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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5/Sonnet pour Mademoiselle C.

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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 5
Œuvres complètes, tome 5, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxPaul Daffis (p. 12-13).

VI.

SONNET
POUR MADelle C.[1]

Seve qui peins l’objet dont mon cœur suit la loy,
Son pouvoir sans ton art assez loin peut s’estendre ;

Laisse en paix l’Univers, ne luy va point apprendre
Ce qu’il faut ignorer si l’on veut estre à soy.

Aussi bien manque-t-il icy ie ne sçais quoy
Que tu ne peus tracer, ny moy te faire entendre ;
J’en conserve les traits qui n’ont rien que de tendre ;
Amour les a formez plus grand peintre que toy.

Par d’inutiles soins pour moy tu te surpasses ;
Clarice est en mon ame avec toutes ses graces ;
Je m’en fais des Tableaux où tu n’as point de part :

Pour me faire sans cesse adorer cette Belle,
Il n’estoit pas besoin des efforts de ton art,
Mon cœur sans ce Portrait se souvient assez d’elle.

  1. Les pièces VI-IX ont paru pour la première fois dans les Fables nouvelles et autres poësies, 1671, pages 94-97. Elles y sont précédées d’une lettre d’envoi, que nous avons publiée (tome III, page 288) et à laquelle nous renvoyons le lecteur. Dans les Œuvres diverses, 1729, tome II, page 8, le nom de mademoiselle Colletet est donné en toutes lettres. Guillaume Colletet, auteur des Vies des poëtes françois, dont le manuscrit a été détruit dans l’incendie de la Bibliothèque du Louvre, avait épousé successivement trois servantes. Claudine le Nain, la dernière, avait une grande réputation de beauté et d’esprit. Elle lisait souvent comme siens des vers qui, au dire de Ménage, étaient de son mari : « Il mourut avant elle (le 10 février 1659) : mais peu de tems avant sa mort, afin de couvrir la chose, il fit sept vers sous le nom de la même Claudine, qui sont très beaux, par lesquels elle protestoit qu’après la mort de son Époux elle renonçoit à la Poësie :

    Le cœur gros de soupirs, les yeux noyez de larmes,
    Plus triste que la mort, dom je sens les allarmes,

    Jusques dans le tombeau je vous suy, cher espoux.
    Comme je vous aimay d’une amour sans seconde,
    Et que je vous louay d’un langage assez doux,
    Pour ne plus rien aimer, ny rien loüer au monde,
    J’ensevelis mon cœur et ma plume avec vous.

    (Menagiana, tome II, pages 83-85. Voyez aussi les Historiettes de Tallemant des Réaux, 3e édit. Tome III, pages 106-116.)