Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/050

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 282-297).
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À M.L...
Lyon, 17 mai 1838

Mon cher ami,

Votre excellente lettre du jour de Pâques sollicitait depuis longtemps une réponse. Le compte rendu et les quelques lignes que je viens de recevoir de vous ne laisseraient pas d’excuse à mon silence. Ou plutôt le besoin que j’éprouve toujours de vous entretenir se réveillant plus vif à mesure que les sujets d’entretien se multiplient, il faut bien que les occupations les plus importunes cèdent et fassent une place de quelques heures aux devoirs de l’amitié. Car je vous l’assure, Lamache l’a bien dit, et vous l’en remercierez pour moi ces amitiés formées sous les auspices de la foi et de la charité, dans une double confraternité de disputes religieuses et d’œuvres bienfaisantes, loin de s’attiédir par l’effet d’une absence prolongée, se recueillent et se condensent en quelque sorte ; elles se nourrissent de souvenirs, et vous savez que le souvenir embellit toutes choses, idéalise les réalités, épure les images, et conserve plus volontiers les impressions douces que les émotions pénibles. Aussi toutes ces humbles scènes de notre vie d’étudiants, quand elles me reviennent au demi-jour du passé, ont-elles pour moi un charme inexprimable les réunions du soir aux conférences de M. Gerbet, qui avaient un peu le prestige du mystère, et dans lesquelles se firent nos premiers rapprochements ces luttes historiques, philosophiques où nous portions une ardeur de si bon aloi, où les succès se mettaient en commun de si grand cœur les petites assemblées de la rue du Petit-Bourbon-Saint-Sulpice[1] , dont la première eut lieu au mois de mai, quoiqu’on dise Lamache, et j’y tiens, dussiez-vous me réputer superstitieux et cette fameuse soirée où nous assistâmes aux adieux.de l’Académie de Saint-Hyacinthe et revînmes sans désemparer rédiger la pétition à Monseigneur de Quélen et cette visite improvisée où nous nous rendîmes en tremblant, où nous soutînmes un si rude assaut, d’où nous sortîmes si émus et les premiers débuts de Lacordaire à Stanislas, et ses triomphes de Notre-Dame que nous faisions un peu les nôtres, et la rédaction de la Revue européenne dans le salon de M. Bailly, et les vicissitudes de la Société de Saint-Vincent, de Paul, cette fameuse séance du dernier décembre 1834 où l’on discuta la division, où Letaillandier pleurait, où la Perrière et moi nous nous traitâmes d’une dure façon, où l’on finit par un embrassement plus amical que jamais en se souhaitant la bonne année du lendemain. Avec cela les réveillons de Noël, les processions de la Fête-Dieu, les églantinesqui fleurissaient si jolies sur le chemin de Nanterre, les reliques de saint Vincent de Paul portées sur nos épaules à Clichy, et puis tant de bons offices échangés, tant de fois le trop plein du cœur épanché en des conversations que la complaisance de l’un permettait à l’autre de rendre longues ; les conseils, les exemples, les pleurs secrets versés au pied des autels quand on s’y trouvait ensemble ; enfin jusqu’aux promenades autour des lilas du Luxembourg, ou sur la place de Saint-Etienne du Mont, quand le clair de la lune en, dessinait si bien les trois grands édifices.

Tout cela, mon cher ami, devient pour moi comme le fond du tableau de mes idées ; tout cela jette une lumière douce et un peu triste sur mon existence présente qui perd beaucoup à la comparaison. Je crois vraiment comprendre comment l’histoire devient pour l’esprit humain poésie, et pourquoi les peuples gardent avec un attachement si filial leurs traditions. J’ai ainsi mon âge d’or, mes temps fabuleux, ma mythologie, si vous le


permettez car la fable s’en mêle nécessairement, ne fût-ce qu’en effaçant toutes les choses triviales au milieu desquelles se trouvaient confondues celles dont j’ai gardé mémoire. Ce qui est véritable, ce qui est plus sérieux, ce qui a jeté des racines plus profondes non-seulement dans l’imagination, mais jusqu’au fond du cœur, ce sont les affections formées durant cette période de la vie. J’en ai surpris la preuve en moi lors de deux pertes récentes, celle de Serre et celle de la Noue, qui m’ont fait verser plus de larmes que d’autres, plus capables .selon l’ordre général de m’en arracher. J’en acquiers tous les jours une assurance nouvelle, lorsque m’arrive quelque lettre de vous, quelque article de Lamache dans un journal, quelque nouvelle de Letaillandier, de Pessonneaux ou d’autres pareils cela me fait oublier toutes les inquiétudes s du temps actuel, et, s’il n’était ridicule d’user de cette expression à vingt-cinq ans, je dirais Cela me rajeunit.

