Œuvres de saint Denys l’Aréopagite/Livre de la hiérarchie ecclésiastique

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Traduction par l’abbé Darboy.
Sagnier et Bray (p. 249-335).


LIVRE


DE LA HIÉRARCHIE


ECCLÉSIASTIQUE.



ARGUMENT DU LIVRE.


Tous les êtres sont soumis à l’action de la Providence ; cette action s’exerce selon des lois générales et particulières. Les lois générales se retrouvent dans toute hiérarchie ou gouvernement d’une classe d’êtres ; les lois particulières constituent la différence même par laquelle se distinguent entre elles les hiérarchies diverses.

Ainsi, la hiérarchie est un milieu qui, plein de lumière et de force, éclaire, attire et ramène les créatures à Dieu, leur principe et leur fin : voilà l’unité, la généralité. Mais les créatures reçoivent le don divin qui les perfectionne en la façon que réclament leur essence et leurs facultés propres : voilà la distinction, la particularité.

Il résulte de là que les hommes aussi bien que les anges sont appelés à Dieu ; mais ils n’y vont pas de la même manière. Aux anges, purs esprits, suffit l’intellection pure ; les hommes, esprits emprisonnés dans des corps, seront élevés à la contemplation des choses saintes par des images sensibles, par de grossiers symboles.

C’est pourquoi, divine dans son essence, sa force intime et son but, notre hiérarchie est revêtue de formes extérieures, et s’applique et s’exerce corporellement et d’une manière palpable. Les sacrements par lesquels sont établis, maintenus et vivifiés les ordres divers de la hiérarchie ecclésiastique, portent donc un double caractère, à la fois esprit et matière, réalité et figure.

Mais le monde supérieur projette sa lumière sur le monde inférieur, et il y a dans les choses qui apparaissent comme un vestige des choses purement intelligibles. Ainsi, les rits usités dans les sacrements sont remplis de pieuses leçons ; et un des devoirs et des secrets de la foi, c’est d’étudier le divin dans l’humain, l’incréé dans le créé, l’unité dans la multiplicité.

Toute recherche touchant les sacrements comprend trois points : le premier consiste à découvrir la raison du sacrement et comment il se lie à l’ensemble de nos doctrines ; le deuxième décrit les cérémonies variées et les rits avec lesquels le sacrement s’opère ; le troisième, enfin, exprime le sens mystérieux des pratiques usitées parmi l’administration des choses saintes.

Ainsi, la fin de la hiérarchie ecclésiastique étant de nous assimiler à Dieu, il faut d’abord créer en nous la vie surnaturelle, nous enrichir d’un principe divin, capable de développement ultérieur, comme tout ce qui vit. Enfantés à la grâce par le miracle d’une régénération spirituelle, nous avons besoin d’un aliment qui nous soutienne et nous perfectionne, et l’effort de notre liberté doit être d’approcher de Dieu en la proportion où Dieu daigne s’abaisser vers nous. Mais autant il importe d’aspirer et de tendre au but que la Providence fixe pour chacun de nous, autant il importe de suivre en cette course le chemin qui nous est tracé, et de respecter les limites posées par la hiérarchie ; car la volonté de Dieu est ordre, comme elle est vie. Même cette soumission est la sauvegarde de la société entière, aussi bien qu’un élément de perfection pour les individus, et rien ne doit être plus scrupuleusement observé et maintenu que les droits et les devoirs respectifs des membres de la hiérarchie. Ainsi se déploient pour le bonheur de l’humanité la grâce et la liberté ; ainsi est sanctifiée notre vie ; ainsi est bénie notre mort.

Les symboles sous lesquels nous sont départis les dons divins ont une merveilleuse analogie avec les effets que nous espérons des divers sacrements. L’intelligence est réjouie et consolée quand elle entrevoit ces harmonieux rapports ; la lumière retombe en flots d’amour sur le cœur qui entre dans de saints tressaillements. Sous cette double influence, la nature humaine se perfectionne en remontant vers Dieu, qui ainsi spiritualise la matière, divinise l’esprit et se retrouve tout en tous.


CHAPITRE I.

QU’EST-CE, D’APRÈS LA TRADITION, QUE LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE, ET QUEL EST SON BUT ?


Argument. — I. Avant d’expliquer la hiérarchie ecclésiastique, on fait observer que les mystères de la religion chrétienne ne doivent pas être divulgués devant les profanes, mais que ceux qui, véritables anges de la terre, ont la mission d’administrer les sacrements et d’instruire, ne peuvent légitimement les faire connaître qu’aux initiés. II. Notre hiérarchie, image de celle des anges, lui ressemble en son principe et en son but, mais ne lui ressemble pas en ses moyens. III. Ainsi toute hiérarchie, et la nôtre en particulier, est la dispensation des choses saintes, qui parlent de Dieu, comme de leur principe, et nous ramènent à Dieu, comme à notre fin. IV. Mais la hiérarchie angélique est purement spirituelle, parce qu’elle est un moyen destiné à de pures intelligences, et la nôtre, spirituelle par un côté et matérielle par l’autre endroit, parce que nous sommes esprit et corps. V. Et il fallait, à cause de cette double nature de l’homme, que les sacrements, ou moyens de sanctification, fussent signes et figures.


I. Ô le meilleur de tous mes fils spirituels ! que notre hiérarchie communique une science, et une inspiration et une perfection dont la nature, le principe et les résultats sont vraiment divins, c’est ce que nous voulons démontrer, par l’autorité des saints oracles, à tous ceux qui, d’après les traditions de nos pontifes, furent jugés dignes des honneurs de l’initiation sacrée. Pour vous, ne divulguez pas indiscrètement les choses saintes ; ayez-les, au contraire, en grand respect, et honorez les mystères de Dieu par la pureté sublime des notions que vous en exposerez, les couvrant d’un voile impénétrable aux yeux des profanes et ne les faisant connaître aux saints même qu’à la lumière mystique d’une explication irréprochable.

Comme notre foi le sait par l’enseignement des Écritures, Jésus, suprême et divine intelligence, et principe souverainement efficace de toute hiérarchie, sainteté et perfection, Jésus envoie aux bienheureux esprits qui sont au-dessus de nous des illuminations tout à la fois plus transcendantes et moins obscures[1], et les façonne, autant qu’ils en sont capables, à l’image de sa propre lumière. Également, par la sainte dilection qui nous entraîne vers lui, le même Jésus calme la tempête de nos soucis dissipants, et rappelant nos âmes à l’unité parfaite de la vie divine, nous élève au sacerdoce et nous confirme dans la grâce habituelle et la fécondité permanente de ce noble ministère. Bientôt, par l’exercice des fonctions sacrées, nous approchons des anges, essayant de nous placer comme eux dans un état fixe d’immuable sainteté. De là, jetant le regard sur la divine splendeur de Jésus béni, recueillant avec respect ce qu’il nous est permis de voir, et enrichis de la science profonde des contemplations mystiques, nous pouvons être consacrés et consacrer à notre tour, recevoir la lumière et la communiquer, devenir parfaits et mener les autres à la perfection.

II. Or, quelle est la constitution hiérarchique des anges, des archanges, des saintes principautés, des vertus, des dominations, des trônes et de ces deux rangs augustes qui forment un même ordre avec les trônes, qui, d’après l’enseignement de la théologie, entourent d’une adoration perpétuelle la majesté divine, et que la langue hébraïque nomme chérubins et séraphins ; c’est ce que vous pourrez lire dans le traité que nous avons écrit touchant les différents chœurs de la milice céleste, et où nous avons célébré la hiérarchie invisible, non point, à la vérité, comme il eût convenu, mais selon notre pouvoir et en suivant les explications de la sainte Écriture. Il faut répéter cependant que toute hiérarchie, soit celle des anges, soit celle des hommes dont nous allons parler, déploie l’efficacité de ses fonctions selon une loi commune et uniforme. Ainsi, tout initiateur est d’abord sanctifié par la connaissance des sacrés mystères et, pour ainsi dire, déifié en raison de sa nature, de son aptitude et de sa dignité ; puis il transmet à ses inférieurs, autant qu’ils en sont capables, la divine ressemblance qu’il a lui-même reçue d’en haut. Ceux-ci suivent leur chef et également attirent leurs subordonnés, lesquels obéissent d’abord et puis commandent aussi à d’autres. Par suite de ces divins et harmonieux rapports, chacun, au degré qui lui est propre, entre en communion avec la beauté, la sagesse et la bonté essentielle.

Mais il faut remarquer aussi que ces sublimes natures, objet de nos précédentes investigations, sont incorporelles et leur hiérarchie invisible et céleste ; la hiérarchie humaine, au contraire, se proportionnant à notre nature, présente une foule de symboles sensibles qui servent à nous élever, selon nos forces, vers l’ineffable unité de Dieu. Les anges, substances immatérielles, connaissent Dieu et la vertu divine par l’intellection pure ; et nous, ce n’est que par le moyen de grossières images que nous pouvons arriver à la contemplation des choses saintes. À la vérité, le but auquel aspirent tous ces heureux imitateurs de Dieu est un, parfaitement un ; tous cependant ne l’atteignent pas d’une façon uniforme, mais chacun selon la vocation spéciale que les décrets divins lui ont faite.

Mais cette matière a été plus amplement développée dans mon Traité des choses sensibles et intelligibles. À présent, je vais exposer de mon mieux ce qu’est notre hiérarchie, son principe et sa nature, plaçant mes efforts sous la protection de Jésus, source et fin dernière de toute belle ordonnance.

III. Or, selon les doctrines augustes de la tradition, la hiérarchie, en général, est la raison complète des formes sacrées sous lesquelles elle subsiste ; ou, si l’on veut, une sorte d’argument général de ce qui constitue telle ou telle hiérarchie en particulier. Ainsi la nôtre est définie avec justesse : une fonction possédant en propre toutes les choses saintes qui la caractérisent et communiquant l’abondance de ses richesses spirituelles à l’hiérarque ou pontife suprême qu’elle a consacré. Car, comme en nommant la hiérarchie on comprend d’une façon sommaire tous les ordres sacrés qu’elle renferme, de même qui dit hiérarque, désigne un homme inspiré de Dieu, un homme divin, versé dans la science parfaite des mystères et en qui est résumée et brille toute la hiérarchie qu’il préside.

