Œuvres de Pierre Curie/37

La bibliothèque libre.
Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 424-427).

SUR LA RADIOACTIVITÉ INDUITE
PROVOQUÉE PAR DES SELS DE RADIUM.

En commun avec A. DEBIERNE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXIII, p. 931,
séance du 2 décembre 1901.


On sait que tous les corps deviennent radioactifs lorsqu’ils sont enfermés en vase clos avec un sel solide de baryum radifère[1]. Cette radioactivité, dite induite, s’obtient encore en remplaçant le sel de radium solide par sa solution aqueuse. Cette disposition est préférable, parce que les effets obtenus sont à la fois plus réguliers et beaucoup plus intenses (40 fois plus, par exemple).

Les divers corps solides (cuivre, platine, plomb, étain, aluminium, verre, papier, cire, sulfure de zinc, etc.) acquièrent la même activité induite lorsqu’ils sont placés dans les mêmes conditions dans une même enceinte activante. Et le rayonnement de ces corps activés est, comme celui du sel de radium lui-même, composé de rayons déviables et non déviables dans un champ magnétique.

L’activité induite est indépendante de la pression et de la nature du gaz qui existe dans l’enceinte activante. Si l’on active au moyen d’une solution de baryum radifère sous diverses pressions, depuis la pression atmosphérique jusqu’à celle de la tension de vapeur saturée de la solution, on trouve que l’activation limite est la même, et qu’elle s’établit avec la même vitesse, quelle que soit la pression. Quand la substance activante est un sel solide, on peut opérer soit à la pression atmosphérique, soit avec un vide très parfait (pression mesurée à la jauge 2 ou 3 millièmes de millimètre de mercure) ; dans les deux cas l’activation limite semble être la même[2].

Certaines substances (celles phosphorescentes à la lumière et quelques autres) deviennent lumineuses lorsqu’on les place dans une enceinte activante. On peut alors réaliser de très belles expériences. On peut, par exemple, avec l’appareil représenté (fig. 1),

fig. 1.
fig. 1.



placer dans le premier ballon une solution d’un sel de baryum radifère contenant quelques milligrammes de radium et mettre la substance phosphorescente étalée au fond du deuxième ballon en communication avec le premier par le tube .

Le sulfure de zinc phosphorescent est particulièrement brillant dans ces conditions : il est aussi lumineux que lorsqu’il vient d’être exposé à une lumière intense, et la luminosité se maintient constante tant que la communication subsiste avec la solution radioactive. La luminosité ainsi obtenue est due à la radioactivité induite qui s’est communiquée par le tube et ne provient pas du rayonnement du radium. D’ailleurs, l’intensité du rayonnement de Becquerel du sulfure de zinc activé dans cette expérience est exactement la même que celle d’un morceau de cuivre ou d’une autre substance quelconque placé dans les mêmes conditions dans le ballon [3].

Le verre aussi devient phosphorescent par radioactivité induite (le verre de Thuringe est alors plus lumineux que les autres espèces de verre).

L’activité induite des corps placés dans une enceinte activante dépend essentiellement de l’espace libre existant devant eux. Si, dans l’enceinte, on place une série de lames de cuivre parallèles entre elles, mais à des distances successives de plus en plus grandes, on constate que lorsque la distance entre les lames est petite (1 mm par exemple) les surfaces en regard s’activent faiblement. Au contraire, si la distance entre les lames est grande (3 cm par exemple), les surfaces en regard s’activent fortement. Les mesures précises sont difficiles, mais on peut dire en première approximation que l’activation de ces lames placées parallèlement est proportionnelle à la distance qui les sépare.

Si l’enceinte activante est en verre, elle est entièrement illuminée, mais elle ne l’est pas également partout. D’une façon générale, les tubes d’une même enceinte sont d’autant plus lumineux et plus radioactifs qu’ils sont plus larges. Avec l’appareil (fig. 1), lorsque l’équilibre est atteint, le verre du tube de communication est moins lumineux et moins radioactif que celui des ballons et . Mais la paroi en contact avec le gaz est également lumineuse et radioactive dans ces deux ballons de mêmes dimensions ; cette égalité d’activité subsisterait encore si le tube de communication était très long et très étroit. On voit que dans une même enceinte les parois des parties de forme identique ont même activité, qu’elles soient ou non dans le voisinage immédiat de la solution activante.

Il semble donc qu’il y ait, répandu dans l’espace d’une enceinte activante, un pouvoir d’activation en équilibre dans les diverses parties, mais que les parois s’activent proportionnellement à la grandeur de l’espace libre situé devant elles.

L’activité limite dans une même enceinte dépend seulement de la quantité de radium qui a été introduite à l’état de solution. Ainsi les deux enceintes en verre identiques (fig. 2) contiennent des quantités égales d’une même solution radioactive ; dans la première enceinte, la solution est dans le tube étroit  ; dans la deuxième enceinte, la solution est dans le ballon . La deuxième enceinte s’active d’abord beaucoup plus rapidement

fig. 2.
fig. 2.



que la première, mais l’activité finale, lorsque l’équilibre est obtenu au bout de trois semaines, est la même dans les deux enceintes. Les tubes , d’une part, les ballons et <math>D^{\prime}</math d’autre part, sont alors également actifs et également lumineux.

Enfin l’activité augmente dans une enceinte lorsqu’on augmente la quantité de solution activante. Le pouvoir d’activation d’une solution n’est donc pas analogue à une tension de vapeur.





  1. Voir Comptes rendus, 4 mars et 29 juillet 1901.
  2. Pendant que l’on fait un vide aussi parfait à la trompe à mercure, l’enceinte se désactive partiellement et l’activation se rétablit ensuite très lentement lorsqu’on a interrompu la communication avec la trompe.
  3. Nous devons à l’obligeance de M. Verneuil le très bel échantillon de sulfure de zinc utilisé dans ces expériences.