Œuvres de Lagrange/Pièces diverses/Leçons élémentaires sur les Mathématiques données à l’École Normale en 1795

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LEÇONS ÉLÉMENTAIRES
SUR LES MATHÉMATIQUES
DONNÉES À L’ÉCOLE NORMALE EN 1795.


[Journal de l’École Polytechnique, VIIe et VIIIe Cahiers, t. II, 1812[1].]


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LEÇON PREMIÈRE

sur l’arithmétique, où l’on traite des fractions et des logarithmes.

L’Arithmétique a deux parties : l’une est fondée sur le système décimal et sur la manière de placer les chiffres, pour leur faire exprimer les différents nombres ; cette partie est celle qui contient les quatre opérations ordinaires, l’addition, la soustraction, la multiplication et la division. Ces opérations, comme vous l’avez vu, seraient différentes, si l’on avait adopté un autre système ; cependant il ne serait pas difficile de les traduire les unes dans les autres, si l’on voulait changer de système.

L’autre partie est indépendante du système de numération ; elle est fondée sur la considération des quantités et sur les propriétés générales des nombres. La théorie des fractions, celle des puissances et des racines, la théorie des proportions, celle des progressions arithmétiques et géométriques, et enfin la théorie des logarithmes, appartiennent à cette partie. Je vais faire ici quelques observations sur les différentes branches de cette partie de l’Arithmétique.

On peut la regarder comme l’Arithmétique universelle, qui tient de près à l’Algèbre ; car si, au lieu de fixer les quantités que l’on considère, au lieu de les déterminer en nombres, on veut les considérer d’une manière générale, en les désignant par des lettres, on a l’Algèbre. Vous avez déjà vu ce que c’est qu’une fraction ; l’idée des fractions est un peu plus composée que celle des nombres entiers ; dans les nombres entiers, on ne considère qu’une quantité répétée pour avoir l’idée d’une fraction, il faut considérer la quantité même, divisée en un certain nombre de parties ; les fractions représentent en général des rapports, et servent à exprimer les différentes quantités les unes par les autres ; en général, tout ce qui se mesure ne peut être mesuré que par des fractions, à moins que la mesure ne soit contenue un nombre entier de fois dans la chose mesurée.

Vous avez vu comment une fraction peut être réduite à sa moindre expression.

Lorsque le numérateur et le dénominateur peuvent être divisés par un même nombre, on peut trouver ce plus grand commun diviseur par une méthode très-ingénieuse ; et qui nous vient d’Euclide cette méthode est très-simple et très-analytique, mais on peut la rendre encore plus sensible par la considération suivante. Supposez, par exemple, que vous ayez une longueur donnée, et que vous vouliez la mesurer ; vous avez donc une mesure donnée, et vous voulez savoir combien de mesures sont contenues dans cette longueur ; d’abord vous portez la mesure autant de fois que vous le pouvez sur la longueur donnée, et cela vous donne un nombre entier de mesures ; s’il n’y a pas de reste, l’opération est terminée ; mais s’il y a un reste, il faut encore évaluer le reste ; si la mesure est divisée en parties égales, par exemple en dix ou douze, etc., il est naturel de porter ce reste sur les différentes parties, et de voir combien il y a de ces parties qui sont comprises dans le reste ; alors vous avez, pour évaluer le reste, une fraction dont le numérateur est le nombre des parties contenues dans ce reste, et le dénominateur est le nombre total des parties dans lesquelles la mesure est divisée. Je suppose maintenant que votre mesure ne soit pas divisée, et que vous vouliez néanmoins savoir quel est le rapport de la longueur proposée à la longueur que vous avez prise pour mesure ; voici l’opération qui se présente le plus naturellement. Si vous avez un reste, comme il est moindre que la mesure, il est naturel que vous cherchiez combien de fois il y sera compris. Supposons deux fois, et qu’il y ait encore un reste ; reportez ce reste au reste précédent comme il est nécessairement plus petit, il s’y trouvera encore contenu un certain nombre de fois, comme trois fois, et il y aura un reste ou non, et ainsi de suite. Ayant tous ces différents restes, vous avez ce qu’on appelle une fraction continue ; par exemple, vous avez trouvé que la mesure était contenue trois fois dans la longueur proposée ; vous avez d’abord le nombre trois ; ensuite vous avez trouvé que le premier reste est contenu deux fois dans la mesure, vous aurez la fraction un divisé par deux ; mais ce dénominateur n’est pas complet, parce qu’il faudrait qu’il n’y eût pas de reste ; s’il y en a un, cela donne encore une autre fraction semblable à ajouter à ce dénominateur, laquelle sera un divisé par trois, parce que nous avons supposé que ce reste était contenu trois fois dans le reste précédent, et ainsi de suite. Vous aurez ainsi la fraction

(le signe usité dans l’Algèbre, signifie plus, et indique une addition à faire) pour exprimer le rapport entre la longueur et celle que vous avez prise pour mesure. Les fractions de cette forme s’appellent fractions continues, et peuvent être réduites en fractions ordinaires par les règles que vous connaissez. En effet, si l’on s’arrête d’abord à la première fraction, ce qui revient à ne tenir compte que du premier reste et à négliger le suivant, on a qui se réduit à Pour avoir égard au premier et au second reste seulement, on s’arrêtera à la seconde fraction, et l’on aura or donc on aura

savoir et ainsi de suite. Si dans l’opération on parvient à un reste qui mesure exactement le reste précédent, elle est terminée ; et l’on aura, par le moyen de la fraction continue, une fraction ordinaire qui sera la valeur exacte de la longueur mesurée, exprimée par celle qui a servi de mesure. Si l’opération ne se termine pas ainsi, elle pourra aller à l’infini, et l’on n’aura que des fractions qui approcheront de plus en plus de la vraie valeur.

Si maintenant on rapproche ce procédé de celui qu’on suit lorsqu’on cherche le plus grand commun diviseur de deux nombres, on verra que c’est la même chose ; mais, dans la recherche du plus grand commun diviseur, on ne fait attention qu’aux différents restes, dont le dernier est ce même diviseur ; au lieu qu’en employant les quotients successifs, comme nous l’avons fait plus haut, on obtient des fractions qui approchent toujours de plus en plus de la fraction formée par les deux nombres donnés, et dont la dernière est cette même fraction déjà réduite à ses moindres termes.

Comme cette théorie des fractions continues est peu connue, et qu’elle est néanmoins d’une grande utilité pour résoudre des questions numériques importantes, je vais étendre encore un peu sur la formation et les propriétés de ces fractions. Et d’abord supposons que les quotients trouvés, soit par l’opération mécanique, soit par celle du plus grand commun diviseur, soient comme ci-dessus voici comment on peut, sans passer par la fraction continue, trouver tout de suite les différentes fractions qui en résultent.

Le premier quotient, étant supposé divisé par l’unité, donnera la première fraction, qui sera trop petite, savoir Ensuite, multipliant le numérateur et le dénominateur de cette fraction par le second quotient et ajoutant l’unité au numérateur, on aura la seconde fraction, qui sera trop grande, et qui sera Multipliant de même le numérateur et le dénominateur de celle-ci par le troisième quotient, et ajoutant ensuite au numérateur celui de la fraction précédente, et au dénominateur celui de la fraction précédente, on aura la troisième fraction, qui sera trop petite ; ainsi, le troisième quotient étant on dira par donne et font et de même, par donne et font donc sera la fraction cherchée. On suivra le même procédé, et, puisque le quatrième quotient est on dira par fait et numérateur de la fraction précédente font de même, par fait et font donc la nouvelle fraction sera et ainsi de suite.

De cette manière, en employant les six quotients on aura les six fractions

dont la dernière, en supposant l’opération terminée par le sixième quotient sera la valeur cherchée de la longueur mesurée, ou bien sera la fraction même réduite à ses moindres termes.

Les fractions qui précèdent sont alternativement plus petites et plus grandes que cette valeur, et ont l’avantage d’en approcher de plus en plus, et de manière qu’aucune autre fraction ne pourrait en approcher autant, à moins d’avoir pour dénominateur un nombre plus grand que le produit du dénominateur de la fraction dont il s’agit, et de celui de la suivante. Par exemple, la fraction est plus petite que la vraie valeur qui est celle de la dernière fraction mais elle en approche plus que ne pourrait faire toute autre fraction, dont le dénominateur ne surpasserait pas le produit de par c’est-à-dire le nombre ce qui donne le moyen de réduire une fraction donnée, exprimée par de grands nombres, à des fractions exprimées en moindres nombres, et aussi approchées qu’il est possible.

La démonstration de ces propriétés se déduit de la nature de la fraction continue, et de ce que, si l’on cherche la différence d’une fraction à sa voisine, on trouve une fraction dont le numérateur est toujours l’unité, et le dénominateur est le produit des deux dénominateurs ; ce qui peut aussi se démontrer a priori par la loi de la formation de ces fractions. Ainsi la différence de à est par excès ; celle de à est par défaut ; celle de à est par excès, et ainsi de suite ; de sorte qu’en employant cette suite de différences, on peut encore exprimer d’une manière fort simple les fractions dont il s’agit, par une suite d’autres fractions, dont les numérateurs soient tous l’unité, et les dénominateurs soient successivement les produits de deux dénominateurs voisins. Ainsi, si, pour plus de simplicité, on fait usage des signes qui signifient plus, moins, multiplié par, et indiquent une addition, ou soustraction, ou multiplication à faire, on aura, au lieu des fractions ci-dessus, la série

Le premier terme est, comme l’on voit, la première fraction, le premier et le second ensemble donneront la seconde fraction le premier, le second et le troisième donnent la troisième fraction et ainsi de suite ; de sorte que toute la série sera équivalente à la dernière fraction.

Il y a encore une autre manière moins connue, mais à quelques égards plus simple, de traiter les mêmes questions, et qui conduit directement à une série semblable à la précédente. En reprenant l’exemple ci-dessus, après avoir trouvé que la mesure entre trois fois dans la longueur mesurée, avec un nouveau reste, au lieu de rapporter ce second reste au précédent, comme on en a usé plus haut, on peut le rapporter de nouveau à la mesure même. Ainsi, supposant qu’il y entre sept fois avec un reste, on rapportera encore ce reste à la même mesure, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on parvienne, s’il est possible, à un reste qui soit une partie aliquote de la mesure, ce qui terminera l’opération autrement elle pourra aller à l’infini, si la longueur mesurée et la mesure sont incommensurables. On aura alors, pour l’expression de la longueur mesurée, la série

Il est clair que ce procédé peut s’appliquer de même à une fraction ordinaire, en retenant toujours le dénominateur de la fraction pour dividende, et prenant successivement les différents restes pour diviseurs. Ainsi la fraction donnera les quotients et de là, on aura la suite

et, comme ces fractions partielles décroissent rapidement, on aura, en les réunissant successivement, les fractions simples

qui approcheront toujours de plus en plus de la vraie valeur cherchée, et l’erreur sera moindre que la première des fractions partielles négligées. Au reste, ce que nous venons de dire sur ces différentes manières d’évaluer les fractions n’empêche pas que l’usage des fractions décimales ne soit presque toujours préférable pour avoir des valeurs aussi exactes que l’on veut ; mais il y a des cas où il importe que ces valeurs soient exprimées avec, le moins de chiffres qu’il est possible. Par exemple, s’il s’agissait de construire un planétaire, comme les révolutions des planètes sont entre elles dans des rapports exprimés par de très-grands nombres, il faudrait, pour ne pas trop multiplier les dents des roues et des pignons, se contenter de moindres nombres, et en même temps faire en sorte que les rapports de ces nombres approchassent le plus des rapports donnés. Aussi est-ce cette question même qui a donné à Huyghens l’idée de chercher à la résoudre par le moyen des fractions continues, et qui a fait naître la théorie de ces sortes de fractions. Ensuite, en approfondissant cette théorie, on l’a reconnue propre à fournir la solution d’autres questions importantes c’est pourquoi, comme elle ne se trouve guère dans les livres élémentaires, j’ai cru devoir en exposer les principes avec un peu de détails.

Passons maintenant à la théorie des puissances, des proportions et des progressions.

Vous avez déjà vu comment un nombre, multiplié par lui-même, donne le carré, et, multiplié encore de même, donne le cube, et ainsi de suite. En Géométrie, on ne va pas au delà du cube, parce qu’aucun corps ne peut avoir plus de trois dimensions ; mais en Algèbre et en Arithmétique, on peut aller aussi loin que l’on veut ; de là est née la théorie de l’extraction des racines ; car, quoique tout nombre puisse être élevé au carré, au cube, etc., il n’est pas vrai réciproquement que ce nombre puisse être un carré ou un cube exact. Le nombre par exemple, n’est pas carré, parce que le carré d’un est un, le carré de deux est quatre ; n’y ayant pas d’autres nombres entiers intermédiaires, on ne peut pas trouver un nombre qui, multiplié par lui-même, produise vous ne le pouvez pas même en fractions ; car, prenons une fraction réduite à ses moindres termes, le carré de cette fraction sera encore une fraction réduite aux moindres termes, et par conséquent ne pourra être égal au nombre entier Mais, si l’on ne peut pas avoir la racine exacte de deux, on peut l’avoir approchée autant qu’on veut, surtout par les fractions décimales. Cela peut aller à l’infini, et vous pouvez approcher des vraies racines à tel degré d’exactitude que vous voudrez, en suivant les règles pour extraire les racines carrées et cubes, etc. ; mais je n’entrerai ici dans aucun détail là-dessus. La théorie des puissances a produit celle des progressions ; avant d’en parler, il faut dire quelque chose sur les proportions.

On a vu que toute fraction exprime un rapport ; lorsqu’il y a deux fractions égales, vous avez donc deux rapports égaux ; alors les nombres que présentent les fractions ou les rapports forment ce qu’on appelle proportion. Ainsi l’égalité des rapports de à et de à donne la proportion à comme à parce que est le double de comme est le double de de la théorie des proportions dépendent beaucoup de règles d’Arithmétique ; elle est d’abord le fondement de la fameuse règle de trois qui est d’un usage si général vous savez que, quand on a les trois premiers termes, pour avoir le quatrième, il n’y a qu’à multiplier les deux derniers l’un par l’autre, et diviser le produit par le premier. On a imaginé ensuite différentes autres règles particulières qui se trouvent dans la plupart des livres d’Arithmétique ; mais on peut s’en passer quand on conçoit bien l’état de la question il y a les règles de trois directes, inverses, simples, composées ; les règles de compagnie, d’alliage, etc. tout se réduit à la règle de trois ; il n’y a qu’à bien considérer l’état de la question, et à placer convenablement les termes de la proportion. Je n’entrerai pas dans ces détails ; mais il y a une aùtre théorie qui est utile dans beaucoup d’occasions, c’est la théorie des progressions ; quand vous avez plusieurs nombres qui ont la même proportion entre eux et qui se suivent, en sorte que le second est au premier comme le troisième èst au second, comme le quatrième est au troisième, ainsi de suite, ces nombres sont en progression. Je commencerai par une observation.

On distingue communément, dans tous les livres d’Arithmétique et d’Algèbre, deux sortes de progressions, l’arithmétique et la géométrique, qui répondent aux proportions nommées arithmétique et géométrique ; mais la dénomination de proportion me paraît très-impropre pour ce qu’on appelle proportion arithmétique. Comme un des objets de l’École Normale est de rectifier la langue des sciences, on ne regardera pas cette petite digression comme inutile.

Il me semble donc que l’idée de proportion est déjà fixée par l’usage, et ne répond qu’à ce qu’on appelle proportion géométrique. Quand on parle de la proportion des membres de l’homme, des parties d’un bâtiment, etc. ; quand on dit qu’un plan qu’on dessine doit être réduit proportionnellement à un plus petit, etc. ; quand on dit même, en général, qu’une chose doit être proportionnée à une autre, on n’entend par proportion que l’égalité des rapports, comme dans la proportion géométrique, et nullement l’égalité des différences, comme dans l’arithmétique. Ainsi, au lieu de dire que les nombres sont en proportion arithmétique, parce que la différence de à est la même que celle de à je désirerais que, pour éviter toute ambiguïté, on employât une autre dénomination ; on pourrait, par exemple, appeler ces nombres équidifférents, en conservant le nom de proportionnels aux nombres qui sont en proportion géométrique, comme

D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi la proportion appelée arithmétique est plus arithmétique que celle que l’on nomme géométrique, ni pourquoi celle-ci est plus géométrique que l’autre ; au contraire, l’idée primitive de celle-ci est fondée sur l’Arithmétique, puisque celle des rapports vient essentiellement de la considération des nombres.

Au reste, en attendant qu’on ait changé ces dénominations impropres de proportions arithmétique et géométrique, je continuerai à m’en servir pour plus de simplicité et de commodité.

La théorie des progressions arithmétiques a peu de difficultés ce sont des quantités qui augmentent ou diminuent constamment de la même quantité ; mais celle des progressions géométriques est plus difficile et plus importante, parce que beaucoup de questions intéressantes en dépendent par exemple, tous les problèmes sur l’intérêt composé, et qui regardent l’escompte, et beaucoup d’autres semblables.

En général, quand une quantité augmente, et que la force augmentative, pour ainsi dire, est proportionnelle à la quantité même, elle produit des quantités en proportion géométrique. On a observé que, dans les pays où la subsistance était, très-aisée, comme dans les premières colonies américaines, la population doublait au bout de vingt ans ; si elle est double au bout de vingt ans, elle sera quadruple au bout de quarante ans, octuple au bout de soixante ans, etc. ; ce qui donne, comme on voit, une progression géométrique qui répond à des espaces de temps en progression arithmétique. Il en est de même de l’intérêt composé si l’on suppose qu’une somme donnée d’argent produise, au bout d’un certain temps, une certaine somme ; au bout d’un temps double, la même somme aura produit encore une pareille somme, et de plus, la somme produite dans le premier espace de temps aura produit proportionnellement une autre somme pendant le second espace de temps, et ainsi de suite. On appelle communément la somme primitive le principal, la somme produite, l’intérét, et le rapport constant du principal à l’intérêt, pour un an, denier. Ainsi le denier vingt indique que l’intérêt est la vingtième partie du principal, ce qu’on nomme aussi pour puisque est la vingtième partie de Sur ce pied, le principal sera augmenté, au bout d’un an, d’un vingtième ; par conséquent, il se trouvera augmenté en raison de à au bout de deux ans, il sera augmenté encore dans la même raison, c’est-à-dire dans la raison de multiplié par au bout de trois ans, dans la raison de multiplié deux fois par lui-même, et ainsi de suite. Et l’on trouve que de cette manière il aura presque doublé au bout de quinze ans, et sera décuplé au bout de cinquante-trois ans. Réciproquement donc, puisqu’une somme payée actuellement deviendra double au bout de quinze ans, il est clair qu’une somme qui ne devrait être payée qu’au bout de quinze ans n’aura actuellement qu’une valeur moitié moindre c’est ce qu’on nomme la valeur présente d’une somme payable au bout d’un certain temps ; et il est clair que, pour trouver cette valeur, il n’y aura qu’à diviser la somme promise autant de fois par la fraction ou bien la multiplier autant de fois par la fraction qu’il y aura d’années à courir. Ainsi l’on trouvera de même qu’une somme payable au bout de cinquante-trois ans ne vaut à présent qu’un dixième ; d’où l’on voit combien peu d’avantage il y aurait à se défaire de la propriété absolue d’un fonds, pour n’en conserver la jouissance que pendant cinquante ans, par exemple, puisque l’on ne gagnerait par là que le dixième en jouissance, tandis qu’on aurait perdu la propriété pour l’éternité.

Dans les rentes viagères, la considération de l’intérêt se combine avec la probabilité de la vie ; et, comme chacun croit toujours pouvoir vivre très-longtemps, et que, d’un autre côté, on ne peut pas faire beaucoup de cas d’une propriété qu’on est obligé d’abandonner en mourant, il en résulte un attrait particulier, quand on n’a point d’enfants, pour mettre son bien, en tout ou en partie, à fonds perdu. Néanmoins, quand on calcule une rente viagère à la rigueur, elle ne présente pas assez d’avantage pour engager à y sacrifier la propriété du fonds.

