Œuvres de Albert Glatigny/À Ernest d’Hervilly

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 98-100).
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À Ernest d’Hervilly.


 
Pas devers aujourd’hui, Muse ! puisque y attends
Cette fille de Flandre aux regards éclatants,
Qui m’a promis, hier, de m’apporter sa joie.
Sa gorge fait craquer le corsage de soie,
Et le buste éblouit les yeux par sa rondeur,
Pendant que ses cheveux, massés avec lourdeur,
À son front bas et pur forment une couronne.
L’insolente santé de son corps l’environne
Comme un nimbe palpable, et, dans cet air léger,
Joyeuse et colossale, elle semble nager.
     Et je ferais des vers ! quand cette créature,
Toute grâce enfantine en sa haute stature,
Va venir ! mais sa lèvre à l’arc délicieux,
Avec ses longs baisers, ne vaut-elle pas mieux
Que les méchants sonnets qu’un poète peut faire ?
Rimer une chanson d’amour, la belle affaire !
Quand mes doigts en ! iévrés vont errer librement
Sur la sainte blancheur de ce buste charmant,
Et que, des flots épars du velours, fière et nue,
Elle va m’apparaître, ainsi que sous la nue
Les déesses de marbre au sourire éternel,
Et chanter, pour mes yeux, son poëme charnel !


     Oui pourtant, je ferai des vers ! eh ! que m’importe
Que la fille, après tout, frappe ou non a ma porte ?
Pour une de perdue, on en retrouve cent.
Mais le vers amoureux, informe, vagissant,
Qui demande sa rime et qui n’a pas encore
Su trouver son chemin dans le rhythme sonore,
Le vers que l’on n’a pas dompté reviendra-t-il ?
Dites, saisirez-vous ce papillon subtil
Quand vous l’aurez laissé s’échapper dans la plaine ?
Que deviendra ce sylphe ailé fait d’une haleine
Qui, prenant dans les airs radieux son vol sûr,
Se sera brusquement dissipé dans l’azur ?
     Tous nos amours s’en vont, et toutes nos chimères
Nous quittent, vain jouet des brises éphémères !
L’amoureuse qui vient, demain repartira,
Mais le vers glorieux et calme restera
Témoin de nos amours passés. Ô Muse ! ô mère !
Je sais qu’il est des gens trouvant ta coupe amère,
Qu’ont rebutés le fiel et l’absinthe du bord ;
Mais d’autres, roidissant leur cœur dans un effort
Sûr et victorieux, ont trouvé l’ambroisie
Qui parfume le fond de la coupe choisie.
Or, je suis de ceux-là. J’ai saisi, tout enfant,
La lyre que sa gloire immortelle défend
Des profanes regards, et qui devient de flamme
Pour qui la veut tenir sans que, soudain, son âme
Tressaille d’épouvante et d’angoisse ; et les dieux
Ont laissé leur splendeur visible pour mes yeux.
     Donc, ô rhythmes ! chantez et déroulez vos ondes.



Ô Muses ! dénouez vos chevelures blondes,
Et toi, crois, ô grand arbre éternellement vert,
Laurier victorieux ! et, dans le ciel ouvert,
Allonge tes rameaux démesurés et plane
Sur nos fronts lumineux dans l’éther diaphane !


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