Œuvres de Lagrange/Pièces diverses/Additions aux Éléments d’Algèbre d’Euler
ADDITIONS
AUX
ÉLÉMENTS D’ALGÈBRE D’EULER.
— Nouvelle édition revue et corrigée. À Pétersbourg, MDCCXCVIII, 2 vol. in-8.)
AVERTISSEMENT.
Les géomètres du siècle passé se sont beaucoup occupés de l’Analyse indéterminée qu’on appelle vulgairement Analyse de Diophante ; mais il n’y a proprement que Bachet et Fermat qui aient ajouté quelque chose à ce que Diophante lui-même nous a laissé sur cette matière.
On doit surtout au premier une méthode complète pour résoudre en nombres entiers tous les Problèmes indéterminés du premier degré[1]. Le second est l’auteur de quelques méthodes pour la résolution des équations indéterminées qui passent le second degré[2] ; de la méthode singulière par laquelle on démontre qu’il est impossible que la somme ou la différence de deux carrés-carrés puisse jamais être un carré[3] ; de la solution d’un grand nombre de Problèmes très-difficiles et de plusieurs beaux Théorèmes sur les nombres entiers, qu’il a laissés sans démonstration, mais dont la plupart ont été ensuite démontrés par Euler dans les Commentaires de Pétersbourg[4].
Cette branche de l’Analyse a été presque abandonnée dans ce siècle, et, si l’on en excepte Euler, je ne connais personne qui s’y soit appliqué ; mais les belles et nombreuses découvertes que ce grand géomètre y a faites nous ont bien dédommagés de l’espèce d’indifférence que les autres géomètres paraissent avoir eue jusqu’ici pour ces sortes de recherches. Les Commentaires de Pétèrsbourg sont pleins des travaux d’Euler dans ce genre, et l’Ouvrage qu’il vient de donner est un nouveau service qu’il rend aux amateurs de l’Analyse de Diophante. On n’en avait aucun où cette science fût traitée d’une manière méthodique, et qui renfermât et expliquât clairement les principales règles connues jusqu’ici pour la solution des Problèmes indéterminés. Le Traité précédent réunit ce double avantage ; mais, pour le rendre encore plus complet, j’ai cru devoir y faire plusieurs Additions dont je vais rendre compte en peu de mots.
La Théorie des fractions continues est une des plus utiles de l’Arithmétique, où elle sert à résoudre avec facilité des Problèmes qui, sans son secours, seraient presque intraitables ; mais elle est d’un plus grand usage encore dans la solution des Problèmes indéterminés, lorsqu’on ne demande que des nombres entiers. Cette raison m’a engagé à exposer cette Théorie avec toute l’étendue nécessaire pour la faire bien entendre ; comme elle manque dans les principaux Ouvrages d’Arithmétique et d’Algèbre, elle doit être peu connue des géomètres je serai satisfait si je puis contribuer a la leur rendre un peu plus familière. Je donne ensuite des applications nouvelles de cette Théorie à l’Analyse indéterminée. Je détermine les minima qui peuvent avoir lieu dans les formules indéterminées à deux inconnues, surtout dans celle du second ordre, et je démontre, relativement à celles-ci, des propositions remarquables qui n’étaient pas connues, ou qui n’avaient pas encore été démontrées d’une manière générale et directe. On remarquera principalement dans l’Article XXXIII une méthode particulière pour réduire en fractions continues les racines réelles des équations du second degré, et dans les Articles suivants une démonstration rigoureuse que ces fractions doivent toujours être nécessairement périodiques[5].
Les autres Additions concernent la résolution des équations indéterminées. Bachet avait donné, en 1624, la résolution complète des équations indéterminées du premier degré. Celle des équations du second degré n’a paru qu’en 1769, dans les Mémoires de l’Académie de Berlin. On la redonne ici simplifiée et généralisée de manière à ne rien laisser à désirer. À l’égard des équations indéterminées des degrés supérieurs au second, on n’a encore que des méthodes particulières pour les résoudre dans quelques cas, et il est à présumer que, pour ces sortes d’équations, la résolution générale devient impossible passé le second degré, comme elle paraît l’être passé le quatrième pour les équations déterminées.
Enfin le dernier paragraphe renferme des recherches sur les fonctions qui ont la propriété que le produit de deux ou de plusieurs fonctions semblables est aussi une fonction semblable ; j’y donne une méthode générale pour trouver ces sortes de fonctions, et j’en fais voir l’usage pour la résolution de différents Problèmes indéterminés, sur lesquels les méthodes connues n’auraient aucune prise.
Tels sont les principaux objets de ces Additions, auxquelles j’aurais pu donner beaucoup plus d’étendue, si je n’avais craint de passer de justes bornes. Je souhaite que les matières que j’y ai traitées puissent mériter l’attention des géomètres, et réveiller leur goût pour une partie de l’Analyse qui me paraît très-digne d’exercer leur sagacité.
§ I. — Sur les fractions continues considérées par rapport
à l’Arithmétique.
1. Comme la Théorie des fractions continues manque dans les livres ordinaires d’Arithmétique et d’Algèbre, et que, par cette raison, elle doit être peu connue des géomètres, nous croyons devoir commencer ces Additions par une exposition abrégée de cette Théorie, dont nous aurons souvent lieu de faire l’application dans la suite.
On appelle, en général, fraction continue toute expression de cette forme
où les quantités et sont des nombres entiers positifs ou négatifs ; mais nous ne considérerons ici que les fractions continues où les numérateurs sont égaux à l’unité, c’est-à-dire, celles qui sont de la forme
étant d’ailleurs des nombres quelconques entiers positifs ou négatifs : car celles-ci sont, à proprement parler, les seules qui soient
d’un grand usage dans l’Analyse, les autres n’étant presque que de pure curiosité.2. Mylord Brouncker est, je crois, le premier qui ait imaginé les fractions continues ; on connaît celle qu’il a trouvée pour exprimer le rapport du carré circonscrit à l’aire du cercle, et qui est
mais on ignore le chemin qui y a conduit. On trouve seulement, dans l’Arithmetica infinitorum, quelques recherches sur ce sujet, dans lesquelles Wallis démontre d’une manière assez indirecte, quoique fort ingénieuse, l’identité de l’expression de Brouncker avec la sienne, qui est, comme l’on sait, il y donne aussi la méthode de réduire, en général, toutes sortes de fractions continues à des fractions ordinaires. Au reste il ne paraît pas que l’un ou l’autre de ces deux grands géomètres ait connu les principales propriétés et les avantages singuliers des fractions continues ; nous verrons ci-après que la découverte en est principalement due à Huyghens.