Aussi, toutes les fois qu’on a voulu créer des rentes viagères assez attrayantes pour engager les particuliers à s’y intéresser, il a fallu les faire à des conditions onéreuses pour, l’établissement.

Mais nous en dirons davantage là-dessus lorsqu’on exposera la théorie des rentes viagères, qui est une branche du Calcul des probabilités.

Je finirai par dire encore un mot sur les logarithmes. L’idée la plus simple qu’on puisse se former de la théorie des logarithmes, tels qu’ils sont dans nos Tables usuelles, consiste à exprimer tous les nombres par des puissances de et ainsi les exposants de ces puissances en sont les logarithmes. De cette manière, il est clair que la multiplication et la division de deux nombres se réduisent à l’addition et à la soustraction des exposants respectifs, c’est-à-dire, de leurs logarithmes ; et par conséquent l’élévation aux puissances et l’extraction des racines se réduisent à la multiplication ou à la division, ce qui est d’un avantage immense dans l’Arithmétique, et y rend les logarithmes si précieux.

Mais, à l’époque où l’on a inventé les logarithmes, on ne connaissait pas encore cette théorie des puissances, on ne pensait pas que la racine d’un nombre pût être regardée comme une puissance fractionnaire. Voici comment on y est parvenu :

L’idée primitive est celle de deux progressions correspondantes, une arithmétique, l’autre géométrique ; c’est ainsi qu’on les a conçues ; mais il fallait trouver le moyen d’avoir les logarithmes de tous les nombres. Comme les nombres suivent la progression arithmétique, pour qu’ils puissent se trouver tous parmi les termes d’une progression géométrique, il est nécessaire d’établir cette progression de manière que les termes successifs soient très-rapprochés l’un de l’autre ; et, pour prouver la possibilité d’exprimer ainsi tous les nombres, l’inventeur Neper, les a d’abord considérés comme exprimés par des lignes et des parties de lignes, et il a considéré ces lignes comme engendrées par le mouvement continuel d’un point, ce qui est très-naturel.

Il a donc considéré deux lignes la première engendrée par le mouvement d’un point qui décrit en temps égaux des espaces en progression géométrique, et l’autre engendrée par un point qui décrit des espaces qui augmentent comme les temps, et qui forment par conséquent une progression arithmétique, correspondante à la géométrique ; et il a supposé, pour plus de simplicité, que les vitesses initiales de ces deux points étaient égales, ce qui lui a donné les logarithmes, qu’on a d’abord appelés naturels, ensuite hyperboliques, lorsqu’on a reconnu qu’ils pouvaient être exprimés par l’aire de l’hyperbole entre les asymptotes. De cette manière, il est clair que, pour avoir le logarithme d’un nombre quelconque donné, il ne s’agira que de prendre sur la première ligne une partie égale au nombre donné, et de chercher quelle partie de la seconde ligne aura été décrite en même temps que cette partie de la première.

Conformément à cette idée, si l’on prend pour les deux premiers termes de la progression géométrique les nombres très-peu différents et et pour ceux de la progression arithmétique et et qu’on cherche successivement, par les règles connues, tous les termes suivants des deux progressions, on trouve que le nombre est, à la huitième décimale près, le e de la progression sêométrique de sorte que le logarithme de est le nombre se trouve le e de la même progression ; par conséquent le logarithme de est et ainsi des autres. Mais Neper, n’ayant pour objet que de déterminer les logarithmes des nombres moindres que l’unité, pour l’usage de la Trigonométrie, où les sinus et les cosinus des angles sont exprimés en fractions du rayon, a considéré la progression géométrique décroissante dont les deux premiers termes seraient et et il en a déterminé, par des calculs immenses, les termes suivants. Dans cette hypothèse, le logarithme que nous venons de trouver pour le nombre devient celui du nombre ou et celui du nombre se rapporte au nombre ou ce qui est facile à concevoir par la nature des deux progressions.

Ce travail de Neper parut en 1614 ; on en sentit tout de suite l’utilité, et l’on sentit en même temps qu’il serait plus conforme au système décimal de notre Arithmétique, et par conséquent beaucoup plus simple, de faire en sorte que le, logarithme de fût l’unité, moyennant quoi celui de serait et ainsi de suite. Pour cela, au lieu de prendre pour les deux premiers termes de la progression géométrique les nombres et il aurait fallu prendre les nombres et en conservant et pour les termes correspondants de la progression arithmétique ; d’où l’on voit que, tandis que le point, qui est supposé engendrer par son mouvement la ligne, géométrique ou des nombres, aurait décrit la partie très-petite l’autre point, qui doit engendrer en même temps la ligne arithmétique, ou des logarithmes, aurait parcouru la partie et qu’ainsi les espaces décrits en même temps par ces deux points au commencement de leur mouvement, c’est-à-dire leurs vitesses initiales, au lieu d’être égales, comme dans le système précédent, seraient dans le rapport des nombres à où l’on remarquera que le nombre est précisément celui qui, dans le premiersystème des logarithmes naturels, exprime le logarithme de ce qui peut aussi se démontrer a priori, comme nous le verrons, lorsqu’on appliquera à la théorie des logarithmes les formules algébriques. Briggs, contemporain de Neper, est l’auteur de ce changement dans le système des logarithmes, ainsi que des Tables de logarithmes dont on fait usage communément. Il en a calculé une partie, et le reste l’a été par Vlacq, Hollandais.

Ces Tables parurent à Goude en 1628 ; elles contiennent les logarithmes de tous les nombres depuis jusqu’à calculés jusqu’à dix décimales, et elles sont maintenant très-rares mais on a reconnu, depuis, que, pour les usages ordinaires, sept décimales suffisaient, et c’est ainsi qu’ils se trouvent dans les Tables dont on se sert journellement. Briggs et Vlacq employèrent différents moyens très-ingénieux pour faciliter leur travail. Celui qui se présente le plus naturellementet qui est encore un des plus simples, c’est de partir des nombres dont les logarithmes sont et d’intercaler, entre les termes successifs des deux séries, autant de termes correspondants qu’on voudra, dans la première par des moyennes proportionnelles géométriques, et dans la seconde par des moyennes arithmétiques. De cette manière, quand on sera parvenu à un terme de la première série qui approchera jusqu’à la huitième décimale du nombre donné dont on cherche le logarithme, le terme correspondant de l’autre série sera, à la huitième décimale près, le logarithme de ce nombre par exemple, pour avoir le logarithme de comme tombe entre et on cherche d’abord, par l’extraction de la racine carrée de le moyen proportionnel géométrique entre et on trouve et le moyen arithmétique correspondant entre et sera ou bien ainsi l’on est assuré que ce dernier nombre est le logarithme de l’autre. Puisque est encore entre et le nombre qu’on vient-de trouver, on cherchera de même le moyen proportionnel géométrique entre ces deux nombres, on trouve le nombre ainsi, en prenant de même le moyen arithmétique entre et on aura le logarithme de ce nombre, lequel sera Maintenant, étant entre ce dernier nombre et le précédent, il faudra, pour en approcher toujours, chercher le moyen géométrique entre ces deux-ci, ainsi que le moyen arithmétique entre leurs logarithmes, et ainsi de suite. On trouve ainsi, par un grand nombre de pareilles opérations, que le logarithme de est que celui de est etc., en ne poussant l’exactitude que jusqu’à la huitième décimale. Mais ce calcul n’est nécessaire que pour les nombres premiers ; car, pour ceux qui sont le produit de deux ou de plusieurs, leurs logarithmes se trouvent en faisant simplement la somme des logarithmes de leurs facteurs.

Au reste, comme il n’est plus question de calculer des logarithmes, si ce n’est dans des cas particuliers, on pourrait regarder comme inutile le détail où nous venons d’entrer ; mais on doit être curieux de connaître la marche souvent indirecte et pénible des inventeurs, les différents pas qu’ils ont faits pour parvenir au but, et combien on est redevable à ces véritables bienfaiteurs des hommes. Cette connaissance d’ailleurs n’est pas de pure curiosité elle peut servir à guider dans des recherches semblables, et elle sert toujours à répandre une plus grande lumière sur les objets dont on s’occupe.

Les logarithmes sont un instrument d’un usage universel dans les sciences et même dans les arts qui dépendent du calcul. En voici, par exemple, une application bien sensible.

Ceux qui ne sont pas tout à fait étrangers à la musique savent que l’on exprime les différents sons de l’octave par les nombres qui déterminent les parties d’une même corde tendue, qui rendraient ces mêmes sons ; ainsi, le son principal étant exprimé par son octave le sera par la quinte par la tierce par la quarte par la seconde par et ainsi des autres. La distance d’un des sons à l’autre s’appelle intervalle, et doit se mesurer, non par la différence, mais par le rapport des nombres qui expriment les deux sons. Ainsi l’on regarde l’intervalle entre la quarte et la quinte, appelé ton majeur, comme sensiblement double de celui entre la tierce et la quarte, appelé semi-ton majeur. En effet, le premier se trouve exprimé par , le second par , et le premier ne diffère pas beaucoup du carré du second, ce qui est aisé à vérifier ; or il est clair que cette considération des intervalles, sur laquelle est fondée toute la théorie du tempérament, conduit naturellement aux logarithmes ; car, si l’on exprime les valeurs des différents sons par les logarithmes des longueurs des cordes qui y répondent, alors l’intervalle d’un son à l’autre sera exprimé par la différence même de valeur de ces sons ; et, si l’on voulait diviser l’octave en douze semi-tons égaux, ce qui donnerait le tempérament le plus simple et le plus exact, il n’y aurait qu’à diviser le logarithme de , valeur de l’octave, en douze parties égale.


LEÇON SECONDE.

sur les opérations de l’arithmétique.

Un ancien disait que l’Arithmétique et la Géométrie étaient les ailes des Mathématiques ; je crois, en effet, qu’on peut dire sans métaphore que ces deux sciences sont le fondement et l’essence de toutes les sciences qui traitent des grandeurs. Mais non-seulement elles en sont le fondement, elles en sont, pour ainsi dire, encore le complément ; car, lorsque l’on a trouvé un résultat, pour pouvoir faire usage de ce résultat, il est nécessaire de le traduire en nombres ou en lignes ; pour le traduire en nombres, on a besoin du secours de l’Arithmétique ; pour le traduire en lignes, on a besoin du secours de la Géométrie.

L’importance de l’Arithmétique m’engage donc à vous en entretenir encore aujourd’hui, quoiqu’on ait déjà commencé l’Algèbre. Je reviendrai sur ces différentes parties, et je ferai de nouvelles observations, qui serviront à compléter celles que je vous ai déjà présentées. J’emploierai, d’ailleurs, le calcul géométrique, lorsqu’il sera nécessaire pour donner plus de généralité aux démonstrations et aux méthodes.

D’abord, par rapport à l’addition, il n’y a rien à ajouter à ce qui a déjà été dit. L’addition est une opération si simple ; qu’elle se conçoit d’elle-même. Mais, à l’égard de la soustraction, il y a une autre manière de faire cette opération, qui peut quelquefois être plus commode que la manière ordinaire, surtout pour ceux qui y sont habitués : c’est de changer la soustraction en addition, en prenant le complément de chaque chiffre du nombre qui doit être soustrait, d’abord à et ensuite à Supposons, par exemple, que l’on ait le nombre à soustraire du nombre au lieu de dire de reste ensuite de reste de reste et de reste ce qui donne le reste total je dirai complément de à et font j’écris complément de à et font je pose et je retiens ensuite complément de à et à cause de retenu, font je pose et retiens enfin complément de à et à cause de retenu, font je pose et je ne retiens rien, parce que l’opération est finie, et qu’il faut négliger la dernière dizaine qui avait été empruntée dans le cours de l’opération ; ainsi l’on a également pour reste

Si l’on a des chiffres un peu plus considérables, cette manière est très-utile, parce qu’il arrive souvent qu’on se trompe en employant la manière ordinaire de la soustraction, lorsque l’on, est obligé d’emprunter pour soustraire un nombre d’un autre ; au lieu que, dans la manière dont il s’agit, on n’emprunte jamais, il suffit seulement de retenir, parce que la soustraction est convertie en addition. À l’égard des compléments, ils se prennent facilement à la simple vue ; car tout le monde sait que est le complémentde à que est celui de à etc. Quant à la raison de cette opération, elle se présente d’elle-même, car il est facile de voir que ces différents compléments forment le complément total du nombre qu’il s’agit de soustraire à suivant que ce nombre a chiffres ; de sorte que c’est proprement la même chose que si l’on ajoutait d’abord au nombre proposé, et qu’ensuite on en ôtât le nombre à soustraire de celui-là ; d’où l’on voit en même temps pourquoi il faut supprimer une dizaine de la somme trouvée par la dernière addition partielle.

Pour la multiplication, il se présente différents abrégés qui viennent du système décimal. D’abord on sait que, s’il est question de multiplier par il n’y a qu’à ajouter un zéro ; si l’on veut multiplier par on ajoute deux zéros ; par trois zéros, etc.

Ainsi, s’il fallait multiplier par une partie aliquote de par exemple par on n’aurait qu’à multiplier par et ensuite à diviser par par on multiplierait par et l’on diviserait par et ainsi de suite, pour tous les produits de

Lorsqu’on a un nombre entier avec des décimales à multiplier par un nombre entier avec des décimales, la règle générale est de regarder les deux nombres comme des nombres entiers, ensuite de retrancher, de droite à gauche, dans le produit autant de chiffres qu’il y a de décimales dans les deux nombres ; mais cette règle a souvent, dans la pratique, l’inconvénient d’allonger l’opération plus qu’il ne faut car, quand on a des nombres qui contiennent des décimales, ces nombres ne sont ordinairement exacts que jusqu’à un certain rang de décimales ; ainsi l’on ne doit conserver dans le produit que les parties décimales du même ordre. Par exemple, si le multiplicande et le multiplicateur contiennent chacun deux rangs de décimales et n’ont que ce degré de précision, on aurait, par la méthode ordinaire, quatre rangs de décimales dans leur produit ; par conséquent, il faudrait négliger les deux dernières comme inutiles, et même comme inexactes. Voici comment on peut s’y prendre, pour n’avoir dans le produit qu’autant de décimales que l’on veut.

J’observe d’abord que, dans la manière ordinaire de faire la multiplication, on commence par les unités du multiplicateur, qu’on multiplie par celles du multiplicande, et ainsi de suite. Mais rien n’oblige à commencer par la droite du multiplicateur, on peut également commencer par la gauche ; et, à dire vrai, je ne sais pas pourquoi on ne préfère pas cette manière, qui aurait l’avantage de donner tout de suite les chiffres de la plus grande valeur ; car, ordinairement dans la multiplication des grands nombres, ce qui intéresse le plus, ce sont les derniers rangs de chiffres ; souvent même on ne fait la multiplication que pour connaître quelques-uns des chiffres des derniers rangs ; et c’est là, pour le dire en passant, un des grands avantages du calcul par les logarithmes, lesquels donnent toujours, dans les multiplications comme dans les divisions, ainsi que dans l’élévation aux puissances et dans l’extraction des racines, les chiffres suivant l’ordre de leur rang, à commencer par le plus élevé, c’est-à-dire en allant de gauche à droite.

En faisant la multiplication de cette manière, il n’y aura proprement d’autre différence dans le produit, si ce n’est que l’on aura pour première ligne celle qui aurait été la dernière, suivant la méthode ordinaire, pour seconde ligne celle qui aurait été l’avant-dernière, et ainsi des autres.

Cela peut être indifférent lorsqu’il s’agit de nombres entiers et qu’on veut avoir le produit exact ; mais, lorsqu’il y a des parties décimales, l’essentiel est d’avoir d’abord dans le produit les chiffres des nombres entiers, et de descendre ensuite successivementà ceux des nombres décimaux au lieu que, suivant le procédé ordinaire, on commencé par les derniers chiffres décimaux, et l’on remonte successivementaux chiffres des nombres entiers.

Pour faire usage de cette méthode, on écrira le multiplicateur au-dessous du multiplicande, de manière que le chiffre des unités du multiplicateur soit au-dessous du dernier chiffre du multiplicande. Ensuite on commencera par le dernier chiffre à gauche du multiplicateur, qu’on multipliera comme à l’ordinaire par tous ceux du multiplicande, en commençant par le dernier à droite, et en allant successivement vers la gauche ; et l’on observera de poser le premier chiffre de ce produit au-dessous du chiffre du multiplicateur, et les autres successivement à gauche de celui-ci. On continuera de même pour le second chiffre du multiplicateur, en posant également au-dessous de ce chiffre le premier chiffre du produit, et ainsi de suite. La place de la virgule, dans ces différents produits, sera la même que dans le multiplicande, c’est-à-dire que les unités des produits se trouveront toutes dans une même ligne verticale avec celles du multiplicande ; par conséquent, celles de la somme de tous les produits ou du produit total seront encore dans la même ligne. Ainsi il sera aisé de ne calculer qu’autant de décimales qu’on voudra. Voici un exemple de cette opération, où le multiplicande est et le multiplicateur est


J’ai écrit dans le produit toutes les décimales ; mais il est aisé de voir comment on peut se dispenser de tenir compte de celles que l’on veut négliger. La ligne verticale est pour marquer plus distinctement la place de la virgule.

Cette règle me paraît plus naturelle et plus simple que celle qui est attribuée à Oughtred, et qui consiste à écrire le multiplicateur dans un ordre renversé.

Au reste, il y a une chose à considérer dans la multiplication des nombres avec des décimales : c’est que vous pourrez, à volonté, faire changer de place la virgule, parce que, si vous avancez la virgule de droite à gauche dans un des nombres, vous le multipliez par ou par et, si vous reculez d’autant la virgule de gauche à droite dans l’autre nombre, vous le divisez par ou par d’où il résulte que vous pouvez avancer à volonté la virgule d’un des deux nombres, pourvu que vous reculiez d’autant celle de l’autre nombre, vous aurez toujours le même produit ; par ce moyen, vous pouvez faire en sorte qu’un des deux nombres soit toujours un nombre sans décimales, ce qui rend la question plus simple.

La division est susceptible d’une simplification semblable ; car, comme le quotient reste le même en multipliant ou divisant le dividende et le diviseur également par un même nombre, il arrive que dans la division vous pouvez avancer ou reculer la virgule de l’un et de l’autre nombre, pourvu que vous les avanciez ou reculiez également toutes les deux ; de sorte que par là vous pouvez réduire le diviseur à être toujours un nombre entier ; ce qui facilite infrn’imént l’opération, parce que, les décimales ne se trouvant que dans le dividende, on peut faire la division à l’ordinaire, et négliger dans l’opération les chiffres qui donneraient des décimales d’un rang inférieur à celles dont vous voulez tenir compte.

Vous connaissez la fameuse propriété du nombre qui consiste en ce que, si un nombre est divisible par la somme de tous ses chiffres est aussi divisible par Vous pouvez, par ce moyen, voir tout de suite, non-seulement si un nombre est divisible par mais encore quel est son reste ; car vous n’avez qu’à faire la somme des chiffres, et à la diviser par le reste sera le même que celui du nombre proposé.

La démonstration de ce procédé n’est pas difficile ; elle dépend de ce que les nombres moins moins moins sont tous divisibles par ce qui est évident, ces nombres étant

Si donc vous retranchez d’un nombre quelconque la somme de tous ses chiffres ou caractères, vous aurez pour reste le chiffre des dizaines, multiplié par plus celui des centaines, multiplié par plus celui des mille multiplié par et ainsi de suite ; d’où il est clair que ce reste est tout divisible par Par conséquent, si la somme des chiffres est divisible par le nombre proposé le sera aussi, et, si elle n’est pas divisible par le nombre ne le sera pas non plus ; mais le reste de la division sera le même de part et d’autre.