Le principe de la hiérarchie est la Trinité, source de vie, bonté essentielle, cause unique de tout, et qui, dans l’effusion de son amour, a communiqué à toutes choses l’être et la perfection. Dans le sein de son excellence et de sa bonté infinies, cette Trinité indivisible, dont le mode d’exister, ignoré des hommes, n’est connu que d’elle-même, nourrit le vœu de sauver toute créature intelligente, les anges et les hommes. Mais le salut n’est possible que pour les esprits déifiés, et la déification n’est que l’union et ressemblance qu’on s’efforce d’avoir avec Dieu.

Le but commun de toute hiérarchie, c’est l’amour de Dieu et des choses divines, amour généreux, céleste dans son origine, pur dans ses intentions ; c’est, même avant tout, la fuite, l’éloignement absolu de ce qui est contraire à la charité ; c’est la connaissance des choses dans la réalité de leur être, la vue et la science des vérités sacrées ; c’est enfin la participation à la simplicité ineffable de celui qui est souverainement un, et le banquet mystique de l’intuition qui nourrit et divinise l’âme contemplative.

IV. Nous disons donc que, par un décret d’amour, cette suprême béatitude qui possède la divinité par nature et y fait participer ceux qui sont dignes de cette glorieuse transformation, a établi la hiérarchie pour le salut et la déification de tous les êtres, soit raisonnables, soit purement spirituels. Seulement, pour les bienheureuses essences qui habitent les cieux, cette institution n’a rien de sensible et de corporel ; car ce n’est point par l’extérieur que Dieu les attire et les élève aux choses divines ; mais il fait étinceler au dedans d’elles-mêmes les purs rayons et les splendeurs intelligibles de son adorable volonté. Au contraire, ce qui leur est départi uniformément et pour ainsi dire en masse, nous est transmis, à nous, comme en fragments et sous la multiplicité de symboles variés dans les divins oracles. Car ce sont les divins oracles qui fondent notre hiérarchie. Et par ce mot il faut entendre non-seulement ce que nos maîtres inspirés nous ont laissé dans les saintes Lettres et dans leurs écrits théologiques, mais encore ce qu’ils ont transmis à leurs disciples par une sorte d’enseignement spirituel et presque céleste, les initiant d’esprit à esprit d’une façon corporelle sans doute, puisqu’ils parlaient ; mais j’oserai dire aussi immatérielle, puisqu’ils n’écrivaient pas. Mais ces vérités devant se traduire dans les usages de l’Église, les Apôtres les ont exposées sous le voile des symboles et non pas dans leur nudité sublime, car chacun n’est pas saint ; et, comme dit l’Écriture, la science n’est pas pour tous[2].

V. Or, nos premiers chefs dans la hiérarchie, pleins des grâces célestes dont Dieu bienfaisant les avait comblés, reçurent de l’adorable Providence la mission d’en faire part à d’autres, et puisèrent eux-mêmes dans leur sainteté le généreux désir d’élever à la perfection et de déifier leurs frères. Pour cela, et selon de saintes ordonnances, et en des enseignements écrits et non écrits, ils nous firent entendre par des images sensibles ce qui est céleste, par la variété et la multiplicité ce qui est parfaitement un, par les choses humaines ce qui est divin, par la matière ce qui est incorporel, et par ce qui nous est familier les secrets du monde supérieur. Ils agirent ainsi d’abord à cause des profanes qui ne doivent pas même toucher les signes de nos mystères, et ensuite parce que notre hiérarchie, se proportionnant à la nature humaine, est toute symbolique et qu’il lui faut des figures matérielles pour nous élever mieux aux choses intelligibles. Toutefois la raison des divers symboles n’est pas inconnue aux hiérarques, mais ils ne peuvent la révéler à quiconque n’a point encore reçu l’initiation parfaite ; car ils savent qu’en réglant nos mystères d’après la tradition divine, les apôtres ont divisé la hiérarchie en ordres fixes et inviolables et en fonctions sacrées qui se confèrent d’après le mérite de chacun. C’est pourquoi, plein de confiance en vos religieuses promesses (car il est pieux de vous les rappeler), je vous ai appris ce devoir et d’autres secrets semblables, et je compte que vous ne manifesterez les hautes explications de nos cérémonies qu’aux pontifes vos collègues, et que vous leur ferez faire le serment traditionnel de traiter purement les choses pures et de ne communiquer qu’aux hommes divins les choses divines, et aux parfaits les choses parfaites, et aux saints les choses saintes.


CHAPITRE II.

DES CÉRÉMONIES QUI S’OBSERVENT DANS L’ILLUMINATION OU BAPTÊME.


Argument. — La première partie enseigne comment on arrive à la sainteté ; que le baptême est une naissance spirituelle, et le principe des œuvres surnaturelles.

On décrit dans la seconde partie les cérémonies solennelles du baptême, qui s’accomplissent ainsi : I. L’hiérarque lit quelque chose des saints Évangiles. II. Celui qui aspire au baptême cherche un parrain qui consente à l’instruire, et à le présenter à l’évêque. III. L’évêque reçoit l’aspirant avec bonté ; IV, lui adresse, en présence de tout le clergé, les questions prescrites ; V, lui impose les mains, fait inscrire son nom ; VI, le dépouille de ses vêtements, souffle sur lui. VII. Le catéchumène fait sa profession de foi, et reçoit le baptême ; VIII, il revêt une robe blanche et communie.

On considère dans la troisième partie, I, combien ces rits sont pieux, II, et comment ils désignent la grâce, III, que Dieu distribue avec amour à tous les hommes ; IV, comment on arrive à la perfection ; pourquoi l’inscription du nom de celui qu’on baptise ; V, pourquoi l’abjuration qu’on lui demande, pourquoi on le tourne vers l’orient ; VI, que signifie l’onction qu’on fait sur lui, VII, et son immersion dans l’eau, VIII, et son vêtement blanc, et la communion.


PREMIÈRE PARTIE.


Ainsi qu’il a été dit, le but de notre hiérarchie est donc de nous assimiler et de nous unir à Dieu autant qu’il est possible : glorieuse transformation qui s’opère en nous, comme enseigne la parole sainte, par l’amour et l’observance des divins commandements ; car qui m’aime, est-il dit, gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et ferons notre demeure en lui[3].

Mais par où doit commencer l’accomplissement des augustes préceptes ? Le commencement est sans doute de former dans l’âme ces habitudes qui la disposent à recevoir et à exécuter le reste des enseignements sacrés, de lui ouvrir la route qui mène à l’héritage céleste, de lui conférer une sainte et divine régénération. Car, comme disait notre illustre maître, le premier mouvement de l’âme vers les choses célestes, c’est l’amour de Dieu, et le premier pas dans la voie des commandements, c’est cette régénération ineffable qui introduit dans notre être un principe divin. Or, comme c’est ce principe qui détermine en nous une vie divine, celui qui ne l’a pas encore reçu, ne pourra ni connaître ni accomplir les célestes préceptes. De même, humainement parlant, ne faut-il pas que l’existence précède en nous l’action, puisque ce qui n’est pas n’a ni mouvement ni subsistance même, et que ce qui a l’être, à quelque degré que ce soit, n’est actif et passif que dans les limites de sa propre nature ? Cela me paraît évident.

Contemplons maintenant les symboles du sacrement de la divine régénération. Mais que nul profane ne hasarde ici un regard téméraire ; car des yeux débiles ne se fixeraient pas impunément sur le soleil, et il est dangereux de toucher aux choses qui nous dépassent, la sainte hiérarchie de l’ancienne Loi réprouvant Ozias parce qu’il usurpe les droits lévitiques, Coré parce qu’il s’immisce dans les fonctions d’un ordre supérieur, Nadab et Abiud parce qu’ils ne remplissent pas saintement leur légitime ministère.


DEUXIÈME PARTIE.

Rits et cérémonies de l’illumination.


I. Le pontife qui, toujours appliqué à imiter Dieu, voudrait que tous les hommes fussent sauvés, et vinssent à la connaissance de la vérité, annonce à tous la bonne nouvelle, et leur fait savoir que Dieu, naturellement bon et favorable à ses créatures, a daigné, dans l’excès de son amour, s’abaisser jusqu’à l’humanité, et que, pareil à un feu dévorant, il s’unit à nous, pour nous transformer en lui, autant que chacun est digne de ce glorieux commerce. « Car à tous ceux qui le reçurent il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, mais de Dieu[4]. »

II. Or, celui que presse le saint désir de participer à ces biens célestes, va d’abord trouver quelque initié, et en réclame instamment l’honneur d’être présenté à l’hiérarque ; il lui promet ensuite d’obéir à toutes les prescriptions, et le conjure de procurer son admission, et de veiller désormais sur sa conduite. Le chrétien est pieusement avide du salut de ce solliciteur ; mais balançant la pesanteur du fardeau qu’on lui impose avec la faiblesse humaine, il est saisi d’anxiété et de religieuse frayeur ; à la fin cependant il consent avec charité à faire ce qu’on lui demande, et prenant son protégé, le conduit au pontife.

III. Le pontife accueille avec joie ces deux hommes, comme le pasteur qui rapporte sur ses épaules la brebis perdue ; et par de mentales actions de grâces et des signes corporels d’adoration, il révère et bénit le seul principe de toute chose bonne, par qui sont appelés ceux qui sont appelés, et sauvés ceux qui sont sauvés.

IV. Puis il convoque au lieu saint tous les membres de la hiérarchie pour coopérer au salut de cet homme, et s’en réjouir et en rendre grâces à la divine bonté. Il commence par chanter avec tout le clergé quelque hymne tirée des Écritures ; ensuite il baise l’autel sacré, s’approche du catéchumène, et lui demande quel est son désir.

V. Celui-ci, conformément aux instructions de son introducteur, s’accuse avec amour de Dieu de son infidélité passée, de l’ignorance où il était du vrai bien, et de n’avoir pas fait les œuvres d’une vie divine ; et il demande à être admis par la médiation du pontife à la participation de Dieu et des choses saintes. Le pontife alors lui apprend que Dieu très-pur et infiniment parfait veut qu’on se donne à lui complétement et sans réserve ; et exposant les préceptes qui règlent la vie chrétienne, il l’interroge sur sa volonté de les suivre. Après la réponse affirmative du postulant, le pontife lui pose la main sur la tête, le munit du signe de la croix, et ordonne aux prêtres d’enregistrer les noms du filleul et du parrain.

