Œuvres de Louise Labé, édition Boy, 1887/I/09

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Texte établi par Charles Boy, Alphonse Lemerre, éditeur (p. 165-175).

TESTAMENT
DE LOVÏZE LABE’



Av nom de Dieu, amen. À tous ceux qui ces preſentes lettres verront, Nous garde du ſcel commun royal eſtabli aux contrats du bailliage de Maſcon & ſenechauſſee de Lyon, ſçauoir faiſons que par deuant Pierre de la Foreſt, notaire & tabellion royal à Lyon deſſoubs ſigné, & en preſence des teſmoins aprez nommez, a eſté prefente dame Loyſe Charlin dite Labé, veuue de feu ſire Ennemond Perrin, en ſon viuant bourgeois citoyen habitant à Lyon, laquelle faiſant de ſon bon gré & ame pieuſe & pure volonté, ſans force ni contrainte, mais de ſa libérale volonté, conſiderant qu’il n’eſt rien ſi certain que la mort ni moins incertain que l’heure d’icelle, ne voulant de ce monde décéder ſans teſter & ordonner des biens qu’il a plu à Dieu lui donner en ce mortel monde, afin que, aprez ſon decez &, treſpas, differend n’en aduienne entre ſes ſucceſſeurs : à ces cauſes & aultres conſiderations à ce la mouuant, ladite teſtatrice, aprez auoir reuoqué comme elle reuoque, caſſe & adnulle tous & chacuns ſes aultres teſtaments qu’elle pourroit auoir fait de bouche ou par eſcript, & aprez auoir déclaré comme elle declare que ce preſent ſon teſtament ſoit valable par forme de teſtament nuncupatif, teſtament ſolempnel, par forme de codicile, donation à cauſe de mort & aultrement comme mieulx il pourra & debura valoir ſelon les droits, loix canoniques & aultres us & couſtumes introduictes en faueur des teſtateurs, a fait ſon teſtament & ordonnance de derniere volonté de tous & chacuns ſes biens meubles & immeubles preſents & aduenir quelconques, en la forme & manière qui s’en fuit : & premièrement ladite teſtatrice, comme bonne & loyale chreſtienne, a recommandé ſon ame à Dieu le créateur, le priant, par la mort & paſſion de ſon ſeul fils Ieſus Chriſt, recepuoir ſon ame, & la colloquer en ſon royaume de Paradis, par l’interceſſion de ſa treſſacree mère, ſaints & ſaintes, & pour à ce paruenir s’eſt munie du ſeing de la croix †, diſant : Au nom du Pere, du Fils & du Saint Eſprit. Item, ladite teſtatrice, en cas qu’elle decede en cette ville de Lyon, eſlit la ſepulture de ſon corps en l’egliſe de N.-D. de Confort, & ou decedera ailleurs, veult eſtre enterree en la paroiſſe du lieu ou elle décédera, & veult eſtre enterree ſans pompe ni ſuperſtitions, à ſçauoir de nuict, à la lanterne, accompagnee de quatre preſtres, outre les porteurs de ſon corps, & ordonne eſtre dites en l’egliſe du lieu ou elle decedera, une grande meſſe à diacre & ſoubſdiacre, & cent petites meſſes continuellement iuſques à huit iours après ſon decez, & veult que ſemblable ſeruice ſoit fait l’an reuolu de ſon decez & donne à l’egliſe ou elle ſera enterrée la ſomme de 100 liures pour une fois, à ſçauoir 25 liures pour faire leſdits ſeruices, & le reſte pour employer en reparations, laquelle ſomme elle veult eſtre payee auxdits deſſeruiteurs, à ſçauoir 12 liures 10 ſols après ſon decez, aultres 12 liures 10 ſols pour ledit ſeruice, auec le ſurplus deſdites 100 liures pour leſdites reparations, dans l’an aprez ſon decez que ledit ſeruice ſera fait. Item, ladite teſtatrice, eſmeue de deuotion, a doté, fondé & légué à ladite egliſe de Parcieu en Dombes une penſion annuelle & perpétuelle d’une aſnee vin & une meſure bled froment bon, pur & marchand, meſure dudit lieu, laquelle penſion elle impoſe ſur ſa grange & tenement qu’elle a audit lieu de Parcieu en Dombes, & veult eſtre payee aus Srs deſſeruiteurs par chacun an, à chacune feſte de S. Martin d’hiuer, à commencer à la prochaine feſte de S. Martin aprez le decez de ladite teſtatrice, à la charge que leſdits deſſeruiteurs & leurs ſucceſſeurs feront tenus dire & celebrer perpetuellement, ou par chacune ſemaine, une meſſe baſſe en ladite egliſe, à ſon intention, & de ſes parents & amys, à