Dans le cas du nombre on voit clairement que moins moins sont tous divisibles par mais l’Algèbre fait voir que cette propriété est générale pour tout nombre car on trouve que

sont des quantités toutes divisibles par en effet, en faisant la division, on a les quotients

Il est aisé de conclure de là que cette propriété du nombre a lieu dans notre système d’Arithmétique décimale, parce que est moins et que, dans tout autre système fondé sur la progression ce serait le nombre qui jouirait de la même propriété. Ainsi, dans le système duodécimal, ce serait le nombre de sorte que, dans ce système, tout nombre dont la somme des chiffres serait divisible par le serait aussi par ce nombre.

Mais on peut généraliser cette propriété du nombre par la considération suivante : comme tout nombre, dans notre système, est représenté par la somme de quelques termes de la progression multipliés chacun par un des neuf chiffres il est aisé de concevoirque le reste de la division d’un nombre quelconque par un diviseur donné sera égal à la somme des restes de la division des termes parle même diviseur, ces restes étant multipliés chacun par le chiffre correspondant qui multiplie chaque terme ; donc, si l’on dénote en général le diviseur donné par et que soient les restes de la division des nombres par le reste de la division d’un nombre quelconque dont les caractères, en allant de droite à gauche, seraient sera évidemment égal à

Ainsi, connaissant pour un diviseur donné les restes qui ne dépendent que de ce diviseur, et qui sont toujours les mêmes pour le même diviseur, il n’y aura qu’à écrire les restes au-dessous du nombre proposé, en allant de droite à gauche, et à faire ensuite les différents produits de chaque chiffre par celui qui est au-dessous. La somme de tous ces produits sera le reste total de la division du nombre proposé par le même diviseur Et, si cette somme est plus grande que on pourra en chercher de nouveau le reste de la division par et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on arrive à un reste moindre que qui sera le véritable reste cherché d’où il s’ensuit que le nombre proposé ne sera exactement divisible par le diviseur donné qu’autant que le dernier reste trouvé de la sorte sera nul.

Les restes de la division des termes par sont toujours l’unité ; ainsi là somme des chiffres d’un nombre quelconque est le reste de la division de ce nombre par Les restes de la division des mêmes termes par sont donc on aura le reste de la division d’un nombre quelconque par en prenant la somme du premier chiffre à droite, du second (en allant de droite à gauche) multiplié par et du troisième multiplié par

Les restes de la division des mêmes termes par sont où les mêmes restes reviennent toujours dans le même ordre ; ainsi, ayant le nombre à diviser par je l’écrirai ainsi avec les restes au-dessous :

Faisant ensuite les produits partiels et les ajoutant, je trouve d’abord le nombre qui serait le reste de la division du nombre donné par s’il n’était pas plus grand que ce diviseur ; je répète donc l’opération sur ce reste, et je trouve pour second reste qui est le véritable reste de la division dont il s’agit.

Je remarquerai encore, à l’égard de ces restes et des multiplications qui en dépendent, qu’on peut simplifier celle-ci en admettant des restes négatifs à la place de ceux qui se trouvent plus grands que la moitié du diviseur ; et pour cela il n’y a qu’à soustraire encore le diviseur de chacun de ces restes : ainsi, au lieu des restes ci-dessus on aura ceux-ci

ainsi les restes pour le diviseur seront

à l’infini.

De cette manière, j’aurai, dans l’exemple précédent,

Je mets une barre au-dessous des chiffres qui doivent être pris négativement je soustrais la somme des produits de ces chiffres par ceux qui sont au-dessus d’eux de la somme des autres produits, comme on le voit dans cet exemple. Il ne s’agit donc que de trouver pour chaque diviseur les restes de la division des nombres or la chose est aisée par la division actuelle ; mais on peut y parvenir encore plus simplement, en considérant que, si est le reste de la division de sera celui de la division de carré de ainsi il n’y aura qu’à retrancher de autant de fois le diviseur qu’il sera nécessaire, pour que l’on ait un reste positif ou négatif, moindre que la moitié de ce diviseur. Soit ce reste ; alors il n’y aura qu’à le multiplier par reste de la division de pour avoir celui de la division de parce que est et ainsi de suite.

Ainsi, divisant par on a de reste, donc le reste de la division de sera ou bien en retranchant le diviseur ensuite le reste de la division de sera le produit de par c’est-à-dire ou bien en retranchant encore de là le reste de la division de sera le produit de par savoir et ainsi de suite.

Prenons pour diviseur le reste de la division de est celui de la division de est d’où retranchant le diviseur on a le reste de la division de sera donc le carré de savoir celui de la division de sera multiplié par savoir et ainsi de suite ; de sorte que tous les restes seront

à l’infini.

De là résulte la propriété connue du nombre savoir que, si l’on ajoute et qu’on retranche alternativement tous les chiffres d’un nombre quelconque, c’est-à-dire qu’on prenne la somme du premier, du troisième, du cinquième, etc., et qu’on en retranche la somme du second, du quatrième, etc., on aura le reste de la division de ce nombre par

Cette théorie des restes est assez curieuse, et a donné lieu à des spéculations ingénieuses et difficiles. On peut démontrer, par exemple, que, quand le diviseur est un nombre premier, les restes d’une progression quelconque forment toujours des périodes qui reviennent les mêmes à l’infini, et qui commencent toutes comme la première par l’unité ; de sorte que, lorsque l’unité paraît parmi les restes, on peut les continuer à l’infini par la simple répétition des restes précédents. On démontre aussi que ces périodes ne peuvent jamais contenir qu’un nombre de termes égal au diviseur moins ou à une partie aliquote du diviseur moins mais on n’a pu encore déterminer a priori ce nombre pour un diviseur quelconque donné.

Quant à l’usage de cette manière de trouver le reste de la division d’un nombre par un diviseur donné, elle pourrait être très-utile, si l’on avait à diviser plusieurs nombres par un même nombre, et à former une Table des restes. Comme la division par et par est très-simple, on peut l’employer pour servir de preuve à la multiplication et à la division. En effet, ayant trouvé les restes de la division du multiplicande et du multiplicateur, il n’y aura qu’à faire le produit de ces deux restes, et, retranchant, s’il est nécessaire, le diviseur une ou plusieurs fois, on aura le reste de la division du produit, qui devra par conséquent s’accorder avec celui qu’on trouverait par la même opération. De même, comme dans la division le dividende moins le reste doit être égal au produit du diviseur et du quotient, on pourra y employer la même épreuve.

La proposition que je viens de supposer, que le produit des restes de la division des deux nombres par un même diviseur est égal au reste de la division du produit de ces nombres par le même diviseur, est facile à concevoir. En voici une démonstration générale.

Soient et les deux nombres, le diviseur, et les quotients, et les deux restes ; il est clair qu’on aura

dont, faisant la multiplication,

où l’on voit que tous les termes sont divisibles par à l’exceplion du dernier d’où il s’ensuit que sera le reste de la division par on voit de plus que, si l’on retranche de un multiple quelconque de comme alors sera aussi le reste de la division de par car, en mettant la valeur de sous cette forme

on voit que tous les autres termes sont divisibles par

Ainsi l’on pourra toujours faire en sorte que le reste soit moindre que ou même moindre que en employant des restes négatifs.

Voilà tout ce que j’avais à dire sur la multiplication et la division. Je ne vous parle pas de l’extraction des racines ; la règle est assez simple pour les racines carrées elle conduit directement au but, et il n’y a pas de tâtonnement. Pour les racines cubiques et de degrés supérieurs, il est rare qu’on ait besoin d’extraire ces racines ; d’ailleurs, par le moyen des logarithmes, on les extrait avec une grande facilité, et l’on peut pousser l’exactitude en décimales aussi loin que celle des logarithmes même le comporte ; ainsi, avec des logarithmes de sept chiffres, on peut extraire des racines avec sept chiffres, et, en employant les grandes Tables, où les logarithmes sont poussés jusqu’à dix décimales, on peut avoir aussi dix chiffres dans le résultat.

Une des opérations les plus importantes de l’Arithmétique est celle qu’on appelle la règle de trois, qui consiste toujours à trouver le quatrième terme d’une proportion dont les trois premiers sont donnés.

Dans les livres ordinaires d’Arithmétique, on a beaucoup compliqué cette règle. On l’a divisée en règles de trois simples, directes, inverses, composées.

En général, il sufpt de bien entendre l’état de la question : la règle ordinaire de trois s’applique toujours également toutes les fois qu’une quantité augmente ou diminue dans le même rapport qu’une autre ; par exemple, le prix des choses augmente en proportion de la quantité des choses, de sorte que, la chose étant double, le prix devient double, et ainsi de suite ; de même, le produit du travail augmente en proportion du nombre des personnes employées. Mais il y a des choses qui augmentent à la fois dans deux rapports différents par exemple, la quantité du travail augmente suivant le nombre des personnes employées, et il augmente aussi suivant le temps qu’on emploie. Il y a d’autres choses qui diminuent à mesure que d’autres augmentent. Tout cela se réduit à une considération bien simple : c’est que, si une quantité augmente en même temps dans la proportion qu’une ou plusieurs autres quantités augmentent, et que d’autres quantités diminuent, c’est la même chose que si l’on disait que la quantité proposée augmente comme le produit des quantités qui augmentent en même temps qu’elle, divisé par le produit de celles qui diminuent en même temps. Ainsi, comme le résultat du travail augmente à mesure qu’il y a plus de travailleurs, et qu’ils travaillent plus longtemps, et qu’il diminue à mesure que l’ouvrage est plus difficile, on dira que le résultat est proportionnel au nombre des travailleurs, multiplié par le nombre qui mesure le temps, et divisé par le nombre qui mesure ou exprime la difficulté de l’ouvrage.

Cependant il faut faire attention à une chose, c’est que la règle de trois ne peut proprement s’appliquer qu’aux choses qui augmentent toujours dans un rapport constant. Par exemple, on suppose que, si un homme fait dans un jour une certaine quantité d’ouvrage, deux hommes en feront le double, trois hommes le triple, quatre le quadruple, etc. Cela pourrait ne pas être ; mais, dans la règle de proportion, on le suppose, sans quoi on ne pourrait pas l’employer légitimement.

Quand la loi de l’augmentation et de la diminution est variable, la règle de trois ne s’y applique plus, et les règles ordinaires d’Arithmétique sont en défaut. Il faut avoir alors recours à l’Algèbre.

Si, parce qu’un tonneau d’une certaine capacité se vide dans un certain temps, on voulait en conclure qu’un tonneau d’une capacité double emploierait un temps double, on se tromperait ; car il se videra dans un temps plus court. La loi de l’écoulement ne suit point une proportion constante, mais une proportion variable, qui diminue à mesure qu’il reste moins de liquide dans le tonneau.

Vous verrez dans la Mécanique que, dans les mouvements uniformes, les espaces parcourus suivent une proportion constante avec le temps. Dans une heure on fait une lieue, dans deux heures on en fera deux ; mais une pierre qui tombe ne suivra pas la même proportion, et si, dans la première seconde, elle parcourt pieds, dans la deuxième seconde elle en parcourt

La règle de trois n’est applicable qu’au cas de la proportion constante. Ce cas a lieu dans la plupart des choses qui sont d’un usage ordinaire. En général, le prix est toujours proportionné à la quantité des choses ; de sorte que, si une chose vaut tant, deux choses vaudront le double, trois le triple, quatre le quadruple, etc. Il en est de même du produit du travail, relativement au nombre des travailleurs et à la durée du travail ; il y a néanmoins des cas où l’on pourrait aussi se tromper. Si deux chevaux, par exemple, peuvent traîner une masse d’un certain poids, il serait naturel de croire que quatre chevaux traîneraient un poids double, six un poids triple ; cependant cela n’est pas à la rigueur, car il faudrait que les quatre chevaux tirassent tous également et de la même manière, ce qui est presque impossible dans la pratique. Il arrive de là que l’on trouve souvent par le calcul des résultats qui s’éloignent de la vérité ; mais alors ce n’est pas la faute du calcul, car il rend toujours exactement ce qu’on y a mis. On a supposé la proportion constante le résultat est fondé sur cette supposition si elle est fausse, le résultat sera nécessairement faux. Toutes les fois qu’on a voulu accuser le calcul, on n’a fait que rejeter sur le calcul la faute de celui qui l’avait fait il avait employé des données fausses ou inexactes, il fallait bien que le résultat le fût aussi.

Parmi les autres règles de l’Arithmétique, il y a celle qu’on appelle d’alliage, qui mérite une considération particulière, parce qu’elle peut avoir beaucoup d’applications. Quoique l’alliage se dise principalement de métaux mêlés ensemble par la fusion, on le prend en général pour le mélange d’un certain nombre de choses de différentes valeurs, qui composent un tout d’un égal nombre de parties et d’une moyenne valeur ; ainsi la règle d’alliage a deux parties.

Dans la première, on cherche la valeur moyenne et commune de chaque partie du mélange, quand on connaît le nombre des parties et la valeur particulière de chacune d’elles.

Dans la seconde, on cherche la constitution même d’un mélange, c’est-à-dire le nombre des parties des choses qui doivent être mélangées ou alliées, quand on connaît le nombre total des parties et leur valeur moyenne.

Supposons, par exemple, que l’on ait plusieurs setiers de blé de différents prix ; on peut demander quel est le prix moyen ce prix moyen doit être tel que, si chaque setier était de ce prix, le prix total de tous les setiers ensemble fût encore le même ; d’où il est aisé de voir que, pour trouver dans ce cas le prix moyen, il n’y aura qu’à chercher d’abord le prix total, et à le diviser par le nombre des setiers.

En général, si l’on multiplie le nombre des choses de chaque espèce par la valeur de l’unité de chaque chose, et qu’on divise ensuite la somme de tous ces produits par le nombre total des choses, on aura la valeur moyenne, parce que cette valeur, multipliée elle-même par le nombre des choses, redonnera la valeur entière de toutes les choses prises ensemble.

Cette valeur moyenne est d’une grande utilité dans presque toutes les affaires de la vie ; quand on a plusieurs résultats différents, on aime à réduire tous ces résultats à un terme moyen qui produitscependant le même résultat total.

Vous verrez, quand il sera question du Calcul des probabilités, qu’il est presque tout fondé sur ce principe.

Les registres des naissances et des morts ont donné lieu à la construction des Tables qu’on appelle de mortalité, et qui montrent combien, sur un nombre donné d’enfants nés en même temps, ou dans la même année, il y en a de vivants au bout d’un an, de deux, de trois, etc. ; on peut demander, d’après cela, quelle est la vie moyenne d’une personne d’un âge donné. Si l’on cherche dans ces Tables le nombre des vivants à cet âge, et qu’ensuite on additionne le nombre des vivants de tous les âges suivants, il est clair que cette somme donnera le nombre total des années qui auront été vécues par la totalité des vivants à l’âge donné ; par conséquent, il n’y aura qu’à diviser la somme dont il s’agit par le nombre des vivants à l’âge donné ; le quotient sera la vie moyenne, ou bien le nombre d’années que chaque personne devrait vivre encôre, pour que le nombre total des années vécues fût le même, et que chaque personne eût vécu également.

On trouve de cette manière, en prenant le milieu entre les résultats des différentes Tables de mortalité, que, pour un enfant d’un an, la vie moyenne est d’environ ans ; qu’à ans, elle est encore de ans ; à de à de à de à de à de à de à de

On a, par exemple, fait différentes expériences ; trois expériences ont donné quatre pour résultat ; deux expériences ont donné cinq ; une a donné six. Pour avoir le résultat moyen, on multipliera par par et par On ajoutera ensemble tous ces produits, ce qui fait et l’on divisera ce nombre par le nombre des expériences, savoir ce qui donnera pour le résultat moyen de toutes ces expériences.

Au reste, vous sentez que ce résultat ne peut être regardé comme exact qu’autant qu’on suppose que toutes les expériences sont également exactes. Cependant elles peuvent ne pas l’être ; alors il faut chercher à tenir compte de ces inégalités, ce qui demande un calcul plus compliqué c’est l’objet de plusieurs recherches dont les géomètres se sont occupés.

Voilà pour ce qui regarde la première partie de la règle d’alliage ; l’autre partie est l’inverse de celle-ci étant donnée la valeur moyenne, trouver combien il faut prendre de chaque chose pour avoir cette valeur moyenne.

Les problèmes de la première espèce sont toujours déterminés, parce que, comme on vient de le voir, il n’y a qu’à multiplier le nombre par la valeur de chaque chose, et diviser la somme de tous ces produits par le nombre des choses.

Les problèmes de la seconde espèce sont, au contraire, toujours indéterminés mais la condition de n’avoir que des nombres positifs et entiers pour résultat sert à limiter le nombre des solutions.

Supposons qu’on ait des choses de deux espèces ; que la valeur de l’unité de la première espèce soit que celle de l’unité de la seconde espèce soit et qu’on demande combien on doit prendre d’unités de la première espèce et d’unités de la seconde pour en former un composé ou un tout dont la valeur moyenne soit .

Nommons le nombre des unités de la première espèce qui entreront dans le composé, et le nombre des unités de la seconde espèce ; il est clair que sera la valeur des unités de la première espèce, et celle des unités de la seconde donc sera la valeur totale du mélange ; mais la valeur moyenne du mélange devant être il faudra que la somme des unités du mélange, multipliée par valeur moyenne de chaque unité, donne la même valeur totale donc on aura l’équation

faisant passer d’un côté les termes multipliés par et de l’autre les termes multipliés par on aura

et, divisant par il viendra

où l’on voit que le nombre peut être pris à volonté ; car, en donnant à une valeur quelconque, on aura toujours une valeur correspondante de qui satisfera à la question. Telle est la solution générale que donne l’Algèbre ; mais, si l’on ajoute la condition que les deux nombres et soient entiers, alors on ne peut plus prendre à volonté. Pour voir comment on peut satisfaire de la manière la plus simple à cette dernière condition, on divisera la dernière équation par et l’on aura

Pour que et soient tous deux positifs, il faudra que les deux quantités

soient de même signe ; c’est-à-dire que, si est plus grand ou moindre que soit au contraire moindre ou plus grand que c’est-à-dire que doit tomber entre les deux quantités et ce qui est d’ailleurs évident de soi-même. Supposons le plus grand et le plus petit des deux prix ; on cherchera la valeur de la fraction

qu’on réduira, s’il est nécessaire, à ses moindres termes ; soit cette

fraction réduite à ses moindres termes ; il est visible qu’on aura la solution la plus simple en prenant

mais, comme une fraction demeure la même en multipliant le numérateur et le dénominateur par un même nombre, il est visible qu’on pourra prendre aussi

étant un nombre quelconque, qu’il faudra supposer entier pour que et soient entiers ; et il est facile de démontrer que ces expressions de et sont les seules qui résolvent la question proposée. Suivant la règle ordinaire d’alliage, on ferait quantité de la chose la plus chère, égale à excès du prix moyen sur le plus bas, et quantité de la chose la moins chère, égale à excès du plus haut prix sur le prix moyen, ce qui rentre dans la solution générale que nous venons de donner.

Supposons maintenant qu’au lieu de deux espèces de choses il y en ait trois, dont les valeurs soient, à commencer par la plus haute, soient les quantités qu’il faudra prendre de chacune pour former un mélange ou un composé dont la valeur moyenne soit La somme des valeurs des trois quantités sera

d’après les valeurs particulières de l’unité de chacune de ces quantités ; mais cette valeur totale doit être la même que si toutes les valeurs particulières étaient égales à auquel cas il est clair que la valeur totale serait

donc il faudra satisfaire à l’équation

laquelle se réduit à cette forme plus simple

Comme il y a trois inconnues dans cette question, on pourrait en prendre deux à volonté ; mais, si l’on veut qu’elles soient exprimées par des nombres positifs et entiers, on observera d’abord que les nombres

sont nécessairement positifs ; de sorte qu’en mettant l’équation sous cette forme

la question sera réduite à trouver deux multiples des nombres donnés

dont la différence soit égale à

Cette question est toujours résoluble en nombres entiers, quels que soient les nombres donnés dont on cherche les multiples, et quelle que soit la différence donnée de ces multiples. Comme elle est assez curieuse par elle-même et qu’elle peut être utile dans beaucoup d’occasions, nous allons en donner ici une solution générale déduite des propriétés des fractions continues.

