Œuvres de Albert Glatigny/La Bacchante apprivoisée

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 25-27).



La Bacchante apprivoisée.



Antoinette, Nymphe, athlétique
Aux regards lumineux, au corps
Fait pour orner un temple antique,
Beauté de formes et d’accords !



Ô robuste fille des âges
Où les dieux vivaient parmi nous,
Au milieu des grands paysages,
Rubens eût baisé vos genoux.

Toujours votre lèvre éloquente
S’ouvre comme un fruit rouge et sain,
De même qu’au temps ou, Bacchante,
Vous suiviez le cruel essaim

De ces créatures divines,
Ivres de vin et de fureur,
Qui bondissaient par les ravines
Et les forêts pleines d’horreur.

Aujourd’hui calme et nonchalante,
Loin de vos bois qui sont coupés,
Votre ongle frémissant se plante
Sur le velours des canapés.

La mâle tigresse est domptée ;
Sa voix est douce ; nous pouvons
Prendre sa main fine et gantée,
Qui connaît l’emploi des savons.

Mais pour éclairer les alcôves,
Vos grands yeux n’en jettent pas moins
Des lueurs brûlantes et fauves
Qui font reculer les témoins.



Orphée auprès de vous s’arrête
Sans peur, et vos doigts mignonnets,
En roulant une cigarette,
Daignent chiffonner des sonnets.

Pour appareiller vers Cythère
Vous êtes bien mieux maintenant,
Toinette, ai la peau de panthère
Serait un voile inconvenant.

Donc, répandez les avalanches
De vos sourires abondants,
Tamisés par les perles blanches
Que l’on nomme, je crois, vos dents.

Couvrez des plus riches étoffes
Votre corps superbe et nerveux,
Et puis servez-vous de mes strophes
Pour serrer le soir vos cheveux !


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