3. Les fractions continues se présentent naturellement toutes les fois qu’il s’agit d’exprimer en nombres des quantités fractionnaires ou irrationnelles. En effet, supposons qu’on ait à évaluer une quantité quelconque donnée qui ne soit pas exprimable par un nombre entier ; la voie la plus simple est de commencer par chercher le nombre entier qui sera le plus proche de la valeur de et qui n’en différera que par une fraction moindre que l’unité. Soit ce nombre et l’on aura égal à une fraction plus petite que l’unité, de sorte que sera, au contraire, un nombre plus grand que l’unité ; soit donc et, comme doit être un nombre plus grand que l’unité, on pourra chercher de même le nombre entier qui approchera le plus de la valeur de et, ce nombre étant nommé on aura de nouveau égal à une fraction plus petite que l’unité, et par conséquent sera égal à une quantité plus grande que l’unité, qu’on pourra désigner par ainsi, pour évaluer il n’y aura qu’à chercher pareillement le nombre entier le plus proche de lequel étant désigné par on aura égal à une quantité plus petite que l’unité, et par conséquent sera égal à une quantité plus grande que l’unité, et ainsi de suite. Par ce moyen il est clair qu’on doit épuiser peu à peu la valeur de et cela de la manière la plus simple et la plus prompte qu’il est possible, puisqu’on n’emploie que des nombres entiers dont chacun approche, autant qu’il est possible, de la valeur cherchée.
Maintenant, puisque on aura
de même, à cause de on aura
et, à cause de on aura pareillement
et ainsi de suite ; de sorte qu’en substituant successivement ces valeurs, on aura
Il est bon de remarquer ici que les nombres qui représentent, comme nous venons de le voir, les valeurs entières approchées des quantités peuvent être pris chacun de deux manières différentes, puisqu’on peut prendre également, pour la valeur entière approchée d’une quantité donnée, l’un ou l’autre des deux nombres entiers entre lesquels se trouve cette quantité. Il y a cependant une différence essentielle entre ces deux manières de prendre les valeurs approchées par rapport à la fraction continue qui en résulte ; car, si l’on prend toujours les valeurs approchées plus petites que les véritables, les dénominateurs seront tous positifs ; au lieu qu’ils seront tous négatifs si l’on prend les valeurs approchées toutes plus grandes que les véritables, et ils seront en partie positifs et en partie négatifs si les valeurs approchées sont prises tantôt trop petites et tantôt trop grandes.
En effet, si est plus petit que sera une quantité positive donc sera positif et le sera aussi ; au contraire, sera négatif si est plus grand que donc sera négatif et le sera aussi. De même, si est plus petit que sera toujours une quantité positive ; donc le sera aussi et par conséquent aussi mais, si est plus grand que sera une quantité négative, de sorte que et par conséquent aussi seront négatifs, et ainsi de suite.
Au reste, lorsqu’il s’agit des quantités négatives, j’entends par quantités plus petites celles qui, prises positivement, seraient plus grandes ; nous aurons cependant quelquefois, dans la suite, occasion de comparer entre elles des quantités purement par rapport à leur grandeur absolue ; mais nous aurons soin d’avertir alors qu’il faudra faire abstraction des signes.
Je dois remarquer encore que si, parmi les quantités il s’en trouve une qui soit égale à un nombre entier, alors la fraction continue sera terminée, parce qu’on pourra y conserver cette quantité même ; par exemple, si est un nombre entier, la fraction continue qui donne la valeur de sera
En effet, il est clair qu’il faudrait prendre ce qui donnerait
et par conséquent de sorte que l’on aurait
les termes suivants s’évanouissant vis-à-vis de la quantité infimie or donc on aura simplement
Ce cas arrivera toutes les fois que la quantité sera commensurable, c’est-à-dire qu’elle sera exprimée par une fraction rationnelle ; mais, lorsque a sera une quantité irrationnelle ou transcendante, alors la fraction continue ira nécessairement à l’infini.
4. Supposons que la quantité soit une fraction ordinaire et étant des nombres entiers donnés ; il est d’abord évident que le nombre entier qui approchera le plus de sera le quotient de la division de par ainsi, supposant la division faite à la manière ordinaire, et nommant le quotient et le reste, on aura donc pour avoir de même la valeur entière approchée de la fraction il n’y aura qu’à diviser par et prendre pour le quotient de cette division ; alors, nommant le reste, on aura et par conséquent on continuera donc à diviser par et le quotient sera la valeur du nombre et ainsi de suite ; d’où résulte cette règle fort simple pour réduire les fractions ordinaires en fractions continues :
Divisez d’abord le numérateur de la fraction proposée par son dénominateur, et nommez le quotient divisez ensuite le dénominateur par le reste, et nommez le quotient divisez après cela le premier reste par le second reste, et soit le quotient continuez ainsi en divisant toujours l’avant-dernier reste par le dernier, jusqu’à ce qu’on parvienne à une division qui se fasse sans reste, ce qui doit nécessairement arriver, puisque les restes sont tous des nombres entiers qui vont en diminuant ; vous aurez la fraction continue
qui sera égale à la fraction donnée.
5. Soit proposé de réduire en fraction continue la fraction on divisera donc par on aura le quotient et le reste on divisera par on aura le quotient et le reste on divisera par ce qui donnera le quotient et le reste on divisera encore par on aura le quotient et le reste on divisera par on aura le quotient et le reste on divisera par on aura le quotient et le reste enfin, divisant par on aura le quotient et le reste nul, de sorte que l’opération sera terminée. Rassemblant donc par ordre tous les quotients trouvés, on aura cette série d’où l’on formera la fraction continue
6. Comme, dans lâ manière ordinaire de faire les divisions, on prend toujours pour quotient le nombre entier qui est égal ou moindre que la fraction proposée, il s’ensuit que, par la méthode précédente, on n’aura que des fractions continues, dont tous les dénominateurs seront des nombres positifs.
Or on peut aussi prendre pour quotient le nombre entier qui est immédiatement plus grand que la valeur de la fraction, lorsque cette fraction n’est pas réductible à un nombre entier, et pour cela il n’y a qu’à augmenter d’une unité la valeur du quotient trouvé à la manière ordinaire alors le reste sera négatif, et le quotient suivant sera nécessairement négatif. Ainsi on pourra à volonté rendre les termes de la fraction continue positifs ou négatifs.