Supposons donc en général que et soient deux nombres entiers donnés, et qu’on en cherche deux multiples dont la différence soit donnée et égale à on aura donc à satisfaire à l’équation

et étant supposés des nombres entiers. D’abord il est clair que, si et n’étaient pas premiers entre eux, il faudrait que le nombre fût aussi divisible par le plus grand commun diviseur de et et, la division faite, on aurait une pareille équation où les nombres et seraient premiers entre eux ; ainsi nous pouvons les supposer déjà réduits à cet état. J’observe maintenant que, si l’on connaissait la solution de cette équation pour le cas où le nombre serait égal à l’unité positive ou négative, on en pourrait déduire la solution pour une valeur quelconque de Supposons, en effet, qu’on connaisse deux multiples de et qui soient et dont la différence soit

il est clair qu’il n’y aura qu’à les multiplier tous les deux par le nombre pour que la différence devienne égale à car, en multipliant l’équation précédente par on aura

qu’on retranche maintenant cette équation de l’équation proposée

ou qu’on l’y ajoute, suivant que le terme aura le signe ou il est clair qu’il viendra celle-ci

laquelle donnera sur-le-champ, comme nous l’avons vu plus haut dans le cas de l’alliage de deux choses différentes,

étant un nombre quelconque ; de sorte que l’on aura généralement

où l’on pourra prendre un nombre quelconque entier, positif ou négatif, pour Il ne reste donc plusqu’à trouver les nombres et tels que l’on ait

or cette question se résout facilement par les fractions continues ; car nous avons fait voir, en traitant de ces fractions, que, si l’on réduit la fraction en fraction continue, qu’ensuite on en déduise toutes les fractions successives, dont la dernière sera la fraction même ces différentes fractions sont telles, que la différence entre deux fractions consécutives est toujours égale à une fraction dont le numérateur est l’unité, et le dénominateur le produit des deux dénominateurs ; ainsi,

désignant par la fraction qui précédera immédiatement la dernière fraction on aura nécessairement

suivant que celle-ci sera plus grande ou moindre que l’autre, c’est-à-dire, suivant que le quantième de la dernière fraction dans la suite de toutes les fractions successives, sera pair ou impair, puisque la première fraction de cette suite est toujours plus petite, la seconde plus grande, la troisième plus petite, etc. que la fraction primitive, qui est la même que la dernière ; ainsi l’on fera

et le problème des deux multiples sera résolu dans toute sa généralité.

Maintenant il est clair que, pour appliquer cette solution à la question ci-dessus concernant l’alliage, il n’y aura qu’à faire

de sorte que le nombre demeurera indéterminé, et pourra être pris à volonté, ainsi que le nombre qui entre dans les expressions de et


LEÇON TROISIÈME.

sur l’algèbre, où l’on donne la résolution des équations
du troisième et du quatrième degré.

L’Algèbre est une science presque entièrement due aux modernes. Je dis presque entièrement, car il nous reste un ouvrage grec, celui de Diophante, qui vivait dans le IIIe siècle de l’ère chrétienne cet Ouvrage est le seul que nous devions aux anciens dans ce genre. Quand je parle des anciens, je n’entends que les Grecs ; car les Romains ne nous ont rien laissé sur les sciences ; il paraît même qu’ils n’avaient rien fait pour elles.

Diophante peut être regardé comme l’inventeur de l’Algèbre ; en effet, par un mot de sa préface, ou plutôt de son épître d’envoi (car les anciens Géomètres envoyaient leurs Ouvrages à quelques-uns de leurs amis, comme on le voit aussi par les préfaces des Ouvrages d’Apollonius et d’Archimède) ; par un mot, dis-je, de sa préface, on voit qu’il a été le premier à s’occuper de cette partie de l’Arithmétique qui a été nommée depuis Algèbre.

Son Ouvrage contient les premiers éléments de cette science il y emploie, pour exprimer la quantité inconnue, une lettre grecque qui répondait à l’st, et que dans la traduction on a remplacée par pour les quantités connues, il n’emploie que des nombres, car pendant longtemps l’Algèbre n’a été destinée qu’à résoudre des questions numériques mais on voit qu’il traite également les quantités connues et les inconnues pour former l’équation d’après les conditions du problème. Voilà ce qui constitue proprement l’essence de l’Algèbre c’est d’employer des quantités inconnues, de les calculer comme les connues, et d’en former une ou plusieurs équations d’après lesquelles on puisse déterminer la valeur de ces inconnues. Quoique l’Ouvrage de Diophante ne contienne presque que des questions indéterminées, dont on cherche une solution en nombres rationnels, questions qu’on a nommées, d’après lui, questions de Diophante, on y trouve néanmoins la solution de quelques problèmes déterminés du premier degré, même à plusieurs inconnues ; mais l’Auteur emploie toujours des artifices particuliers pour réduire la question à une seule inconnue, ce qui n’est pas difficile. Il y donne aussi la solution des équations du second degré ; mais il a l’art de les arranger de manière à ne pas tomber dans une équation composée, c’est-à-dire qui contienne le carré de l’inconnue avec sa première puissance.

Il se propose, par exemple, cette question, qui contient la théorie générale des équations du second degré : Trouver deux nombres dont la somme et le produit soient donnés. Si l’on fait la somme et le produit d’après la théorie des équations qu’on vous a exposée, on a sur-le-champ l’équation

Voici comment Diophante s’y prend la somme des deux nombres étant donnée, il en cherche la différence, et il prend cette différence pour l’inconnue. Il exprime ainsi les deux nombres, l’un par la moitié de la somme plus la moitié de la différence, l’autre par la moitié de la somme moins la moitié de la différence, et il n’a plus qu’à satisfaire à l’autre condition, c’est-à-dire à égaler leur produit au nombre donné. Nommant la somme donnée, la différence inconnue, l’un des nombres sera et l’autre sera en les multipliant ensemble, on a de manière que le terme en disparaît, et qu’en égalant cette quantité au produit donné on a l’équation simple

d’où l’on tire .

et de là

Diophante résout encore quelques autres questions du même genre ; en employant à propos la somme ou la différence pour inconnue, il parvient toujours à une équation dans laquelle il n’a qu’à extraire une racine carrée pour avoir la solution de son problème.

Mais, dans les livres qui nous sont restés (car tout l’Ouvrage de Diophante ne nous est pas parvenu), il ne va pas au delà des équations du second degré, et nous ignorons si lui ou quelqu’un de ses successeurs (car il ne nous est parvenu aucun autre Ouvrage sur cette matière) a été au delà des équations du second degré.

Je ferai encore une remarque à l’occasion de l’Ouvrage de Diophante c’est qu’il établit en définition ce principe, que par fait et par fait mais je pense que c’est une faute des copistes ; car il aurait dû plutôt l’établir comme un axiome, ainsi qu’Euclide l’a fait à l’égard de quelques principes de Géométrie. Quoi qu’il en soit, on voit que Diophante regarde la règle des signes comme un principe évident par lui-même, et qui n’a pas besoin de démonstration. Cet Ouvrage de Diophante est très-précieux, parce qu’il contient les premiers germes d’une science qui, par les progrès immenses qu’elle a faits depuis, est devenue une de celles qui font le plus d’honneur à l’esprit humain. Il n’a été connu en Europe que vers la fin du xvie siècle ; on en a eu d’abord une traduction assez mauvaise faite par Xylander, vers le milieu du xvie siècle, sur un manuscrit trouvé dans la bibliothèque Vaticane, où il avait été probablement apporté de Grèce, lorsque les Turcs s’emparèrent de Constantinople.

Bachet de Meziriac, qui a été un des premiers membres de l’Académie française, et qui était d’ailleurs assez bon géomètre pour son temps, en donna une nouvelle traduction, accompagnée de commentaires très-longs, qui à présent sont devenus inutiles. Mais cette édition a été ensuite réimprimée avec des observations et des notes de Fermat, un des plus célèbres Géomètres de France, qui a vécu vers le milieu du dernier siècle, et dont on aura occasion de parler dans la suite, à cause des découvertes importantes qu’on lui doit dans l’Analyse. Cette édition, qui est de 1670, est la dernière qui ait été faite. Il serait à souhaiter qu’on fit passer dans la langue française, par de bonnes traductions, non-seulement l’Ouvrage de Diophante, mais encore le petit nombre d’ouvrages mathématiques que les Grecs nous ont laissés.

Mais, avant que l’Ouvrage de Diophante fût connu en Europe, l’Algèbre y avait déjà pénétré. En effet, il a paru vers la fin du xve siècle, à Venise, un Ouvrage d’un cordelier italien, nommé Luc Pacciolo, sur l’Arithmétique et la Géométrie, où l’on trouve les premières règles de l’Algèbre : c’est un des livres qui ont été imprimés dans les premiers temps de l’invention de l’imprimerie ; le nom d’Algèbre, qu’on y donne à cette nouvelle science, indique assez qu’elle venait des Arabes. Il est vrai qu’on dispute encore sur la signification de ce mot arabe ; mais nous ne nous arrêterons pas à ces sortes de discussions qui nous sont étrangères ; il nous suffit que ce mot soit devenu le nom d’une science généralement connue, et qu’il n’y ait pas d’ambiguïté à craindre, puisque, jusqu’à présent, il n’a été employé à désigner aucune autre chose.

Nous ignorons, au reste, si les Arabes avaient inventé l’Algèbre d’eux-mêmes, ou s’ils l’avaient empruntée des Grecs ; il y a apparence qu’ils avaient l’Ouvrage de Diophante, car, après que les temps de barbarie et d’ignorance qui suivirent leurs premières conquêtes furent passés, ils commencèrent à s’adonner aux sciences et à traduire en arabe tous les ouvrages grecs qui pouvaient y avoir rapport. Il est donc naturel de penser qu’ils avaient traduit aussi celui de Diophante, et c’est ce qui les aura engagés à pousser plus loin cette nouvelle science.

Quoi qu’il en soit, les Européens, l’ayant reçue des Arabes, l’ont eue cent ans avant que l’Ouvrage de Diophante leur fût connu ; mais elle n’allait pas au delà des équations du premier et du second degré. Dans l’Ouvrage de Pâcciolo, dont nous avons parlé plus haut, on ne trouve pas la résolution générale des équations du second degré, telle que nous l’avons ; mais on y trouve seulement des règles exprimées en mauvais vers latins pour résoudre chaque cas particulier, suivant les différentes combinaisons des signes des termes de l’équation, et ces règles mêmes ne se rapportent qu’au cas où il y a des racines réelles et positives car on regardait encore les racines négatives comme insignifiantes et inutiles. C’est proprement la Géométrie qui a fait connaître l’usage des quantités négatives, et c’est là un des plus grands avantages qui soient résultés de l’application de l’Algèbre à la Géométrie, qu’on doit à Descartes.

On chercha ensuite la résolution des équations du troisième degré, et elle fut découverte par un géomètre de Bologne, nommé Scipion Ferreo, mais seulement pour un cas particulier. Deux autres géomètres italiens, Tartalea et Cardan, la complétèrent ensuite et la rendirent générale pour toutes les équations du troisième degré ; car, à cette époque, l’Italie, qui avait été le berceau de l’Algèbre en Europe, en était encore presque seule en possession. Ce ne fut que vers le milieu du xvie siècle que des Traités d’Algèbre parurent en France, en Allemagne et ailleurs. Ceux de Peletier et de Buteon, imprimés, l’un en 1554, l’autre en 1559, sont les premiers que la France ait eus sur cette-science.

Tartalea exposa sa solution en mauvais vers italiens, dans un Ouvrage sur différentes questions et inventions, imprimé en 1546, Ouvrage qui a aussi le mérite d’être un des premiers où l’on ait traité de la fortification moderne par bastions.

Cardan publia, dans le même temps, son Traité de Arte magna, c’est-à-dire, de l’Algèbre, où il ne laisse presque rien à désirer sur la résolution des équations du troisième degré. Cardan est encore le premier qui ait aperçu la multiplicité des racines des équations, et leur distinction en positives et négatives ; mais il est surtout connu pour avoir le premier remarqué le cas qu’on appelle irréductible, et dans lequel l’expression réelle des racines est sous une forme imaginaire. Cardan se convainquit, par quelques cas particuliers où l’équation a des diviseurs rationnels, que cette expression n’empêchait pas que les racines n’eussent une valeur réelle ; mais il restait à prouver que non-seulement les racines sont réelles dans le cas irréductible, mais qu’elles ne peuvent même être toutes trois réelles que dans ce cas c’est ce qu’a fait après lui Viète, et surtout Albert Girard, par la considération de la trisection de l’angle.

Nous reviendrons sur le cas irréductible des équations du troisième degré, non-seulement parce qu’il présente une nouvelle forme d’expressions algébriques qui est devenue d’un usage très-étendu dans l’Analyse, mais surtout parce qu’il donne encore lieu tous les jours à des recherches inutiles pour réduire la forme imaginaire à une réelle, et qu’il offre ainsi, en Algèbre, un problème qu’on peut mettre sur la même ligne que les fameux problèmes de la duplication du cube ou de la quadrature du cercle en Géométrie.

Les mathématiciens de ce temps-là étaient dans l’usage de se proposer des problèmes à résoudre : c’étaient des défis publics qu’ils se faisaient, et qui servaient à exciter et à entretenir dans les esprits la fermentation nécessaire pour l’étude des sciences. Ces sortes de défis ont continué jusqu’au commencement de ce siècle entre les premiers Géomètres de toute l’Europe, et ils n’ont proprement cessé qu’à cause des Académies, qui remplissent-le même but d’une manière encore plus avantageuse au progrès des sciences, soit par la réunion des connaissances des différents membres qui les composent, soit par les relations qu’elles entretiennent entre elles, soit surtout par la publication de leurs Mémoires, qui sert à répandre, parmi tous ceux qui s’intéressent aux sciences, les découvertes et les observations nouvelles.

Les défis dont nous venons de parler suppléaient, en quelque sorte, au défaut des Académies, qui n’existaient pas encore, et l’on doit à ces défis plusieurs découvertes importantes d’Analyse. Celle de la résolution des équations du quatrième degré est de ce nombre.

On proposa ce Problème :

Trouver trois nombres continuellement proportionnels, dont la somme soit et le produit des deux premiers soit

Nommant, pour plus de généralité, la somme des trois nombres, le produit des deux premiers, et ces deux nombres : on aura d’abord ensuite le troisième nombre sera exprimé, à cause de la proportion continue, par de sorte que l’autre condition donnera

De la première équation on tire cette valeur, substituée dans la seconde, donnera

savoir, en faisant disparaître les fractions et ordonnant les termes,

équation du quatrième degré, sans le second terme.

Louis Ferrari, de Bologne, au rapport de Bombelli, dont nous parlerons bientôt, parvint à la résoudre par une méthode ingénieuse elle consiste à partager l’équation en deux parties, qui permettent l’extraction de la racine carrée de part et d’autre ; pour cela, il faut ajouter aux deux nombres des quantités dont la détermination dépend d’une équation du troisième degré ; de sorte que la résolution des équations du quatrième-degré dépend de celle du troisième, et est sujette aux mêmes inconvénients du cas irréductible.

L’Algèbre de Bombelli, imprimée à Bologne en 1579, en langue italienne, ne contient pas seulement la découverte de Ferrari, mais encore différentes remarques importantes sur les équations du second et du troisième degré, et surtout sur le calcul des radicaux, au moyen duquel l’Auteur parvient, dans quelques cas, à tirer les racines cubes imaginaires des deux binômes de la formule du troisième degré dans lé cas irréductible, ce qui donne un résultat tout réel, et fournit la preuve la plus directe de la réalité de ces sortes d’expressions.

Voilà l’histoire succincte des premiers progrès de l’Algèbre en Italie on parvinthientôtà résoudre les équations du troisième et du quatrième degré ; mais les efforts continus des géomètres, pendant près de deux siècles, n’ont pu entamer le cinquième degré.

Ils nous ont valu néanmoins tous les beaux théorèmes que vous avez vus sur la formation des équations, sur la nature et les signes des racines, sur la transformation d’une équation en d’autres dont les racines soient composées comme l’on voudra des racines de la proposée ; enfin sur la métaphysique même de la résolution des équations, d’où résulte la méthode la plus directe de parvenir à cette résolution, lorsqu’elle est possible c’est celle qui vous a été exposée dans les dernières Leçons, et qui ne laisserait rien à désirer, si elle pouvait donner également la résolution des degrés supérieurs. Viète et Descartes en France, Harriot en Angleterre, Hudde en Hollande ont été les premiers, après les Italiens dont nous venons de parler, à perfectionner la théorie des équations, et depuis il n’y a presque point eu de Géomètre qui ne s’en soit occupé ; de sorte que cette théorie, dans son état actuel, est le résultat de tant de recherches différentes, qu’il est très-difficile d’assigner l’auteur de chacune des découvertes qui la composent.

J’ai promis de revenir sur le cas irréductible. Pour cela, il est nécessaire de rappeler la méthode qui paraît avoir servi à la première résolution des équations du troisième degré, et qui est encore employée dans la plupart des Éléments d’Algèbre. Considérons l’équation générale du troisième degré, privée du second terme, qu’on peut toujours faire disparaître, savoir

qu’on suppose

et étant deux nouvelles inconnues, dont une, par conséquent, sera à volonté, et pourra être déterminée de la manière qu’on jugera la plus convenable ; on aura, en substituant cette valeur, la transformée

Or les deux termes se réduisent à cette forme

de sorte qu’on peut écrire la transformée ainsi

Si maintenant on suppose égale à zéro la quantité qui multiplier ce qui est permis à cause des deux indéterminées, on aura, d’un côté, l’équation

et de l’autre l’équation restante

par lesquelles on pourra déterminer et Le moyen qui se présente le plus naturellement pour cela est de tirer de la première la valeur de

de la substituer dans lâ second, et de faire évanouir par la multiplication les fractions, ce qui donne cette équation en du sixième degré, qu’on appelle la réduite,

laquelle, ne contenantque deux puissances de l’inconnue ; dont l’une est le carré de l’autre, est résoluble à la manière de celles du second degré, et donne sur-le-champ

d’où, en extrayant la racine cubique, on a

et de là

On rend cette expression de plus simple, en remarquant que le produit de par le radical

est, en multipliant ensemble les quantités sous le signe,

d’où il suit que le terme devient

et que, par conséquent, on a

expression où l’on voit que le radical carré qui est sous le signe cubique se trouve également en plus et en moins, de sorte qu’il ne peut y avoir de ce côté-là aucune ambiguïté. C’est l’expression connue sous le nom de formule de Cardan, et à laquelle toutes les méthodes qu’on a pu imaginer jusqu’ici pour le séquations du troisième degré ont toujours conduit. Comme les radicaux cubes ne présentent naturellement qu’une seule valeur, on a été longtemps dans l’idée que cette formule ne pouvait donner qu’une des racines de l’équation, et, pour trouver les deux autres, on revenait à l’équation primitive qu’on divisait par en supposant a la racine trouvée ; et, le quotient étant une équation du second degré, on la résolvait à la manière ordinaire. En effet, cette division est non-seulement toujours possible, mais même très-facile ; car, dans le cas proposé, l’équation étant

si est une des racines, on aura

cette équation, soustraite de la précédente, donnera

quantité divisible par et qui donnera pour quotient

de sorte que la nouvelle équation à résoudre pour avoir les deux autres racines sera

d’où il est aisé de tirer

Je vois par l’Algèbre de Clairaut, imprimée en 1746, et par l’article Cas irréductible de d’Alembert dans la première Encyclopédie, que cette idée subsistait encore à cette époque-là ; mais c’est faire tort à l’Algèbre que de l’accuser de ne pas donner des résultats aussi généraux que la question en est susceptible. Il nes’agit que de savoir bien lire ce genre d’écriture et d’y voir tout ce qu’elle peut renfermer. En effet, dans le cas dont il s’agit, on ne faisait pas attention que toute racine cubique doit avoir une triple valeur, comme toute racine carrée en a une double, par la raison qu’extraire, par exemple, la racine cubique de n’est autre chose que résoudre l’équation du troisième degré Cette équation, en faisant se ramène à cette forme plus simple qui a d’abord la racine ensuite, en la divisant par on a

d’où l’on tire les deux autres racines

ces trois racines sont donc les trois racines cubiques de l’unité, comme vous l’avez déjà vu, et donnent les trois racines cubiques de toute autre quantité comme en les multipliant par la racine cubique ordinaire de cette quantité. Il en est de même des racines quatrièmes, cinquièmes, etc.