VI. Après cette formalité, une sainte prière commence ; quand l’Église entière avec son pontife l’a terminée, les diacres délient la ceinture et ôtent le vêtement du catéchumène. L’hiérarque le place en face de l’occident, les mains dressées en signe d’anathème contre cette région de ténèbres, et lui ordonne de souffler sur Satan par trois fois, et de prononcer les paroles d’abjuration. Trois fois le pontife les proclame, trois fois le futur initié les répète. Alors le pontife le tourne vers l’orient, lui faisant lever au ciel les yeux et les mains, et lui commande de s’enrôler sous l’étendard du Christ et d’adhérer aux enseignements sacrés qui nous sont venus de Dieu.

VII. Ensuite vient la profession de foi ; le pontife en lit la formule à trois reprises, et lorsqu’elle a été répétée autant de fois par le catéchumène, il le bénit parmi de saintes oraisons, et lui impose les mains. De leur côté, les diacres achèvent de le dépouiller de ses vêtements, et les prêtres apportent l’huile sainte. Il reçoit d’abord une triple onction des mains de l’initiateur suprême, puis les prêtres continuent d’oindre le reste de son corps. Cependant l’initiateur se rend vers la fontaine, mère de l’adoption ; il en purifie les eaux par des invocations religieuses, et les sanctifie par une triple effusion de l’huile bénite, faite en forme de croix ; il chante trois fois aussi un cantique dicté par le Saint-Esprit, mystérieux auteur de l’inspiration prophétique. Il ordonne qu’on lui amène le disciple. Un ministre proclame le nom du parrain et du pupille. Celui-ci, conduit par les prêtres vers la fontaine salutaire, est remis entre les mains de l’hiérarque, qui se tient debout en un lieu plus élevé. Là le nom de l’initié est publié de nouveau. Alors le pontife le baptise, le plongeant trois fois dans l’eau, et l’en retirant trois fois, et invoquant les trois personnes de la divine béatitude. Les prêtres reçoivent le baptisé, et le remettent à son introducteur et patron : tous ensemble, ils le revêtent d’une robe blanche, signe de son nouvel état, et le conduisent encore au pontife, qui le fortifie par l’onction d’un baume consacré et le déclare digne de participer désormais au bienfait souverain de la sainte Eucharistie.

VIII. Ces cérémonies achevées, le pontife qui, en les accomplissant, descend, pour ainsi dire, à des choses secondaires, est bientôt rappelé à la contemplation des choses les plus élevées[5] ; car en aucun temps, en aucune manière, il ne doit se fixer en ce qui le détournerait de ses hautes fonctions, mais bien, sous l’influence du Saint-Esprit, passer avec une infatigable ardeur de ce qui est divin à ce qui est également divin.


TROISIÈME PARTIE.

Contemplation.


I. Tels sont les symboles matériels qui cachent le mystère de notre régénération divine. Or, ces symboles n’ont rien de profane ni d’inconvenant ; mais ils offrent, comme en un miroir matériel et accessible aux regards humains, l’objet énigmatique de sublimes contemplations. Et qu’y verrait-on de défectueux, même abstraction faite de la plus auguste raison qui explique ce sacrement, puisque par la seule persuasion et par l’institution divine, il opère la sainteté en ceux qui s’en approchent, et que par l’ablution naturelle du corps, il leur rappelle d’une manière sensible que la vie coupable doit être expiée par une vie vertueuse et divine ? Quand donc il n’y aurait rien de plus divin dans les signes qui voilent cette initiation mystérieuse, même alors je la trouverais pleine de religieuse décence ; car elle forme aux habitudes d’une conduite irréprochable, et en purifiant le corps par l’eau, elle exprime symboliquement le dépouillement total des fautes antérieures.

II. Ceci soit dit par manière d’introduction à l’usage des âmes imparfaites ; car il est bon de séparer les choses vulgaires de ce qui est saint et déifique, et de donner aux divers ordres une explication proportionnée à leurs forces respectives. Pour nous, il faut nous élever par une sorte d’ascension spirituelle jusqu’aux principes des sacrements ; et dans la connaissance précieuse qui nous en viendra, nous verrons de quels types ils sont l’empreinte, et quels secrets augustes ils expriment. Car, comme il a été clairement expliqué dans notre discours touchant la matière et l’intelligible, les choses sacrées que les sens perçoivent sont les tableaux de celles qu’ils ne perçoivent pas, le guide et le chemin qui y conduisent ; et celles-ci sont le principe radical et l’explication des formes visibles de notre hiérarchie.

III. Entrons maintenant dans notre contemplation. La douce et bienheureuse nature de Dieu, du sein de sa constante immutabilité, laisse tomber sur les intelligences les salutaires rayons de sa lumière. Si, par l’abus de sa liberté, l’intelligence se détourne ; si, éprise du mal, elle tient scellée pour ainsi dire sa naturelle faculté de voir ; si elle se soustrait à l’action de la lumière, la lumière ne l’abandonne pas pour cela, mais elle continue à luire sur cette âme malade, et court se placer avec bonté sous son regard indocile. Si l’intelligence, mécontente de sa portion respective du bienfait divin, essaie de franchir les bornes que Dieu lui a fixées ; si elle s’applique témérairement à contempler des splendeurs qui la surpassent, sans doute la lumière ne cessera pas pour cela de verser ses flots ; mais l’âme s’ingérant avec imperfection dans les choses parfaites ni n’obtiendra ce qui ne lui fut point destiné, ni même ne conservera, à cause de son fol orgueil, ce qui lui avait été départi. Toutefois, comme je l’ai dit, la bienfaisante lumière étincelle sans cesse sur tous les esprits ; toujours présente, toujours préparée à se communiquer avec une libéralité divine, il leur est libre de la recevoir.

Et l’hiérarque se façonne à imiter cette sublime leçon. Il répand généreusement l’éclatante splendeur des divins enseignements ; à l’exemple de la divinité, il se montre toujours prêt à éclairer quiconque le désire ; son cœur est sans jalousie, ses lèvres n’ont pas d’amers reproches pour ceux qui combattirent la lumière, ou l’ambitionnèrent sans humilité ; il fait luire devant tous ceux qui viennent à lui le flambeau de la doctrine pontificale avec je ne sais quoi de divin et de parfaitement ordonné, et dans la mesure qui convient aux besoins de chaque intelligence.

IV. Or, parce que Dieu est le principe de cette sainte institution qui apprend aux âmes à se connaître elles-mêmes, quiconque voudra considérer sa propre nature, saura d’abord ce qu’il est ; et telle sera la première et douce récompense de son docile amour pour la lumière : devant cette contemplation de lui-même faite d’un œil tranquille et pur, les épaisses ténèbres de son ignorance se dissiperont. Il est vrai que, dans son imperfection, il ne se prendra pas à désirer déjà le bonheur de participer et de s’unir à Dieu ; mais passant successivement du bien au mieux, du mieux à ce qui est plus saint encore, et consommant son initiation, il s’élèvera pieusement, et selon l’ordre, jusqu’au sein de la majesté infinie. Le symbole de cette dépendance si bien ordonnée se trouve dans le respect craintif du catéchumène, et dans la conscience qu’il a de sa faiblesse : c’est pourquoi il réclame un patron qui veuille le présenter au pontife. Ainsi préparé, l’éternelle béatitude daigne se communiquer à lui ; elle le marque, pour ainsi dire, du sceau de sa lumière, le divinise, et le rend digne de l’héritage céleste et de la société des élus. Tout ceci est figuré par le signe de croix qui est fait sur le baptisé, et par l’inscription de son nom sur le livre sacré parmi les noms de ceux qui sont appelés au salut. Du reste, figurent ensemble sur cette liste l’initié et celui par lequel il fut amené à la vérité et à la vie : l’un comme disciple affectueux et fidèle d’un maître bienveillant et pieux, l’autre comme guide assuré qui ne s’écartera pas des voies que Dieu a tracées.

V. Mais il est impossible que les contraires se réunissent en un même sujet ; et celui qui est en communion avec l’unité, s’il tient à se maintenir dans cet heureux état, ne saurait vivre en même temps d’une vie opposée : qu’il se sépare donc absolument de ce qui pourrait rompre l’unité. C’est ce qui est mystérieusement enseigné par les cérémonies du baptême, où le catéchumène est dépouillé, pour ainsi dire, de sa vie antérieure et arraché sans pitié à toutes ses affections : car sans vêtements, sans chaussure, placé en face de l’occident, il étend les mains pour renier toute participation avec la malice et les ténèbres, il semble repousser de son souffle les habitudes d’iniquité précédemment contractées, il renonce solennellement à tout ce qui pourrait empêcher sa sanctification. Ainsi affranchi du vice, et rendu à une pureté complète, on le tourne vers l’orient, lui faisant entendre que, par la fuite absolue du mal, il sera digne d’habiter la région de la lumière et de contempler les divines splendeurs. Puis ramené au principe d’unité, on reçoit avec confiance les protestations sacrées qu’il fait de se rapprocher de cette unité par tous ses efforts. Effectivement, et ceci sans doute est manifeste pour tous ceux qui sont versés dans la science de nos mystères, c’est seulement par de généreux et continuels élans vers l’unité, par la mortification et l’anéantissement de tout ce qui lui est contraire, que les intelligences se constituent dans un état d’inébranlable perfection. Car ce n’est pas assez de fuir l’iniquité, on doit encore déployer l’énergie d’un mâle courage, et lutter avec persévérance contre la tentation d’un funeste relâchement ; bien loin de laisser l’amour de la vérité se refroidir jamais, il faut tendre vers elle, autant qu’on le peut, par un magnanime et éternel désir, et travailler à s’élever sans cesse jusqu’à la sublimité de la perfection divine.

VI. Or, vous trouverez ces enseignements heureusement symbolisés dans les cérémonies de l’initiation sacramentelle. Car le divin hiérarque commence, et après lui les prêtres achèvent l’onction sainte sur le corps de l’initié, comme si par cette figure ils l’appelaient aux combats dans lesquels il doit s’exercer sous la présidence du Christ. Car c’est Jésus-Christ qui, en tant que Dieu, a institué ces combats ; sage, il a réglé les conditions du succès ; magnifique, il a préparé aux vainqueurs de nobles prix. Il y a quelque chose de plus merveilleux : parce qu’il est bon, Jésus-Christ entre en lice avec les athlètes, combattant pour leur liberté et leur triomphe contre l’empire de la corruption et de la mort. L’initié courra donc gaîment à ces luttes, car elles sont divines ; il restera fidèle, constamment fidèle aux sages ordonnances qui règlent son courage, soutenu par le ferme espoir de récompenses éclatantes, et rangé sous la discipline de son bon Seigneur et chef. Ainsi marchant sur les traces divines de celui qui daigna être le premier athlète, il vaincra, comme son maître, les malins esprits et les penchants déréglés, durs ennemis du salut, et mourra avec Jésus-Christ de cette mort mystique qui tue le péché dans le baptême.