commencer dans la ſemaine aprez ſon decez. Item, ladite teſtatrice, pour charité, pitié, aumoſne, a legué & donné aux pauures la ſomme de 1,000 liures de fonds, auec les dons au proufit de cinq pour cent ou aultre proufit qu’il plaira au roy donner à cauſe de ladite ſomme, & icelle prendra ſur le credit de plus grand somme qu’elle a au grand party du roy ſoubs le nom du Sr Thomas Fortin (ou Fourtin), & duquel elle a cedulle, lequel credit doibt eſtre aſſigné ſur la ville de Rouan à raiſon de cinq pour cent, laquelle ſomme de fonds ou dons & reuenus ladite teſtatrice veult eſtre diſtribuee aux pauures par ledit Fortin, lequel elle prie d’en prendre la charge, & aprez le decez d’iceluy Fortin, & ou ladite ſomme par lui n’auroit pas eſté diſtribuee, en laiſſe la charge aux recteurs de l’Aumoſne generale de cette ville de Lyon, ainſy que leſdits Fortin & recteurs verront eſtre plus charitable. Item, ladite teſtatrice a donné & légué, pour aider à marier trois pauures filles, à chacune la ſomme de 50 liures tournois à prendre ſur les premiers deniers de la rente du reſte de ſondit credit du roy, en laiſſant la nomination & eſlection, diſtribution & deliurance deſdits deniers, ladite teſtatrice en laiſſe la charge aux ſieurs recteurs de l’Aumoſne generale de Lyon. Item, ladite teſtatrice a donné & prelegué en principut & aduantage à Pierre Charly dit Labé ſon nepueu & l’un de ſes heritiers aprez nommez, le reſte des deniers, que icelle teſtatrice a audit grand party ſous le nom dudit Sr Thomas Fortin, qui eſt tout ce qui reſte, deſduit les 1,000 liures leguées auxdits pauures & les 150 liures tournois pour les dons leguez pour marier pauures filles, pour dudit reſte d’iceluy credit, tant de principal que de dons, faire & diſpofer par ledit Pierre Charly comme de ſa choſe propre, & ſans qu’il ſoit tenu le rapporter ou conférer à la maſſe d’hoyrie de ladite teſtatrice auec ſes heritiers ou coheritiers, le faiſant en ce ſon heritier particulier. Item, ladite teſtatrice donne & legue à quatre filles d’un nommé Villard de Parcieu ſon voiſin, à chacune d’elles une robbe iuſques à 5 liures tournois, leſquelles leur veult eſtre deliurees ou elles ſuruiuront à ladite teſtatrice, incontinent aprez ſon decez & treſpas, pour une fois, & non aultrement. Item, ladite teſtatrice donne & lègue à Antoinette, femme de Pierre Valiant tiſſotier, iadis ſeruante de ladite teſtatrice, la somme de 100 liures tournois, laquelle luy veult eſtre payée pour une fois aprez le decez de ladite teſtatrice. Item, donne & legue icelle teſtatrice à une ſienne chambrière qu’elle a dit eſtre nommée Pernette, ieune fille, la ſomme de 50 liures, laquelle luy veult eſtre payée pour une fois lorſqu’elle ſera mariée, & cas demeurant que ladite Pernette decedaſt ſans eſtre mariee, donne & legue ladite ſomme aux pauures à la nomination dudit Fortin, & aprez luy, deſdits recteurs. Item, donne & legue icelle teſtatrice à aultre Pernette ſa vieille chambrière qu’elle tient à la grange de Parcieu, une penſion viagère de 10 liures, d’un poinçon de trois aſnees de vin & d’une aſnee bled froment, le tout bon, pur, net & marchand, meſure dudit lieu, laquelle veult eſtre payée à ladite Pernette, & tant qu’elle viura, par ſeſdits heritiers & ſubſtituez aprez nommez, par chacun an, à commencer aprez le decez d’icelle teſtatrice : déclarant icelle teſtatrice auoir 18 liures tournois appartenant à ladite Pernette, tant pour reſte de ſes gages que deniers qu’elle lui a baillez en garde, laquelle ſomme lui veult eſtre reſtituee après le decez de ladite teſtatrice. Item, ladite teſtatrice a donné & legué à Iacqueſme Ballaſſon, iadis ſon iardinier, lequel demeure en la paroiſſe de Parcieu, une penſion annuelle & viagere de deux aſnees bled froment, bon, pur & marchand, meſure du lieu, laquelle elle veult eſtre payée audit Iacqueſme & à ſes enfants, tant qu’ils viuront, & non plus aultrement, aprez le decez de ladite teſtatrice, & veult & entend icelle teſtatrice que ladite penſion puiſſe eſtre rachetée par ſes héritiers & ſubſtituez, en payant audit Ballaſſon ou à ſeſdits enfants, la ſomme de 100 liures tournois, quand bon ſemblera à ſes héritiers. Item, ladite teſtatrice donne & legue à Claude Chomel ſon ſeruiteur, pour une fois, la ſomme de 10 liures tournois, laquelle veult lui eſtre payee aprez ſon decez : declarant eſtre débitrice audit Chomel de 30 liures tournois, tant pour reſte de ſes gages que pour deniers qu’il luy a baillez en garde, leſquelles 30 liures tournois luy veult eſtre reſtituees aprez ſon decez. Item, la meſme teſtatrice donne & legue à Benoiſt Frotté, ſon grangier dudit lieu de Parcieu, la ſomme de 10 liures, à la femme dudit grangier & à la niepce de la grangiere, à chacune une cotte iuſques à 5 liures tournois, leſquelles leur veult eſtre payées reſpectiuement & aprez ſon decez. Item, ladite teſtatrice, pour bonnes conſiderations, à ce la mouuant, a donné & legué, donne & legue par ces preſentes, audit Sr Thomas Fortin, marchand florentin, demeurant audit Lyon, les uſufruicts, proufits, reuenus & iouïſſance de la grange & tenement qu’elle a audit lieu de Parcieu, en quoy que ladite grange conſiſte, ſoit en meſonnaiges, baſtiments, iardins, fonds, héritages & immeubles quelconques, & tant celle ou ladite teſtatrice a couſtume habiter que celle ou elle tient ſon grangier, auec toutes les penſions qui ſont dues à ladite teſtatrice tant audit lieu de Parcieu que lieux circonuoiſins, qui peuuent monter à la quantité de vingt aſnees bled par chacun an, ou enuiron, pour en iouïr & uſer par ledit Fortin & les ſiens, & autres qu’il plaira audit Fortin, légataire ordonner aprez ſon decez, pendant & durant le temps de vingt ans continuels & conſecutifs à compter du iour du decez de ladite teſtatrice : tant ſeulement & outre ce, donne & legue audit Fortin & aux ſiens ſuſdits, pendant ledit temps de vingt ans, l’uſage & iouïſſance des biens meubles d’icelle teſtatrice, de quelque qualité, nature & condition qu’ils ſoyent & qu’ils feront, tant en ſadite grange que celle ou habite ſon grangier audit lieu de Parcieu, & veult & entend icelle teſtatrice que ledit Fortin légataire & les ſiens ſuſdits puiſſent incontinent aprez le decez de ladite teſtatrice prendre & appréhender la poſſeſſion & iouïſſance réelle & actuelle des choſes ci-deſſus léguées, ſans recognoiſſance & cauſe de bénéfice d’inuentaire, ne aultre requiſition : mais prohibe & deffend expreſſement à ſeſdits héritiers & ſucceſſeurs aprez nommez & à tous aultres n’empeſcher ledit Fortin & les ſiens ſuſdits en ladite poſſeſſion & iouïſſance réelle & actuelle deſdites maiſon & grange, en l’eſtat qu’elle ſera hors dudit decez, & tout ainſy qu’elle ſe trouuera meublée & garnie, & ſans que iceluy Fortin, comme uſufruiſtier ou aultrement, ſoit tenu de preſter aucune caution, ne preſter & rendre aucun compte & reliquat deſdits biens meubles, & à ces fins venant le decez de ladite teſtatrice, icelle teſtatrice, pour le faict dudit uſufruict a transféré & tranſporte en la perſonne dudit Fortin & des ſiens ſuſdits, tous droits & propriété de poſſeſſion pour le temps ſuſdit, & au cas ou leſdits héritiers ſoubſnommez vinſſent à troubler ou à empeſcher ledit Fortin & les ſiens ſuſdits, en la iouïſſance actuelle deſdits biens léguez, ou qu’ils le voulſiſſent contraindre à faire inuentaire, bailler caution, ou de les prendre par les mains deſdits héritiers, en ce cas ladite teſtatrice a reuoqué & reuoque l’inſtitution d’heritier faite au proufit de ſeſdits héritiers aprez nommez : en ce cas a inſtitué & inſtitue & nomme de ſa propre bouche ſes héritiers uniuerſels en tous ſes biens, les pauures de l’Aumoſne générale de cette ville de Lyon : car telle eſt la volonté d’icelle teſtatrice. Item, donne & legue à Germain Borgne de Cahors, cordonnier habitant à Lyon, quatre aſnees bled froment, bon, pur & marchand, leſquelles luy veult eſtre deliurees