitiorum et diligatur esse naturae, ita quod utrumque suos servet terminos, ut nec propter servandam naturam incidat in vitium, nec propter exterminanda vitia corrumpatur natura. »
  12. Wadding, Jacopone, Poesie spirituali, V, XXII

    O giubilo del core
    Che fai cantar d’amore

  13. Epistola S. Bonaventuræ, anno 1266. Wadding, Annales min. ad ann. 1278, 1282.

    Tosti, Storia di Bonifazio VIII, lib. III, p. 184. Je saisis avec empressement l’occasion de citer ce livre éloquent, où le savant prieur du Mont-Cassin a publié des documents qui manquaient à l’histoire.

  14. Wadding, ad ann. 1294. Jacopone da Todi, Poesie spirituali lib.I sat.15 :

    Che farai, Pier da Morrone ?
    Se’venuto al paragone.
    Vederemo il lavorato
    Che in cella hai contemplato

    .
  15. Wadding, tom. V, ad ann. 1298.

    La mémoire de Boniface VIII, indignement calomniée, a été honorablement défendue par Mgr Wiseman (Dublin review, om. XV, no 22) et par D. Tosti (Storia di Bonifazio VIII). Je me suis attaché premièrement au témoignage impartial et oculaire du cardinal de Saint-Georges, ensuite au jugement des historiens les plus désintéressés et les plus graves, tels que Mansi et Dœllinger. Mansi me parait avoir caractérisé Boniface VIII avec une équité parfaite : « Ingentes animi dotes contulit, quanquam saeculari principatui quam ecclesiastico aptiores. » (Annal. eccles.., ad ann. 1303.)

  16. Dupuy, Preuves du différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII :

    « Actum in castro Longetiæ in territorio Romano, in domo domini Petri de Comite, præsentibus venerabilibus viris Richardo de Montenigro, præposito Remensi et domino Tommasio de Montenigro, archidiacono Rhotomagensi ; dom. Jacobo de Labro, canonico Carnutensi magistro Alberto de Castiniate. canonico Ebrodunensi magistro Johanne de Gallicano, domini papae scriptore canonico ecclesiæ S. Reguli Silvanectensis ; ac religiosis viris fratre Jacobo Benedicti de Tuderto, fratre Deodato Rocci de Montepenestrino, ac fratre Benedicto de Perusio, ordinis Fratrum Minorum, testibus ad praemissa vocatis specialiter et rogatis, sub anno Domini MCCXCVII, decima indictione, die Veneris, decima mensis maii, in aurora ante solis ortum. »

    J’ai rapporté ces signatures, parce que j’y remarque, parmi les adhérents des Colonna, cinq archidiacres ou chanoines des églises de Reims, Rouen, Chartres, Embrun et Senlis. Je crois reconnaître ici une trace de la politique de Philippe le Bel, dont les émissaires semblent déjà traiter avec les ennemis de Boniface VIII, à une époque où la querelle du roi et du pape était encore loin de ses derniers éclats.

  17. Wadding, ad ann. 1298. Jacopone, Poesie spirituali, IV, IV

    Piange la Ecclesia, piange e dolura,
    Sente fortuna di pessimo stato.

    En ce qui touche le relâchement des prélats, Jacopone n’a pas d’expressions si hardies qui n’aient été égalées par saint Bernard (Epistol. 42 homil. 4) et par saint Antoine de Padoue (Opera, Paris, 1641, p. 261).

  18. 0 papa Bonifazio,
    Molto hai jocato al mondo.
    Penso che jocondo.
    Non te porrai partire.

    Cette satire, omise dans l’édition de Venise, 1617, se trouve dans l’édition princeps (Florence, 1490), et dans deux manuscrits dé la Bibliothèque nationale. Elle est attribuée à Jacopone par ses biographes. Mais tous la supposent composée avant la captivité du poëte, tandis qu’on y trouve deux allusions incontestables à l’attentat d’Anagni et a ta mort de Boniface VIII. Et plus loin

    Fu là tua invenzione,
    Subito in ruina !
    Prest’eri in tua magione,
    E nullo se trovone
    A poter te garire..

    et plus loin:

    Pensavi per augurio
    La vita prolungare...
    Vedemo per penato
    La vita sterminare.

    Puis vient le récit d’une orgie qui aurait profané l’église de Saint-Pierre, un des jours les plus augustes de la semaine sainte. On reconnait là les accusations portées contre Boniface après sa mort mais on ne reconnaît ni la sainteté de Jacopone, ni sa verve, ni l’éclat de son style.

    Peut-être les contradictions et les nombreuses variantes des textes imprimés et manuscrits nous permettraient une conjecture qui lèverait toutes les difficultés. Jacopone aurait écrit contre Boniface, encore tout-puissant, les ~premières stances de la chanson, qui, circulant ensuite parmi les ennemis du pape, se serait grossie d’allusions nouvelles, de récits fabuleux, de sacriléges invectives. Ainsi déchargerions-nous la mémoire du poëte en lui ôtant la moitié de sa mauvaise action et de ses méchants vers.

  19. Jacopone, Poesie spirituali , lib. l, sat. 16

    Che farai ,fra Jacopone,
    Ch’or se’giunto al paragone ?
    Fui al monte Palestrina
    Anno e mezzo in disciplina :
    Pigliai quivi la malina.
    Onde n’ haggio questa prigione, etc.

  20. Jacopone, Poesie spirituale, lib.I, sat . 17:

    O Papa Bonifazio
    lo porto il tuo prefazio.

  21. Jacopone, Poesie spirituale lib. I., sat. 19

    Il pastor, per mio peccato,
    Posto m’ ha fuor de l’ ovilo.

  22. Dante, Purgat. ; XX

    Veggio in Alagna entrarto fiordaliso,
    E nel vicario suo Cristo esser catto.

    Wadding, Walsingham, ad ann. 1305. Le cardinal de Saint-Georges décrit ainsi les derniers moments de Boniface

    ...Lecto prostratus anhelans
    Procubuit, fassusque fidem, veramque professus
    Romanœ Ecclesiae, Christo dum redditur almus
    Spiritus, et divi nescit jam Judicis iram.

    Le procès fait à la mémoire de Boniface VIII devant le concile de Vienne, prouve qu’il récita les articles de foi en présence de huit cardinaux. Devant ces témoignages, comment Sismondi, et après lui M. Michelet, ont-ils eu le courage de répéter sur la mort de Boniface les récits calomnieux de ses ennemis ? Il ne manque, en vérité, que d’ajouter, avec Ferretus de Vicence, les tonnerres, les foudres, et la troupe de diables, sous la forme d’oiseaux noirs, « venant chercher l’âme de ce Pharaon.. »

  23. Jacopone, Poesie spirituali, lib.II, XXI.
  24. Wadding, Annales, tom. VI, ann. 1306. Voici le texte latin de l'épitaphe:« Ossa B. Jacoponi de Benedictis Tudertini, Fr. Ordinis Minorum, qui stultus propter Christum nova mundum arte delusit et cœlum rapuit. »