VII. Et ici, observez avec quelle justesse les symboles sont adaptés aux sacrements. Ainsi parce que la mort n’est pas une destruction de notre substance, comme l’ont imaginé quelques-uns, mais simplement une séparation de principes d’abord réunis, et qui cessent désormais d’apparaître, l’âme n’accusant plus sa présence, depuis qu’elle a quitté le corps, et le corps confié à la terre et soumis à des altérations successives ne gardant plus aucune trace de sa forme première ; pour cette raison, dis-je, la mort et la sépulture sont assez bien représentées par l’immersion complète du corps dans l’eau baptismale. Lors donc qu’au baptême, trois fois on plonge dans l’eau, et trois fois on en retire le catéchumène, on lui fait entendre par cet enseignement saintement figuratif qu’il retrace les trois jours et les trois nuits que Jésus, l’auteur de la vie, passa dans le tombeau après sa mort ; si l’on peut dire toutefois que l’homme retrace celui en qui le prince de ce monde ne trouva rien qui lui appartînt, selon la parole mystérieuse et profonde de nos oracles[6].

VIII. Ensuite on donne au nouveau chrétien des habits d’éclatante blancheur ; car échappant par une ferme et divine constance aux attaques des passions, et aspirant avec ardeur à l’unité, ce qu’il avait de déréglé rentre dans l’ordre, ce qu’il avait de défectueux s’embellit, et il resplendit de toute la lumière d’une pure et sainte vie.

Sous l’onction de l’huile bénite, le baptisé répand une suave odeur ; car celui qui reçoit le sacrement de la régénération est uni par là même au Saint-Esprit. Mais je laisse aux âmes qui furent jugées dignes d’un auguste et pieux commerce avec cet esprit divin, de connaître et d’entendre ce que c’est que cette visite ineffable de la majesté céleste, dans laquelle l’homme se trouve embaumé d’un parfum spirituel, et élevé à la perfection.

Enfin le pontife convie l’initié à la très-sainte Eucharistie, et le fait entrer en participation de ce mystère qui opère si efficacement la sainteté.


CHAPITRE III.

DES CÉRÉMONIES QUI S’ACCOMPLISSENT DANS L’EUCHARISTIE.


Argument. — On enseigne dans la première partie que le sacrement de l’Eucharistie est le complément des autres sacrements, et qu’on le nomme Synaxe ou communion, parce qu’il nous unit à Dieu d’une façon particulière et intime.

On décrit dans la seconde partie les rits sacrés parmi lesquels se consacre et se distribue l’Eucharistie, et on signale quels sont ceux qu’on admettait à la contemplation du mystère, quels sont ceux qu’on en excluait.

On explique dans la contemplation, I, ce que signifient, dans la célébration des mystères, les cantiques et les leçons, et la participation du pain et du calice. II. Après avoir invoqué celui qui réside en ce sacrement adorable, III, on remarque que Dieu immuable en soi daigne se communiquer à tous les hommes, et que le pontife est une image de cette universelle providence, par sa mission de conférer les choses saintes à ses inférieurs. IV. On rappelle les instructions renfermées dans les saints oracles, V, et comment les Écritures disposent l’âme à la sainteté. VI. On marque pourquoi certains hommes sont exclus de la vue et de la réception des mystères ; VII, comment les pécheurs sont indignes du don divin, que les justes seuls reçoivent ; VIII, ce que signifient le baiser de paix, IX, la lecture des noms des saints, X, l’ablution des doigts du prêtre et l’élévation de l’Eucharistie. XI. On décrit les calamités que l’homme encourt par le péché, et la bonté que Dieu lui a témoignée en le réparant. XII. On montre que le sacrifice est une commémoration de la passion du Christ, et quelle est la fin de la sainte communion ; XIII, pourquoi l’on fractionne et l’on distribue le saint sacrement ; XIV, et pourquoi le prêtre communie lui-même avant de donner la communion aux autres. XV. Enfin, quelles actions de grâces l’assemblée rend à Dieu.


PREMIÈRE PARTIE.


Mais puisque nous avons nommé l’Eucharistie, il ne convient pas de passer outre, pour louer quelque mystère, avant celui-là ; car, comme disait notre illustre maître, c’est le sacrement des sacrements. Or il nous faut débuter par la description des cérémonies qui s’y pratiquent, et puis, fondé sur l’enseignement pontifical et l’autorité des Écritures, nous élever, avec l’assistance du Saint-Esprit, à la contemplation spirituelle de cette divine institution.

Et d’abord recherchons pieusement pour quelle raison ce qui est commun à tous les autres sacrements de l’Église, est attribué par excellence à celui-ci ; pour quelle raison on le nomme spécialement communion et synaxe, quand tous également ont pour but de ramener à la simplicité de la perfection divine la multiplicité de nos affections partagées, et de nous mettre en communion intime avec l’unité, par cette sainte récollection de nos facultés si distraites. Or, nous disons que les autres sacrements reçoivent leur complément et leur perfection des riches trésors et de l’adorable sainteté de celui-ci. Car il n’est guère d’usage qu’aucune de ces augustes cérémonies se célèbre, sans que la très-sainte Eucharistie, achevant l’œuvre commencée, ne vienne élever l’initié vers Dieu, et par la grâce ineffable du mystère parfait, opérer son union avec l’adorable unité. Si donc les autres sacrements demeurent comme incomplets sans celui-ci, et n’établissent point entre l’unité et nous une sainte et intime union, ne pouvant communiquer une vertu qu’ils n’ont pas ; si la fin essentielle de tous les sacrements est de préparer celui qui les reçoit à la participation de la très-divine Eucharistie ; il faut convenir que nos pontifes, en l’appelant synaxe, lui ont donné un nom tiré de la nature des choses, et qui convient merveilleusement. C’est ainsi qu’avec une justesse parfaite le sacrement de la divine renaissance a été nommé l’illumination, précisément parce qu’il initie l’homme à la lumière et qu’il est pour nous le commencement des illuminations célestes. Car quoiqu’il appartienne à toutes institutions sacramentelles de communiquer la lumière divine, toutefois c’est le baptême qui m’a, pour ainsi dire, ouvert les yeux, et c’est par la lumière auguste qu’il m’a donnée que je m’élève à la contemplation des autres saints mystères.

Il fallait dire ces choses avant de fixer le regard de notre attention sur chacun des rits qui s’observent en la célébration de l’Eucharistie, et sur leur signification profonde.


DEUXIÈME PARTIE.

Mystère de la communion ou synaxe.


L’hiérarque, après avoir prié au pied de l’autel sacré, l’encense d’abord, puis fait le tour du temple saint. Revenu à l’autel, il commence le chant des psaumes que tous les ordres ecclésiastiques continuent avec lui. Après cela, des ministres inférieurs lisent les très-saintes Écritures, et ensuite on fait sortir de l’enceinte sacrée les catéchumènes, et avec eux les énergumènes et les pénitents : ceux-là restent seuls qui sont dignes de contempler et de recevoir les divins mystères. Pour le reste des ministres subalternes, ceux-ci se tiennent auprès des portes fermées du saint lieu ; ceux-là remplissent quelque autre fonction de leur ordre. Les plus élevés d’entre eux, les diacres s’unissent aux prêtres pour présenter sur l’autel le pain sacré et le calice de bénédiction, après toutefois qu’a été chantée par l’assemblée entière la profession de la foi. Alors le pontife achève les prières, et souhaite à tous la paix ; et tous s’étant donné mutuellement le saint baiser, on récite les noms inscrits sur les sacrés diptyques. Ayant tous purifié leurs mains, l’hiérarque prend place au milieu de l’autel, et les prêtres l’entourent avec les diacres désignés. L’hiérarque bénit Dieu de ses œuvres merveilleuses, consacre les mystères augustes, et les offre à la vue du peuple sous les symboles vénérables qui les cachent. Et quand il a ainsi présenté les dons précieux de la divinité, il se dispose à la communion, et y convie les autres. L’ayant reçue et distribuée, il termine par une pieuse action de grâces. Et tandis que le vulgaire n’a considéré que les voiles sensibles du mystère, lui, toujours uni à l’Esprit saint, s’est élevé jusqu’aux types intellectuels des cérémonies, dans la douceur d’une contemplation sublime, et avec la pureté qui convient à la gloire de la dignité pontificale.


TROISIÈME PARTIE.

Contemplation.


I. Et maintenant, mon fils, après avoir décrit par ordre les cérémonies figuratives, et avant de vous élever à la sublimité de leurs archétypes, il faut me proportionner aux âmes encore imparfaites, et les consoler par cette remarque, qu’elles peuvent tirer profit de l’institution de ces pieux symboles, quand même elles n’en considèrent que l’extérieur et l’écorce. Car les saints cantiques et la lecture des divins oracles leur apprennent les préceptes de la vertu, et qu’il faut se purifier entièrement de la corruption du péché. La participation commune et pacifique à un seul et même pain sacré, et à un seul et même calice, impose à tous une mutuelle concorde, comme elle transmet à tous une vie identique ; et elle leur rappelle ce divin banquet où furent célébrés pour la première fois ces mystères, et où l’auteur même de ce sacrement n’y laissa point participer l’apôtre indigne qui avait fait la cène sans pureté, sans esprit de conformité avec le Seigneur. Et de là ressort cette mémorable et sainte instruction, qu’il faut s’approcher des choses divines par la foi et avec la charité, pour obtenir d’être transformé en les recevant.

II. Mais, ainsi que je l’ai dit, ces considérations ressemblent à des tableaux qui ornent le vestibule du temple. Laissons-les aux esprits dont l’initiation n’est pas encore parfaite ; et nous, remontons de l’effet à la cause. Là, guidés par la lumière de Jésus, nous contemplerons le magnifique spectacle que présentent les idées archétypes de notre communion sacramentelle, et la céleste beauté dont elles brillent nous réjouira. Mais, ô très-saint et très-divin sacrement, soulevez ces voiles énigmatiques sous lesquels vous êtes mystérieusement caché ; montrez-vous à découvert, et remplissez l’œil de notre entendement des flots de votre pure lumière.