Je me sens, en effet, un peu vieilli de toutes manières depuis le jour de notre dernière séparation c’était le 15 mai, mon cher ami il y a un an. Vous me conduisiez, connaissant le malheur que j’ignorais, à cette voiture qui m’emmenait fils désolé, et devait me ramener ici orphelin. Depuis lors ai-je vécu, ou plutôt n’ai-je fait qu’un long rêve ? Je ne veux pas vous en redire toutes les angoisses, vous les avez sues ; mais elles ne sont point à leur terme. L’époque de Pâques, celle aussi du changement de saison, a été une épreuve terrible pour la santé de ma mère ; je l’ai vue pendant quinze jours sous la menace d’une attaque d’apoplexie. Elle est en ce moment dans une situation beaucoup moins alarmante mais nous sommes avertis de tout redouter pour l’automne ; l’avenir, qui est le lieu commun des espérances, est pour nous le point où se réunissent toutes les craintes. Elle répète souvent que le succès de mes démarches pour le professorat prolongerait ses jours, et je ne sais si ce dernier moyen de la rattacher à la. vie me sera donné.

Je vous remercie de tous vos bons services, et particulièrement de l’hospitalité que vous voudrez bien donner à ce pauvre Dante. Il est constant qu’en son vivant, et vers l’an de grâce 1290, il alla passer quelque temps à Paris ; il assistait même aux leçons d’un nommé Sigier le Cousin d’alors dans la rue du Fouarre. Mais il m’est avis que la capitale a changé un peu depuis ce temps-là, que d’ailleurs le poëte est devenu fort vieux et verrait malaisément à s’y conduire ; ajoutez que la Sorbonne d’à présent ressemble peu à celle de Saint Louis, et que Dante courrait risque de se présenter mal ; s’il était seul, à la porte de M. X. qui n’est pas un saint Thomas d’Aquin. Si prolongé qu’il ait été par l’embarras des circonstances, ce travail n’aurait pas manqué d’agrément, pour moi, si les secours que j’avais à Paris ne m’eussent ici complétement fait défaut. Notre bibliothèque est assez riche, mais notre littérature vivante est singulièrement pauvre, et le petit nombre d’hommes instruits que nous possédons, environnés d’une espèce de défaveur dans la société, obligés de se replier sur eux-mêmes, en contractent des habitudes de sauvagerie qui les rendent inaccessibles. Je n’ai donc pu trouver qu’auprès de M. Noirot, notre ancien professeur de philosophie, les conseils dont j’avais besoin. Du reste, plus rien de cet entraînement, plus de trace de cette chaleur générale, de cette vie extérieure qui à Paris me soutenait et me portait. Je crois que, si l’on était plus fort de constitution intellectuelle, mieux fourni d’études antérieures, ce labeur solitaire aurait son avantage il conserverait une originalité qui se perd dans l’espèce de contagion de style où l’on est exposé à Paris ; il s’y trouverait un peu plus de cette austérité de pensées, de ces convictions consciencieuses, qui s’ébrèchent ou tout au moins s’arrondissent, s’atténuent par le frottement. L’esprit se polit mieux parmi vous, mais c’est à la condition de s’user. Quant à moi, je ne suis pour encore de trempe à travailler seul je suis de mauvaise compagnie, à ce qu’il semble, car je ne m’ennuie jamais tant qu’avec moi-même. Et encore que les livres se mettent en tiers ; au bout de quelques heures~ cette parole morte me fatigue. J’ai besoin d’entendre des voix animées, à elles seules il est possible de remuer profondément les âmes. Ce prestige va si loin pour moi, qu’à mérite égal les écrits d’un auteur vivant me frappent infiniment plus que ceux d’une illustration défunte.

Je vous ai des obligations aussi pour l’intérêt que vous avez accordé à mes articles. Ils forment la moitié d’un petit ouvrage que j’avais entrepris sur l’histoire politique du Protestantisme[2], auquel j’avais pris beaucoup de plaisir et dont les résultats me séduisaient par un semblant paradoxal. En verité, on ne saurait trop admirer combien est ignorée l’histoire et particulièrement celle des trois derniers siècles et par quels miracles d’outrecuidance d’une part et de crédulité de l’autre, les plus impudentes menteries sont devenues choses jugées.

