Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/20

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XX
Comment saint François guérit miraculeusement un lépreux d’âme et de corps, et ce que lui dit l’âme allant au ciel.


Le vrai disciple du Christ, saint François, lorsqu’il vivait de cette misérable vie, s’appliquait de tous ses efforts à suivre le Christ, le maître parfait. D’où il advint plusieurs fois que par l’opération divine, pendant qu’il guérissait le corps, à la même heure Dieu guérissait l’âme.

Or non-seulement il servait volontiers les lépreux, mais, en outre, il avait ordonné que les frères de son Ordre, cheminant par le monde ou séjournant, servissent les lépreux pour l’amour du Sauveur, lequel voulut être réputé lépreux pour l’amour de nous. Il arriva donc un jour que, dans un couvent près de celui où demeurait alors saint François, les frères desservaient un hôpital de lépreux et d’infirmes, dans lequel était un lépreux si impatient, si insupportable et si insolent, que chacun tenait pour certain, et c’était la vérité, qu’il était possédé du démon. Car il maltraitait si indignement de paroles et de coups quiconque le servait, et, ce qui est pire, il blasphémait si odieusement le Christ béni et sa très-sainte mère la Vierge Marie, que pour rien au monde on ne trouvait quelqu’un qui pût ou voulût le servir. Et quoique les frères, pour accroître le mérite de la patience, s’étudiassent à supporter doucement les injures et les violences contre leurs personnes, toutefois, leur conscience ne pouvant supporter celles qui s’adressaient au Christ et à sa Mère, à la fin ils décidèrent d’abandonner ce lépreux. Mais ils ne voulurent pas le faire avant d’avoir prévenu, selon la règle, saint François, qui demeurait alors dans un couvent près de là.

Aussitôt qu’ils l’eurent prévenu, saint François s’en vint trouver ce lépreux pervers, et, s’approchant de lui, il le salua, lui disant : « Dieu te donne la paix, mon frère très-aimé » Le lépreux répondit : « Quelle paix puis-je avoir de Dieu, qui m’a enlevé la paix et tout bien, et qui m’a fait tout pourri et tout puant ? » Et saint François dit : « Mon fils, aie patience, car les infirmités du corps nous sont données de Dieu en ce monde pour le salut de l’âme : elles sont d’un grand mérite quand elles sont portées patiemment. » Le malade répondit « Et comment puis-je porter patiemment la peine continuelle qui m’afflige le jour et la nuit ? et non-seulement je suis affligé de mon infirmité, mais pires me sont les frères que tu m’as donnés pour me servir, et qui ne me servent pas comme ils doivent. »

Alors saint François, connaissant par révélation que ce lépreux était possédé du matin esprit, s’en alla, se mit en oraison, et pria dévotement pour lui. L’oraison faite, il retourna vers lui, et dit ainsi : « Mon fils, je veux te servir, puisque tu n’es pas content des autres. » « Je le veux, dit le malade ; mais que pourras-tu faire de plus qu’eux ? » Saint François répondit : « Ce que tu voudras, je le ferai. » Le lépreux dit : « Je veux que tu me laves tout entier ; car je pue si fortement, que moi-même je ne puis plus me souffrir. » Alors saint François fit de suite chauffer de l’eau avec beaucoup d’herbes odoriférantes, puis il le dépouilla et commença à le laver de ses mains, et un autre frère versait l’eau. Or, par un divin miracle, là où saint François touchait de ses saintes mains, la lèpre s’en allait, et la chair redevenait parfaitement saine ; et en même temps que la chair commençait à se guérir, aussi commençait à se guérir l’âme. Et le lépreux, se voyant guérir, se prit à ressentir une grande componction et repentance de ses péchés, et il se mit à pleurer amèrement et, tandis que le corps se purifiait extérieurement de la lèpre par l’eau, de même intérieurement l’âme se purifiait de ses péchés par la pénitence et par les larmes. Se trouvant complètement guéri de corps et d’âme, il fit humblement la coulpe, et dit en pleurant à haute voix : « Malheur à moi, qui suis digne de l’enfer pour les méchancetés et les injures que j’ai faites et dites aux frères, et pour mon impatience et mes blasphèmes contre Dieu ! » Puis, pendant quinze jours il persévéra dans des pleurs amers sur ses péchés, demandant à Dieu miséricorde, et se confessant au prêtre sans rien cacher.

Saint François, à la vue du miracle si manifeste que Dieu avait opéré par ses mains, lui rendit grâce. Il partit de ce lieu, allant en pays très éloigné car, par humilité, il voulait fuir toute gloire, et dans toutes ses œuvres il cherchait seulement l’honneur de Dieu et non le sien. Ensuite, comme il plut à Dieu, le lépreux, guéri de corps et d’âme, au bout de quinze jours de pénitence, fut pris d’une autre maladie, et, armé des sacrements de l’Église, il mourut saintement. Or son âme, allant en paradis, apparut dans l’air à saint François, qui se tenait en oraison dans une forêt, et lui dit : « Me reconnais-tu ? — Qui es-tu ? » dit saint François. « Je suis le lépreux que le Christ béni a guéri par tes mérites, et aujourd’hui je m’en vais à la vie éternelle ; de quoi je rends grâce à Dieu et à toi. Bénis soient ton âme et ton corps, et bénies tes saintes paroles et tes œuvres ! car par toi beaucoup d’âmes se sauveront dans le monde ; et sache qu’il n’est pas de jour dans lequel les anges et les autres saints ne rendent grâce à Dieu des bienheureux fruits que toi et ton Ordre vous faites dans les diverses parties de la terre. Réjouis-toi donc, remercie Dieu, et reste avec sa bénédiction. » Ces paroles dites, il s’en alla au ciel, et saint François demeura fort consolé.