Dans l’exemple précédent, au lieu de prendre pour le quotient de divisé par je puis prendre mais j’aurai le reste négatif par lequel il faudra maintenant diviser on divisera donc par et l’on aura ou le quotient et le reste ou le quotient et le reste Prenons le quotient plus grand et alors il faudra diviser le reste par le reste d’où l’on aura ou le quotient et le reste ou le quotient et le reste Je continue la division en adoptant le quotient plus grand j’aurai à diviser le reste par le reste ce qui me donnera ou le quotient et le reste ou le quotient et le reste et ainsi de suite. De cette manière on aura
où l’on voit que tous les dénominateurs sont négatifs.
7. On peut, au reste, rendre positif chaque dénominateur négatif, en changeant le signe du numérateur ; mais il faut alors changer aussi le signe du numérateur suivant ; car il est clair qu’on a
Ensuite on pourra, si l’on veut, faire disparaître tous les signes de la fraction continue, et la réduire à une autre où tous les termes soient positifs ; car on a, en général,
comme on peut s’en convaincre aisément, en réduisant ces deux quantités en fractions ordinaires.
On pourrait aussi, par un moyen semblable, introduire des termes négatifs à la place des positifs, car on a
En général il est clair que, pour avoir la fraction continue la plus convergente qu’il est possible vers la valeur de la quantité donnée, il faut toujours prendre pour les nombres entiers qui approchent le plus des quantités soit qu’ils soient plus petits ou plus grands que ces quantités ; or il est facile de voir que si, par exemple, on ne prend pas pour le nombre entier qui approche le plus, soit en excès ou en défaut, de le nombre suivant sera nécessairement égal à l’unité ; en effet la différence entre et sera alors plus grande que par conséquent on aura donc ne pourra être qu’égal à l’unité.
Ainsi, toutes les fois que dans une fraction continue on trouvera des dénominateurs égaux à l’unité, ce sera une marque que l’on n’a pas pris les dénominateurs précédents aussi approchants qu’il est possible, et que, par conséquent, la fraction peut se simplifier en augmentant ou en diminuant ces dénominateurs d’une unité, ce qu’on pourra exécuter par les formules précédentes, sans être obligé de refaire en entier le calcul.
8. La méthode du no 4 peut servir aussi à réduire en fraction continue toute quantité irrationnelle ou transcendante, pourvu qu’elle soit auparavant exprimée en décimales. Mais, comme la valeur en décimales ne peut être qu’approchée, et qu’en augmentant d’une unité le dernier caractère on a deux limites entre lesquelles doit se trouver la vraie valeur de la quantité proposée, il faudra, pour ne pas sortir de ces limites, faire à la fois le même calcul sur les deux fractions dont il s’agit, et n’admettre ensuite dans la fraction continue que les quotients qui résulteront également des deux opérations.
Soit, par exemple, proposé d’exprimer par une fraction continue le rapport de la circonférence du cercle au diamètre.
Ce rapport exprime en décimales est, par le calcul de Viète, de sorte qu’on aura la fraction à réduire en fraction continue par la méthode ci-dessus ; or, si l’on ne prend que la fraction on trouve les quotients et si l’on prenait la fraction plus grande on trouverait les quotients de sorte que le troisième quotient demeurerait incertain ; d’où l’on voit que, pour pouvoir pousser seulement la fraction continue au delà de trois termes, il faudra nécessairement adopter une valeur de la périphérie qui ait plus de six caractères.
Si l’on prend la valeur donnée par Ludolph en trente-cinq caractères, et qui est
et qu’on opère en même temps sur cette fraction et sur la même, en y augmentant le dernier caractère d’une unité, on trouvera cette suite de quotients
de sorte que l’on aura
Comme il y a ici des dénominateurs égaux à l’unité, on pourra simplifier la fraction, en y introduisant des termes négatifs, par les formules du no 7, et l’on trouvera
ou bien
9. Nous avons montré ailleurs comment on peut appliquer la Théorie des fractions continues à la résolution numérique des équations, pour laquelle on n’avait encore que des méthodesimparfaites et insuffisantes. [Voyez les Mémoires de l’Académie de Berlin pour les années 1767 et 1768[6]]. Toute la difficulté consiste à pouvoir trouver dans une équation quelconque la valeur entière la plus approchée, soit en excès ou en défaut, de la racine cherchée, et c’est sur quoi nous avons donné les premiers des règles sûres et générales, par lesquelles on peut non-seulement reconnaître combien de racines réelles positives ou négatives, égales ou inégales, contient la proposée, mais encore trouver facilement les limites de chacune de ces racines, et même les limites des quantités réelles qui composent les racines imaginaires. Supposant donc que soit l’inconnue de l’équation proposée, on cherchera d’abord le nombre entier qui approchera le plus de la racine cherchée, et, nommant ce nombre il n’y aura qu’à faire, comme on l’a vu dans le no 3, (je nomme ici ce que j’ai dénoté dans l’Article cité par ) ; et, substituant cette valeur à la place de on aura, après avoir fait évanouir les fractions, une équation du même degré en qui devra avoir au moins une racine positive ou négative plus grande que l’unité. On cherchera donc de nouveau la valeur entière approchée de cette racine, et, nommant cette valeur on fera ensuite ce qui donnera de même une équation en qui aura aussi nécessairement une racine plus grande que l’unité, et dont on cherchera pareillement la valeur entière approchée et ainsi de suite. De cette manière la racine cherchée se trouvera exprimée par la fraction continue
qui sera terminée si la racine est commensurable, mais qui ira nécessairement à l’infini si elle est incommensurable.
On trouvera dans les Mémoires cités tous les principes et les détails nécessaires pour se mettre au fait de cette méthode et de ses usages, et même différents moyens pour abréger souvent les opérations qu’elle demande nous croyons n’y avoir presque rien laissé à désirer sur ce sujet si important.
Au reste, pour ce qui regarde les racines des équations du second degré, nous donnerons plus bas (nos 33 et suivants) une méthode particulière et très-simple pour les convertir en fractions continues.
10. Après avoir expliqué la génération des fractions continues, nous allons en montrer les usages et les principales propriétés.
