Œuvres de Albert Glatigny/Santissimo Carnevale

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Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 250-253).

VIII

Santissimo Camevaîe.


C’est bien, nom d’un polichinelle !
Les cœurs deviennent d’amadou :
Voici qu’en la ville éternelle
Saint Veuillot court le guilledou.

L’ombre de Chicard se profile,
Saint-Pierre, sur ton escalier,
Et le sacré conclave file
Chercher la lumière a Bullier.

Zut pour le concile ! — Clodoche
Au cardinal Antonelli
Vient de flanquer une taloche
En l’appelant : « Mon Bengali ! »

Muse ! le carnaval de Rome
Agite ses grelots, viens-t’en :
À coups de bonbons on assomme
Gilles, marchands d’orviétan.

Déguisons-nous ; dans la cohue
Courons avec les masques… mais
Quel est ce fantoche qu’on hue ?
Tu ne devinerais jamais.

C’est notre cher Veuillot lui-même ?
Les pois secs ont crevé son loup.
Il crie : « Eh ! viens donc, face blême ! »
Au camarade Dupanloup.
 
Veuillot danse ! Veuillot s’amuse !
Puisqu’il récrit à l’Univers,
La chose est véridique. Ô Muse !
Je crois qu’il marche de travers.

Il gambade, il est écarlate,
Il fume dans un calumet ;
Arlequin sur son omoplate
Saute ! Veuillot a son plumet !

Avec des gestes déshonnêtes
Et de bruyants éclats de voix,
Il récite à des Marinettes
Un tas de madrigaux grivois.

L’Angelus sonne, lent, austère ;
Lui, secouant son tibia,
Chante les Pompiers de Nanterre
Qu’il prend pour l’Ave Maria.

Singeant une attitude équestre
Sur l’épaule de Frétillon,
Il cherche à conduire l’orchestre
En agitant son goupillon,

« Le concile, c’est des bêtises,
Dit-il à Nérine. L’amour
Vaut mieux auprès des verts cytises
Où broute le bouc tout le jour.

Nérine, viens, ô ma folie !
Sois mon guide, sois mon flambeau !
Nous affranchirons l’Italie.
Je suis grêlé, mais je suis beau.

Vive Garibaldi ! je l’aime !
Noble cuir que mon poing tanna,
Je lui donnerai ce soir même
La revanche de Mentana !

Labre est un gâteux. Qu’on le mène
Bien vite au bain a quatre sous.
Quant aux miracles de Germaine…
Je t’en montrerai les dessous !

Ça m’embête, toutes ces frimes,
Et je veux les répudier.
Je vais jouer les pères-grimes
Dans la troupe de Meynadier.

Oh hé ! partant pour la Syrie !…
Je m’amuse comme un préfet
Et veux te donner, ma chérie,
Le beau portrait que Gill m’a fait !

Il est plein d’une grâce étrange ;
Deux ailes aux blancheurs de lin
Ornent mon dos. J’ai l’air d’un ange
Dressé par Rossignol-Rollin. »

C’est ainsi qu’au milieu des masques
Veuillot marche sur les deux mains,
Et, par ses harangues fantasques,
Étonne les fils des Romains.

« Veuillot, cela me désespère, »
Lui dit le pape, par instants,
Et Veuillot répond au saint-père :
« Bah ! la jeunesse n’a qu’un temps ! »


Beaumesnil, mars 1870.