aprez ſon decez. Item, ladite teſtatrice a donné & legué & par droit d’inſtitution à tous autres pretendans auoir droit ſur ſeſdits biens, la ſomme de 5 ſols tournois, laquelle leur veult eſtre payée, & à chacun d’eulx pour une fois, aprez le decez d’icelle teſtatrice, & à ce les a faits & inſtituez par chacun d’eulx ſes héritiers particuliers, ſans pouuoir aultre choſe quereller ne demander ſur ſeſdits biens. Item, ladite teſtatrice a déclaré & déclare eſtre débitrice des ſommes ſuiuantes, à ſçauoir, à M. Iacques,…, apothicaire à la Grenette, de 8 liures ou enuiron, à Benoiſt Bertrand, en rue Salnerie, d’autres 8 liures pour vente de carrons, & preſt de …, de 60 liures ! ſol pour reſte d’une terre que modernement elle a acquiſe de luy, & finalement ladite teſtatrice au reſidu de tous & chacuns ſeſdits biens meubles & immeubles, preſents & aduenir quelconques, deſquels elle n’a cy deſſus diſpoſé ni ordonné, a fait, conſlitue, creé & nommé, & par ces preſentes fait, conſtitue, cree & nomme de ſa propre bouche ſes héritiers uniuerſels, à ſçauoir, ſes bien-aimez Iacques Charlin dit Labé & ledit Pierre Charlin ſon frère, nepueux de ladite teſtatrice & enfants de feu François Charlin dit Labé ſon frère, demeurans à Lyon, & chacun d’eulx, par moitié & egale portion, & leurs enfants maſles, naturels & légitimes & de chacun d’eulx, & cas aduenant que ſeſdits nepueux héritiers ſuſdits ou leurs enfants maſles vinſſent à deceder ſans enfants maſles & legitimes, audit cas & iceluy aduenant, ladite teſtatrice a ſubſtitué & ſubſtitue en tous ſeſdits biens, les filles deſcendans du degré de ſeſdits heritiers, pour iouïr par elles des biens de ladite teſtatrice, leur vie & de chacune d’elles durant, & aprez le decez de ſeſdits nepueux & héritiers, ou de leurs enfants maſles & de leurſdites filles, au cas que ſeſdits nepueux ou leurs enfants maſles decedaſſent ſans enfants maſles, audit cas & iceluy aduenant, ladite teſtatrice a ſubſtitue & ſubſtitue en ſeſdits biens les pauures de l’Aumoſne generale de cette ville de Lyon, à la charge de payer & acquitter ſes dettes, legats & frais funéraires, de les accomplir ſans aucune exception ne figure de procez, déclarant par exprez ladite teſtatrice qu’elle n’a voulu ne entendu, mais a expreſſement prohibé & deſfendu, & deſfend par ces preſentes, tant à ſeſdits héritiers que ſubſtituez, l’alienation de ſes biens ou partie d’iceulx, & toute diſtraction de quarte trebellianique, parce qu’elle veult ſeſdits biens eſtre conferuez en ſa maiſon & famille, pour en défaut d’icelle paruenir auxdits pauures, en faueur deſquels ladite prohibition a eſté par elle faite. Ladite teſtatrice a fait par ces preſentes executeur de ce preſent ſon teſtament ledit Sr Thomas Fortin, auquel elle donne pouuoir & puiſſance de prendre de ſeſdits biens pour l’entier accompliſſement de cedit preſent ſon teſtament : priant & requerant ladite teſtatrice les teſmoins aprez nommez d’eſtre records de cette preſente ordonnance de derniere volonté, la tenir ſecrette iuſques à ce qu’il plaira à Dieu l’auoir appelee, & aprez en porter bon teſmoignage en temps & lieu : priant auſſy & requerant ledit notaire & tabellion royal deſſoubs ſigné de la rediger par eſcript, la minuter & eſtendre au long la ſubſtance de fait nous meſme, & aprez en faire expédition à qui appartiendra, moyennant ſalaire competent. Fait & paſſé à Lyon en la maiſon d’habitation du Sr Thomas Fortin, ladite teſtatrice eſtant au lit malade le ſamedi 28e iour d’apuril 1565 : preſents Bernardo Rappoty, Antoine Panfy, florentin, Martin Preuoſt, apothicaire, Me Claude Alamani, maiſtre ez arts, Germain Vacque, cordonnier, Pierre Maliquet, couſturier, Claude Paniffera, piedmontois, tous demeurans à Lyon, teſmoins appellez & requis, laquelle teſtatrice, enſemble leſdits Rappoty, Panfy, Alamani, Paniffera &. Preuoſt ont ſigné, & non leſdits Maiiquet & Vaque, ne ſçachant ſigner, deuement requis, ſuiuant l’ordonnance.