Nommons, pour abréger, et les deux racines

qu’on voit bien être imaginaires, quoique leur cube soit réel et égal à comme on peut s’en convaincre par le calcul ; on aura donc, pour les trois racines cubiques de

Or, lorsque nous sommes parvenus ci-dessus, dans la résolution de l’équation du troisième degré, la réduite en faisant pour abréger

nous en avons déduit de suite

mais, par ce que nous venons de démontrer, il est clair qu’on aura non-seulement

mais encore

donc la racine de l’équation du troisième degré, que nous avons trouvée égale à

aura aussi ces trois valeurs

qui seront par conséquent les trois racines de l’équation proposée. Mais en faisant

il est clair que

donc

mettant donc à la place de et remarquant de plus que et par conséquent

les trois racines dont il s’agit seront exprimées ainsi

On voit par là que la méthode ordinaire, bien entendue, donne directement les trois racines, et n’en donne que trois ; j’ai cru ce lietit détail nécessaire, parce que, si d’un côté on a longtemps accusé cette méthode de ne donner qu’une seule racine, de l’autre, lorsqu’on eut aperçu qu’elle pouvait en donner trois, on crut qu’elle en devait donner six, en employant faussement toutes les combinaisons possibles des trois racines cubiques de l’unité avec les deux radicaux cubiques et

On aurait pu parvenir directement aux résultats que nous venons de trouver, en remarquant que les deux équations

donnent

d’où l’on voit sur-le-champ que et sont les racines d’une équation du second degré, dont le second terme sera et le troisième Cette équation, qu’on appelle la réduite, sera donc

et, nommant et ses deux racines, on aura tout de suite

où l’on observera qu’en effet et auront les mêmes valeurs que nous avons assignées plus haut à ces mêmes lettres. Or, par ce que nous avons démontré ci-dessus, on aura également

et il en sera de même de la valeur de mais l’équation

dont nous n’avons employé que le cube, limite ces valeurs, et il est aisé

de voir qu’elle exige que les trois valeurs correspondantes de soient

d’où résultent, pour la valeur de qui est les mêmes trois valeurs que nous avons trouvées.

Pour la forme de ces valeurs, il est visible d’abord qu’il ne peut y en avoir qu’une de réelle, tant que et seront des quantités réelles, puisque et sont des quantités imaginaires. Elles ne pourront donc être toutes les trois réelles que dans le cas où les racines et de la réduite seront imaginaires, c’est-à-dire lorsque la quantité

qui se trouve sous le signe radical, sera négative, ce qui n’a lieu que lorsque est négatif et plus grand que

c’est le cas qu’on appelle irréductible.

Puisque dans ce cas

est une quantité négative, supposons-la égale à étant une quantité quelconque réelle, et faisant, pour plus de simplicité,

les deux racines et de la réduite prendront cette forme

Or je dis que si qui est une des racines de l’équation du troisième degré, est réelle, les deux autres racines, exprimées par

seront réelles aussi. En effet, supposons

on aura d’abord

étant par l’hypothèse une quantité réelle. Or

donc

l’équation précédente, étant élevée au carré, donne

retranchant on aura

J’observe que cette quantité doit-être nécessairement négative ; car, si elle était positive et on aurait

donc

donc, puisque

on aurait

quantités réelles ; donc et seraient aussi des quantités réelles, ce qui est contre l’hypothèse, puisque ces quantités sont égales à et toutes deux imaginaires.

Donc la quantité

sera essentiellement négative. Supposons-la égale à donc

et, tirant la racine carrée,

donc

Telle sera donc nécessairement la forme des deux radicaux cubes

forme à laquelle on parvient directement, en réduisant ces radicaux en série par le théorème de Newton, comme vous l’avez déjà vu dans les leçons du Cours principal. Mais, comme les démonstrations par les séries peuvent laisser quelques nuages dans l’esprit, j’ai voulu en rendre la précédente tout à fait indépendante.

Si donc

on aura

or on a trouvé plus haut

donc, multipliant ces quantités ensemble, on aura

et

quantités réelles. Ainsi donc, si la racine est réelle, les deux autres le seront aussi naturellementdans le cas irréductible, et ne pourront l’étre que dans ce cas, comme nous l’avons vu ci-dessus.

Mais la difficulté est toujours de démontrer directement que

que nous avons supposé est toujours une quantité réelle, quelles que soient les valeurs de et On y peut parvenir dans des cas particuliers, en extrayant la racine cubique, lorsque cette extraction peut se faire exactement. Par exemple, si on trouvera que la raracinecubique de sera et de même celle de sera de sorte que la somme des deux radicaux sera égale à On peut faire ainsi une infinité d’exemples, et c’est de cette manière que Bombelli s’est convaincu de la réalité de l’expression imaginaire de la formule du cas irréductible ; mais, cette extraction n’étant possible en général que par les séries, on ne peut parvenir de cette manière à une démonstration générale et directe de la proposition dont il s’agit.

Il n’en est pas de même des radicaux carrés et de tous ceux dont l’exposant est une puissance de En eflet, si l’on a la quantité

composée de deux radicaux imaginaires, son carré sera

quantité nécessairement positive ; donc, extrayant la même racine carrée, on aura

pour la valeur réelle de la quantité proposée. Mais, si, au lieu de la somme, on avait la différence des mêmes radicaux, alors son carré serait

quantité nécessairement négative ; et, tirant la racine carrée, on aurait l’expression imaginaire simple

Si l’on avait la quantité

on l’élèverait d’abord au carré, ce qui donnerait

quantité réelle et positive ; on aura donc aussi, en extrayant la racine carrée, une valeur réelle pour la quantité proposée, et ainsi de suite ; mais, si l’on voulait appliquer cette méthode aux radicaux cubiques, on retomberait dans une équation du troisième degré, dans le cas irréductible.

Soit, en effet,

en élevant d’abord au cube, on aura

savoir,

ou bien

formule générale du cas irréductible, puisque

Si on aura il faudrait donc prouver que, ayant une valeur quelconque, aura aussi une valeur correspondante réelle. Or l’équation précédente donne

et, élevant au cube,

d’où

équation qu’on peut mettre sous cette forme

ou bien sous celle-ci

Cette dernière forme fait voir que est nul, lorsque qu’ensuite augmente toujours sans interruption, lorsque augmentera ; car le facteur augmentera toujours, et l’autre facteur augmentera aussi, parce que, le dénominateur augmentant, la partie négative qui est d’abord deviendra toujours moindre que . Ainsi, en faisant augmenter par degrés insensibles la valeur de depuis jusqu’à l’infini, la valeur de augmentera aussi par degrés insensibles et correspondants, depuis zéro jusqu’à l’infini. Donc, réciproquement, à chaque valeur de depuis zéro jusqu’à l’infini, il répondra une valeur de comprise entre et l’infini ; et, comme cela a lieu, quelle que soit la valeur de on en peut conclure légitimement que, quelles que soient les valeurs de et la valeur correspondante de et par conséquent aussi de sera toujours réelle. Mais comment assigner cette valeur ? Il ne paraît pas qu’elle puisse être représentée autrement que par l’expression imaginaire, ou par l’expression en série, qui en est le développement. Aussi doit-on regarder ces sortes d’expressions imaginaires, qui répondent à des quantités réelles, comme formant une nouvelle classe d’expressions algébriques, qui, quoiqu’elles n’aient pas, comme les autres expressions, l’avantage de pouvoir être évaluées en nombres dans l’état où elles sont, ont néanmoins celui, qui est le seul nécessaire aux opérations algébriques, de pouvoir être employées dans ces opérations, comme si elles ne contenaient point d’imaginaires. Elles ont de plus l’avantage de pouvoir servir aux e on structions géométriques, comme on le verra dans la théorie-des sections angulaires, de sorte qu’elles peuvent toujours être représentées exactement par des lignes ; et, quant à leur valeur numérique, ari pourra toujours la trouver à très-peu près, et aussi exactement qu’on voudra, par la résolution approchée de l’équation d’où elles dépendent, ou bien par les Tables trigonométriques connues. En effet, on démontre en Géométrie que, si dans un cercle dont le rayon est on prend un arc dont la corde soit et qu’on nomme la corde de l’arc qui sera le tiers de celui-là, on a, pour la détermination de l’équation du troisième degré

équation qui tombe dans le cas irréductible, puisque est toùjôurs nécessairement moindre que et qui, à cause des deux arbitraires et peut représenter toutes les équations de ce genre ; car, en la comparant avec l’équation générale

on aura

de sorte qu’on aura tout de suite, par la trisection de l’arc qui répond à la corde dans un cercle de rayon la valeur d’une racine qui sera la corde de la troisième partie de cet arc. Or, par la nature du cercle, une même corde répond non-seulement à l’arc mais encore (en nommant la circonférence entière ) aux arcs

les arcs

ont aussi la même corde, mais prise négativement, parce que les cordes, au bout d’une circonférence, deviennent zéro, et ensuite négatives, et ne redeviennent positives qu’au bout de deux circonférennes, etc., comme vous pouvez le voir aisément. Donc les valeurs

de seront non-seulement la corde de l’arc mais encore celles des arcs

et ce seront là les trois racines de l’équation donnée. Si l’on voulait employer encore les arcs suivants qui ont la même corde on ne ferait que retrouver les mêmes racines ; car l’arc donnerait la corde de savoir, de qu’on a déjà vu être la même que celle de et ainsi des autres.

Comme, dans le cas irréductible, le coefficient est nécessairement négatif, la valeur de la corde donnée sera positive ou négative, suivant que sera positif ou négatif. Dans le premier cas, on prendra pour l’arc sous-tendu par la corde positive le second cas se réduit au premier, en faisant négatif, ce qui fait changer de signe au dernier terme de sorte qu’en prenant de même pour l’arc sous-tendu par la corde positive on n’aura qu’à changer le signe des trois racines.

Quoique tout ce que nous venons de dire puisse suffire pour ne laisser aticun doütè sur la nature des racines des équations du troisième degré, nous allons y ajouter encore quelques réflexions sur la méthode même par laquelle on trouve ces racines. Celle qu’on a exposée plus haut, et qu’on appelle communément la méthode de Cardan, quoiqu’il me semble que c’est de Hudde que nous la tenons, a souvent été accusée, et elle peut encore l’être tous les jours, de ne donner, dans le cas irréductible, les racines sous une forme imaginaire, que parce qu’on y fait une supposition qui est contradictoire avec l’état même de l’équation. En effet, l’esprit de cette méthode consiste à supposer l’inconnue égale à deux indéterminées pour pouvoir ensuite séparer l’équation résultante

en ces deux-ci

Or, en mettant la première sous cette forme

il est visible que la question se réduit à trouver deux nombres et dont la somme soit et le produit ce qui est impossible, à moins que le carré de la demi-somme ne surpasse le produit, puisque la différence de ces deux quantités est égale au carré de la demi-différence des nombres cherchés.

On conclut de là qu’il n’est pas étonnant qu’en faisant une supposition impossible à réaliser en nombre, on tombe dans des expressions imaginaires, et l’on est induit à croire qu’en s’y prenant autrement on pourrait éviter ces expressions, et n’en avoir que de toutes réelles.

Comme on pourrait faire à peu près le même reproche aux autres méthodes qui ont été trouvées depuis, et qui sont toutes plus ou moins fondées sur la méthode des indéterminées, c’est-à-dire sur l’introduction de quelques quantités arbitraires qu’on détermine de manière à satisfaire à des conditions supposées, nous allons considérer la question en elle-même, et indépendamment d’aucune supposition. Reprenons pour cela l’équation

et supposons que ces trois racines soient

Par la théorie des équations, le premier nombre sera formé du produit des trois quantités

qui est

de sorte que la comparaison des termes donnera

Comme l’équation est d’un degré impair, on est assuré, ainsi que vous l’avez déjà vu, et que vous le verrez encore dans la Leçon qui suivra celle-ci, qu’elle a nécessairement une racine réelle. Soit cette racine ; la première des trois équations qu’on vient de trouver donnera

d’où l’on voit d’abord que sera nécessairement aussi une quantité réelle ; cette valeur de substituée dans la seconde et la troisième, donnera

savoir

d’où il faudrait tirer et la dernière donne d’où je conclus que sera nécessairement aussi une quantité réelle. Considérons maintenant la quantité ou bien, en faisant disparaître les fractions, la quantité du signe de laquelle dépend le cas irréductible en y substituant pour et leurs valeurs ci-dessus en et on trouvera, après les réductions, que cette quantité devient égale au carré de

pris négativement ; de sorte que, en changeant les signes et extrayant la racine carrée, on aura

d’où il est d’abord aisé de conclure que les deux racines et ne sauraient être réelles, à moins que la quantité ne soit négative ; mais je vais démontrer que, dans ce cas, qui est, comme on voit, le cas irréductible, les deux racines et seront nécessairement réelles ; car la quantité

se réduit à cette forme,

comme il est aisé de s’en assurer par la multiplication actuelle ; or nous avons déjà vu que les deux quantités et sont nécessairement réelles, d’où

sera aussi nécessairement une quantité réelle ; donc l’autre facteur sera réel aussi, lorsque le radical est réel ; donc, et étant des quantités réelles, il s’ensuit que et seront l’un et l’autre réels. Nous avions déjà démontré plus haut ces théorèmes d’après la forme même des racines ; mais la démonstration présente est, à quelques égards, plus générale et plus directe, étant tirée des principes de la chose. On n’a rien supposé, et la condition du cas irréductible n’a point introduit d’imaginaires ; mais il faut trouver les valeurs de et au moyen des équations ci-dessus. Pour cela, j’observe que le premier membre de l’équation

peut devenir un cube parfait, en y ajoutant le premier membre de l’équation

multipliée par et la racine de ce cube sera

de sorte qu’extrayant la racine cubique de part et d’autre, on aura la quantité

exprimée en quantités connues ; et, comme le radical peut aussi être pris en on aura aussi la quantité

exprimée en quantités connues, d’où l’on tirera les valeurs de et Mais ces valeurs contiendront la quantité imaginaire qui a été introduite par la multiplication, et se réduiront à la même forme que les deux racines

que nous avons trouvées plus haut ; ensuite la troisième racine

deviendra Dans cette méthode, on voit que la quantité imaginaire n’est employée que pour faire réussir l’extraction de la racine cubique, sans laquelle on ne pourrait déterminer séparément les valeurs et et, comme il paraît impossible d’y parvenir autrement, on peut regarder comme une vérité démontrée que l’expression générale des racines de l’équation du troisième degré, dans le cas irréductible, ne saurait être indépendante des imaginaires.

Passons aux équations du quatrième degré. Nous avons déjà dit que l’artifice qui avait servi d’abord à résoudre ces équations consistait à les préparer, de manière qu’on pût extraire la racine carrée des deux membres, ce qui les abaissait au second degré. Voici comment : soit

l’équation générale du quatrième degré, privée de son second terme, ce qui est toujours possible, comme vous le savez, en augmentant ou diminuant les racines d’une quantité convenable. Qu’on la mette sous cette forme

et qu’on y ajoute de part et d’autre les termes qui contiennent une nouvelle indéterininée et qui n’empêchent pas que le premier membre ne soit encore un carré, on aura

Faisons maintenant en sorte que le second membre soit aussi un carré ;

il faudra, pour cela, que l’on ait

et alors la racine du carré sera

Ainsi, pourvu que la quantité satisfasse à l’équation précédente, qui devient par le développement

et qui n’est, comme l’on voit, que du troisième degré, la proposée se réduira, par l’extraction de la racine carrée, à celle-ci

où l’on peut prendre le radical en plus et en moins ; de sorte qu’on aura proprement deux équations du second degré, dans lesquelles la proposée se trouvera décomposée, et dont les racines donneront les quatre racines de la proposée, ce qui fournit le premier exemple de la décomposition des équations en d’autres de degrés inférieurs.

La méthode de Descartes, qu’on suit communémentdans les éléments de l’Algèbre, est fondée sur le même principe, et consiste à supposer immédiatement que la proposée soit produite par la multiplication de deux équations du second degré, telles que

étant des coefficients indéterminés ; en les multipliant l’une par l’autre, on a

dont la comparaison avec la proposée donne

les deux premières équations donnent

ces valeurs étant substituées dans la dernière on aura une équation en du sixième degré, mais qui, ne contenant que les puissances paires de sera résoluble comme celles du troisième. Au reste, si dans cette équation on substitue pour on aura la même réduite en que nous avons trouvée ci-dessus par l’ancienne méthode.

Ayant ainsi la valeur de on aura celles de et et la proposée se trouvera décomposée en deux équations du second degré, qui donneront les quatre racines cherchées. Cette méthode, ainsi que la précédente, donne lieu à un doute-qui vient de ce que la réduite en ou en étant du troisième degré, doit avoir trois racines, de sorte qu’on pourrait être incertain laquelle de ces trois racines il faudrait employer ; cette difficulté se trouve bien résolue dans l’Algèbre de Clairaut, où l’on fait voir d’une manière directe que l’on a toujours les mêmes quatre racines ou valeurs de quelle que soit la racine de la réduite qu’on emploie. Mais cette généralité inutile nuit à la simplicité qu’on peut désirer dans l’expression des racines de l’équation proposée, et l’on doit préférer les formules que l’on vous a données dans le cours principal, et où les trois racines de la réduite entrent également. Voici encore une manière de parvenir à ces mêmes formules, moins directe que celle qui vous a déjà été exposée, mais qui, d’un autre côté, a l’avantage d’être analogue à celle de Cardan, pour les équations du troisième degré.

Je reprends l’équation

et j’y suppose

j’aurai d’abord

ensuite, carrant de nouveau, j’ai

or

Je substitue ces valeurs de dans la proposée, et je mets ensemble les termes qui se trouvent multipliés par ainsi que par j’ai la transformée

Maintenant, comme pour les équations du troisième degré nous avons fait évanouir les termes qui contenaient nous ferons de même disparaître ici les termes qui contiennent

ce qui nous donnera les deux équations de condition

il restera alors l’équation

et ces trois équations détermineront les trois quantités La seconde donne d’abord

et, cette valeur étant substituée dans la troisième, on aura

De plus, la première, étant élevée au carré, donne

Donc, par la théorie générale de la formation des équations, les trois quantités seront les racines d’une équation du troisième degré de la forme

de sorte que, si l’on nomme les trois racines de cette équation, que nous nommerons la réduite, on aura

et la valeur de sera exprimée par

Comme les trois radicaux peuvent être pris chacun avec le signe ou on aurait, en faisant toutes les combinaisons possibles, huit valeurs différentes de mais il faut observer que, dans l’analyse précédente, nous avons employé l’équation tandis que l’équation donnée immédiatement est ainsi il faudra que le produit des trois quantités c’est-à-dire, des trois radicaux

soit de signe contraire à celui de la quantité D’où il suit : 1o que, étant une quantité négative, il devra y avoir dans l’expression de ou trois radicaux positifs, ou un positif et deux négatifs. On n’aura donc que ces quatre combinaisons

qui seront, par conséquent, les quatre racines de la proposée du quatrième degré ; 2o si est une quantité positive, alors il devra y avoir

dans l’expression de ou trois radicaux négatifs, ou un négatif et deux positifs, ce qui donnera ces quatre autres combinaisons

qui seront les quatre racines de la proposée[2].

