Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5/Avertissement

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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5
Œuvres complètes, tome 5, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxPaul Daffis (p. V-IX).

AVERTISSEMENT.

Ce volume est celui où nous nous sommes le plus écarté du plan suivi par nos prédécesseurs. À la division des Poësies diverses par genres, nous avons préféré ici, comme pour notre édition de Corneille, une série unique disposée chronologiquement.

Déjà, nous avions procédé de même pour les Lettres ; au lieu d’être groupées d’après les noms des destinataires, elles ont été classées, d’après leurs dates, en un seul recueil. Si nous avions à recommencer, nous n’hésiterions pas à nous montrer encore plus audacieux, et à fondre ensemble, en suivant l’ordre des années, les Poësies diverses et les Lettres qui, presques toutes, contiennent des vers, ou, du moins, sont destinées à en accompagner. Il ne faudrait laisser en dehors de cette collection générale que la correspondance de La Fontaine avec son oncle Jeannart, dans laquelle il n’est question que d’affaires[1], et où le poëte s’applique fort consciencieusement, et non sans succès, à se montrer ennuyeux afin de donner une bonne opinion de lui à son respectable parent. Il est trop tard maintenant pour que nous puissions donner suite à ce projet, mais il est facile au lecteur de le réaliser, et nous nous permettrons de l’y engager : qu’il lise alternativement lettres et poésies d’après leurs dates, et il sera surpris de la lumière inattendue que cette façon si simple d’étudier répand sur l’histoire littéraire du temps, et surtout sur la biographie de La Fontaine.

Le seul inconvénient de ce classement chronologique, qui présente d’ailleurs tant d’avantages, est de n’être jamais rigoureusement définitif, et de ne fournir qu’une approximation toujours susceptible de perfectionnements.

J’ai, dès aujourd’hui, l’occasion d’ajouter à ce sincère aveu une preuve assez curieuse de ce que j’avance.

En racontant la querelle de La Fontaine et de Lully, Walckenaer lui a donné pour origine le refus fait par le célèbre compositeur de jouer l’opéra de Daphné, auquel il passe pour avoir préféré la Proserpine de Quinault, représentée le 3 février 1680. Les deux opuscules que La Fontaine écrivit à ce sujet étaient malheureusement déjà placés au rang que leur assignait cette date et imprimés dans ce volume, quand je trouvai un témoignage qui prouvait que l’épître À Madame de Thiange était, de plusieurs années, antérieure à cette époque.

Bussy Rabutin dit au Père Bouhours le 26 février 1675 : « Je uiens de receuoir uotre lettre du 6e de ce mois, Mon Reuerend Pere, auec celle de la Fontaine a madame de Tianges, cette lettre est comme tout ce qu’il fait, d’un caractere aisé et naturel, cependant j’ayme mieux ses Contes[2]. » On voit que l’épitre à Mme de Tiange était déjà écrite ; mais elle devait avoir été composée fort récemment, puisque les gens le plus au courant des nouvelles littéraires se la communiquaient comme une nouveauté.

Au moment où je recueillais tardivement ce curieux témoignage négligé par les biographes et les éditeurs de La Fontaine, M. Édouard Fournier en découvrait un autre qui le précisait en le complétant. Il trouvait à l’Arsenal, dans les manuscrits de Trallage, une copie de la satire du Florentin, datée d’octobre 1674[3]. Il résulte de tout ceci qu’il faut reculer jusqu’à 1674 la date de l’opéra de Daphné, considéré jusqu’ici comme étant de 1679 ; que, par conséquent, la pièce de Quinault, préférée à Daphné, n’est pas Proserpine, mais Alceste représenté en avril 1674 ; qu’on doit placer la satire du Florentin au mois d’octobre de la même année 1674 ; enfin que La Fontaine, dont la colère fut longue à apaiser, n’écrivit que dans les premiers mois de l’année suivante sa lettre à Madame de Thiange. L’Épître à M. de Niert, qui demeure à sa place en 1677, constate que le ressentiment de La Fontaine était loin d’être tout-à-fait éteint à cette date, et ce sont seulement les dédicaces d’Amadis et de Rolland qui témoignent de la réconciliation définitive du poëte et du musicien.

On trouvera, à leur date, dans ce volume, plusieurs pièces qui ne sont point contenues dans les éditions précédentes ; les raisons qui nous les ont fait admettre sont indiquées en note, nous n’avons donc pas à en parler ici.

Nous n’avons pas hésité à faire figurer dans les œuvres du poëte la traduction en vers français, qu’il fit dans les derniers temps de sa vie, des vers latins à la gloire du roi, que le baron de Worden avait composés pour une salle du château de Glatigny. Par malheur, nous n’avons pas les inscriptions du même genre, mais probablement meilleures, qu’il avait écrites, dans toute la force de l’âge, pour la galerie de Fouquet à Saint-Mandé. L’abbé de Marolles, qui nous en a conservé le souvenir[4], ne nous en a, par malheur, laissé aucun extrait, mais il n’est pas impossible qu’on en découvre quelque jour une copie.

Nous avons cru intéressant de faire, en dehors des œuvres, dans un appendice qui renferme, assurément, nous sommes les premiers à le déclarer, bien peu de vers de La Fontaine, une place étendue à beaucoup de pièces qui lui ont été trop légèrement attribuées, mais que le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver réunies et classées. Il nous a paru surtout intéressant de réimprimer un certain nombre de fables, qui, publiées dès 1704 sous le nom de La Fontaine et complètement oubliées depuis, paraissent être la source suspecte à laquelle Simien Despréaux a puisé ses prétendues découvertes.

Nos vingt-trois pages d’additions seraient un terrible errata si l’on n’y trouvait que des fautes, mais elles en renferment fort peu ; elles contiennent surtout des variantes, que j’avais d’abord négligées et auxquelles j’ai cru utile de revenir, et des rapprochements que j’ai eu occasion de recueillir depuis l’époque déjà éloignée ou j’ai commencé cette édition. Quant à a table des noms propres, je l’ai faite aussi complète que je l’ai pu, y insérant les noms forgés et fictifs aussi bien que les noms réels, et donnant une large place aux expressions familières, aux locutions proverbiales tirées des noms de personnes ou des noms de lieux. Le prochain volume, le dernier, renfermera des documents biographiques sur La Fontaine, une Étude sur sa langue, et un Lexique. J’avoue qu’il n’est pas encore tout-à-fait prêt, et je réclame des lecteurs un petit supplément à la longue patience qu’ils m’ont accordée jusqu’ici et dont je suis profondément reconnaissant.

Ch. Marty-Laveaux.

  1. T. III, p. 279 — 288.
  2. Cette lettre est la 805e de l’excellente édition de M. L. Lalanne Nous en avons vérifié le texte sur le ms. 24, 422 du fonds français de la Bibliothèque nationale.
  3. Vie de La Fontaine, p. xxxv, note 2. En tête d’une édition de ses Œuvres qui a paru à la fin de l’année dernière.
  4. Mémoires, t. 1, p. 278, 285.