Voila une lettre qui m’a l’air de devenir mortellement ennuyeuse non pour moi qui me laisse aller au courant de la plume, mais pour vous qui ne trouverez en tout ceci que des répétitions de choses vingt fois dites entre nous. Aussi ne serait ce pas la peine de coûter quatorze sous à votre bourse, et une heure de lecture à vos yeux, si je n’avais à vous parler longuement de la Société de Saint-Vincent de Paul.

Il n’est, pas possible de se faire illusion, la Société a rencontré des défiances partout. Si à Lyon elle n’a jamais encouru le blâme de l’autorité ecclésiastique, si même quelques prêtres vénérables l’ont encouragée, elle n’a pas cessé d’être l’objet des vexations de beaucoup de laïques : gros bonnets de l’orthodoxie; pères de concile en frac et en pantalons à sous-pieds ; docteurs qui prononcent entre la lecture du journal et les discussions du comptoir, entre la poire et le fromage gens pour qui les nouveaux venus sont toujours les mal venus, pour qui tout ce qui arrive de Paris est présumé pervers, qui font de leur opinion politique un treizième article du Symbole, qui s’approprient les oeuvres de charité comme leur chose, et disent, en se mettant modestement à la place de Notre-Seigneur « Quiconque n’est pas avec nous est contre « nous. » Vous ne sauriez croire les mesquineries, les vilenies, les arguties, les minuties, les avanies dont ces gens-là, avec la meilleure foi du monde, ont usé contre nous. Les plus estimables ont. été entraînés par la foule, et nous avons dû souffrir beaucoup de ceux même qui nous aimaient. Au reste, nous n’avons pas à nous plaindre quand nous avons affaire à un monde bu M. Lacordaire est anathématisé, M. de Ravignan déclaré inintelligible et l’abbé Cœur suspect.

Chaurand et moi, comme principaux fondateurs et directeurs de l’oeuvre, nous avons été constamment sur la brèche, et ce rôle nous fatigue beaucoup coup il en reste toujours un peu d’aigreur dans l’esprit, et la charité souffre dans les conversations qu’on est obligé d’avoir à ce sujet. D’un autre côté, il y a une responsabilité attachée à nos charges, si modestes qu’elles soient, les fautes que l’on commet sont doublement graves lorsqu’elles peuvent retomber sur les œuvres qu’on dirige. Les chefs des associations pieuses devraient être des saints pour attirer sur elles les grâces de Dieu. Souvent je me demande comment j’ose bien, moi si faible et si mauvais, demeurer le représentant d’un si grand nombre de bons jeunes gens. C’est pourquoi j’aspire à l’époque où il me sera possible de me décharger de la présidence. Si Letaillandier vient ici, nous le porterons à l’unanimité ; car il y a, et c’est peut-être le seul bien positif que nous ayons fait, un attachement extrême des membres lyonnais à leurs amis, même inconnus, de Paris. Nous lisons maintenant dans nos réunions, au lieu de l’Imitation de Jésus Christ, la Vie de saint Vincent de Paul, pour mieux nous pénétrer de ses exemples et de ses traditions. Un saint patron n’est pas, en effet, une enseigne banale pour une Société, comme un saint Denis ou un saint Nicolas pour un cabaret. Ce n’est même pas un nom honorable sous lequel on puisse faire bonne contenance dans le monde religieux : c’est un type qu’il faut s’efforcer de réaliser, comme lui-même a réalisé le type divin qui est Jésus-Christ. C’est une vie qu’il faut continuer, un cœur auquel il faut, réchauffer son cœur, une intelligence où l’on doit chercher des lumières c’est un modèle sur la terre et un protecteur au ciel ; un double culte lui est dû, d’imitation et d’invocation. C’est d’ailleurs a ces seules conditions, de s’approprier les pensées et les vertus du saint, que la Société peut échapper aux imperfections personnelles de ses membres, qu’elle peut se rendre utile dans l’Eglise et se donner une raison d’existence.