Il est d’abord évident que, plus on prend de termes dans une fraction continue, plus on doit approcher de la vraie valeur de la quantité qu’on a exprimée par cette fraction ; de sorte que, si l’on s’arrête successivement à chaque terme de la fraction, on aura une suite de quantités qui seront nécessairement convergentesvers la quantité proposée.
Ainsi, ayant réduit la valeur de à la fraction continue
on aura les quantités
ou bien, en réduisant,
qui approcheront de plus en plus de la valeur de .
Pour pouvoir mieux juger de la loi et de la convergence de ces quantités, nous remarquerons que, par les formules du no 3, on a
d’où l’on voit d’abord que est la première valeur approchée de qu’ensuite, si l’on prend la valeur exacte de qui est et qu’on y substitue pour sa valeur approchée on aura cette valeur plus approchée qu’on aura de même une troisième valeur plus approchée de en mettant d’abord pour sa valeur exacte ce qui donne et prenant ensuite pour la valeur approchée
par ce moyen la nouvelle valeur approchée de seracontinuant le même raisonnement, on pourra approcher davantage, en mettant, dans l’expression de trouvée ci-dessus, à la place de sa valeur exacte ce qui donnera
et prenant ensuite pour sa valeur approchée de sorte qu’on aura pour la quatrième approximation la quantité
et ainsi de suite.
De là il est facile de voir que, si par le moyen des nombres, on forme les expressions suivantes
on aura cette suite de fractions convergentes vers la quantité
Si la quantité est rationnelle, et représentée par une fraction quelconque il est évident que cette fraction sera toujours la dernière dans la série précédente, puisque dans ce cas la fraction continue sera terminée, et que la dernière fraction de la série ci-dessus doit toujours équivaloir à toute la fraction continue.
Mais, si la quantité est irrationnelle ou transcendante, alors, la fraction continue allant nécessairement à l’infini, on pourra aussi pousser à l’infini la série des fractions convergentes.
11. Examinons maintenant la nature de ces fractions ; et d’abord il est visible que les nombres doivent aller en augmentant, aussi bien que les nombres car :
1o Si les nombres sont tous positifs, les nombres et seront aussi tous positifs, et l’on aura évidemment et ou
2o Si les nombres sont tous ou en partie négatifs, alors, parmi les nombres et il y en aura de positifs et de négatifs ; mais, dans ce cas, on considérera que l’on a, en général, par les formules précédentes,
d’où l’on voit d’abord que, si les nombres sont différents de l’unité, quels que soient d’ailleurs leurs signes, on aura nécessairement, en faisant abstraction des signes, donc, par conséquent et ainsi de suite ; donc
Il n’y aura d’exception que lorsque, parmi les nombres il s’en trouvera d’égaux à l’unité ; supposons, par exemple, que le nombre soit le premier qui soit égal à on aura d’abord mais s’il arrive que la fraction soit de signe différent de ce qui est clair par l’équation parce que dans ce cas sera un nombre or je dis qu’alors on aura nécessairement car, puisque on aura (no 10)
or, comme et sont des quantités (no 3), il est clair que cette équation ne pourra subsister, à moins que et ne soient de même signe ; donc, puisque et sont les valeurs entières approchées de et ces nombres et devront être aussi de même signe ; mais la fraction doit être de même signe que à cause que est un nombre entier, et une fraction donc et seront des quantités de même signe ; par conséquent sera une quantité positive. Or on a donc, multipliant par on aura donc, étant une quantité positive, il est clair que sera donc
De là on voit que, s’il arrive que dans la série il se trouve un terme qui soit moindre que le précédent, le terme suivant sera nécessairement plus grand ; de sorte qu’en mettant à part ces termes plus petits la série ne laissera pas d’aller en augmentant.
Au reste on pourra toujours éviter, si l’on veut, cet inconvénient, soit en prenant les nombres tous positifs, soit en les prenant tous différents de l’unité, ce qui est toujours possible.
On fera les mêmes raisonnements par rapport à la série dans laquelle on a pareillement
d’où l’on déduira des conclusions semblables aux précédentes.
12. Maintenant, si l’on multiplie en croix les termes des fractions voisines dans la série on trouvera
Cette propriété est très-remarquable et donne lieu à plusieurs conséquences importantes.
D’abord on voit que les fractions doivent être déjà réduites à leurs moindres termes ; car si, par exemple, et avaient un commun diviseur autre que l’unité, le nombre entier serait aussi divisible par ce même diviseur, ce qui ne se peut à cause de
Ensuite, si l’on met les équations précédentes sous cette forme
il est aisé de voir que les différences entre les fractions voisines de la série vont continuellement en diminuant, de sorte que cette série est nécessairement convergente.
Or je dis que la différence entre deux fractions consécutives est aussi petite qu’il est possible ; en sorte qu’entre ces mêmes fractions il ne saurait tomber aucune autre fraction quelconque, à moins qu’elle n’ait un dénominateur plus grand que ceux de ces fractions-là. Car prenons, par exemple, les deux fractions et et dont la différence est et supposons, s’il est possible, qu’il existe une autre fraction dont la valeur tombe entre celles de ces deux fractions, et dans laquelle le dénominateur soit moindre que ou que donc, puisque doit se trouver entre et il faudra que la différence entre et qui est ou soit différence entre et mais il est clair que celle-là ne saurait être moindre que donc, si elle sera nécessairement de même, la différence entre et ne pouvant être plus petite que sera nécessairement si au lieu qu’elle devrait en être plus petite.
13. Voyons présentement de combien chaque fraction de la série approchera de la valeur de la quantité Pour cela on remarquera que les formules trouvées dans le no 10 donnent
et ainsi de suite.
Donc, si l’on veut savoir de combien la fraction par exemple, approche de la quantité, on cherchera la différence entre et en prenant pour la quantité on aura
à cause de (no 12) ; or, comme on suppose que soit la valeur approchée de en sorte que la différence entre et soit (no 3), il est clair que la valeur de sera renfermée entre les deux nombres et (le signe supérieur étant pour le cas où la valeur approchée est moindre que la véritable et le signe inférieur pour le cas où ), et que, par conséquent, la valeur de sera aussi renfermée entre ces deux-ci, et c’est-à-dire, entre et donc la différence sera renfermée entre ces deux limites d’où l’on pourra juger de la quantité de l’approximation de la fraction
14. En général on aura
et ainsi de suite.