Maintenant, si les trois racines de la réduite du troisième degré sont toutes réelles et positives, il est visible que les quatre racines précédentes seront toutes réelles aussi ; mais, si parmi les trois racines réelles il y en a de négatives, les quatre racines de la proposée seront évidemment imaginaires. Ainsi, outre la condition de la réalité des trois racines de la réduite, il faudra encore, pour le premier cas, suivant la règle de Descartes que vous connaissez, que les coefficients des termes de cette réduite soient alternativement positifs et négatifs, et que, par conséquent, on ait négatif et positif, savoir, Si l’une de ces conditions manque, la proposée du quatrième degré ne pourra pas avoir ses quatre racines réelles. Si la réduite n’a au contraire qu’une seule racine réelle, on observera d’abord qu’à cause du dernier terme négatif de cette réduite la racine réelle sera nécessairement positive ensuite il est aisé de voir, par les expressions générales que nous avons données des racines de l’équation du troisième degré privée de son second terme, forme à laquelle il est aisé de ramener la réduite en en augmentant simplement toutes les racines de la quantité il est aisé, dis-je, de voir que les deux racines imaginaires de cette réduite seront de la forme

Donc, prenant pour la racine réelle, et pour les deux imaginaires, sera une quantité réelle, et sera réelle aussi, par ce que nous avons démontré plus haut, et au contraire sera une quantité imaginaires d’où l’on peut conclure que, des quatre racines trouvées pour l’équation proposée du quatrième degré, les deux premières seront réelles et les deux autres imaginaires.

Au reste, si dans la réduite en on fait pour en faire disparaître le second terme et le ramener à la forme que nous avons examinée, on aura cette transformée en

de sorte que la condition de la réalité des trois racines de la réduite sera


LEÇON QUATRIÈME.

sur la résolution des équations numériques.

On a vu comment on peut résoudre les équations du second, du troisième et du quatrième degré ; le cinquième degré présente une espèce de barrière que les efforts des analystes n’ont pu encore forcer, et la résolution générale des équations est une des choses qui restent encore à désirer en Algèbre. Je dis en Algèbre, car si, dès le troisième degré, l’expression analytique des racines est insuffisante pour faire connaître leur valeur numérique dans tous les cas, à plus forte raison le serait-elle dans les degrés supérieurs, et l’on serait toujours forcé d’avoir recours à d’autres moyens pour déterminer en nombres les valeurs des racines d’une équation donnée, ce qui est, en dernier résultat, l’objet de la solution de tous les problèmes que les besoins ou la curiosité offrent à résoudre.

Je me propose ici d’exposer les principaux moyens que l’on a imaginés pour remplir cet objet important. Considérons une équation quelconque du degré représentée par la formule

(B)

dans laquelle soit l’inconnue, des coefficients connus positifs ou négatifs, et le dernier terme sans et connu aussi ; nous supposerons que les valeurs de ces coefficients soient données en nombres ou en lignes, ce qui revient au même ; car, en prenant une ligne donnée pour unité ou mesure commune de toutes les autres, on pourra les évaluer toutes en nombres. Il est clair que cette supposition a toujours lieu, lorsque l’équation est le résultat d’un problème réel et déterminé. Le but qu’on se propose est de trouver la valeur ou les valeurs de s’il y en a plusieurs, qui satisfont à cette équation, c’est-à-dire qui rendent la somme de tous ses termes nulle ; alors toutes les autres valeurs qu’on pourrait donner à rendront cette même somme égale à une quantité positive ou négative ; et, comme il n’entre dans l’équation que des puissances entières de il est clair que toute valeur réelle de donnera aussi pour la quantité dont il s’agit une valeur réelle. Plus cette valeur approchera d’être nulle, plus la valeur de qui l’aura produite, approchera d’être une racine de l’équation ; et, si l’on trouve deux valeurs de dont l’une rende la somme de tous les termes égale à une quantité positive, et l’autre à une quantité négative, on pourra être assuré d’avance qu’entre ces deux valeurs il y en aura au moins nécessairement une qui la rendra égale à zéro, et qui sera par conséquent une racine de l’équation.

En effet, désignons en général par la somme de tous les termes de l’équation qui ont le signe et par la somme de tous les termes qui ont le signe en sorte que l’équation soit représentée par

supposons, pour plus de facilité, que les deux valeurs de soient positives, la plus petite, la plus grande, et que la substitution de à la place de donne un résultat négatif, et la substitution de un résultat positif, c’est-à-dire, que la valeur de devienne négative lorsqu’on y fait et positive lorsque

Donc, lorsque sera moindre que et lorsque sera plus grand que Or, par la forme des quantités et qui ne contiennent que des termes positifs et des puissances entières et positives de il est clair que ces quantités augmentent continuellement à mesure que augmente, et qu’en faisant augmenter par tous les degrés insensibles, depuis jusqu’à elles augmenteront aussi par degrés insensibles, mais de manière que augmentera plus que puisque, de la plus petite qu’elle était, elle devient la plus grande. Donc il y aura nécessairement un terme entre les deux valeurs et égalera comme deux mobiles, qu’on suppose parcourir une même droite, et qui, partant à la fois de deux points différents, arrivent en même temps à deux autres points, mais de manière que celui qui était d’abord en \pirière se trouve ensuite plus avancé que l’autre, doivent nécessairement se rencontrer dans leur chemin. Cette valeur de qui rendra égal à sera donc une des racines de l’équation, et tombera nécessairement entre les deux valeurs et

On pourra faire un raisonnement semblable sur les autres cas, et l’on parviendra toujours au même résultat.

On démontre aussi la proposition dont il s’agit, par la considération seule de l’équation, en la regardant comme formée du produit des facteurs

étant les racines ; car il est évident que ce produit ne peut changer de signe par la substitution de deux valeurs différentes de .

qu’autant qu’il y aura au moins un des facteurs qui changera de signe ; et même il est aisé de voir que, si plus d’un facteur changeait de signe, il faudrait que le nombre en fût impair. Ainsi, si et sont les deux valeurs de qui rendent le facteur par exemple, de signe différent, il faudra que, si est plus grand que soit plus petit, ou réciproquement donc la racine tombera nécessairement entre les deux quantités et

À l’égard des racines imaginaires, s’il y en a dans l’équation, comme il est démontré qu’elles sont toujours deux à deux de la forme

si et sont imaginaires, le produit des facteurs et sera

quantité toujours positive, quelque valeur qu’on donne d’où il suit que les changements de signe ne peuvent venir que des racines réelles. Mais, comme le théorème sur la forme des racines imaginaires ne se démontre rigoureusement qu’au moyen de cet autre théorème, que toute équation d’un degré impair a nécessairement une racine réelle, théorème dont la démonstration générale dépend elle-même de la proposition qu’il s’agit de démontrer, il s’ensuit que cette démonstration peut être regardée comme une espèce de cercle vicieux, et qu’il était nécessaire d’y en substituer une autre à l’abri de toute atteinte.

Mais il y a une manière plus générale et plus simple de considérer les équations, laquelle a l’avantage de faire voir à l’oeil même les propriétés principales des équations. Elle est fondée sur une espèce d’application de la Géométrie à l’Algèbre, qui mérite d’autant plus de vous être exposée, qu’elle a des usages très-étendus dans toutes les parties des Mathématiques.

Reprenons l’équation générale proposée ci-dessus, et représentons par des lignes droites toutes les valeurs successives qu’on pourrait donner à l’inconnue ainsi que les valeurs correspondantes que recevra le premier membre de l’équation. Pour cela, au lieu de supposer le second membre de l’équation égal à zéro, nous le supposerons égal à une quantité indéterminée nous porterons les valeurs de sur une droite indéfinie (fig. 1) en partant d’un point fixe sera zéro, et nous

Fig. 1.
courbe quelconque coupant plusieurs fois l’axe des abscisses
courbe quelconque coupant plusieurs fois l’axe des abscisses

prendrons les valeurs positives de sur la partie dirigée de la gauche à la droite ; par conséquent, les valeurs négatives de devront être prises sur la partie opposée dirigée de la droite à la gauche. Soit donc une valeur quelconque de pour représenter la valeur correspondante de nous mènerons par le point une perpendiculaire à la droite et, si la valeur de est positive, nous la porterons sur cette perpendiculaire en au-déssus de la droite il faudrait la prendre au-dessous de en partant également du point si elle était négative. On fera la même opération pour toutes les valeurs de tant positives que négatives, c’est-à-dire qu’on prendra les valeurs correspondantes de sur les perpendiculaires menées à tous les points de la droite, dont la distance au point sera égale à Les extrémités de toutes ces perpendiculaires formeront une ligne droite ou courbe, qui sera comme le tableau de l’équation

On nomme l’axe de la courbe, l’origine des abscisses, une abscisse, et l’ordonnée correspondante, et l’équation en et l’équation de la courbe. Cette courbe étant ainsi décrite, comme on le voit dans la fig. 1, il est clair que ses intersections avec l’axe don-

neront les racines de l’équation proposée (B)

car, comme cette équation n’a lieu que lorsque devient zéro dans l’équation de la courbe, les valeurs de qui satisfont à l’équation dont il s’agit et qui en sont les racines, ne pourront être que les abscisses qui répondent au point où les ordonnées sont nulles, c’est-à-dire où la courbe coupe l’axe Ainsi, en supposant que la courbe de l’équation en et soit celle de la fig. 1, les racines de l’équation proposée seront

Je donne le signe à ces dernières, parce que les intersections tombent de l’autre côté du point La considération de la courbe dont il s’agit donne lieu à des remarques générales sur les équations :

1o Comme l’équation de la courbe ne contient que des puissances entières et positives de l’inconnue il est clair qu’à chaque valeur de répondra une valeur déterminée de et que cette valeur sera unique et finie tant que sera fini ; mais, comme rien ne limite les valeurs de elles pourront être supposées infiniment grandes, tant positives que négatives, et il leur répondra aussi des valeurs de infiniment grandes ; d’où il suit que la courbe aura un cours continu et simple, et qu’elle pourra s’étendre à l’infini de côté et d’autre de l’origine

2o Il suit aussi de là que la courbe ne pourra passer d’un côté de l’axe à l’autre sans le couper, et qu’elle ne pourra revenir du même côté qu’après l’avoir coupé deux fois. Par conséquent, entre deux points de la courbe placés du même côté de l’axe, il y aura nécessairement un nombre pair d’intersections ; comme entre les points et on voit deux intersections en et et entre les points et on en voit quatre en et ainsi de suite. Au contraire, entre deux points placés l’un d’un côté et l’autre de l’autre côté de l’axe, la courbe aura un nombre impair d’intersections ; comme entre les points et il y a une intersection en entre les points et il y a trois intersections en et ainsi du reste.

Par la même raison, il ne pourra y avoir d’intersection sans que, en deçà et au delà du point d’intersection, il n’y ait des points de la courbe placés des deux côtés, comme les points par rapport à l’intersection Mais deux intersections, comme et pourraient se rapprocher au point de se réunir en alors la branche prendrait la forme de la ligne ponctuée et toucherait l’axe en de manière qu’elle serait toute au-dessus de l’axe ; c’est le cas où les deux racines deviendraient égales. Si trois intersections se réunissaient, ce qui a lieu dans le cas de trois racines égales, alors la courbe couperait de nouveau l’axe, comme dans le cas d’une seule intersection, et ainsi de suite.

Donc, si l’on a trouvé deux valeurs de de même signe, on sera assuré qu’entre les deux valeurs de qui y répondent il ne pourra tomber qu’un nombre pair de racines de l’équation proposée, c’est-à-dire qu’il n’y en aura aucune, ou qu’il y en aura deux ou quatre, etc. Au contraire, si l’on a trouvé deux valeurs de de signes différents, on sera assuré qu’entre les valeurs correspondantes de il tombera nécessairement un nombre impair de racines de la proposée, c’est-à-dire une, ou trois, ou cinq, etc., de sorte que, dans ce dernier cas, on en conclura sur-le-champ qu’il y aura au moins une racine de la proposée entre les deux valeurs de .

Réciproquement toute valeur de qui sera une racine de l’équation se trouvera entre des valeurs plus grandes et plus petites qui, étant prises pour rendront les valeurs correspondantes de de signe contraire.

Mais cela n’aurait point lieu si la valeur de était une racine double, c’est-à-dire, si l’équation contenait deux racines de cette même valeur. Au contraire, si la même valeur était une racine triple, il y aurait de même des valeurs plus grandes et plus petites qui rendraient les valeurs de de signes différents, et ainsi de suite.

Maintenant, si l’on considère l’équation de la courbe, il est d’abord visible qu’en y faisant on aura de sorte que le signe de l’ordonnée sera le même que celui de la quantité dernier terme de l’équation proposée. Ensuite il est aisé de voir qu’on y peut donner à une valeur positive ou négative, assez grande pour que le premier terme de l’équation surpasse la somme de tous les autres qui auront un signe contraire à de sorte que la valeur correspondante de aura alors le même signe que le premier terme Or, si est impair, sera positif ou négatif, suivant que sera positif ou négatif, et, si est pair, sera toujours positif, soit que soit positif ou négatif.

D’où l’on peut conclure

En premier lieu, que toute équation d’un degré impair, dont le dernier terme est négatif, a un nombre impair de racines entre et très-grand positif, et un nombre pair de racines entre et très-grand négatif, et par conséquent au moins une racine réelle positive ; qu’au contraire ; si le dernier terme de l’équation est positif, il y aura un nombre impair de racines entre et très-grand négatif, et un nombre pair de racines entre et très-grand positif, et par conséquent au moins une racine réelle négative ;

En second lieu, que toute équation d’un degré pair, dont le dernier terme est négatif, a un nombre impair de racines entre et très-grand positif, ainsi qu’entre et très-grand négatif, et par conséquent au moins une racine réelle positive et une racine réelle négative qu’au contraire, si le dernier terme est positif, il y aura un nombre pair de racines entre et très-grand positif, et pareillement un nombre pair de racines entre et très-grand négatif ; de sorte que, dans ce cas, l’équation peut n’avoir aucune racine réelle ni positive ni négative.

Nous avons dit que l’on pouvait toujours donner à une valeur assez grande pour que le premier terme de l’équation surpassât la somme de tous ceux de signe contraire. Quoique cette proposition n’ait pas besoin de démonstration, à cause que, la puissance étant plus haute que toutes les autres puissances de qui entrent dans l’équation, elle doit croître beaucoup plus rapidement que celles-ci, à mesure que augmente ; pour n’y laisser néanmoins aucun doute, nous allons la prouver d’une manière fort simple, qui aura même l’avantage de donnuer une limite, au delà de laquelle on sera assuré qu’aucune racine de l’équation ne pourra se trouver. Pour cela, supposons d’abord positif, et que soit le plus grand des coefficients des termes négatifs ; si l’on fait on aura

or

et de même

et ainsi de suite ; de sorte qu’on aura

Or cette quantité est évidemment plus grande que la somme de tous les termes négatifs de l’équation pris positivement, et en y faisant donc la suppositionde rendra nécessairement le premier plus grand que la somme de tous les termes négatifs ; par conséquent la valeur de sera du même signe que .

Le même raisonnement et le même résultat auront lieu pour le cas de négatif, en changeant seulement en dans l’équation proposée, pour changer les racines positives en négatives et réciproquement.

On prouvera de la même manière que, si l’on donne à une valeur quelconque plus grande que la valeur de sera toujours du même signe d’où, et de ce qui a été démontré ci-dessus, on conclura d’abord qu’il ne pourra y avoir aucune racine égale ou plus grande que

Donc, en général, si est le plus grand coefficient des termes négatifs d’une équation, et qu’en changeant l’inconnue en soit le plus grand coefficient des termes négatifs de la nouvelle équation, en supposant toujours le premier positif, toutes les racines réelles de l’équation seront nécessairement comprises entre les limites

Au reste, lorsque dans l’équation il y a plusieurs termes positifs avant le premier terme négatif, on pourra prendre pour une quantité moindre que le plus grand coefficient négatif. En effet, il est aisé de voir que la formule ci-dessus peut se mettre sous la forme

et pareillement sous celle-ci

et ainsi de suite.

D’où il est aisé de conclure que, si est l’exposant du premier terme négatif de l’équation proposée du degré et que soit le plus grand coefficient, des termes négatifs, il suffira de déterminer de manière que l’on ait

et, comme on peut prendre pour une valeur plus grande quelconque, il suffira que l’on ait c’est-à-dire

Il en sera de même de la quantité pour la limite des racines négatives.

Maintenant, si l’on change l’inconnue en on sait que les plus grandes racines de l’équation en deviennent les plus petites dans la transformée en et réciproquement ; on pourra donc, par cette transformation, après avoir ordonné les termes suivant les puissances de de manière que le premier terme de l’équation soit trouver de même les limites

des racines positives et négatives de l’équation en

Ainsi, étant plus grand que la plus grande valeur de ou de par la nature des fractions, sera réciproquement plus petit que la plus petite valeur de et de même, sera plus petit que la plus petite valeur négative de .

D’où l’on conclura entin que toutes les racines réelles positives seront nécessairement comprises entre les limites

et que les racines réelles négatives tomberont entre les limites

On a des méthodes pour trouver des limites plus resserrées ; mais, comme elles exigent quelque tâtonnement, la précédente est préférable, dans la plupart des cas, comme plus simple et plus commode.

Par exemple, si, dans l’équation proposée, on substitue à la place de et qu’après avoir ordonné les termes suivant les puissances de on donne à une valeur telle que les coefficients de tous les termes deviennent positifs, il est visible qu’il n’y aura alors aucune valeur positive de qui puisse satisfaire à cette équation elle n’aura donc plus que des racines négatives ; par conséquent sera une quantité plus grande que la plus grande valeur de . Or il est aisé de voir que ces coefficients seront exprimés ainsi

et ainsi de suite, et il n’y aura qu’à chercher, en tâtonnant, la plus petite valeur de qui les rendra tous positifs.

Mais il ne suffit pas le plus souvent d’avoir les limites des racines d’une équation, on a besoin de connaître les valeurs mêmes des racines, du moins d’une manière aussi approchée que les circonstances du problème peuvent le demander ; car chaque problème conduit en dernière analyse a une équation qui en renferme la solution ; et, si l’on n’a pas des moyens de résoudre cette équation, tout le calcul qu’on a fait est en pure perte. On peut donc regarder ce point comme le plus important de toute l’Analyse, et, par cette raison, j’ai cru devoir en faire l’objet principal de cette Leçon. Il suit des principes établis plus haut sur la nature de la courbe dont les ordonnées représententtoutes les valeurs du premier membre d’une équation que, si l’on avait un moyen de la décrire, on aurait tout de suite, par ses intersections avec l’axe, toutes les racines de l’équation proposée ; mais il n’est pas nécessaire d’avoir pour cela la courbe entière il suffit de connaître les parties qui sont de part et d’autre de chaque intersection. Or on peut trouver autant de points de chaque courbe que l’on veut, aussi proches entre eux qu’on voudra, en substituant successivement pour différents nombres assez voisins l’un de l’autre, et en prenant pour les résultats de ces substitutions dans le premier membre de l’équation. Si, dans la suite de ces résultats, il s’en trouve deux de signes contraires, on sera assuré, par les principes posés ci-dessus, qu’il y aura au moins une racine réelle entre les deux valeurs de qui les ont donnés ; alors on pourra, par de nouvelles substitutions, resserrer ces deux limites et approcher aussi près qu’on voudra de la racine cherchée.

