Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/33

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XXXIII


Du saint frère Jacques de Fallerone, et comment, après sa mort, il apparut frère Jean de l’Alverne.


Frère Jacques de Fallerone, homme de grande sainteté, étant tombé gravement malade au couvent de Moliano, dans la garde de Fermo, frère Jean de l’Alverne, qui demeurait à la Massa, apprit sa maladie. Et parce qu’il l’aimait comme son tendre père, il se mit en prière pour lui, demandant à Dieu dévotement, avec oraison mentale, qu’il donnât au frère Jacques la santé du corps, si c’était le meilleur pour son âme. Comme il était dans ces dévotes prières, il fut ravi en extase, et vit dans l’air une grande armée d’anges et de saints au-dessus de sa cellule, qui était dans un bois ; et cette apparition répandait une telle splendeur, que tout le pays d’alentour en était illuminé : et parmi ces anges il vit ce frère Jacques malade, pour lequel il priait ; il le vit debout, vêtu de blanc et tout resplendissant de lumière. Il vit encore au milieu d’eux le bienheureux père saint François, orné des sacrés stigmates du Christ couvert de gloire ; il vit aussi et reconnut le saint frère Lucido et le vieux frère Matthieu de Monte Rubbiano, et plusieurs autres frères qu’il n’avait jamais vus ni connus en cette vie. Et frère Jean regardant avec une grande joie cette bienheureuse troupe de saints, il eut révélation certaine que l’âme de ce frère malade était sauvée ; qu’il devait mourir de cette maladie, et après sa mort aller en paradis, mais non pas de suite, parce qu’il devait se purifier un peu en purgatoire. Frère Jean eut une si grande joie de cette révélation, à cause du salut de l’âme de son ami, que de la mort du corps il ne sentait aucune peine ; mais avec une grande tendresse d’esprit il l’appelait, disant en lui-même : « Frère Jacques, mon doux père ; frère Jacques, mon doux frère ; frère Jacques, très-fidèle serviteur et ami de Dieu ; frère Jacques, compagnon des anges et joie des saints ! »

Avec cette certitude et cette joie, frère Jean revint à lui et aussitôt il partit du couvent, et alla visiter ce frère Jacques à Moliano. Il le trouva si appesanti, qu’à peine il pouvait parler ; il lui annonça la mort de son corps et le salut et la gloire de son âme, selon la certitude qu’il en avait par la révélation divine. Là-dessus frère Jacques eut l’âme et la figure toutes réjouies ; et il reçut son ami avec une grande allégresse et un joyeux sourire, le remerciant de la bonne nouvelle qu’il lui apportait ; et se recommandant à lui dévotement. Alors frère Jean le pria tendrement de revenir après sa mort le trouver et lui révéler son état ; et frère Jacques le lui promit, s’il plaisait à Dieu. Et ces paroles dites, frère Jacques, sentant approcher l’heure de son passage, commença à prononcer dévotement ce verset du psaume : « In pace in idipsum dormiam, et requiescam ; » c’est-à-dire : « Je m’endormirai en paix pour la vie éternelle, et je me reposerai. » Et, ce verset dit, avec la figure joyeuse et gaie, il passa de cette vie à l’autre. Après qu’il fut enseveli, frère Jean retourna au couvent de la Massa, où il attendait la promesse de frère Jacques, et qu’il vînt le trouver au jour convenu. Mais ce jour-là, comme il était en prière, le Christ lui apparut avec une grande compagnie d’anges et de saints, parmi lesquels frère Jacques n’était pas : de quoi frère Jean s’étonna beaucoup, et il le recommanda dévotement au Christ. Puis, le jour suivant, frère Jean priant dans la forêt, frère Jacques lui apparut tout joyeux et accompagné des anges. Et frère Jean lui dit : « Oh père très-cher, pourquoi n’es-tu pas venu à moi le jour que tu m’avais promis ? » Et frère Jacques lui dit : « Parce que j’avais encore besoin de quelque purification mais à cette même heure où le Christ t’apparut, et où tu me recommandas à lui, il t’exauça et me délivra de toutes peines. Alors j’apparus à frère Jacques de la Massa, saint laïque, qui servait la messe ; et il vit l’hostie consacrée, quand le prêtre l’éleva, changée en la forme d’un très-bel enfant vivant, et je lui dis : « Aujourd’hui je m’en vais, avec cet enfant, au royaume de la vie éternelle, où personne ne peut aller sans lui. ».

A ces mots, frère Jacques disparut, et s’en alla au ciel avec toute la bienheureuse compagnie des anges ; et frère Jean demeura fort consolé. Cedit frère Jacques de Fallerone mourut la vigile de saint Jacques apôtre, dans le mois de juillet, au couvent de Moliano, dans lequel, après sa mort et par ses mérites, la divine bonté opéra beaucoup de miracles[1].



  1. Les Petites Fleurs de saint François ont été complètement traduites par M. l’abbé Riche. Cette traduction intelligente et bien écrite diffère pourtant de la nôtre, où nous n’avons donné qu’un choix des légendes franciscaines, mais en cherchant surtout à conserver la naïveté du texte.