Œuvres complètes de Gérard de Nerval - Tome V/Explications

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Œuvres complètes de Gérard de Nerval
Michel Lévy frères, libraires-éditeurs (V. Le Rêve et la Vie. Les Filles du feu. La Bohême galantep. 309-310).


V

EXPLICATIONS

Vous le voyez, mon ami, — en ce temps, je ronsardinisais, — pour me servir d’un mot de Malherbe. Considérez, toutefois, le paradoxe ingénieux qui fait le fond de ce travail : il s’agissait alors pour nous, jeunes gens, de rehausser la vieille versification française, affaiblie par les langueurs du xviiie sièclee siècle, troublée par les brutalités des novateurs trop ardents ; mais il fallait aussi maintenir le droit antérieur de la littérature nationale dans ce qui se rapporte à l’invention et aux formes générales. Cette distinction, que je devais à l’étude de Schlegel, parut obscure alors même à beaucoup de nos amis, qui voyaient dans Ronsard le précurseur du romantisme. — Que de peine on a en France pour se débattre contre les mots !

Je ne sais trop qui obtint le prix proposé alors par l’Académie ; mais je crois bien que ce ne fut pas Sainte-Beuve, qui a fait couronner depuis, par le public, son Histoire de la poésie au xvie siècle. Quant à moi-même, il est évident qu’alors je n’avais droit d’aspirer qu’aux prix du collége, dont ce morceau ambitieux me détournait sans profit.


Qui n’a pas l’esprit de son âge
De son âge a tout le malheur !


Je fus cependant si furieux de ma déconvenue, que j’écrivis une satire dialoguée contre l’Académie, qui parut chez Touquet. Ce n’était pas bon, et cependant Touquet m’avait dit, avec ses yeux fins sous ses besicles ombragées par sa casquette à large visière : « Jeune homme, vous irez loin. » Le destin lui a donné raison en me donnant la passion des longs voyages.

Mais, me direz-vous, il faut enfin parler de ces premiers vers, ces juvenilia. « Sonnez-moi ces sonnets, » comme disait du Bellay.

Eh bien, étant admis à l’étude assidue de ces vieux poëtes, croyez bien que je n’ai nullement cherché à en faire le pastiche, mais que leurs formes de style m’impressionnaient malgré moi, comme il est arrivé à beaucoup de poëtes de notre temps.

Les odelettes, ou petites odes de Ronsard, m’avaient servi de modèle. C’était encore une forme classique, imitée par lui d’Anacréon, de Bion, et, jusqu’à un certain point, d’Horace. La forme concentrée de l’odelette ne me paraissait pas moins précieuse à conserver que celle du sonnet, où Ronsard s’est inspiré si heureusement de Pétrarque, de même que, dans ses élégies, il a suivi les traces d’Ovide ; toutefois, Ronsard a été généralement plutôt grec que latin, c’est là ce qui distingue son école de celle de Malherbe.