En effet, si l’on nomme la plus petite et la plus grande des deux valeurs de qui ont donné des résultats de signes contraires, et qu’on demande la valeur de la racine exacte au nombre près, étant une fraction aussi petite qu’on voudra, on substituera successivement à la place de les nombres en progression arithmétique

ou

jusqu’à ce qu’on arrive à un résultat de signe contraire à celui de la substitution de ou de alors les deux valeurs successives de qui auront donné des résultats de signes contraires seront nécessairement l’une plus grande et l’autre plus petite que la racine cherchée ; et comme ces valeurs ne diffèrent par l’hypothèse que du nombre il s’ensuit que

chacune d’elles approchera de la racine plus que de là quantité de sorte que l’erreur sera moindre que .

Mais comment déterminer les premières valeurs à substituer pour de sorte que, d’un côté, on ne fasse pas trop de tâtonnements inutiles, et que de l’autre on soit assuré de découvrir par ce moyen toutes les racines réelles de l’équation ? En considérant la courbe de l’équation, il est aisé de voir que tout se réduit à prendre les valeurs telles, qu’il y en ait au moins une qui tombe entre deux intersections voisines, ce qui arrivera nécessairement si la différence entre deux valeurs consécutives est moindre que la plus petite distance entre deux intersections voi\sin\varepsilons.

Ainsi, supposant que soit une quantité plus petite que la plus petite distance entre deux intersections qui se suivent immédiatement, on formera la progression arithmétique

et l’on ne prendra de cette progression que les termes qui tomberont entre les limites

déterminées par la méthode donnée ci-dessus ; on aura les valeurs qui, étant substituées pour feront connaître toutes les racines pôsitives de l’équation, et donneront en même temps les premières limites de chaque racine. On formera de même pour les racines négatives la progression

dont on ne prendra que les termes contenus entre les limites

Voilà la difficulté résolue ; mais il s’agit de trouver la quantité par la condition qu’elle soit plus petite que le plus petit intervalle entre deux intersections voisines de la courbe avec l’axe. Comme les abscisses qui répondent aux intersections sont les racines mêmes de l’équation pro-

posée, il est clair que la question se réduit à trouver une quantité plus petite que la plus petite différence entre les deux racines, abstraction faite de leur signe ; il n’y aurait donc qu’à chercher, par les méthodes dont on a parlé dans les leçons du cours principal, l’équation dont les racines seraient les différences entre les racines de la proposée. On chercherait, par les moyens exposés plus haut, une quantité plus petite que la plus petite racine de cette dernière équation, et l’on prendrait cette quantité pour la valeur de .

Cette méthode ne laisse, comme l’on voit, rien à désirer pour la solution rigoureuse du problème ; mais elle a l’inconvénient d’exiger un calcul fort long, surtout si l’équation proposée est d’un degré un peu élevé. En effet, on a vu que, si est le degré de l’équation primitive, celui de l’équation des différences sera parce que chacune des racines pouvant être soustraite de toutes les autres, qui sont au nombre de il en résulte différences ; mais, comme chaque différence peut être positive ou négative, il s’ensuitque l’équation des différences doit avoir les mêmes racines en plus et en moins ; que par conséquent elle doit manquer de tous les termes où l’inconnue serait élevée à une puissance impaire, de sorte que, en prenant le carré des différences pour inconnue, cette inconnue n’y montera qu’au degré Il faudrait donc, pour une équation du degré trouver d’abord une transformée du degré ce qui peut être d’une longueur extrême et rebutante, si est un nombre un peu grand. Par exemple, pour une équation du dixième degré, la transformée serait du quarante-cinquième. Comme cet inconvénient peut rendre, dans beaucoup de cas, la méthode presque impraticable, il est important de chercher un moyen d’y remédier. Pour cela, reprenons l’équation proposée du degré

dont les racines soient on aura donc

et de mêmes

Soit donc substituons cette valeur deb dans la seconde équation, et si, après avoir développé par la formule connue les différentes puissances de on ordonne l’équation résultante suivant les puissances de en commençant par les moins hautes, on aura une transformée de cette forme

dans laquelle on aura

et ainsi de suite, la loi des termes étant visible.

Or, par la première équation en on a donc, effaçant le terme de l’équation en et divisant tous les autres par elle ne montera plus qu’au degré et sera par conséquent

Cette équation aura donc pour racines les différences entre la racine et les autres racines De même, si l’on substitue à la place de dans les expressions des coefficients on aura l’équation dont les racines seront les différences entre la racine et les autres racines et ainsi de suite.

Donc, si l’on peut trouver une quantité plus petite que la plus petite racine de toutes ces équations, elle aura la condition demandée, et pourra être prise pour la quantité dont on cherche la valeur.

Si l’on éliminait de l’équation en au moyen de l’équation on aurait une équation en qui renfermerait toutes celles dont nous venons de parler, et dont il n’y aurait qu’à chercher la plus petite racine. Mais cette équation simple en ne serait autre chose que l’équation des différences dont on voudrait se passer.

Faisons, dans l’équation ci-dessus en on aura cette transformée en

et le plus grand coefficient négatif de cette équation donnera, par ce qui a été démontré plus haut, une valeur plus grande que sa plus grande racine ; de sorte qu’en nommant ce plus grand coefficient, sera une quantité plus grande que la plus grande valeur de par conséquent, sera une quantité plus petite que la plus petite valeur positive de et l’on trouvera de même une quantité plus petite que la plus petite valeur négative de Ainsi l’on pourra prendre pour la plus petite de ces deux quantités, ou une quantité quelconque plus petite que l’une et l’autre.

Pour avoir un résultat plus simple et indépendantdes signes, on peut réduire la question à trouver une quantité plus grande que chacun des coefficients de l’équation en abstraction faite des signes, et il est clair que, si l’on trouve une quantité plus petite que la plus petite valeur de et une quantité plus grande que la plus grande valeur de chacune des quantités abstraction faite des signes, on pourra prendre

Commençons par chercher les valeurs de Il n’est pas difficile de prouver par les principes établis ci-dessus que, si est, comme plus haut, la limite des racines positives, et la limite des racines négatives de l’équation proposée, et qu’on substitue successivement dans les expressions de à la place de et en ne tenant compte que des termes qui auront le même signe que le premier, on aura des quantités plus grandes que les plus grandes valeurs positives et négatives de répondant aux racines de l’équation proposée ; de sorte qu’on pourra prendre pour la plus grande de ces différentes quantités, abstraction faite des signes.

Il ne restera donc plus qu’à trouver une valeur plus petite que la plus petite de or il ne paraît pas qu’on puisse y parvenir autrement que par le moyen de l’équation dont les différentes valeurs de seraient les racines, équation qui ne peut êtré que le résultat de l’élimination de entre ces deux-ci

Il est aisé de démontrer, par la théorie connue de l’élimination, que l’équation résultante en ne sera que du degré c’est-à-dire du même degré que la proposée, et l’on peut démontrer aussi par la forme des racines de cette équation qu’elle manquera de son pénultième terme. Si donc on cherche, par la méthode donnée plus haut, une quantité plus petite, abstraction faite du signe, que la plus petite racine de cette équation, cette quantité pourra être prise pour ainsi le problème est résolu moyennant une équation d’un même degré que la proposée. Voici à quoi la solution se réduit ; je conserveraipour plus de simplicité la lettre à la place de

Étant proposée l’équation du degré

soit le plus grand coefficient des termes négatif, et l’exposant de dans le premier terme négatif ; soit de même le plus grand coefficient des termes de signes contraires au premier, en changeant en et l’exposant de dans le premier terme de signe contraire au premier ; on fera

et l’on aura d’abord et pour les limites des racines positives et négatives. On substituera successivement ces limites à la place de dans les formules suivantes, en n’ayant égard qu’aux termes qui se trou-

veront du même signe que le premier,

et ainsi de suite ; le nombre de ces formules sera et l’on nommera la plus grande des quantités qu’on aura de cette manière, en faisant abstraction des signes. On fera ensuite l’équation

et l’on éliminera au moyen de l’équation proposée ; ce qui donnera une équation en du même degré qui manquera de son pénultième terme. Soient le dernier terme de cette équation en le plus grand coefficient des termes de signe contraire à en supposant tant positif que négatif ; ces deux quantités et étant prises positivement, on déterminera par l’équation

en prenant égal à l’exposant du dernier terme du signe contraire à On prendra ensuite égal ou plus petit que la quantité et l’on formera les progressions arithmétiques

que l’on continuera, de part et d’autre, entre les limites et les termes de ces progressions, étant successivementsubstitués pour dans l’équation proposée, mettront en évidence toutes les racines réelles, tant positives que négatives, par les changements de signe dans la suite des résultats de ces substitutions, et en donneront en même temps les premières limites, qu’on pourra ensuite resserrer à volonté, ainsi qu’on l’a fait voir plus haut.

Si le dernier terme V de l’équation en résultant de l’élimination de est nul, alors sera nul, et par conséquent sera égal à zéro ; mais, dans ce cas, il est clair que l’équation en aura une racine égale à zéro, et même deux, par le manque du pénultième terme ; par conséquent, l’équation

aura lieu en même temps que la proposée. Ces deux équations auront donc un diviseur commun, qu’on pourra trouver par la méthode connue, et ce diviseur, égalé à zéro, donnera une ou plusieurs racines de la proposée, qui seront en même temps des racines doubles ou multiples, comme il est facile de le prouver par la théorie précédente ; car alors le dernier terme de l’équation en sera nul ; par conséquent on aura

L’équation en par l’évanouissement de son dernier terme, s’abaissera au degré parce qu’elle se trouvera divisible par Si, après cette division, son dernier terme était encore nul, ce serait une marque qu’elle aurait plus de deux racines égales à zéro, et ainsi de suite. On la diviserait donc autant de fois par qu’il serait possible, et l’on prendrait ensuite son dernier terme pour et le plus grand coefficient des termes de signes contraires à pour pour avoir la valeur de qui servira à faire connaître toutes les autres racines de la proposée. Si la proposée est du troisième degré, comme

on trouvera pour l’équation en

Si la proposée était

on trouverait celle-ci en

et ainsi de suite.

Au reste, comme la recherche de l’équation en peut être pénible par les méthodes ordinaires d’élimination, voici des formules générales dont la démonstration dépend des propriétés connues des équations.

On formera d’abord, d’après les coefficients de la proposée, les quantités de cette manière :

On substituera dans l’expression de dans celles de de jusqu’à après le développement des termes en les quantités pour pour pour et l’on désignera par les valeurs de résultant de ces substitutions.

Alors on n’aura plus qu’à former les quantités par les formules

et l’on aura cette équation en

La valeur ou plutôt la limite de qu’on trouvera par la méthode que nous venons d’exposer, pourra être souvent beaucoup plus petite qu’il ne serait nécessaire pour faire découvrir toutes les racines ; mais il n’y aura à cela d’autre inconvénient que d’augmenter le nombre des substitutions successives à faire pour dans la proposée. D’ailleurs, lorsqu’on a trouvé autant de résultats qu’il y a d’unités dans l’exposant du degré de l’équation, on peut les continuer aussi loin qu’on veut par la simple addition des différences premières, secondes, etc., parce que les différences de l’ordre qui répond à ce degré seront toujours constantes.

On a vu plus haut comment on peut décrire la courbe de l’équation proposée par plusieurs points, en donnant successivement aux abscisses différentes valeurs, et prenant pour les ordonnées les valeurs résultantes du premier membre de l’équation ; mais on peut trouver aussi ces valeurs de par une construction fort simple, qui mérite de vous être exposée. Représentons l’équation proposée par

en prenant les termes dans l’ordre inverse ; l’équation à la courbe sera

Ayant mené (fig. 2) la ligne droite qu’on prendra pour l’axe des

Fig. 2.
3 perpendiculaires à un axe découpées illustrant une équation de degré quelconque
3 perpendiculaires à un axe découpées illustrant une équation de degré quelconque

abscisses dont sera l’origine, on prendra sur cette ligne la partie égale à l’unité des quantités qu’on peut supposer exprimées par des nombres, et l’on élèvera aux points les perpendiculaires On prendra ensuite sur la ligne les parties

et ainsi de suite. Soit maintenant et soit menée au point la perpendiculaire Supposons, par exemple, que soit le dernier des

coefficients en sorte que la proposée ne soit que du troisième degré, et qu’il s’agisse d’avoir la valeur de

Le point étant ainsi le dernier de ceux qui ont été déterminés sur la perpendiculaire et le point l’avant-dernier, on mènera par la parallèle à l’axe et par le point où cette ligne coupe la perpendiculaire on mènera au point la droite Ensuite par le point où cette droite coupe la perpendiculaire on mènera parallèle à et par le point où cette parallèle coupe la perpendiculaire on mènera au point la droite De même, par le point où cette droite coupe la perpendiculaire on mènera la parallèle à et par le point où cette parallèle coupe la perpendiculaire on mènera à la première division de la perpendiculaire la droite Le point où cette droite coupera la perpendiculaire donnera la partie

En effet, soit menée par la parallèle à l’axe Les deux triangles semblables et donneront

ajoutant on aura

De même, les deux triangles semblables donneront

ajoutant on aura

Enfin les triangles semblables et donneront

ajoutant on aura

La même construction et la même démonstration auront lieu, quel que soit le nombre des termes de l’équation proposée.

Il faudra seulement avoir soin, si quelques-uns des coefficients étaient négatifs, de les prendre dans le sens opposé. Par exemple, si était négatif, il faudrait prendre la partie au-dessous de l’axe Ensuite on partirait de même du point pour y ajouter la partie égale à si est positif, on prendra dans le sens mais, si était négatif, il faudrait prendre dans le sens opposé, et ainsi des autres.

À l’égard de on prendra dans le sens de supposé égal à l’unité positive, lorsque sera positif ; mais on prendrait dans le sens opposé, si était négatif.

Il ne serait pas difficile, au reste, de former, d’après cette construction, un instrument qui s’appliquerait à toutes les valeurs des coefficients et qui, au moyen de quelques règles mobiles avec des charnières, donnerait pour chaque point de la droite le point correspondant et qui servirait à décrire la courbe même par un mouvement continu. Cet instrument pourrait ainsi servir à résoudre toutes les équations ; du moins servirait-il à trouver les premières valeurs approchées des racines, par lesquelles on en trouvera ensuite de plus exactes.


LEÇON CINQUIÈME.

sur l’usage des courbes dans la solution des problèmes.

Tant que l’Algèbre et la Géométrie ont été séparées, leurs progrès ont été lents et leurs usages bornés ; mais lorsque ces deux sciences se sont réunies, elles se sont prêté des forces mutuelles et ont marché ensemble d’un pas rapide vers la perfection. C’est à Descartes qu’un doit l’application de l’Algèbre à la Géométrie, application qui est devenue la clef des plus grandes découvertes dans toutes les branches des Mathématiques. La méthode que je vous ai exposée dernièrement pour trouver et démontrer plusieurs propriétés générales des équations par la considération des courbes qui les représentent, est proprement une espèce d’application de la Géométrie à l’Algèbre ; et, comme cette méthode a des usages très-étendus, et peut servir à résoudre facilement des Problèmes dont la solution directe serait très-difficile ou même impossible, je crois devoir vous en entretenir encore dans cette séance, d’autant plus qu’on ne la trouve guère dans les Éléments ordinaires d’Algèbre.

Vous avez vu comment une équation d’un degré quelconque peut se résoudre par le moyen de la courbe dont les abscisses représentent l’inconnue de l’équation, et dont les ordonnées sont égales à la valeur du premier membre de l’équation pour chaque valeur qu’on donne à l’inconnue. Il est clair que cette méthode peut s’appliquer en général à toutes les équations, quelle que soit leur forme, et qu’elle ne demande pas que l’équation soit développée et ordonnée par rapport aux différentes puissances de l’inconnue. Il suffit donc que tous les termes de l’équation soient dans un seul membre, en sorte que l’autre membre soit égal à zéro ; alors, en prenant de même l’inconnue pour l’abscisse et la fonction de l’inconnue, c’est-à-dire la quantité composée de cette inconnue et des connues, laquelle forme l’un des membres de l’équation, pour l’ordonnée la courbe décrite d’après ces ordonnées et donnera, par ses intersections avec l’axe, les valeurs de qui seront les racines cherchées de l’équation donnée. Et comme le plus souvent on n’a pas besoin de connaître toutes les valeurs possibles de l’inconnue, mais seulement celles qui peuvent résoudre le Problème dans le cas dont il s’agit, il suffira de décrire la portion de courbe qui pourra répondre à ces valeurs, ce qui épargnera beaucoup de calculs inutiles. On pourra même de cette manière juger d’abord, par la figure de la courbe, si le Problème a des solutions possibles, conformément aux circonstances qui peuvent les limiter.

Supposons, par exemple, que l’on demande de trouver, sur la ligne qui joint deux lumières dont l’intensité est donnée, le point qui recevra une quantité de lumière donnée, en partant de ce principe de Physique, que l’effet d’une lumière décroît dans le même rapport que le carré de la distance augmente.

Nommons la distance entre les deux lumières, et la distance du point cherché à l’une des lumières, dont l’intensité ou la quantité de lumière à la distance soit celle de l’autre lumière étant on aura et pour exprimer les effets de ces deux lumières sur le point en question ; de sorte que, désignant l’effet total donné par on aura l’équation

ou bien

On considérera donc la courbe dont l’équation sera

et l’on verra d’abord qu’en donnant à une valeur très-petite, positive ou négative, le terme deviendra très-grand positif, parce qu’une fraction augmente d’autant plus que son dénominateur diminue, de sorte qu’il sera infini au point où . Ensuite, croissant, le terme ira en diminuant ; mais l’autre terme qui était lorsque augmentera continuellement, jusqu’à devenir très-grand ou infini lorsque aura une valeur très-voisine de ou égale à

Si donc la somme des deux termes peut devenir moindre que la quantité donnée en donnant à des valeurs depuis zéro jusqu’à la valeur de qui était d’abord très-grande positive, deviendra négative, et redeviendra très-grande positive ; par conséquent, la courbe coupera l’axe deux fois entre les deux lumières, et le Problème aura deux solutions. Ces deux solutions se réduiront à une seule, si la plus petite valeur de

était exactement égale à et elles deviendront imaginaires si cette valeur était plus grande que parce qu’alors la valeur de serait toujours positive depuis jusqu’à d’où l’on voit que, si c’est une condition du Problème que le point demandé tombe entre les deux lumières, il est possible que le Problème n’ait aucune solution ; mais, si le point peut tomber sur le prolongement de la ligne qui joint les deux lumières, nous allons voir que le Problème est toujours résoluble de deux manières. En effet, en supposant négatif, il est visible que le terme restera toujours positif, et de très-grand qu’il est près du point où il ira toujours en diminuant lorsque croîtra, jusqu’à devenir très-petit ou nul lorsque sera très-grand ou infini ; l’autre terme sera d’abord et ira aussi en diminuant jusqu’à devenir nul lorsque sera devenu infini négatif. Il en sera de même en supposant positif et plus grand que car, lorsque le terme sera infini ; ensuite il ira en diminuant jusqu’à devenir nul lorsque sera infini, et l’autre terme sera d’abord et ira aussi en diminuant jusqu’à zéro à mesure que croîtra.

Donc, quelle que soit la valeur de la quantité il est visible que les valeurs de passeront nécessairement du positif au négatif, tant pour les négatives que pour les plus grandes que Ainsi il y aura une valeur négative de et une valeur positive plus grande que qui résoudront le Problème dans tous les cas. On les trouvera par la méthode générale, en rapprochant successivement les valeurs de qui donneront des valeurs de de signes contraires.