III. Il nous faut donc pénétrer dans le sanctuaire, pour ainsi dire, et recherchant le sens profond du premier de ces symboles, en considérer la beauté infinie : il nous faut voir pourquoi l’hiérarque quitte le saint autel, va jusqu’aux portes du temple répandre le parfum de l’encens, et revient enfin à la place d’où il était parti. Or, quoique la souveraine et bienheureuse nature de Dieu s’incline vers les créatures pour leur communiquer les trésors de sa bonté, cependant elle ne sort pas de cette ferme et constante immutabilité qui la caractérise ; et tout en versant ses splendeurs sur les esprits déifiés, au degré qui leur convient, elle persiste dans un état d’identité parfaite : de même donc le sacrement de la divine Eucharistie : uni, simple, indivisible dans son principe, il revêt, dans l’intérêt de l’humanité, différents symboles et se cache sous toutes les formes extérieures qui nous représentent la divinité ; et toutefois ces signes multiples se ramènent invariablement à une unité radicale, vers laquelle sont attirés aussi ceux qui reçoivent saintement ce mystère. De même encore notre hiérarque : car quoique, dans sa charité, il fasse part à ses inférieurs du trésor de la science pontificale, dont il cache la simplicité pure sous la variété de cérémonies énigmatiques ; néanmoins libre, et ne contractant dans le commerce des choses inférieures aucune souillure, il se ramène en Dieu qui est son principe, et faisant son entrée spirituelle dans l’unité, il voit clairement les raisons divines des mystères qu’il accomplit ; et de la sorte, le terme de son abaissement plein de condescendance vers les choses subalternes devient le commencement d’un retour plus parfait vers les choses supérieures.

IV. Mais le chant sacré des Écritures qui entre, pour ainsi dire, dans l’essence de tous nos sacrements, devait se retrouver dans le plus auguste de tous. Car que voit-on dans les livres inspirés de la sainte Écriture ? on y voit Dieu créateur et ordonnateur de toutes choses ; on y voit les prescriptions religieuses et politiques de Moïse ; la conquête et le partage des terres données au peuple choisi ; la prudence des juges, la sagesse des rois et la sainteté des pontifes ; la philosophie magnanime de ces anciens personnages que n’ébranlèrent pas des accidents et nombreux et variés ; les saints enseignements qui règlent ce que nous devons faire, et les cantiques et la sublime peinture du divin amour, et les manifestations prophétiques de l’avenir, et les actions merveilleuses de l’Homme-Dieu, et les doctrines et les institutions, aussi divines dans leurs effets que dans leur principe, qui nous furent laissées par les apôtres, et la profonde et mystérieuse vision du divin et bien-aimé disciple, et l’auguste théologie de Jésus. Voilà ce que l’Écriture enseigne à quiconque veut être déifié ; voilà ce qu’elle confirme en le mêlant à tous les sacrements par lesquels nous sommes élevés à la divine ressemblance. Ainsi donc ces chants sacrés qui ont pour but de célébrer les œuvres et les paroles de Dieu, de louer les discours et les actions des saints, forment comme un hymne général où sont exposées les choses divines, et opèrent en ceux qui les récitent saintement une heureuse disposition soit à conférer, soit à recevoir les divers sacrements de l’Église.

V. Quand donc, par les charmes de l’harmonie, le cantique des vérités sacrées aura préparé les puissances de notre âme à la célébration immédiate des mystères, et que les ayant soumises, pour ainsi dire, dans l’entraînement de ce concert, aux cadences d’un unanime et divin transport, elle nous aura accordés avec Dieu, avec nos frères et avec nous-mêmes, alors ce que les chants pieux n’offraient qu’en raccourci et sous l’ombre des figures, la lecture des saintes Lettres le développera heureusement en des tableaux et des récits plus larges et plus manifestes. Là, le regard du contemplateur religieux verra toutes choses concourir à une parfaite unité, sous l’influence d’un seul esprit, et c’est pour cela sans doute qu’on a établi cet ordre de lire d’abord l’Ancien Testament, puis la Nouvelle Alliance, notre divine hiérarchie enseignant par là, je pense, que l’un a prédit la vie du Sauveur, et que l’autre la raconte ; que l’un a peint la vérité sous des symboles, et que l’autre la montre dans sa réalité : car les prophéties de l’ancienne loi se trouvent vérifiées par les événements de la loi nouvelle, et les paroles que Dieu prononce dans la première sont résumées par les actions qu’il fait dans la seconde.

VI. Or, ceux qui ont fermé l’oreille à la trompette évangélique ne doivent pas même contempler les symboles de nos sacrés mystères, puisqu’ils ont dédaigné de recevoir le salutaire sacrement de la régénération divine, opposant aux paroles saintes ce lamentable refus : je ne veux pas connaître vos voies. Quant aux catéchumènes, aux énergumènes, aux pénitents, la loi de notre hiérarchie leur permet bien d’entendre le chant des cantiques et la lecture des saintes Lettres ; mais elle les exclut du sacrifice et de la vue des choses saintes, que l’œil pur des parfaits doit seul contempler. Car, reflet de Dieu, et remplie d’une souveraine équité, la hiérarchie se réglant avec un pieux discernement sur le mérite des sujets, les appelle à la participation des dons divins chacun en son temps et dans la proportion convenable. Or, les catéchumènes ne sont qu’au dernier rang ; car jusqu’alors ils n’ont reçu aucun sacrement, et ne sont point élevés à ce divin état que donne la naissance spirituelle ; mais ils sont encore portés, pour ainsi dire, dans les entrailles de ceux qui les instruisent ; là, leur organisation se forme et se parfait, tant qu’enfin arrive cet heureux enfantement qui leur communique vie et lumière. De même que dans l’ordre naturel, si le fruit encore imparfait et informe échappe avant le temps à sa prison de chair, et si, triste avorton, il est précipité à terre sans connaissance, pour ainsi dire, sans vie, sans lumière, personne assurément ne jugera ici d’après la seule apparence ; personne ne dira que cet enfant est venu au jour, parce qu’il est sorti des ténèbres du sein maternel : car, comme enseigne la médecine si versée dans la science de notre organisme, la lumière tombe en vain sur les sujets qui ne peuvent la recevoir. Ainsi, dans les choses sacrées, la science sacerdotale façonne d’abord et prépare à la vie les catéchumènes par l’aliment des Écritures, et voilà la conception spirituelle ; puis elle les porte jusqu’au temps de l’enfantement divin, et alors elle leur communique les dons salutaires de la lumière et de la perfection. C’est donc pour cela qu’elle éloigne les imparfaits des choses parfaites, veillant ainsi au respect des mystères et environnant des soins prescrits par la hiérarchie la génération et l’enfantement des catéchumènes.

VII. La foule des énergumènes est traitée comme immonde aussi ; toutefois elle tient le second rang, et ainsi précède les catéchumènes qui sont les derniers. Car je ne pense pas qu’il faille mettre sur la même ligne ceux qui ne furent point initiés, qui demeurent encore étrangers aux choses saintes, et ceux qui, ayant déjà participé à quelque sacrement, se débattent encore sous le joug des voluptés de la chair et des passions de l’esprit ; bien qu’on refuse à ceux-ci l’honneur de contempler et de recevoir les sacrés mystères, et cela pour une haute raison. Effectivement l’homme vraiment divin, et digne de participer aux choses divines, et qui, se transformant par les pratiques de la perfection, s’élève jusqu’à la plus haute conformité qu’il puisse avoir avec Dieu, l’homme qui ne s’occupe de sa chair, que quand la nature l’exige et comme en passant, et qui, temple et compagnon fidèle du Saint-Esprit, s’applique de tous ses efforts à lui ressembler, préparant à ce qui est divin une demeure divine : cet homme, dis-je, ne sera jamais tourmenté par les illusions et les terreurs diaboliques ; au contraire il s’en rira, il repoussera leur attaque ; plus actif que passif vis-à-vis d’elles, il les poursuivra victorieusement, et par la force de son courage inaccessible aux passions, il délivrera ses frères de l’influence des malins esprits. Aussi je pense, ou mieux je suis parfaitement convaincu que nos hiérarques, dans leur sagesse consommée, regardent comme soumis à la plus désastreuse des possessions, ceux qui, apostats de la vie divine, se rangent aux sentiments et habitudes des démons, et qui, victimes de leur folie extrême, se détournent des seuls vrais biens, des biens impérissables et éternellement doux, pour ambitionner et conquérir je ne sais quoi de matériel, plein d’instabilité et de troubles immenses, des plaisirs hideux et corrupteurs, et pour demander à des choses fugitives et étrangères quelque joie apparente, mais non pas réelle. C’est pourquoi la réprobation du ministre chargé de faire le discernement tombe d’abord et spécialement sur ceux-ci, plutôt que sur les énergumènes ; car il ne convient pas qu’il leur soit rien communiqué des choses saintes, si ce n’est la doctrine des Écritures qui peut les ramener à de meilleurs sentiments. Et en effet, si l’auguste mystère qui se célèbre, accessible seulement à ce qui est pur et saint, repousse les pénitents qui cependant y ont déjà participé ; s’il prononce que, dans sa sublimité, il ne doit être ni contemplé, ni reçu par ceux que l’imperfection empêche encore de s’élever jusqu’à la hauteur de la divine ressemblance (car cette parole très-pure frappe quiconque ne peut s’unir aux hommes jugés dignes de la communion) ; à plus forte raison, cette multitude que tourmentent les passions mauvaises sera estimée profane, sera privée de la vue et de la réception des choses saintes.