Saint Vincent de Paul, l’un des plus récents d’entre les canonisés, a un avantage immense par la proximité du temps où il vécut, par la variété infinie des bienfaits qu’il répandit, par l’universalité de l’admiration qu’il inspira. Les grandes âmes qui approchent Dieu de plus près y prennent quelque chose de prophétique. Ne doutons pas que saint Vincent de Paul n’ait eu une vision anticipée des maux et des besoins de notre époque. Il n’était pas homme à fonder sur le sable, ni à bâtir pour deux jours, La bénédiction du quatrième commandement est sur la tête des saints ; ils honorèrent ici bas leur Père céleste, ils vivront longuement. Une immortalité terrestre leur est décernée dans leurs œuvres. C’est pourquoi les Augustin, les Benoît, les Bruno, les François qui dorment depuis quinze, douze, huit, six siècles dans la poussière ne cessent pas d’avoir leur postérité spirituelle, leurs représentants debout au milieu des ruines du passé. L’astre de saint. Vincent de Paul monté plus tard sur l’horizon n’est pas destiné sans doute à fournir une moins longue carrière. Marchons à sa lueur : honorons aussi notre père en la personne de ce Patron si digne d’amour, et nous vivrons longtemps. Nous verrons peut être un jour les enfants de notre vieiliesse trouver un large abri sous cette institution dont nous avons vu les frêles commencements. Nous surtout, habitants des provinces, nous tressaillirons de joie de pouvoir assurer à nos fils cette hospitalité parisienne qui rassura nos mères. Autour de nous montera, toujours croissant, le flot de la génération catholique, et nous apercevrons le moment où il se débordera pour inonder et renouveler la face de notre pauvre patrie. Le besoin en est grand. La mauvaise herbe de l’égoïsme ne semble-t-elle pas se multiplier sans cesse ? L’avarice ne prend-elle pas, sous le nom d’ économie, un masque philanthropique ? En vérité, je me réjouis de voir, au nom dé la philanthropie, fermer les tours et resserrer les portes des hôpitaux. L’usurpatrice se trahit elle-même, elle se dénonce au bon sens public quelque temps abusé il faudra bien, tôt ou tard, qu’elle cède la place n sa sœur légitime, la sainte Charité.

Mais pour aider à ces changements n’avons-nous rien à faire, rien à changer en nous, rien à rendre meilleur ? Je ne sais comment ma lettre ne vous est parvenue que le lendemain de l’assemblée. Vous avez pu voir. qu’elle était écrite spécialement pour le cas présumé de ta présence de monseigneur. Il avait donc fallu se borner à des généralités, et je n’avais pu y placer un certain nombre d’observations que le conseil de direction m’avait chargé de vous transmettre. Je m’en acquitte maintenant

1o Le sermon de charité, dont vous m’avez si plaisamment raconté l’histoire, a rencontré parmi’ nous une répulsion générale. Nous avons pensé que des Parisiens comme vous devaient bien s’apercevoir de la banalité dans laquelle le sermon, de charité tombait depuis quelque temps. Chose peu productive parce qu’elle est trop fréquente, peu édifiante à cause des amours-propres d’œuvres, de quêteuses, de prédicateurs même qu’elle met en mouvement, peu convenable surtout pour une Société amie de l’obscurité, de la simplicité, humble par devoir et par nécessité de position. Si donc un sermon est prêché pour les pauvres d’une paroisse et que M. le curé confie à la Conférence la distribution des deniers, rien de mieux. Mais faire retentir notre pauvre nom du haut de la chaire chrétienne, c’est à quoi nous ne voulons pas entendre et, le nom, l’histoire, les mérites de la Société étant des biens communs à tous ses membres, nous ne pensons pas qu’une conférence particulière les puisse exploiter, en dépit de l’opposition des autres. 2o Le règlement, rédigé avant que nous eussions éprouvé le malheur de perdre quelques-uns de nos amis, n’a aucune disposition en ce qui touche les décès : Cette juvénile imprévoyance de la mort a reçu de tristes démentis ; N’y aurait-il pas quelque mesure générale à prendre à ce sujet ? Pour nous, considérant que les trois autres assemblées solennelles sont accompagnées d’un service religieux, et qu’en effet il convient de se réunir au sanctuaire en même temps qu’on se réunit autour d’un bureau, nous avons établi qu’une messe de Requiem serait célébrée toutes les années le premier lundi de carême, lendemain de l’assemblée, et que tous les associés y assisteraient. Nous ne savons si vous avez le même usage ; et, comme il nous paraît convenable, franchement nous vous le proposons. 3° Je suis chargé de vous dire qu’on regrette l’interruption d’une habitude introduite l’an dernier, en vertu de laquelle au compte rendu était jointe une circulaire contenant des instructions sur les points les plus capables d’intéresser la Société. Ces sortes d’épîtres étaient lues avec respect et portaient souvent des fruits dans la pratique  : elles tendaient à répandre une heureuse uniformité dans les moeurs des diverses conférences ; elles ne sauraient être suffisamment remplacées par les observations des présidents recueillies dans le compte rendu, mais nécessairement très-abrégées par la rédaction. En conséquence on vous demande instamment la reprise de cette correspondance qui avait quelque que chose des temps apostoliques, et que vous avez peut-être suspendue par suite de cette modestie trop grande à laquelle je fais impitoyablement la guerre.