Or, si l’on suppose que les valeurs approchées soient toujours prises moindres que les véritables, ces nombres seront tous positifs, aussi bien que les quantités (no 3) ; donc les nombres seront aussi tous positifs ; d’où il s’ensuit que les différences entre la quantité et les fractions seront alternativement positives et négatives ; c’est-à-dire que ces fractions seront alternativement plus petites et plus grandes que la quantité
De plus, comme (hyp.), on aura
et comme on aura
de sorte que les erreurs qu’on commettrait en prenant les fractions pour la valeur de seraient respectivement moindres que
mais plus grandes que
d’où l’on voit combien ces erreurs sont petites, et combien elles vont en diminuant d’une fraction à l’autre.
Mais il y a plus : puisque les fractions sont alternativement plus petites et plus grandes que la quantité il est clair que la valeur de cette quantité se trouvera toujours entre deux fractions consécutives quelconques ; or nous avons vu ci-dessus (no 12) qu’il est impossible qu’entre deux telles fractions puisse se trouver une autre fraction quelconque qui ait un dénominateur moindre que l’un de ceux de ces deux fractions ; d’où l’on peut conclure que chacune des fractions dont il s’agit exprime la quantité plus exactement que ne pourrait faire toute autre fraction quelconque, dont le dénominateur serait plus petit que celui de la fraction suivante ; c’est-à-dire que la fraction par exemple, exprimera la valeur de plus exactement que toute autre fraction dans laquelle serait
15. Si les valeurs approchées sont toutes ou en partie plus grandes que les véritables, alors parmi ces nombres il y en aura nécessairement de négatifs (no 3), ce qui rendra aussi négatifs quelques-uns des termes des séries par conséquent les différences entre les fractions et la quantité ne seront plus alternativement positives et négatives, comme dans le cas du numéro précédent ; de sorte que ces fractions n’auront plus l’avantage de donner toujours des limites en plus et en moins de la quantité avantage qui me paraît d’une très-grande importance, et qui doit par conséquent faire préférer toujours dans la pratique les fractions continues où les dénominateurs seront tous positifs. Ainsi nous ne considérerons plus dans la suite que des fractions de cette espèce.
16. Considérons donc la série
dans laquelle les fractions sont alternativement plus petites et plus grandes que la quantité et il est clair qu’on pourra partager cette série en ces deux-ci
la première sera composée de fractions toutes plus petites que et qui iront en augmentant vers la quantité la seconde sera composée de fractions toutes plus grandes que mais qui iront en diminuant vers cette même quantité. Examinons maintenant chacune de ces deux
séries en particulier dans la première on aura (nos 10 et 12)et dans la seconde on aura
Si les nombres étaient tous égaux à l’unité, on pourrait prouver, comme dans le no 12, qu’entre deux fractions consécutives quelconques de l’une ou de l’autre des séries précédentes il ne pourrait jamais se trouver aucune autre fraction dont le dénominateur serait moindre que ceux de ces deux fractions ; mais il n’en sera pas de même lorsque les nombres seront différents de l’unité ; car dans ce cas on pourra insérer entre les fractions dont il s’agit autant de fractions intermédiaires qu’il y aura d’unités dans les nombres et pour cela il n’y aura qu’à mettre successivement dans les valeurs de et (no 10) les nombres à la place de et de même, dans les valeurs de et les nombres à la place de , et ainsi de suite.
17. Supposons, par exemple, que on aura
et l’on pourra insérer entre les fractions et trois fractions intermédiaires, qui seront
Il est clair que les dénominateurs de ces fractions forment une suite croissante arithmétiquement depuis jusqu’à et nous allons voir que les fractions elles-mêmes croissent aussi continuellement depuis jusqu’à en sorte qu’il serait maintenant impossible d’insérer dans la série
aucune fraction dont la valeur tombât entre celles de deux fractions consécutives, et dont le dénominateur se trouvât aussi entre ceux des mêmes fractions. Car, si l’on prend les différences entre les fractions précédentes, on aura, à cause de
d’où l’on voit d’abord que les fractions vont en augmentant, puisque leurs différences sont toutes positives ; ensuite, comme ces différences sont égales à l’unité divisée par le produit des deux dénominateurs, on pourra prouver, par un raisonnement analogue celui que nous avons fait dans le no 12, qu’il est impossible qu’entre deux fractions consécutives de la série précédente il puisse tomber une fraction quelconque si le dénominateur tombe entre les dénominateurs de ces fractions, ou, en général, s’il est plus petit que le plus grand des deux dénominateurs.
De plus, comme les fractions dont nous parlons sont toutes plus grandes que la vraie valeur de et que la fraction en est plus petite, il est évident que chacune de ces fractions approchera de la quantité en sorte que la différence en sera plus petite que celle de la même fraction et de la fraction or on trouve
Donc, puisque ces différences sont aussi égales à l’unité divisée par le produit des dénominateurs, on y pourra appliquer le même raisonnement du no 12, pour prouver qu’aucune fraction ne saurait tomber entre une quelconque des fractions et la fraction si le dénominateur est plus petit que celui de la même fraction ; d’où il suit que chacune de ces fractions approche plus de la quantité que ne pourrait faire toute autre fraction plus petite que et qui aurait un dénominateur plus petit, c’est-à-dire ; qui serait conçue en termes plus simples.
18. Nous n’avons considéré dans le numéro précédent que les fractions intermédiaires entre et il en sera de même des fractions intermédiaires entre et entre et si sont des nombres
On peut aussi appliquer à l’autre série
tout ce que nous venons de dire relativement à la première série
de sorte que, si les nombres sont on pourra insérer entre les fractions et entre et différentes fractions intermédiaires toutes plus grandes que mais qui iront continuellement en diminuant, et qui seront telles, qu’elles exprimeront la quantité plus exactement que ne pourrait faire aucune autre fraction plus grande que et qui serait conçue en termes plus simples.
De plus, si est aussi un nombre on pourra pareillement placer avant la fraction les fractions jusqu’à savoir et ces fractions auront les mêmes propriétés que les autres fractions intermédiaires.
De cette manière, on aura donc ces deux suites complètes de fractions convergentes vers la quantité
Si la quantité est irrationnelle ou transcendante, les deux séries précédentes iront à l’infini, puisque la série des fractions
que nous nommerons dans la suite fractions principales, pour les distinguer des fractions intermédiaires, va d’elle-mêmeà l’infini (no 10).
