Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/32

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XXXII


Du saint frère à qui la mère du Christ apparut quand il était malade, lui apportant trois boîtes d’électuaires.


Dans le couvent de Soffiano, était anciennement un frère mineur, si grand en sainteté et en grâce, qu’il paraissait tout divin : Souvent il était ravi en Dieu ; et comme il avait particulièrement la grâce de la contemplation, pendant qu’il était ainsi tout absorbé et enlevé en Dieu, il arriva plusieurs fois que les oiseaux de diverses espèces venaient à lui et se posaient familièrement sur ses épaules, sur sa tête, sur ses bras et sur ses mains, et ils chantaient merveilleusement. Ce frère était très-solitaire, et parlait peu. Mais, quand on l’interrogeait sur quelque chose, il répondait si gracieusement, si sagement, qu’il paraissait plutôt un ange qu’un homme ; il était très-puissant en oraison et en contemplation, et les frères l’avaient en grand respect. Or ce religieux, achevant le cours de sa vertueuse vie, selon la volonté divine, fut malade jusqu’à mourir, tellement qu’il ne pouvait plus rien prendre. Avec cela il ne voulait recevoir aucun soin de la médecine terrestre, et toute sa confiance était dans le médecin céleste, Jésus-Christ, et dans sa mère bénie, de laquelle il obtint par la divine clémence d’être miséricordieusement visité et assisté. Donc, un jour qu’il était sur son lit, se disposant à la mort de tout son cœur et de toute sa dévotion, la glorieuse Vierge Marie, mère du Christ, lui apparut avec une très grande multitude d’anges et de saintes vierges, et entourée d’une merveilleuse splendeur. Elle s’approcha de son lit, et lui, en la regardant, ressentait une très-grande allégresse et un grand soulagement dans son âme et dans son corps ; et il commença à la prier humblement de demander à son bien-aimé fils que, par ses mérites, il le tirât de la prison de cette misérable chair. Et comme il persévérait dans cette prière avec beaucoup de larmes, la Vierge Marie lui répondit, l’appelant par son nom : « Ne crains rien, mon fils, car ta prière est exaucée, et je suis venue pour te donner un peu de soulagement avant que tu partes de cette vie. » Et la Vierge Marie avait à ses côtés trois saintes vierges qui portaient à la main trois boîtes d’électuaires d’un parfum et d’une suavité inexprimables. Alors la Vierge glorieuse prit une de ces boîtes, l’ouvrit, et toute la maison fut remplie d’une bonne odeur ; et avec une cuiller elle prit de cet électuaire, et en donna au malade. Et le malade, aussitôt qu’il en eut goûté, sentit tant de soulagement et de douceur, qu’il lui paraissait que son âme ne pouvait plus rester dans son corps ; si bien qu’il commença à dire : « C’est assez, très-sainte mère, Vierge bénie, toi qui guéris et qui sauves la race humaine : c’est assez, je ne peux plus supporter tant de suavité. » Mais la compatissante et bonne mère n’en présenta pas moins plusieurs fois de cet électuaire au malade, et lui en fit prendre jusqu’à vider toute la boîte. Ensuite, la Vierge bienheureuse prit la seconde boîte, et y mit la cuiller pour lui en donner encore ; et lui se plaignait en disant : «  Ô bienheureuse mère de Dieu ! mon âme est « comme fondue par l’ardeur et la suavité du premier électuaire ; comment pourrais-je supporter le second ? Je te prie, toi qui es bénie par-dessus tous les saints, par-dessus tous les anges, de ne point m’en donner. » La glorieuse Vierge Marie lui répondit : « Essaye encore un peu, mon fils, de cette seconde boîte ; » et lui en donnant un peu, elle ajouta : « Aujourd’hui, mon fils, tu en as pris autant qu’il t’en faut, mais aie bon courage, je viendrai bientôt te querir, et je te mènerai au royaume de mon fils, que tu as toujours cherché et désiré. » Et, cela dit, prenant congé de lui, elle s’éloigna, le laissant si consolé et si réconforté par la douceur de cet électuaire, que, pendant plusieurs jours, il vécut encore fort et rassasié, sans prendre aucune nourriture corporelle. Et quelques jours après, comme il parlait gaiement avec les frères, au milieu d’une grande joie et d’une grande allégresse, il quitta cette misérable vie.