Quand donc on aura exclu du temple et du sacrifice dont ils sont indignes, et ceux qui n’ont pas encore été appelés à la grâce de l’initiation, et ensuite les transfuges de la vertu, et puis ceux qui se laissent aller mollement aux frayeurs et illusions des démons ennemis, n’ayant pas encore atteint l’efficace et inébranlable vertu de l’état divin par une ferme et constante application aux choses du ciel ; et ceux qui, sortis de la vie du péché, en conservent les impures imaginations, parce qu’ils n’ont pas encore contracté l’habitude d’un saint et divin amour ; et enfin ceux qui ne sont pas réunis parfaitement à l’unité et auxquels, pour employer les termes de la loi, il reste encore quelque tache, quelque souillure : après cela, dis-je, les ministres sacrés et les pieux assistants contemplent avec respect le mystère sacré, et dans une commune louange, célèbrent le souverain auteur et distributeur de tout bien, par lequel nous furent accordés ces sacrements salutaires qui opèrent la sainteté et la déification des initiés. Ce cantique, les uns l’appellent hymne de louange, les autres, symbole de la religion ; on l’a nommé plus divinement, selon moi, très-sainte Eucharistie ou action de grâces, parce qu’il renferme tous les dons que Dieu a fait descendre sur nous. Car on voit que toutes les œuvres divines que nous célébrons en cette rencontre se sont accomplies pour nous. Ainsi Dieu nous a libéralement conféré l’existence et la vie ; il forme ce que nous avons de divin sur le type de ses beautés ineffables ; il nous perfectionne, nous élève à une sainteté plus sublime ; voyant en pitié l’indigence spirituelle où nous sommes tombés par notre faute, il nous rappelle par des grâces régénératrices à la splendeur de nos premières destinées ; il daigne prendre les infirmités de notre nature pour nous communiquer les perfections de la sienne, et nous fait présent de ses propres richesses et de sa divinité même.

VIII. Étant achevé cet hymne à l’amour de notre Dieu, le pain sacré est couvert d’un voile, puis présenté avec le calice de bénédiction. On se donne ensuite le saint baiser et l’on récite pieusement les noms inscrits dans les diptyques.

Ceux-là ne peuvent se ramener à l’unité ni entrer avec elle en un pacifique et intime commerce, qui sont divisés avec eux-mêmes. Effectivement, si, touchés par les rayons qui viennent de l’unité et contemplée et connue, nous savions nous précipiter et nous perdre en Dieu, unité souveraine, nous ne laisserions point aller nos âmes en ces convoitises qui la partagent et qui lui font concevoir contre nos semblables ces inimitiés pleines de chair et de sang et de passion. Je crois donc, d’après cela, que cette cérémonie de la paix tend à établir en nous une vie d’unité parfaite, rapprochant ainsi les choses qui se ressemblent et ravissant à ceux qui sont en proie à la division le spectacle de cette union toute divine.

IX. La récitation des sacrés diptyques, qui se fait après la paix donnée, est comme un éloge de ceux qui se sont gardés purs et saints, et qui sont arrivés par la persévérance jusqu’au terme de la vie parfaite. Ainsi sommes-nous excités et conduits par leur exemple à ce bienheureux état et à ce repos divin dont ils jouissent ; ainsi sont-ils célébrés eux-mêmes comme des héros vivants ; car, selon l’enseignement de la théologie, ils ne sont pas morts, mais ils sont passés à une vie plus parfaite[7]. Remarquez encore que, si leurs noms sont inscrits dans les saints registres, ce n’est pas que la mémoire de Dieu ait besoin, comme celle des hommes, d’un signe qui la réveille, mais c’est pour faire entendre pieusement que le Seigneur conserve une affectueuse et impérissable connaissance de quiconque s’est déifié par la vertu. « Car il connaît ceux qui sont à lui, dit l’Écriture[8] ; » et ailleurs : « La mort de ses saints est précieuse devant lui[9], » la mort se prenant ici pour la consommation en la sainteté. Observez enfin qu’après avoir déposé sur l’autel les symboles sacrés sous lesquels le Christ se voile et se communique, on y place en même temps cette liste des noms des saints pour montrer qu’ils sont joints à lui, inséparablement joints dans la sainteté d’une céleste union.

Ces cérémonies achevées, comme nous venons de dire, le pontife se tient debout en face des symboles sacrés ; puis, avec tout l’ordre sacerdotal, il se purifie les doigts. Car, pour employer le langage des Écritures, celui qui sort du bain n’a plus besoin que d’une légère ablution[10]. Par cette dernière et complète purification, il deviendra l’image de la très-pure divinité. Alors il pourra s’incliner avec bonté vers les choses inférieures sans se laisser séduire ni captiver par elles, puisqu’il est dans l’unité, et les quittant bientôt avec toute la plénitude et l’intégrité de sa perfection, il accomplira purement son glorieux retour à l’unité divine. La hiérarchie légale avait, comme nous l’avons dit, ses ablutions sacrées ; c’est ce que représentent chez nous le pontife et les prêtres se lavant les mains. Ceux donc qui s’approchent du sacrifice auguste doivent être purs de toutes les abjectes illusions de l’âme et se conformer, autant qu’ils peuvent, à la sainteté du mystère. Ainsi seront-ils illuminés par les plus éclatantes manifestations de la divinité ; car les lumières célestes se plaisent à laisser tomber leur clarté sur les objets qui leur sont conformes et qui peuvent la recevoir et plus entière et plus splendide. Or, si le pontife et les prêtres se purifient les doigts devant l’autel même, c’est pour figurer que la purification spirituelle s’accomplit sous l’œil de Jésus-Christ, qui pénètre jusqu’aux plus secrètes pensées et soumet notre vie entière à un rigoureux examen et à des jugements pleins de justice et d’impartialité. Alors seulement le pontife est uni aux choses saintes. Il donne louange aux œuvres divines, consacre les augustes mystères et les expose aux regards du peuple.

XI. Or, quelles sont ces œuvres divines qui s’accomplirent pour l’amour de nous, comme il a été dit ? C’est ce qu’il faut expliquer maintenant aussi bien que possible ; car réellement je ne pourrais les nommer toutes, bien loin de les connaître clairement et de les révéler aux autres. Mais celles que les pontifes sacrés célèbrent et opèrent conformément à la tradition, celles-là seulement je les dirai, selon mes forces, après avoir invoqué le secours de l’Esprit inspirateur.

Lorsque, dans le principe, la nature humaine perdit insensément la grâce divine, elle tomba dans une vie pleine de passions, qui aboutit à la corruption et à la mort. Car il était juste que l’audacieux transfuge de la bonté infinie, le violateur du précepte d’Éden, qui, cédant aux attrayantes et frauduleuses suggestions de l’esprit malin, avait secoué le joug qui donne la vie, fût livré en proie à ses penchants qui le détournent des biens célestes : d’où vient ce déplorable échange que nous avons fait de l’immortalité avec la mort. Tirant son origine de la corruption, l’homme fut condamné à avoir une fin qui rappelât son principe, et volontairement déchu d’une vie supérieure et divine, il fut précipité dans l’abîme contraire d’une vie pleine de mutabilité et d’angoisses. Ainsi égarée et fuyant loin du droit chemin qui mène au seul vrai Dieu, asservie à la multitude des cruels démons, notre nature ne vit pas qu’elle servait, non pas des dieux ou des amis, mais des ennemis affreux ; et bientôt les tyranniques excès de leur méchanceté naturelle l’eussent réduite aux horreurs d’une irréparable ruine. Mais par un conseil de sa charité et de sa miséricorde infinie, Dieu ne dédaigna pas de prendre lui-même soin de nous. C’est pourquoi, d’une part, prenant en réalité toutes nos misères, hors le péché, et s’unissant à notre bassesse, et, de l’autre, conservant sans confusion et sans altération aucune les attributs de sa nature, il voulut bien nous associer fraternellement, pour ainsi dire, à sa divinité et nous rendre participants de ses propres biens. C’est ainsi que, par le jugement et la justice, comme enseigne la parole traditionnelle, et non par le déploiement de sa force, il renversa la domination qu’exerçait sur nous la troupe rebelle des démons. Par sa bonté, il opéra dans nous une transformation complète : car il inonda d’une douce et divine lumière l’obscurité de notre esprit et il orna de grâces célestes notre difformité spirituelle ; il affranchit la maison de notre âme et des viles passions et des souillures hideuses, en sauvant notre nature menacée d’une totale ruine, et il nous apprit à monter vers le ciel et à mener une vie divine par la conformité que nous tâcherons d’avoir avec lui.

XII. Mais comment se pourrait accomplir cette ressemblance, sinon en renouvelant tous les jours par les bénédictions et sacrifices sacrés la mémoire des œuvres divines ? C’est aussi ce que nous faisons en mémoire du Christ, comme disent les Écritures[11]. Voilà pourquoi l’hiérarque, debout au saint autel, bénit les œuvres admirables que, dans sa providence, Jésus-Christ a faites pour le salut du genre humain, par le bon plaisir du Père dans le Saint-Esprit, pour parler comme nos oracles. Quand donc il les a louées, quand, par l’œil de l’entendement, il les a contemplées avec un pieux respect, il procède à la célébration mystique du sacrifice en la manière que Dieu a instituée. Étant donc payé le tribut de louanges à la divine bonté, saisi de cette crainte que la religion réclame d’un pontife, il s’excuse d’oser approcher ces mystères si excellents, et il s’écrie au Seigneur : « Vous l’avez dit : Faites ceci en mémoire de moi[12]. » Puis il demande la grâce de n’être pas indigne de ce ministère par lequel l’homme imite un Dieu, et de retracer Jésus-Christ dans la célébration et la distribution des choses sacrées, et que ceux qui doivent y communier les reçoivent avec une pureté parfaite. Alors il achève l’œuvre sainte et offre aux regards le mystère sous les symboles qui le rendent sensible. Et découvrant et rompant en pièces le pain jusque-là couvert et formant un seul tout, et partageant entre tous le même calice, il multiplie mystérieusement et distribue l’unité, et par là s’accomplit le très-saint sacrifice.

Ainsi, ce qu’il y a de caché, de simple et d’un en Jésus, Verbe divin, en revêtant notre nature par infinie tendresse pour les hommes, a formé comme un composé visible, sans que la divinité en fût altérée, et a négocié heureusement notre union intime avec lui en mariant notre bassesse avec ses perfections sublimes, si toutefois nous adhérons à lui, comme des membres au corps, par la conformité d’une divine et innocente vie, et si nous ne tombons pas dans les passions qui corrompent et qui tuent, et qui nous rendraient indignes de tout commerce avec les membres divins et incapables de participer à leur vie et santé. Car ceux qui désirent s’unir à Jésus doivent considérer la vie toute divine qu’il a menée dans la chair, et tendre, par l’imitation fidèle de son innocence, à un état de sublime sainteté.