Mais, si la quantité est rationnelle et égale à une fraction quelconque nous avons vu dans le numéro cité que la série dont il s’agit sera terminée, et que la dernière fraction de cette série sera la fraction même donc cette fraction terminera aussi nécessairement une des deux séries ci-dessus, mais l’autre série pourra toujours aller à l’infini.
En effet, supposons que soit le dernier dénominateur de la fraction continue ; alors sera la dernière des fractions principales, et la série des fractions plus grandes que sera terminée par cette même fraction or l’autre série des fractions plus petites que se trouvera naturellement arrêtée à la fraction qui précède mais, pour la continuer, il n’y a qu’à considérer que le dénominateur qui devrait suivre le dernier dénominateur sera (no 3) ; de sorte que la fraction qui suivrait dans la suite des fractions principales, serait
Ainsi, dans ce cas, on pourra, après la fraction dans la première suite de fractions, placer encore les fractions intermédiaires dont nous parlons, et les continuer à l’infini.
19. Une fraction exprimée par un grand nombre de chiffres étant donnée, trouver toutes les fractions en moindres termes qui approchent si près de la vérité, qu’il soit impossible d’en approcher davantage sans en employer de plus grandes.
Ce Problème se résoudra facilement par la théorie que nous venons d’expliquer.
On commencera par réduire la fraction proposée en fraction continue par la méthode du no 4, en ayant soin de prendre toutes les valeurs approchées plus petites que les véritables, pour que les nombres, soient tous positifs ; ensuite, à l’aide des nombres trouvés on formera, d’après les formules du no 10, les fractions dont la dernière sera nécessairement la même que la fraction proposée, parce que dans ce cas la fraction continue est terminée. Ces fractions seront alternativement plus petites et plus grandes que la fraction donnée, et seront successivementconçues en termes plus grands ; et de plus elles seront telles, que chacune de ces fractions approchera plus de la fraction donnée que ne pourrait faire toute autre fraction quelconque qui serait conçue en termes moins simples. Ainsi l’on aura par ce moyen toutes les fractions conçues en moindres termes que la proposée, qui pourront satisfaire au Problème.
Que si l’on veut considérer en particulier les fractions plus petites et les fractions plus grandes que la proposée, on insérera entre les fractions précédentes autant de fractions intermédiaires que l’on pourra, et l’on en formera deux suites de fractions convergentes, les unes toutes plus petites et les autres toutes plus grandes que la fraction donnée (nos 16, 17 et 18) ; chacune de ces suites aura en particulier les mêmes propriétés que la suite desfractions principales car les fractions, dans chaque suite, seront successivement conçues en plus grands termes, et chacune d’elles approchera plus de la fraction proposée que ne pourrait faire aucune autre fraction qui serait pareillement plus petite ou plus grande que la proposée, mais qui serait conçue en termes plus simples.
Au reste, il peut arriver qu’une des fractions intermédiaires d’une série n’approche pas si près de la fraction donnée qu’une des fractions de l’autre série, quoique conçue en termes moins simples que celle-ci ; c’est pourquoi il ne convient d’employer les fractions intermédiaires que lorsqu’on veut que les fractions cherchées soient toutes plus petites ou toutes plus grandes que la fraction donnée.
20. Suivant La Caille, l’année solaire est de et par conséquent plus longue de que l’année commune de si cette différence était exactement de heures, elle donnerait un jour au bout de quatre années communes ; mais, si l’on veut savoir au juste au bout de combien d’années communes cette différence peut produire un certain nombre de jours, il faut chercher le rapport qu’il y a entre et et l’on trouve que ce rapport est de sorte qu’on peut dire qu’au bout de années communes il faudrait intercaler jours pour les réduire à des années tropiques. Comme le rapport de à est exprimé en termes fort grands, on propose de trouver en des termes plus petits des rapports aussi approchés de celui-ci qu’il est possible.
On réduira donc la fraction en fraction continue par la règle donnée dans le no 4, qui est la même que celle qui sert à trouver le plus grand commun diviseur de deux nombres donnés on aura
Connaissant ainsi tous les quotients on en formera aisément la série de la manière suivante
où l’on voit que la dernière fraction est la même que la proposée.
Pour faciliter la formation de ces fractions, on écrira d’abord, comme je viens de le faire, la suite des quotients et l’on placera au-dessous de ces coefficients les fractions qui en résultent.
La première fraction aura toujours pour numérateur le nombre qui est au-dessus, et pour dénominateur l’unité.
La seconde aura pour numérateur le produit du nombre qui est au-dessus par le numérateur de la première, plus l’unité, et pour dénominateur le nombre même qui est au-dessus.
La troisième aura pour numérateur le produit du nombre qui est au-dessus par le numérateur de la seconde, plus celui de la première ; et de même pour dénominateur le produit du nombre qui est au-dessus par le dénominateur de la seconde, plus celui de la première.
Et, en général, chaque fraction aura pour numérateur le produit du nombre qui est au-dessus par le numérateur de la fraction précédente, plus celui de l’avant-précédente, et pour dénominateur le produit du même nombre par le dénominateur de la fraction précédente, plus celui de l’avant-précédente.
Ainsi
et ainsi de suite ; ce qui s’accorde avec les formules du no 10.
Maintenant on voit, par les fractions que l’intercalation la plus simple est celle d’un jour dans quatre années communes, ce qui est le fondement du Calendrier julien ; mais qu’on approcherait plus de l’exactitude eh n’intercalant que sept jours dans l’espace de vingt-neuf années communes, ou huit dans l’espace de trente-trois ans, et ainsi de suite.
On voit de plus que, comme les fractions sont alternativement plus petites et plus grandes que la fraction ou l’intercalation d’un jour sur quatre ans sera trop forte, celle de sept jours survingt-neuf ans trop faible, celle de huit jours sur trente-trois ans trop forte, et ainsi de suite ; mais chacune de ces intercalations sera toujours la plus exacte qu’il est possible dans le même espace de temps.
Or, si l’on range dans deux séries particulières les fractions plus petites et les fractions plus grandes que la fraction donnée, on y pourra encore insérer différentes fractions secondaires pour compléter les séries ; et pour cela on suivra le même procédé que ci-dessus, mais en prenant successivement à la place de chaque nombre de la série supérieure tous les nombres entiers moindres que ce nombre (lorsqu’il y en a).
