Œuvres de Albert Glatigny/L’idiote

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 131-134).
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L’Idiote.


I


Enfant à la démarche lente,
Et pleine de sérénité,
Je t’aime, ô grasse nonchalante,
Je t’aime, idiote beauté !

Tes yeux, foyer dont rien n’attise
La tranquille et froide lueur,
Calmes reflets de ta bêtise,
Me ravissent par leur douceur.



Ta chevelure épaisse et rousse
Écrase ton front, et ton nez,
Quand tu respires, se retrousse
Avec des airs tout étonnés.

Ta gorge lourdement vacille
Sur ta poitrine à tous moments ;
Pourtant, une grâce imbécile
Me charme dans tes mouvements.

Tu m’enivres et tu m’enchantes.
Je crois entendre à ton côté
Mille promesses alléchantes
De bonheur et de volupté.

Sur ta lèvre quand je savoure
Le miel pâteux de tes baisers,
Lorsque ton bras énorme entoure
Mes membres à demi brisés,

Je suis heureux ; et quand bien même
Celle qu’on adore à seize ans
Me viendrait dire qu’elle m’aime,
Je la chasserais, je le sens.

Car nulle, nulle femme au monde,
Nulle déesse dans les cieux,
Ne donne l’ivresse profonde
Qui coule pour moi de tes yeux.



C’est une ivresse bien étrange,
Et dont je demeure interdit,
C’est un vin rempli de mélange
Qui me soûle et qui m’engourdit.

Robuste et large créature,
Malade, j’aime ta santé,
Et mon esprit qui se torture
Se plaît dans ta stupidité !


II


Couche-toi donc, belle machine
Au corps superbe et triomphant !
Courbe devant moi ton échine,
De même qu’un jeune éléphant.

La haine dans mon cœur s’amasse,
Unie à l’amour, quand je vois
S’étaler au soleil ta masse
Sans éclair, sans rayon, sans voix !

Je sens qu’une bête sauvage
Est à mes pieds, que je soumets,
Prête à bondir, ivre de rage,
Si je tournais le front jamais !



Voilà pourquoi, ma tendre amie,
Mes yeux sont entés dans les tiens,
Pourquoi, dans ma main affermie,
Cette baguette que je tiens.

Comme une panthère domptée,
Alors, le regard abattu,
Sous le doigt qui te tient matée
Tu viens me dire : — Que veux-tu ?

A ma lèvre qui se dessèche
Donne ta lèvre : j’aime tant
Cette bonne odeur, de chair fraîche
Qui sort de ton corps éclatant !

Ta force, jointe a ta mollesse,
Compose un assaisonnement
Vif et bizarre, qui me laisse
Au cœur comme un goût de piment.

Plus d’aspirations perfides,
Plus d’absurdes rêves d’amour
Devant tes épaules solides,
Qui luisent si bien au grand jour !

Belle fille, ô noble litière !
Brute qui frissonnes d’effroi,
Orgueil de la sainte Matière,
Quand m’anéantirai-je en toi ?