Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5/Ballade sur le refus que firent les Augustins…

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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5
Œuvres complètes, tome 5, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxPaul Daffis (p. 9-12).

V.

BALLADE

Sur le refus que firent les Augustins de prêter leur Interrogatoire devant Messieurs en 1658[1].


Aux Augustins, sans allarmer la Ville,
On fut hier soir ; mais le cas n’alla bien.
L’Huissier voyant de cailloux une pile,
Crut qu’ils n’étoient mis là pour aucun bien :

Très-sage fut, car avec doux maintien,
Il dit : Ouvrez, faut-il tant vous requerre ?
Qu’est-ce ceci ? Sommes-nous à la guerre ?
Messieurs sont seuls, ouvrez, et croyez-moi.
Messieurs, dit l’autre, en ce lieu n’ont que querre,
Les Augustins sont serviteurs du Roi.


Dea (répond l’un de Messieurs fort habile,
Conseiller Clerc, et sur-tout bon Chrétien),
Vous êtes troupe en ce monde inutile,
Le Tronc vous perd depuis ne sais combien,
Vous vous battez, faisant un bruit de chien ;
D’où vient cela ? Parlez, qu’on ne vous serre :
Car que soyez de Paris ou d’Auxerre,
Il faut subir cette commune loi,
Et n’en déplaise aux suppôts de Saint Pierre,
Les Augustins sont serviteurs du Roi.

Lors un d’entre eux, que ce soit Pierre ou Gille,
Il ne m’en chaut, car le nom n’y fait rien ;
Vraiment, dit-il, voilà bel Évangile,
C’est bien à vous de régler notre bien ;
Que le Tronc serve à l’Autel de soûtien,
Ou qu’on le vuide afin d’emplir le verre,
Le Parlement n’a droit de s’en equerre,
Et je maintiens, comme article de foi,
Qu’en débridant Matines à grand-erre
Les Augustins sont serviteurs du Roi.

ENVOI.

Sage Héros, ainsi dit Frére Pierre.

La Cour lui taille un beau pourpoint de pierre ;
Et dedans peu me semble que je voi,
Que sur la mer, ainsi que sur la terre,
Les Augustins sont serviteurs du Roi[2].

  1. Cette Ballade a paru pour la première fois en 1729 dans les Œuvres diverses (tome I, page 10) ; on lit bien dans le titre prêter leur interrogatoire, qui est assez obscur, et que M. Walckenaer, qui du reste a eu sous les yeux une copie manuscrite de Tallemant des Réaux, a changé tour à tour en passer puis porter leur interrogatoire.

    Boileau a fait allusion dans le Lutrin au combat des Augustins. Dans le premier chant de ce poème (vers 45‑50), la Discorde s’exprime ainsi :

    Quoi, dit-Elle, d’un ton qui fit trembler les vitres,
    J’aurai pû jusqu’ici brouiller tous les Chapitres,
    Diviser Cordeliers, Carmes et Célestins !
    J’aurai fait soûtenir un Siege aux Augustins !
    Et cette Église seule, à mes ordres rebelle,
    Nourrira dans son sein une paix éternelle !

    et Brossette fait à ce sujet la remarque suivante : « De deux ans en deux ans, les Augustins du grand Couvent de Paris nomment en Chapitre, trois de leur Religieux Bacheliers, pour faire leur Licence en Sorbone. Il y a trois places fondées pour cela. En 1658, le P. Célestin Villiers, Prieur de ce Couvent, voulant favoriser quelques Bacheliers, en fit nommer neuf pour les trois Licences suivantes. Ceux qui s’en virent exclus par cette élection prématurée, se pourvûrent au Parlement, qui ordonna que l’on feroit une autre nomination, en présence de Mrs de Catinat et de Saveuse, Conseillers de la Cour ; et de Me Janart, Substitut du Procureur Général. Les Religieux aïant refusé d’obéïr, la Cour fut obligée d’emploïer la force pour faire exécuter son Arrêt. On manda tous les Archers, qui, après avoir investi le Couvent, essaïèrent d’enfoncer les portes. Mais ils n’en pûrent venir à bout, parce que les Religieux, prévoïant ce qui devait arriver, les avoient fait murer par derrière, et avoient fait provision de cailloux, et de toutes sortes d’Armes. Les Archers tentèrent d’autres voies : les uns montèrent sur les toits des maisons voisines pour entrer dans le Couvent, tandis que les autres travailloient à faire une ouverture dans la muraille du jardin, du côté de la Ruë Christine. Les Augustins s’étant mis en défense, sonnèrent le tocsin, et commencèrent à tirer d’en bas sur les Assiégeans. Ceux-ci postez plus avantageusement qu’eux, et couverts par les cheminées, tirèrent à leur tour sur les Moines, dont il y en eut deux de tuez, et autant de blessez.

    » Cependant, la brêche étant faite, les Religieux eurent la témerité d’y porter le Saint Sacrement, espèrant d’arrêter par là les Assiégeans. Mais, comme ils virent que cette ressource étoit inutile, et que l’on ne laissoit pas de tirer sur eux, ils demanderent à capituler, et l’on donna des ôtages de part et d’autre. Le principal article de la capitulation fut, que les Assiégez auraient la vie sauve, moïennant quoi ils abandonnèrent la brêche et livrèrent leurs portes. Les Commissaires du Parlement étant entrez, firent arrêter onze de ces Religieux, qui furent menez en prison à la Conciergerie. Ce fut le 23 d’Août 1658, veille de St Barthelemi. Le Cardinal Mazarin, qui n’aimoit pas le Parlement, fit mettre les Religieux en liberté, par ordre du Roi, après 27 jours de prison. Ils furent mis dans les Carrosses du Roi, et menez en triomphe dans leur Couvent, au milieu des Gardes Françoises rangées en haie depuis la Conciergerie jusques aux Augustins. Leurs Confrères allèrent les recevoir en procession, aïant des palmes à la main. Ils sonnèrent toutes leurs cloches, et chantèrent le Te Deum en actions de grâces.

    » La Fontaine fit à ce sujet une Ballade, dont Mr Despréaux n’avoit retenu que le commencement et la fin. »

    Ici Brossette cite les quatre premiers et les trois derniers vers de la ballade, retenus par Boileau et imprimés dans cette note pour la première fois avant la publication complète de la pièce dans les Œuvres diverses.

  2. Dans la copie de Tallemant des Réaux que M. Walckenaer a eue sous les yeux, il y a ici en marge : « Furetière disoit qu’il falloit tous mettre dans une galère, et l’appeler la galère des Augustins. »