Ainsi, considérant d’abord les fractions croissantes
on voit qu’à cause que l’unité est au-dessus de la seconde, de la troisième et de la quatrième, on ne pourra placer aucune fraction intermédiaire, ni entre la première et la seconde, ni entre la seconde et la troisième, ni entre la troisième et la quatrième ; mais, comme la dernière fraction a au-dessus d’elle le nombre on pourra, entre cette fraction et la précédente, placer quatorze fractions intermédiaires, dont les numérateurs formeront la progression arithmétique
et dont les dénominateurs formeront aussi la progression arithmétique
Par ce moyen, la suite complète des fractions croissantes sera
Et, comme la dernière fraction est la même que la fraction donnée, il est clair que cette série ne peut pas être poussée plus loin.
De là on voit que, si l’on ne veut admettre que des intercalations qui pèchent par excès, les plus simples et les plus exactes seront celles d’un jour sur quatre années, ou de huit jours sur trente-trois ans, ou de trente-neufjours sur cent soixante et un ans, et ainsi de suite.
Considérons maintenant les fractions décroissantes
et d’abord, à cause du nombre qui est au-dessus de la première fraction, on pourra en placer six autres avant celle-ci, dont les numérateurs formeront la progression arithmétique et dont les dénominateurs formeront la progression de même, à cause du nombre on pourra placer entre la première et la seconde fraction deux fractions intermédiaires, et entre la seconde et la troisième on en pourra placer quinze, à cause du nombre qui est au-dessus de la troisième ; mais entre celle-ci et la dernière on n’en pourra insérer aucune, à cause que le nombre qui est au-dessus est l’unité.
De plus il faut remarquer que, comme la série précédente n’est pas terminée par la fraction donnée, on peut encore la continuer aussi loin que l’on veut, comme nous l’avons fait voir dans le no 18. Ainsi l’on aura cette série de fractions décroissantes
lesquelles sont toutes plus petites que la fraction proposée, et en approchent plus que toutes autres fractions qui seraient conçues en termes moins simples.
On peut conclure de là que, si l’on ne voulait avoir égard qu’aux intercalations qui pécheraient par défaut, les plus simples et les plus exactes seraient celles d’un jour sur cinq ans, ou de deux jours sur neuf ans, ou de trois jours sur treize ans, etc.
Dans le Calendrier grégorien, on intercale seulement quatre-vingt-dix-sept jours dans quatre cents années ; on voit par la Table précédente qu’on approcherait beaucoup plus de l’exactitude en intercalant cent neuf jours en quatre cent cinquante années.
Mais il faut remarquer que dans la réformation grégorienne on s’est servi de la détermination de l’année donnée par Copernic, laquelle est de En employant cet élément, on aurait, au lieu de la fraction celle-ci ou bien d’où l’on trouverait, par la méthode précédente, les quotients et de là ces fractions principales
qui sont, à l’exception des deux premières, assez différentes de celles que nous avons trouvées ci-dessus. Cependant on ne trouve pas parmi ces fractions la fraction adoptée dans le Calendrier grégorien et cette fraction ne peut pas même se trouver parmi les fractions intermédiaires qu’on pourrait insérer dans les deux séries et car il est clair qu’elle ne pourrait tomber qu’entre ces deux dernières fractions, entre lesquelles, à cause du nombre qui est au-dessus de la fraction il peut tomber deux fractions intermédiaires, qui seront et d’où l’on voit qu’on aurait approché plus de l’exactitude si dans la réformation grégorienne on avait prescrit de n’intercaler que quatre-vingt-dix jours dans l’espace de trois cent soixante et onze ans.
Si l’on réduit la fraction à avoir pour numérateur le nombre elle deviendra ce qui supposerait l’année tropique de
Dans ce cas l’interpolation grégorienne serait tout à fait exacte ; mais, comme les observations donnent l’année plus courte de plus de secondes, il est clair qu’il faudra nécessairement, au bout d’un certain-espace de temps, introduire une nouvelle intercalation.
Si l’on voulait s’en tenir à la détermination de La Caille, comme le dénominateur de la fraction \frac{400}{97} se trouve entre les dénominateurs de la cinquième et de la sixième des fractions principales trouvées ci-devant, il s’ensuit de ce que nous avons démontré (no 14) que la fraction approcherait plus de la vérité que la fraction au reste, comme les Astronomes sont encore partagés sur la véritable longueur de l’année, nous nous abstiendrons de prononcer sur ce sujet ; aussi n’avons-nous eu d’autre objet, dans les détails que nous venons de donner, que de faciliter les moyens de se mettre au fait des fractions continues et de leurs usages ; dans cette vue nous ajouterons encore l’Exemple suivant.
21. Nous avons déjà donné (no 8) la fraction continue qui exprime le rapport de la circonférence du cercle au diamètre, en tant qu’elle résulte de la fraction de Ludolph ; ainsi il n’y aura qu’à calculer, de la manière enseignée dans l’Exemple précédent, la série des fractions convergentes vers ce même rapport, laquelle sera
Ces fractions seront donc alternativement plus petites et plus grandes que la vràie raison de la circonférence au diamètre, c’est-à-dire que la première sera plus petite, la deuxième plus grande, et ainsi de suite, et chacune d’elles approchera plus de la vérité que ne pourrait faire toute autre fraction qui serait exprimée en termes plus simples, ou, en général, qui aurait un dénominateur moindre que le dénominateur de la fraction suivante ; de sorte que l’on peut assurer que la fraction approche plus de la vérité que ne peut faire aucune autre fraction dont le dénominateur serait moindre que de même la fraction approchera plus de la vérité que toute autre fraction dont le dénominateur serait moindre que et ainsi des autres.
Quant à l’erreur de chaque fraction, elle sera toujours moindre que l’unité divisée par le produit du dénominateur de cette fraction par celui de la fraction suivante. Ainsi l’erreur de la fraction sera moindre que celle de la fraction sera moindre que et ainsi de suite. Mais en même temps l’erreur de chaque fraction sera plus grande que l’unité divisée par le produit du dénominateur de cette fraction par la somme de ce dénominateur et du dénominateur de la fraction suivante ; de sorte que l’erreur de la faction sera plus grande que celle de la fraction plus grande que et ainsi de suite (no 14).