XIII. C’est ce que montre clairement le pontife dans la célébration de ce mystère, lorsqu’il découvre les symboles sacrés jusque-là cachés à tous les regards et fractionne leur unité ; et que, par l’intime union du sacrement avec celui qui le reçoit, il fait communier la créature au trésor des grâces divines. Car ainsi, et en offrant à la vue Jésus-Christ, notre vie spirituelle, devenue pour ainsi dire sensible, il représente d’une manière palpable que le Seigneur, sortant du secret de sa divinité, s’est amoureusement fait semblable à nous en prenant, mais sans l’absorber, notre humanité entière ; qu’il revêt notre nature composée, sans altération de son essentielle unité ; et que, par un effet de cette même charité, il convie le genre humain à la participation de son essence et de ses propres richesses, pourvu cependant que nous nous unissions à lui en nous appliquant à imiter sa divine vie ; car ainsi nous serons véritablement associés à la divinité et nous partagerons ses biens.

XIV. Quand donc il a reçu et donné la sainte communion, le pontife avec toute la pieuse assemblée de l’Église termine par une sainte action de grâces. Car on reçoit avant de donner, et la communion aux mystères précède la distribution qu’on en fait. C’est effectivement une admirable disposition et une règle générale dans les choses divines, que le pontife entre en part et soit rempli le premier des grâces célestes, et qu’ensuite seulement elles soient accordées aux autres hommes par son entremise. C’est pour la même raison que ceux-là sont estimés profanes et rebelles à nos saintes institutions, qui osent enseigner les vérités sacrées avant d’avoir contracté l’habitude d’y conformer leur vie. De même donc que, sous l’influence des rayons solaires, les substances les plus minces et les plus transparentes sont facilement inondées de clarté, et ensuite, comme d’autres soleils, versent la lumière qui les remplit sur les corps inférieurs ; de même celui-là ne doit pas avoir la présomption de guider les autres dans les routes divines, qui n’est pas encore élevé à un état de conformité parfaite avec Dieu, et que l’inspiration et l’élection saintes n’ont pas appelé au commandement.

XV. C’est ainsi que tous les ordres de notre hiérarchie réunis dans l’Église, après avoir participé aux divins mystères, rendent grâces ensemble, chacun, selon qu’il en est capable, ayant reconnu et loué les œuvres divines. Pour ceux qui ne reçoivent et ne connaissent pas le don céleste, ils ne viendront jamais à en bénir le Seigneur, quoique, de leur nature, ces bienfaits merveilleux soient dignes d’universelles louanges. Mais, comme je l’ai montré, entraînés par les mauvais penchants, ils n’ont pas voulu voir les œuvres divines, et, pour cela, ils sont restés ingrats envers les infinies miséricordes. Aussi, goûtez et voyez, dit l’Écriture[13] ; car c’est en s’initiant à nos mystères que les fidèles apprécient l’immensité des grâces dont nous sommes enrichis, et c’est après avoir contemplé dans la communion leur grandeur et leur excellence, qu’ils éclatent en cantiques de louange pour les merveilles de bonté que la divinité a opérées.


CHAPITRE IV.

DES CÉRÉMONIES QUI SE FONT EN LA CONSÉCRATION DE L’HUILE SAINTE.


Argument. — Dans la première partie, on fait voir que le sacrement du chrême se rattache à celui de l’adorable Eucharistie.

Dans la seconde partie, on décrit les rits usités en ce sacrement.

Dans la contemplation, on explique : I, pourquoi l’huile sainte est couverte d’un voile ; II, comment ce mystère, caché aux profanes, se révèle aux saints ; III, comment le saint chrême, et les lectures et les chants qui accompagnent sa consécration, perfectionnent les âmes. IV. On montre la signification merveilleuse de l’huile sainte, et V, que plus les intelligences sont proches de Dieu, plus elles sont inondées de l’abondance des suavités célestes. VI. Les prêtres qui environnent le prélat consécrateur du saint chrême, représentant les Séraphins, VII, on explique ce que signifient les ailes prêtées aux Séraphins ; VIII, pourquoi ils se voilent la face et les pieds, IX, et s’adressent l’un à l’autre dans leurs chants sacrés. X. On enseigne que le saint chrême représente Jésus-Christ, dont la divinité a daigné oindre et consacrer notre chair, et que l’usage fréquent de l’huile bénite est plein de salutaires instructions ; XI, ainsi on l’emploie dans le baptême, et XII, dans la consécration des autels.


PREMIÈRE PARTIE.


Tel est le mystère de la sainte synaxe ; telles se présentent à la contemplation de nos esprits les merveilles par lesquelles la hiérarchie, comme je l’ai dit souvent, nous fait participer intimement à l’unité. Mais il est une autre sainte institution qui se lie à celle-ci, et que nos maîtres ont nommée le sacrement de l’huile bénite. Après avoir considéré par ordre les diverses figures qui composent ce sacrement, nous nous élèverons par une vue mystique jusqu’à l’unité de son type intelligible.


DEUXIÈME PARTIE.

Sacrement de la consécration de l’huile sainte.


Ici, comme dans la célébration de l’Eucharistie, on fait sortir les indignes, après que le pontife a parcouru tout le temple en faisant fumer l’encens, après le chant des psaumes et la récitation des divines Écritures. Puis l’hiérarque prend lui-même le baume, le place sur l’autel, le couvre de douze aigrettes, pendant que tous d’une voix pieuse font retentir l’hymne sacré inspiré aux divins prophètes. Enfin il le consacre par une prière solennelle. Il s’en sert ensuite dans les sacrements augustes où quelque consécration se pratique, et dans presque toutes les cérémonies pontificales.


TROISIÈME PARTIE.

Contemplation.


I. Une première considération mystique nous donnera la clef de toutes les cérémonies qui s’accomplissent dans la consécration de l’huile sainte. C’est qu’on nous fait voir, par ce qui se pratique en ce sacrement, que les hommes pieux doivent tenir cachées leur sainteté et la bonne odeur de leur âme : car il leur fut enjoint par une bouche divine de ne point étaler avec vaine gloire ces vertus d’agréable parfum, qui les rendent heureusement semblables à notre Dieu caché. En effet les secrètes et si excellemment suaves beautés de Dieu ne se prodiguent pas ; mais elles se révèlent d’une façon intelligible seulement aux hommes de vie intérieure, et veulent trouver dans les âmes de pures et parfaites images d’elles-mêmes. Car l’image de la vertu divine doit reproduire fidèlement son original, et contemplant du regard de l’intelligence la douce beauté, se modeler ainsi et se façonner sur ce type merveilleux. De même que, dans un ordre de choses matériel, le peintre, s’il considère fixement son original sans détourner la vue sur aucun autre objet, sans diviser son attention, doublera pour ainsi dire celui qui pose devant lui, et offrira la vérité dans sa ressemblance, le modèle dans son image, et à part la différence des substances, les reproduira l’un dans l’autre ; ainsi par la constante et studieuse contemplation du suave et mystérieux archétype, les peintres spirituels, amis du beau, obtiendront de ressembler à Dieu avec une admirable exactitude. Aussi s’occupant sans relâche de façonner leur âme à la ressemblance de la perfection intelligible qui est si ravissante, ils ne pratiquent aucune de leurs sublimes vertus pour être vus des hommes, comme parle l’Écriture ; mais cette huile tenue sous voile est un précieux symbole où ils apprennent que l’Église cache ce qu’elle a de plus sacré. C’est pourquoi, vivantes images du Seigneur, ils ensevelissent religieusement au fond de leur âme leurs saintes et divines vertus ; et le regard exclusivement fixé sur la suprême intelligence, ni ils ne sont visibles pour ceux qui ne leur ressemblent pas, ni ils ne sont tentés de les regarder eux-mêmes. Aussi, fidèles à leur dessein, ils aiment ce qui est réellement juste et honnête, et non pas ce qui semble tel ; ils n’aspirent point à ce que le vulgaire nomme insensément gloire et félicité ; mais à l’imitation de Dieu, discernant ce qui est essentiellement bien ou mal, ils deviennent d’augustes images de la divine suavité, qui possédant en soi le parfum du bien, ne l’exhale point pour la foule que séduisent les apparences, mais imprime la vraie beauté dans les âmes qui lui ressemblent.

II. Maintenant, et après avoir considéré ce sacrement dans la richesse de sa beauté extérieure, jetons les yeux sur ce qu’il a de plus divinement beau ; voyons-le en lui-même et dépouillé de ses voiles ; et remplissons-nous de la clarté féconde qu’il répand, et du parfum sacré dont il embaume les hommes spirituels. Or ceux qui environnent le pontife ne restent pas étrangers aux cérémonies de la consécration de l’huile sainte ; au contraire, le mystère de cet acte leur est manifesté, mais non pas au vulgaire qui ne pourrait le contempler dignement : voilà pourquoi ils le voilent saintement, et le dérobent aux yeux de la multitude, comme le prescrit la tradition. Car le rayonnement des choses sacrées, qui éclaire immédiatement et avec pureté les hommes pieux, parce qu’ils sont enfants de la lumière intelligible, et qui verse les flots de sa bonne odeur sur les facultés de leur esprit, ne parvient pas de la même manière à la foule qui les suit. Et alors ces contemplateurs mystérieux du secret divin l’enveloppent des sacrés symboles que j’ai dits, et ne l’exposent pas à la vue indiscrète des profanes : et c’est à l’aide de ces symboles, que ceux qui appartiennent aux ordres inférieurs de la hiérarchie s’élèvent à la connaissance de la réalité, chacun selon ses forces.