4° Les conférences de Lyon, en perdant deux, de leurs membres qui sont allés habiter des villes voisines, sont revenues à une pensée qui les avait déjà plusieurs fois préoccupées c’est de chercher a rattacher au centre d’association les associés isolés par la fatalité des circonstances. L’utilité de ces liens est incontestable ; ils empêcheraient de tomber ceux qui ont besoin d’être soutenus ils prépareraient de loin des éléments pour former plus tard des conférences nouvelles. Deux jeunes gens de Paris vont se fixer à Lille ou à Montpellier. seuls, ils n’y continuent plus l’œuvre de Saint-Vincent de Paul. L’année suivante, deux vont les joindre, et deux autres l’année d’après : ils seraient assez pour s’associer et travailler ensemble si les deux premiers ne s’étaient pas refroidis et relâchés, si quelques relations avec leurs anciens confrères les eussent retenus, s’ils avaient continué à se considérer comme unis d’intention, de prières, de mérites avec les autres. Voyez donc, vous qui êtes à la source, comment on pourrait en multiplier les canaux. Le besoin est signalé, vous avez à le remplir. Pour nous, il nous a semblé qu’il. serait possible aux membres isolés : 1° de continuer à faire quelque bien dans le lieu de leur séjour; 2° de s’unir par la pensée et par la prière en récitant une fois la semaine l’oraison de Saint-Vincent de Paul 3° d’écrire. une ou plusieurs fois l’an à la Société de Paris pour rendre compte de ce qu’ils ont fait.

D’un autre côté le secrétaire de la Société ferait le dépouillement de ces lettres, et dans un court rapport qui compléterait la lecture des correspondances de province, il rendrait compte des œuvres particulières les plus intéressantes. Toutes les années, à l’époque du 19 juillet, on rédigerait à Paris un sommaire de la situation de la Société soit dans la capitale, soit au dehors, on le ferait imprimer à un petit nombre d’exemplaires, et on l’enverrait aux conférences d’abord, puis aux membres isolés qui auraient écrit et donné de leurs nouvelles. Ainsi il y aurait échange d’idées, de sentiments, de consolations sur tous les points de la France où des fils de Saint-Vincent de Paul se rencontreraient on doublerait de force par le nombre, et de mérite par la persévérance ; la Société de Paris ne serait plus un passage d’où l’on sortirait quelque temps après y être entré ; vous n’auriez pas à compter plus de deux cents anciens associés maintenant perdus ; vous seriez le sommet d’une pyramide à large base qui toucherait aux quatre extrémités du pays ; et la jeunesse française du dix-neuvième siècle aurait élevé un monument agréable aux yeux de Dieu sur ce sol que la jeunesse du siècle dernier avait si outrageusement profané.

Enfin, et ici je parle en mon nom personnel, je viens de voir annoncée une pétition qui se signe chez M. de Lamartine contre la suppression des tours. Cette pétition, écrite par M. Guiraud, est catholique. Elle a pour but le rétablissement de l’un des plus miséricordieux ouvrages de saint Vincent de Paul. Ne serait-il pas convenable que tous les jeunes avocats qui font partie de la Société, les jeunes médecins aussi, compétents les uns et les autres en cette matière, se présentassent pour signer la pétition ? N’est-ce pas là un hommage à rendre à la mémoire de notre saint patron en même temps qu’une bonne action à faire ?

Adieu, en voilà bien assez, vous devez me reconnaître à ma prolixité, à mon avidité de choses nouvelles, à mille autres défauts que je sais bien, et que j’ai même l’orgueil d’avouer, de peur de paraître trop sot si je les ignorais. Mon cher ami, qui me délivrera de moi-même, si ce n’est Celui à qui nous demandons de nous délivrer du mal ? Demandons ensemble et nous recevrons. Demandez pour moi à ces fêtes prochaines, pour ma mère aussi, et pour tous les miens, et pour mon pauvre père dont nous venons de célébrer l’anniversaire douloureux. Comptez sur une juste réciprocité. Il en est beaucoup ici qui vous aiment.

  1. Société de Saint-Vincent de Paul.
  2. Du Protestantisme dans ses rapports avec la liberté. Œuvres complètes d’Ozanam, t. VII.