Si l’on voulait maintenant séparer les fractions plus petites que le rapport de la circonférence au diamètre d’avec les plus grandes, on pourrait, en insérant les fractions intermédiaires convenables, former deux suites de fractions, les unes croissantes et les autres décroissantes vers le vrai rapport dont il s’agit ; on aurait de cette manière
Chaque fraction de la première série approche plus de la vérité que ne peut faire aucune autre fraction exprimée en termes plus simples, et qui pécherait aussi par défaut ; et chaque fraction de la seconde série approche aussi plus de la vérité que ne peut faire aucune autre fraction exprimée en termes plus simples, et péchant par excès.
Au reste, ces séries deviendraient fort prolixes si l’on voulait les pousser aussi loin que nous avons fait celle des fractions principales donnée ci-dessus. Les bornes de cet Ouvrage ne nous permettent pas de les insérer ici dans toute leur étendue ; mais on peut les trouver au besoin dans le Chapitre XI de l’Algèbre de Wallis (Operum mathemat. vol. II).
22. La première solution de ce Problème a été donnée par Wallis dans un petit Traité qu’il a joint aux Œuvres posthumes d’Horrocius, et on la retrouve dans l’endroit cité de son Algèbre ; mais la méthode de cet Auteur est indirecte et fort laborieuse. Celle que nous venons de donner est due à Huyghens, et l’on doit la regarder comme une des principales découvertes de ce grand Géomètre. La construction de son automate planétaire paraît en avoir été l’occasion. En effet, il est clair que, pour pouvoir représenter exactement les mouvements et les périodes des planètes, il faudrait employeur des roues où les nombres des dents fussent précisément dans les mêmes rapports que les périodes dont il s’agit ; mais, comme on ne peut pas multiplier les dents au delà d’une certaine limite dépendante de la grandeur de la roue, et que d’ailleurs les périodes des planètes sont incommensurables ou du moins ne peuvent être représentées avec une certaine exactitude que par de très-grands nombres, on est obligé de se contenter d’un à peu près, et la difficulté se réduit à trouver des rapports exprimés en plus petits nombres, qui approchent autant qu’il est possible de la vérité, et plus que ne pourraient faire d’autres rapports quelconques qui ne seraient pas conçus en termes plus grands.
Huyghens résout cette question par le moyen des fractions continues, comme nous l’avons fait ci-dessus ; il donne la manière de former ces fractions par des divisions continuelles, et il démontre ensuite les principales propriétés des fractions convergentes qui en résultent, sans oublier même les fractions intermédiaires. (Voyez, dans ses Opera posthuma, le Traité intitulé Descriptio automati planetarii.)
D’autres grands Géomètres ont ensuite considéré les fractions continues d’une manière plus générale. On trouve surtout dans les Commentaires de Pétersbourg (tomes IX et XI des anciens et tomes IX et XI des nouveaux) des Mémoires d’Euler remplis des recherches les plus savantes et les plus ingénieuses sur ce sujet ; mais la Théorie de ces fractions, envisagée du côté arithmétique, qui en est le plus intéressant, n’avait pas encore été, ce me semble, autant cultivée qu’elle le mérifait c’est ce qui m’a engagé à en composer ce petit Traité pour la rendre plus familière aux Géomètres. [Voyez aussi les Mémoires de Berlin pour les années 1767 et 1768[7].]
Au reste, cette Théorie est d’un usage très-étendu dans toute l’Arithmétique, et il y a peu de problèmes de cette science, au moins parmi ceux pour lesquels les règles ordinaires ne suffisent pas, qui n’en dépendent directement ou indirectement. Jean Bernoulli vient d’en faire une application heureuse et utile dans une nouvelle espèce de calcul, qu’il a imaginé pour faciliter la construction des Tables de parties proportionnelles. (Voyez le tome I de son Recueil pour les Astronomes.)
§ II. — Méthode pour déterminer les nombres entiers qui donnent
les minima des formules indéterminées à deux inconnues.
Les questions dont nous allons nous occuper, et pour lesquelles nous allons donner des méthodes directes et générales, sont d’un genre entièrement nouveau dans l’Analyse indéterminée. On n’avait point encore appliqué cette Analyse aux Problèmes de maximis et minimis ; nous nous proposons ici de déterminer les minima des fractions rationnelles, entières et homogènes à deux inconnues, lorsque ces inconnues doivent être des nombres entiers. Cette recherche nous conduira encore à la Théorie des fractions continues, et servira à donner à cette Théorie de nouveaux degrés de perfection.
23. Étant donnée une quantité positive et supposant que et ne puissent être que des nombres entiers positifs et premiers entre eux, on demande de trouver les valeurs de ces nombres qui rendront la formule y-az un minimum (abstraction faite du signe) relativement à tous les nombres plus petits qu’on pourrait substituer pour et
Soient et des nombres entiers et premiers entre eux, qui, étant substitués pour et dans la formule la rendent plus petite que si l’on y substituait d’autres nombres moindres que et Donc prenant pour et des nombres quelconques entiers positifs et premiers entre eux, mais moindres que et il faudra que la valeur de soit moindre que celle de abstraction faite des signes de ces quantités, c’est-à-dire en les prenant l’une et l’autre positivement. Prenons et tels que l’on ait le signe supérieur ayant lieu lorsque sera positif, et l’inférieur lorsque sera négatif. (Nous verrons dans un moment qu’il est toujours possible de trouver des nombres qui satisfassent à cette condition.) Je vais prouver que tous les autres nombres moindres que et qu’on substituerait pour et rendraient la formule (abstraction faite du signe) plus grande que et que
En effet, il est clair qu’on peut supposer, en général,
et étant deux inconnues ; or, par la résolution de ces équations, on a
donc, à cause de
d’où l’on voit que et seront toujours des nombres entiers, puisque et sont supposés entiers.
Donc, et étant des nombres entiers, et des nombres entiers positifs, il est clair que, pour que les valeurs de et soient moindres que celles de et, il faudra nécessairement que les nombres et soient de signes différents.
Maintenant je remarque que la valeur de sera aussi de différent signe que celle de car, faisant et on aura
mais l’équation donne donc
donc, puisqu’on suppose que le signe ambigu soit pris conformément à celui de la quantité ou il faudra que la quantité soit positive si est positif, et négative si est négatif ; or, comme est
et que est (hypothèse), il est clair que sera à plus forte raison (abstraction faite du signe) ; donc la quantité sera toujours de signe différent de c’est-à-dire de puisque est positif ; donc et seront nécessairement de signes différents.Cela posé, on aura, en substituant les valeurs ci-dessus de et