Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/069

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 391-393).
LXIX
À M.L…
Paris, samedi matin, 5 octobre 1840.

Mon cher ami,

Je ne veux pas vous laisser apprendre par le journal le bon succès qui vient de m’arriver. Après les longues épreuves auxquelles votre amitié s’est intéressée pour moi, j’ai été nommé le premier de l’agrégation. En conséquence, on m’offre entrée immédiate à la Sorbonne avec suppléance de M. Fauriel. Ces événements qui dépassent toutes mes espérances ne laissent pas de m’embarrasser un peu, car je suis dans l’alternative ou de manquer un avenir providentiellement ouvert, ou de briser avec des habitudes et des affections bien profondes. Je prie Dieu qu’il m’éclaire ; joignez-vous à moi ; et soyez sûr que, de mon côté, en communiant demain, je n’oublierai pas dans mes faibles prières de remplir vos amicales intentions. J’use assez à votre égard du sans-façon amical pour vous annoncer que le mardi de l’autre semaine, j’irai profiter encore vingt-quatre heures de votre hospitalité, pour causer cœur à cœur comme j’en ai besoin. Alors, mieux qu’à présent, je pourrai vous dire combien me touchent les sollicitudes que vous me témoignez ; et en pensant à nos amis, a nos communes espérances, et à nos devoirs, nous reprendrons un peu de courage pour les choses sévères que la situation présente de la patrie et de l’Église impose aux plus faibles de leurs enfants.

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Il sera intéressant pour le lecteur de trouver ici un extrait du rapport adressé au ministre de l’instruction publique par M. Victor le Clerc, doyen de la Faculté des lettres et président du concours d’agrégation

« 3 octobre 1840.

« Monsieur le ministre,

« Trois concurrents ont paru prendre dès l’abord, dans ces diverses épreuves, une supériorité qui leur a été quelquefois disputée vivement, mais qu’ils ont cependant presque toujours conservée.

« M. Ozanam, déjà connu, comme ses deux rivaux dont les noms suivent, par les plus honorables épreuves devant notre Faculté, a semblé aux juges mériter le premier rang, moins par ses connaissances classiques, fort étendues sans doute, mais égales peut-être chez d’autres, que par sa manière large et ferme de concevoir un auteur ou un sujet, par la grandeur de ses commentaires et de ses plans, par ses vues hardies et justes, et par un langage qui, alliant l’originalité à la raison, et l’imagination a la gravite, paraît éminemment convenir au professorat public. Seul des candidats, il a fait preuve d’une étude grammaticale et littéraire des quatre langues étrangères indiquées au programme, l’italien, l’espagnol, l’allemand et l’anglais.

« M. Egger, qu’un prix remporté à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, et des services distingués dans les collèges de Paris avaient signalé de plus près a notre attention, est, avant tout, un philologue très-savant et très-habile mais la rapidité de sa pensée, la vivacité de sa parole, et l’immense avantage qu’il a obtenu dans la composition française, qui a fait partie de ce concours, prouvent qu’il est appellé a joindre au mérite de savoir beaucoup, le talent d être écouté.

« M. Berger, esprit plus calme et plus froid, aussi incapable de commettre une faute de goût que de se tromper dans l’interprétation d’un texte difficile, porte à un degré singulier la netteté et la précision du langage on ne peut appliquer aux lettres avec plus d’art et d’élégance la rigueur des études philosophiques.

« C’est ainsi que le concours qui vient de commencer sous vos auspices une ère nouvelle pour les facultés, ne sera peut être pas surpassé de longtemps. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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