Œuvres de Albert Glatigny/Maritorne
Maritorne.
C’est la servante de l’auberge
Qui braille là, tout à côté :
Le soir, un peuple s’y goberge
De fins matois mis en gaîté.
Aux gars qui lui pincent la taille
En descendant les escaliers,
Elle peut bien livrer bataille :
Hier, elle a gifflé deux rouliers.
Ah ! dame, elle ne craint personne.
L’un est un gros homme d’Orbec
Dont la bourse en cuir jaune sonne
Un son d’argent, et qui boit sec ;
L’autre est un beau fils dont la blouse
Couvre des épaules de fer
Et que, dans l’endroit, on jalouse
Pour sa mine et pour son bel air.
Elle sait, quand on la demande,
Répondre juste à tous propos.
Ah ! c’est une rude Normande,
À l’œil alerte et bien dispos !
Le pied d’aplomb sur la semelle,
Elle tient sa place au soleil,
Allez ! et plus d’une femelle
Envierait un maintien pareil.
Sa joue a des couleurs royales,
Flambantes de belle vigueur ;
Elle a des façons joviales
Qui font épanouir le cœur !
Son bras est rouge, sa main forte,
Elle est utile à la maison,
Et mieux qu’un garçon elle porte
Hardiment les grands sacs de son.
Sa poitrine robuste et souple,
Libre de corset et de busc,
À sa large épaule s’accouple ;
L’odeur du foin lui sert de musc.
Ses cheveux drus aux mèches noires
Ressemblent aux crins d’un bidet ;
Sur elle, ils ont fait des histoires,
Comme si ça les regardait !
C’est une honnête créature,
Qu’on dise ou non ce qu’on voudra !
Elle n’a point eu d’aventure,
Et bientôt on l’épousera.
En dépit des mauvais langages
Que sur son compte on a tenus,
Elle a, de l’argent de ses gages,
Cinq beaux louis, tous bien venus.
Et, quand une fille a son âge,
Du bien qui n’est pas mal acquis,
Elle peut entrer en ménage
Comme la fille d’un marquis !