À l’égard des valeurs de moindres que nous avons vu que la réalité de ces valeurs dépend de la plus petite valeur de la quantité

on verra dans le Calcul différentiel comment on détermine les plus petites et les plus grandes valeurs d’une quantité variable ; nous nous

contenterons de remarquer ici que la quantité dont il s’agit sera la plus petite ou un minimum, lorsque

de sorte qu’on aura

et de là on trouvera, pour la plus petite valeur de la quantité dont il s’agit,

par conséquent, il y aura deux valeurs réelles de si cette quantité est moindre que mais ces valeurs seront imaginaires si elle est plus grande. Le cas de l’égalité donnera deux valeurs de égales entre elles.

Je me suis un peu étendu sur l’analyse de ce Problème, qui n’est, au reste, que de pure curiosité, parce qu’elle peut servir pour tous les cas semblables.

L’équation du Problème précédent, étant délivrée des fractions, sera de cette forme

laquelle, étant développée et ordonnée, montera au quatrième degré, et aura par conséquent quatre racines ; ainsi, par l’analyse que nous venons de donner, on pourra connaître tout de suite la nature de ces racines. Comme il peut résulter de là une méthode applicable à toutes les équations du quatrième degré, nous allons en dire un mot en passant. Soit donc l’équation générale

on a déjà vu que, si son dernier terme est négatif, elle aura nécessairement deux racines réelles, l’une positive et l’autre négative ; mais, si ce terme est positif, on n’en peut rien conclure en général sur la nature

de ses racines. Qu’on donne à cette équation la forme

laquelle, étant développée, devient

d’où l’on tire, en comparant les termes,

et de là

de sorte qu’en résolvant cette dernière équation, on aura

Or nous supposons ici positif ; donc sera réel positif, et par conséquent réel ; donc aussi et seront réels.

Ayant donc déterminé de cette manière les trois quantités , on aura la transformée

Si l’on fait le second membre de cette équation et qu’on considère la courbe dont seront les abscisses et les ordonnées, il est d’abord visible que, lorsque et seront des quantités positives, cette courbe sera toute au-dessus de l’axe ; par conséquent l’équation n’aura aucune racine réelle. Supposons, en second lieu, que soit une quantité négative, et une quantité positive ; alors donnera quantité négative ; ensuite très-grand positif et négatif donneront très-grand positif ; d’où il est aisé de conclure que l’équation aura deux racines réelles, l’une plus grande que et l’autre moindre que On trouvera de même que, si est positif et c négatif, l’équation aura

deux racines réelles, l’une plus grande et l’autre moindre que Enfin, si et sont tous les deux négatifs, alors sera négatif, en faisant

ensuite il sera positif très-grand pour très-grand positif ou négatif ; d’où l’on conclura encore qu’il y aura deux racines réelles, l’une plus grande que l’autre moindre que On pourrait pousser ces considérations plus loin, mais nous ne nous y arrêterons pas davantage quant à présent.

On a vu, par l’Exemple précédent, que la considération de la courbe ne demande pas que l’équation soit délivrée des expressions fractionnaires on doit dire la même chose relativement aux expressions radicales il y a même un avantage à y conserver ces expressions telles que l’analyse du Problème les donne ; c’est qu’on peut n’avoir égard qu’aux signes des radicaux qui conviendront aux circonstances particulières de chaque Problème, au lieu qu’en faisant disparaître les fractions et les radicaux, pour avoir l’équation ordonnée suivant les différentes puissances entières, de l’inconnue, on introduit souvent des racines étrangères à la question proposée. Il est vrai que ces racines appartiennent toujours à la même question considérée dans toute son étendue mais cette richesse de l’Analyse algébrique, quoique très-précieuse en elle-même et sous un point de vue général, devient incommode et onéreuse dans les cas particuliers où l’on ne peut, par les méthodes directes, trouver la solution dont on a besoin, indépendamment de toutes les autres solutions possibles. Lorsque l’équation qui résulte immédiatement des conditions du Problème renferme des radicaux dont le signe est essentiellement ambigu, la courbe de cette équation (en y faisant le membre, qui doit être zéro, égal à l’ordonnée ) aura nécessairement autant de branches qu’il pourra y avoir de combinaisoris différentes de ces signes, et pour la solution complète il faudrait considérer chacune de ces branches ; mais cette généralité peut être restreinte par les conditions particulières du Problème, qui déterminent la branche où la solution doit se trouver alors on a l’avantage de ne point faire de calculs inutiles, et cet avantage n’est pas un des moindres qu’offre la méthode de résoudre les équations par la considération des courbes.

Mais cette méthode peut être encore généralisée, et rendue indépendante de l’équation même du Problème. Il sufl’it, pour pouvoir l’employer, de considérer les conditions du Problème en elles-mêmes, de donner à l’inconnue différentes valeurs arbitraires, et de déterminer d’après ces conditions, soit par le calcul ou par une construction, les erreurs qui en résultent. Ces erreurs étant regardées comme ordonnées d’une courbe dont les abscisses seraient les valeurs correspondantes de l’inconnue, il en résultera une courbe continue, qu’on appellera la courbe des erreurs, et qui, par ses intersections avec l’axe, donnera également toutes les solutions du Problème. Ainsi, si l’on trouve deux erreurs successives, l’une en excès et l’autre en défaut, c’est-à-dire, l’une positive et l’autre négative, on en conclura sur-le-champ qu’entre ces deux valeurs correspondantes de l’inconnue il y en aura une pour laquelle l’erreur sera nulle, et dont on pourra approcher aussi près qu’on voudra par des substitutions successives, ou même aussi par la description mécanique de la courbe.

Cette manière de résoudre les questions par les courbes des erreurs est une des plus utiles qu’on ait imaginées ; elle est d’un usage continuel en Astronomie, où les solutions directes seraient trop difficiles et souvent impossibles ; elle peut servir à résoudre des Problèmes importants de Géométrie et de Mécanique, et même de Physique c’est, à proprement parler, la règle de fausse position prise dans le sens le plus général et rendue applicable à toutes les questions où il y a une inconnue à déterminer. Elle peut s’appliquer aussi à celles qui dépendent de deux ou plusieurs inconnues, en donnant successivement à ces inconnues différentes valeurs arbitraires, et calculant les erreurs qui en résultent, pour les lier par différentes courbes ou les réduire en Tables ; de sorte que par cette méthode on peut parvenir immédiatement à la solution cherchée, sans aucune élimination préliminaire des inconnues.

Nous allons en faire voir l’usage par quelques Exemples.

On demande un cercle dans lequel on puisse inscrire un polygone dont tous les côtés soient donnés.

Ce Problème, mis en équation, monterait à un degré d’autant plus haut que le nombre des côtés donnés serait plus grand. Pour le résoudre par la méthode dont nous venons de parler, on décrira d’abord un cercle à volonté, comme (fig. 3), et l’on portera dans ce cercle les côtés donnés

du polygone que je suppose ici, pour plus de simplicité, un pentagone.

Fig. 3.
trouver un cercle pour inscrire un pentagone donné
trouver un cercle pour inscrire un pentagone donné

Si l’extrémité du dernier côté tombait en le Problème serait résolu mais, comme il est très-difficile que cela arrive du premier coup, on portera sur une ligne droite (fig. 4) le rayon du cercle, et

Fig. 4.
courbe coupant un axe
courbe coupant un axe

l’on élèvera au point la perpendiculaire égale à la corde de l’arc dans lequel consiste l’erreur de la supposition qu’on a faite sur la longueur du rayon Comme cette erreur est un excès, il faudra

décrire un cercle d’un rayon plus grand, et faire la même opération, et ainsi de suite, en essayant des cercles de différentes grandeurs. Ainsi le cercle dont le rayon est donnera l’erreur laquelle, tombant de l’autre côté du point devra être censée négative ; par conséquent, dans la fig. 4, à l’abscisse il faudra appliquer l’ordonnée au-dessous de l’axe. De cette manière on aura plusieurs points qui seront dans une courbe dont l’intersection avec l’axe donnera le vrai rayon du cercle qui satisfera à la question, et l’on trouvera cette intersection en resserrant successivement les points de la courbe qui se trouveront de côté et d’autre de l’axe, comme
D’un point dont la position est inconnue, on a observé trois objets dont les distances respectives sont connues, et l’on a déterminé les trois angles formés par les rayons visuels, menés de l’œil de l’observateur à ces trois objets. On demande la position du lieu de l’observateur par rapport aux mêmes objets.

Si on lie les trois objets par des lignes droites, il est visible que ces trois droites avec les trois rayons visuels formeront une pyramide triangulaire dont la base sera donnée, ainsi que les trois angles qui forment l’angle solide du sommet auquel l’observateur est supposé placé, et la question sera réduite à déterminer les dimensions de cette pyramide.

Comme la position d’un point dans l’espace est entièrement déterminée par ses trois distances à trois points donnés, il est clair que le Problème sera résolu, si l’on détermine les trois distances du point où est l’observateur à chacun des trois objets or, en prenant ces distances pour inconnues, on aurait trois équations du second degré qui, par l’élimination, donneraient une équation finale du huitième degré ; mais, en prenant pour inconnues une des distances et les rapports des deux autres à celle-ci, l’équation finale ne sera que du quatrième degré. On pourrait donc résoudre ce Problème rigoureusement par les méthodes connues ; mais, la solution directe étant compliquée et peu commode pour la pratique, voici celle qu’on pourra trouver par la courbe des erreurs. Soient faits (fig. 5) les trois angles successifs

ayant le même sommet égaux respectivement aux angles observés entre le premier objet et le second, entre le second et le troisième, et

Fig. 5.
3 angles de vue sur 3 objets
3 angles de vue sur 3 objets

entre le troisième et le premier ; et soit d’abord prise la droite à volonté, pour représenter la distance de l’observateur au premier objet. Comme la distance de cet objet au second est supposée connue, si elle est égale à la ligne on la portera en et l’on aura ainsi la distance du second objet à l’observateur. De même, on portera en la distance du second objet au troisième, et l’on aura la distance de cet objet à l’observateur. Maintenant, si l’on porte en la distance du troisième objet au premier, on aura de nouveau pour la distance du premier objet à l’observateur ; par conséquent il faudra, pour que la première distance supposée soit exacte, que les deux lignes soient égales. Prenant donc sur la ligne prolongée s’il est nécessaire, la partie si le point ne tombe point en la différence sera l’erreur de la première supposition Ayant tiré (fig. 6)

Fig. 6.
intersection d’une courbe sur un axe horizontal
intersection d’une courbe sur un axe horizontal

la droite on y prendra depuis le point fixe l’abscisse et l’on y appliquera, à angle droit, l’ordonnée on aura le point de la

courbe des erreurs. En prenant d’autres distances à la place de et faisant la même construction, on trouvera d’autres erreurs qu’on appliquera de même sur la ligne et qui donneront d’autres points de la même courbe.

On pourra donc décrire ainsi cette courbe par plusieurs points, et le point où elle coupera l’axe donnera la distance dont l’erreur sera nulle, et qui sera, par conséquent, la véritable distance de l’observateur au premier objet ; cette distance étant connue, on aura les deux autres par la même construction.

Il est bon de remarquer que la construction dont il s’agit donne, pour chaque point de la ligne deux points et dans la ligne car, puisque la distance est donnée, pour trouver le point il n’y a qu’à décrire du point comme centre, et avec le rayon un arc de cercle qui coupera la droite en deux points et lesquels satisferont tous les deux aux conditions du Problème. De la même manière, chacun de ces points en donnera deux sur la droite et chacun de ceux-ci en donnera aussi deux sur la droite d’où il suit que chaque point pris sur la première droite en donnera généralement huit sur ia droite qu’il faudra donc considérer séparément et successivement pour avoir toutes les solutions possibles. J’ai dit généralement ; car il est possible 1o que les deux points se réunissent en un seul, ce qui aura lieu lorsque le cercle décrit du centre avec le rayon touchera la droite 2o que ce cercle ne coupe point la droite auquel cas le reste de la construction devient impossible, et il faudra dire la même chose des points Ainsi, en menant la ligne parallèle à et éloignée de celle-ci d’une distance égale à la ligne donnée le point où elle coupera la ligne prolongée s’il est nécessaire, sera la limite au delà de laquelle il ne faudra point prendre les points pour avoir des solutions possibles. On aura de même des limites pour les points et lesquelles serviront à restreindre les suppositions primitives qu’on pourrait faire sur la distance

Les huit points qui dépendent en général de chaque point pondent aux huit solutions dont le Problème est susceptible, et, lorsqu’on n’a aucune donnée particulière par laquelle on puisse déterminer laquelle de ces solutions convient au cas proposé, il est indispensable de les chercher toutes, en employant pour chacune des huit combinaisons une courbe particulière des erreurs. Mais, si l’on sait, par exemple, que la distance de l’observateur au second objet est plus grande ou plus petite que sa distance au premier, il ne faudra prendre alors dans la ligne que le point dans le premier cas, ou le point dans le second, ce qui diminuera les huit combinaisons de moitié. Si l’on avait la même donnée sur le troisième objet, relativement au second, et sur le premier, relativement au troisième, alors les points et seraient déterminés, et l’on n’aurait qu’une solution unique.

Ces deux Exemples peuvent suffire pour montrer l’usage de la méthode de ces courbes dans la résolution des Problèmes ; mais cette méthode, que nous n’avons présentée que d’une manière pour ainsi dire mécanique, peut aussi être soumise à l’Analyse.

En effet, tout se réduit à décrire ou faire passer une courbe par plusieurs points, soit que ces points soient donnés par le calcul ou par une construction, ou même par des observations ou des expériences isolées et indépendantes les unes des autres. Ce Problème est, à la vérité, indéterminé car on peut, à la rigueur, faire passer par des points donnés une infinité de courbes différentes, régulières ou irrégulières, c’est-à-dire soumises à des équations, ou tracées arbitrairement à la main ; mais il ne s’agit pas de trouver des solutions quelconques, mais les plus simples et les plus aisées à employer.

Ainsi, s’il n’y avait que deux points donnés, la solution la plus simple serait une ligne droite qu’on mènerait par ces points. S’il y a trois points, on pourrait faire passer par ces points un arc de cercle, qui est, après la droite, la ligne la plus facile à décrire.

Mais, si le cercle est la courbe la plus simple par sa description, elle ne l’est pas par son équation entre les abscisses et les ordonnées rectangles. Sous ce dernier point de vue, on peut regarder comme les plus simples les courbes dont l’ordonnée est exprimée par une fonction entière et rationnelle de l’abscisse, telle que

étant l’ordonnée et l’abscisse. Ces sortes de courbes s’appellent en général paraboliques, parce qu’on peut les regarder comme une généralisation de la parabole, qui a lieu lorsque l’équation n’a que les trois premiers termes. Nous en avons déjà montré l’usage dans la résolution des équations ; mais leur considération est toujours utile dans la description approchée des courbes ; car on peut toujours faire passer une courbe de ce genre par tant de points qu’on voudra d’une courbe proposée, puisqu’il n’y a qu’à prendre autant de coefficients indéterminés qu’il y a de points proposés, et déterminer ces coefficients de manière que les abscisses et les ordonnées, pour ces points, soient données. Or il est clair que, quelle que puisse être la courbe proposée, la courbe parabolique ainsi tracée en différera toujours d’autant moins que le nombre des points donnés sera plus grand, et leur distance moindre.

Newton est le premier qui se soit proposé ce Problème ; voici la solution qu’il en donne :

Soient les valeurs des ordonnées qui répondent aux valeurs des abscisses on aura les équations suivantes

le nombre de ces équations devant être égal à celui des coefficients indéterminés Soustrayant ces équations l’une de l’autre, les restes seront divisibles par et l’on aura, après la division,

Soit

on trouvera de la même manière, par la soustraction et la division,

Soit de même

on trouvera

et ainsi de suite.

On trouve, de cette manière, les valeurs des coefficients à commencer par les dernières, et, les substituant dans l’équation générale

il viendra, après les réductions, cette formule, qu’il est aisé de continuer aussi loin qu’on voudra,

Mais on peut réduire cette solution à une plus grande simplicité par la considération suivante.

Puisque doit devenir lorsque devient il est aisé de voir que l’expression de sera de cette forme

où les quantités doivent être exprimées en de manière

qu’en faisant on ait

que de même, en faisant on ait

qu’en faisant on ait pareillement

etc. ;

d’où il est facile de conclure que les valeurs de doivent être de cette forme

en prenant autant de facteurs, dans les numérateurs et dans les dénominateurs, qu’il y aura de points donnés de la courbe, moins un.

Cette dernière expression de quoique sous une forme différente, revient cependant au même, comme on peut s’en assurer par le calcul, en développant les valeurs des quantités et ordonnant les termes suivant les quantités mais elle est préférable par la simplicité de l’Analyse sur laquelle elle est fondée, et par sa forme même, qui est beaucoup plus commode pour le calcul.

On pourra donc, par cette formule, qu’il ne serait pas difficile de réduire à une construction géométrique, trouver la valeur de l’ordonnée pour une abscisse quelconque d’après les ordonnées connues pour les abscisses données Ainsi, ayant plusieurs termes d’une série quelconque, on pourra trouver tel terme intermédiaire qu’on voudra, ce qui est fort utile pour remplir les lacunes qui pourraient se trouver dans des suites d’observations ou d’expériences, ou dans des Tablés calculées par des formules ou des constructions données.

Si maintenant on applique cette théorie aux deux Exemples proposés ci-dessus et aux Exemples semblables, dans lesquels on a les erreurs qui répondent à différentes suppositions, on pourra trouver directement l’erreur qui répondra à une supposition quelconque intermédiaire en prenant les quantités pour les erreurs trouvées, et pour les suppositions d’où elles résultent. Mais, dans ces Exemples, la question étant de trouver, non pas l’erreur qui répond à une supposition donnée, mais la supposition dont l’erreur serait nulle, il est clair que cette question est l’inverse de la précédente, et qu’elle peut se résoudre aussi par la même formule, en prenant réciproquement les quantités pour les erreurs, et les quantités pour les suppositions correspondantes alors sera l’erreur de la supposition par conséquent, en faisant la valeur de sera celle de la supposition dont l’erreur sera nulle.

Soient donc les valeurs de l’inconnue dans les différentes suppositions, et les erreurs qui résultent de ces suppositions, en donnant à ces quantités les signes convenables ; alors on aura pour la valeur de l’inconnue dont l’erreur sera nulle l’expression

dans laquelle les valeurs de seront

en prenant autant de facteurs qu’il y aura de suppositions, moins un.


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table des matières
contenues
dans les leçons élémentaires sur les mathématiques,
données à l’école normale, en 1795, par j.-l. lagrange.


Leçon première. — Sur l’Arithmétique ; des fractions et des logarithmes.
183-198
Leçon seconde. — Sur les opérations de l’Arithmétique
198-218
Leçon troisième. — Sur l’Algèbre ; de la résolution des équations du
troisième et du quatrième degré
218-249
Leçon quatrième. — Sur la résolution des équations numériques
249-271
Leçon cinquième. — Sur l’usage des courbes dans la solution
des Problèmes.
271-285

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  1. Les Leçons ont paru d’abord dans les deux éditions des Séances des Écoles normales, an III (1794-1795). Dix-sept ans plus tard, sur l’avis de Lagrange, on a réimprimé ces Leçons dans le Journal de l’École Polytechnique (1812).
    « Note de l’Éditeur. »
  2. Ces formules simples et élégantes sont dues à Euler ; mais M. Bret, professeur de Mathématiques à Grenoble, a fait l’observation importante (voyez la Correspondance sur l’École Polytechnique, t. II, IIIe Cahier, p. 217) qu’elles peuvent donner des valeurs fausses, lorsque parmi les trois radicaux il y en a d’imaginaires.

    Pour éviter toute difficulté et toute ambiguïté, il n’y a qu’à substituer à l’un de ces radicaux sa valeur tirée de l’équation Ainsi la formule

    donnera les quatre racines de la proposée, en prenant pour et deux quelconques des trois racines de la réduite, et prenant successivementles deux radicaux en plus et en moins.

    Il faut appliquer cette remarque à l’article 777 de l’Algèbre d’Euler, et à l’article 37 de la Note XIII du Traité de la résolution des équations numériques.