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Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/De la géologie en général et de celle de la Bohême en particulier

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Martins.
A. Cherbuliez et Cie (p. 339-342).

DE LA GÉOLOGIE
EN GÉNÉRAL
ET
DE CELLE DE LA BOHÊME EN PARTICULIER.

(1820.)


Archimède.

Donnez-moi un point d’appui.

Nose.

Prenez-le.


À l’époque (1784) où l’étude des masses qui composent le globe terrestre prit de l’intérêt pour moi, je tâchai de me faire une idée de la structure intérieure et de la forme extérieure des roches prises dans leurs parties et considérées dans leur ensemble. On nous indiquait alors un point de départ invariable et qui nous suffisait, c’est le granit, qui servait à la fois de limite inférieure et supérieure ; nous le regardions comme tel, et tous nos efforts avaient pour but d’approfondir sa nature et d’étudier ses apparences. Cependant on s’aperçut bientôt que l’on comprenait sous un même nom des roches de nature très variée et d’un aspect très différent. On distingua d’abord la syénite du granit, mais il restait encore bien des variétés à signaler. Toutefois, la composition caractéristique du granit proprement dit était admise par tous les savants ; c’était, disaient-ils, une roche résultant de l’union intime de trois substances essentielles, dont les proportions relatives sont toujours les mêmes quoique leur aspect soit différent. Le quarz, le feldspath et le mica concouraient également à la formation de l’ensemble, sans qu’on pût dire que l’un était le contenant, les autres le contenu ; cependant il était facile de voir que, dans les combinaisons si variées des masses granitiques, l’une ou l’autre de ces parties élémentaires remportait sur ses congénères.

Dans mes fréquents séjours à Carlsbad, j’avais été frappé de voir que les grands cristaux de feldspath dominaient dans les roches de cette localité, quoiqu’ils continssent eux-mêmes tous les autres éléments du granit. Rappelons ici le district d’Ellbogen, où la nature a jeté le feldspath à profusion, et paraît avoir épuisé toutes ses forces à cette production. Il semble qu’à l’instant même les deux autres parties se retirent de la communauté : le mica s’agglomère en boules, et la trinité est compromise. Alors le mica commence à jouer le rôle principal ; il se dépose en feuillets, et force les autres parties à s’accommoder à cette disposition stratiforme. La séparation du principe élémentaire devient encore plus tranchée, car sur le chemin de Schlackenwald nous trouvons de grandes masses bien distinctes composées de quarz et de mica, et enfin nous parvenons à des masses formées de quarz pur, quoiqu’elles soient mouchetées par des paillettes de mica tellement pénétrées de silice, qu’il est presque impossible de reconnaître leur véritable nature.

Ces phénomènes sont la preuve incontestable d’une séparation des éléments du granit. Chacune partie devient prédominante quand et comme elle le peut, et l’étude de ces faits nous met sur la voie des accidents physiques les plus importants. Car si l’on ne peut nier que, dans son état primitif (Urzustand), le granit ne contienne du fer, c’est cependant l’étain qui se présente d’abord dans ce granit de la seconde époque, et qui ouvre pour ainsi dire la carrière aux autres métaux.

Plus d’un métal s’associe d’une manière singulière à celui-ci ; le fer oligiste (Eisenglanz) joue ici un grand rôle, le Wolfram, le tungstène (Scheel), la chaux combinée avec divers acides à l’état de chaux fluatée (Flusspath), d’apatite (Apatit), et bien d’autres encore. Si l’on ne trouve pas d’étain dans le granit primitif, voyons quelle est la roche qui, dans la série géologique, nous offre la première des traces de ce métal important. C’est une roche de Schlackenwald, à laquelle il ne manque que du feldspath pour être du granit, et dans laquelle le quarz et le mica sont aussi étroitement unis que dans le granit, mais où ils sont associés en parties égales, sans que l’un puisse passer pour le contenant ni l’autre pour le contenu. Les mineurs ont appelé cette roche Greissen[1], nom heureusement trouvé qui indique l’affinité de la roche avec le gneiss. Si l’on ajoute à cela qu’à Einsiedeln, plus loin que Schlackenwald, on rencontre de la serpentine ; qu’on a observé dans le pays des traces de strontiane sulfatée (Cœlestin) ; qu’on trouve près de Marienbad et vers les sources de la Tepel du granit à grains fins et du gneiss avec des grenats (Almandinen) très gros, on conviendra que l’on peut étudier dans cette localité une grande époque géognostique.

Ces préliminaires ont pour but d’expliquer l’intérêt que j’ai mis à examiner la formation stannifère ; car s’il est essentiel d’avoir un point de départ bien fixe, il est encore plus important de faire le premier pas en s’appuyant sur un point qui, à son tour, puisse servir de base fondamentale pour s’élever plus haut. C’est pourquoi j’ai étudié pendant long-temps la formation stannifère. Dans les montagnes de la Thuringe, où j’ai fait mon apprentissage, on n’en découvre point de trace ; j’ai donc commencé dans les lavoirs de minerai (Seifen) du Fichtelberg. Je visitai plusieurs fois Schlackenwald ; je connaissais Geyer et Ehrenfriedrichsdorf par les descriptions de Charpentier et d’autres géologues, et je possède une suite magnifique des minerais qui s’y trouvent, grâce à feu mon ami M. de Trébra, je pus visiter Graupen avec quelques détails ; Zinnwald et Altenberg, seulement en passant ; mais par la pensée je poursuivais cette formation jusqu’au Riesengebirg, où l’on dit en avoir observé quelques traces. J’ai eu le bonheur de me procurer des séries d’échantillons provenant des localités principales. Le marchand de minéraux, M. Mawe, à Londres, m’a fourni une collection suffisante des minerais du Cornouailles, et M. de Giesacke, non content de compléter ma collection anglaise, a eu la bonté de m’envoyer des échantillons de l’étain de Malacca. Tout cela est bien rangé et classé ; mais le projet de faire quelque chose de complet sur ce sujet s’est évanoui en vœux impuissants, ainsi que cela m’est arrivé pour d’autres travaux d’histoire naturelle que j’aurais eu tant de plaisir à achever.

Je suis forcé, pour que tout ne soit pas perdu, de prendre le parti de communiquer ici ce que j’ai fait, par fragments, que je tâcherai de lier ensemble et d’animer par quelques idées générales, ainsi que je l’ai déjà tenté dans les autres branches de l’histoire naturelle.


  1. Hyalomicte, granit stannifère.