III. Ce sacrement qui fait l’objet actuel de mon discours est donc, comme je l’ai indiqué, si noble et si efficace qu’il sert aux consécrations hiérarchiques : c’est pourquoi nos maîtres divins lui attribuant le même rang et la même énergie qu’au sacrement de la communion[14], l’ont fait célébrer avec les mêmes symboles à peu près, avec les mêmes cérémonies mystiques, avec les mêmes chants sacrés. Ainsi vous verrez également le pontife quitter le sanctuaire pour aller répandre la bonne odeur de l’encens dans le reste du temple, et revenir ensuite à son point de départ, enseignant par là que les choses divines se communiquent à tous les saints, autant qu’ils le méritent, sans éprouver toutefois diminution ni changement, sans perdre cet état d’immuable fixité qui leur est propre. Ainsi encore les chants et la lecture des saintes Lettres engendrent les imparfaits à la grâce de la filiation divine, opèrent la conversion spirituelle de ceux qui sont tourmentés par les impurs démons, délivrent des frayeurs et séductions ennemies ceux qui se laissent lâchement aller au mal, et présentent à chacun, selon qu’il en est capable, la sublimité de la vertu et la divine perfection. Par là ces hommes inspireront à leur tour de l’effroi aux puissances hostiles, et seront préposés à la guérison des autres âmes ; ils posséderont pour eux, et communiqueront à leurs frères le privilége divin d’une inébranlable constance dans le bien, et une force merveilleuse pour combattre les passions. Ces hymnes et lectures affermissent dans la vertu et empêchent de retomber dans le mal ceux qui d’une vie corrompue sont revenus à de pieux sentiments ; elles achèvent de purifier ceux qui n’ont pas encore une pureté complète ; elles initient les justes à la vue et à la participation des cérémonies symboliques ; elles donnent aux plus parfaits l’aliment d’une bienheureuse et céleste contemplation, prenant ce qu’ils ont de divinement un pour le remplir de l’unité, pour l’élever à la souveraine unité.

IV. Que dirai-je encore ? N’est-il pas vrai que ce sacrement dont nous traitons discerne et renvoie, comme il se pratique dans la sainte Eucharistie, tous les rangs qui n’ont pas la pureté requise, et que nous avons déjà mentionnés ? qu’il se montre aux saints seulement sous le voile de ses cérémonies ; et que la hiérarchie n’accorde qu’aux plus parfaits de le voir à découvert et de le célébrer ? Or il me semble superflu de revenir ici sur des explications déjà souvent données ; j’aime mieux passer outre, et considérer le divin pontife tenant l’huile sainte couverte de douze aigrettes, et procédant à la célébration de cet auguste sacrement.

Nous disons d’abord que cette huile se compose par le mélange de diverses substances aromatiques, possédant les propriétés des plus riches parfums, tellement que ceux qu’elle touche sont embaumés, à proportion de la quantité qui leur en fut départie. Or, nous savons que le très-divin Jésus est suavité merveilleuse, et qu’il inonde invisiblement nos âmes des torrents de ses saintes voluptés. Et si les senteurs matérielles flattent, et en quelque sorte nourrissent agréablement notre odorat, pourvu qu’il soit sain alors, et qu’il se présente convenablement à l’action du parfum, on peut assurément dire la même chose de notre discernement spirituel : car si les facultés de notre âme ne sont pas corrompues, ni inclinées vers le mal, elles percevront les célestes parfums, se rempliront d’une sainte suavité et d’un surnaturel aliment, selon la mesure de l’opération divine, et en raison de notre fidélité à lui correspondre. Ainsi donc la composition mystique de l’huile sainte, autant que le grossier symbole peut exprimer la réalité invisible, nous représente que Jésus-Christ, source abondante d’où émanent les parfums surnaturels, exhale sa bonne odeur, dans des proportions d’infinie sagesse, sur les esprits qui lui sont plus conformes ; de sorte que l’âme, dans le transport d’une joie douce et enivrée du bienfait divin, se nourrit d’aliments célestes qu’elle puise dans les délicieuses communications de la divinité.

V. Or il me semble évident que les esprits angéliques, plus divins que nous, sont plus proches aussi de la source des suavités célestes qui leur sont mieux manifestées et plus largement départies, à raison de leur pureté excellente, et qui, se répandant à flots pressés, remplissent la capacité avec laquelle ils se présentent au bienfait divin. Au contraire, les intelligences inférieures et moins vastes ne peuvent contempler ni recevoir d’une façon aussi sublime ces grâces qui, saintement voilées, ne se communiquent qu’avec sage mesure et proportionnellement aux forces des sujets qu’elles visitent. C’est pourquoi les douze plumes ou aigrettes figurent l’ordre des séraphins si élevé par-dessus les natures augustes qui nous sont supérieures : ordre sacré placé auprès du Seigneur et l’environnant sans cesse, plongé avec délices dans les contemplations dont il est jugé digne, inondé avec pureté sainte de l’abondance des dons spirituels, et pour parler notre langage, chantant d’une voix éternelle cet hymne tant répété à la gloire du Dieu trois fois saint. Car la connaissance que possèdent ces êtres merveilleux est infatigable, et elle brûle d’un amour de Dieu qui ne se refroidit pas, et elle échappe à la malice et à l’oubli : aussi, selon moi, ce cri perpétuel symbolise bien la science et l’intelligence constante et immuable des choses divines qui occupe toutes les forces de leur esprit et remplit leur cœur d’actions de grâces.

VI. Il me semble qu’en traitant des hiérarchies célestes, nous avons bien contemplé et exposé aux yeux de votre esprit les propriétés incorporelles des séraphins, que les saints oracles ont si heureusement dépeintes sous des images sensibles, et explicatives des choses invisibles. Néanmoins, comme cet ordre sublime est représenté ici par ceux qui entourent respectueusement l’hiérarque, il faut spiritualiser nos regards, et encore une fois contempler, rapidement du moins, son éclat déiforme.

VII. Or la diversité de visages et les pieds sans nombre qu’on attribue à ces intelligences, figurent, à mon avis, la faculté qu’elles ont de contempler à l’aise la divine lumière, et cette incessante activité d’intelligence avec laquelle il leur est donné de pénétrer les célestes mystères. Les six ailes dont il est parlé dans les Écritures ne me paraissent pas exprimer ici un nombre sacré, comme quelques-uns l’ont pensé faussement, mais bien que les très-sublimes esprits de cet ordre auguste et tout divin se distribuent en premières, secondes et troisièmes puissances qui tendent à Dieu, s’affranchissent de toute entrave, et s’élèvent sans relâche. De là vient que, dans sa sagesse sacrée, l’Écriture, décrivant la forme de ces ailes, place les unes à la tête, les autres au milieu du corps et les autres aux pieds, pour montrer que ces esprits sont tout couverts d’ailes, et aspirent de toutes leurs forces vers la réalité suprême.

VIII. S’ils se voilent et la face et les pieds, et ne soutiennent leur essor qu’avec les ailes du milieu, cela doit faire entendre à votre piété que cet ordre, si excellemment élevé par-dessus tous les autres, révère les hauteurs et les profondeurs qui dépassent ses conceptions, et se porte avec mesure à la contemplation de Dieu, soumettant sa vie au joug de la céleste volonté, et se laissant former ainsi à la connaissance de lui-même.

IX. Ce qui est dit dans les Écritures que l’un criait à l’autre, me semble indiquer qu’ils se transmettent mutuellement et sans envie ce qu’ils voient et ce qu’ils comprennent de la divinité. Et je trouve ceci digne de remarque, que les saintes Lettres donnent par excellence le nom hébreu de séraphins à ces natures très-saintes, à raison de la constante activité et de la dévorante ardeur de leur vie.

X. Si donc, comme l’assurent les hébraïsants, la théologie, donnant aux séraphins augustes une qualification qui exprime exactement leur nature, les nomme brûlants et pleins de ferveur, on doit dire, en suivant la loi de ce mystérieux symbolisme, qu’ils ont la vertu de dégager le parfum de la suavité divine, et de l’exciter à s’épandre et à exhaler ses plus puissantes émanations. Car cette nature infinie dont la bonne odeur surpasse tout entendement, aime à se manifester quand elle est excitée par des esprits fervents et purs, et à ceux qui l’attirent d’une si excellente manière, elle communique avec une libérale profusion ses inspirations toutes divines. Aussi les très-saintes intelligences de cet ordre élevé au-dessus des cieux n’ignoraient pas que le très-divin Jésus voulût être sanctifié ; elles savaient au contraire que dans sa douce et ineffable bonté il était venu en notre humanité ; et le voyant sanctifié en sa chair par le Père et par lui-même et par l’Esprit, elles le reconnurent néanmoins à ses œuvres divines comme leur propre principe, et comme n’ayant subi en son essence aucun changement. C’est ce qu’enseigne symboliquement la tradition ; c’est ce qu’elle sait et représente quand elle place l’emblème des séraphins sur le baume précieux qu’on va consacrer, et qui figure le Christ prenant réellement toute notre humanité, sans altération de sa divinité. Il y a quelque chose de plus encore ; c’est qu’on se sert de cette huile bénite en toutes les consécrations religieuses, pour mettre en évidence, selon le mot des Écritures[15], que celui qui fut sanctifié et qui sanctifie demeure constamment le même dans la diversité des œuvres que sa bonté opère. Voilà pourquoi des onctions faites avec le saint chrême accompagnent la grâce perfectionnante de la régénération divine qui nous est donnée au baptême. De là vient, à mon avis, que le pontife forme des signes de croix en versant l’huile dans le baptistère où s’expient nos péchés, et fait voir aux yeux contemplatifs que Jésus-Christ est descendu dans la mort qu’il souffrit sur la croix pour nous rendre enfants de Dieu, et que, par le mystère de ce divin et victorieux abaissement, ceux qui sont baptisés dans sa mort, comme dit l’Écriture, il les arrache à cet ancien gouffre de corruption lamentable, et les renouvelle dans une sainte et éternelle vie.

XI. Bien plus, celui qui est initié à l’auguste sacrement de la régénération, reçoit par la grâce de l’onction sacrée l’effusion du Saint-Esprit ; et ce rit figuratif fait heureusement sentir que celui qui, comme homme, fut pour nous sanctifié par le Saint-Esprit, est celui-là même qui, gardant inaltérable sa divine essence, nous communique cet esprit sanctificateur.

XII. Observez aussi religieusement que, d’après la loi des mystères augustes, la consécration de l’autel sacré s’opère par l’effusion très-pure de l’huile bénite. Et ceci est un céleste et profond mystère qui explique la source, la nature et le secret divin de notre sanctification. Puis donc que toute intelligence pieuse est saintement consacrée en Jésus-Christ, autel divin sur lequel, offerts et mystiquement immolés, comme dit l’Écriture, nous trouvons accès vers Dieu, il nous faut contempler des regards de l’âme comment cet autel sublime par qui les offrandes sont consacrées et sanctifiées, reçoit d’abord sa consécration du saint chrême. Car le très-saint Jésus se sanctifie lui-même pour nous, et ensuite nous remplit de toute sainteté, puisque les choses qui furent bénies en lui, par une miséricordieuse dispensation, descendent jusqu’à nous, qui devenons enfants de Dieu par le baptême. De là vient, je pense, que les divins chefs de notre hiérarchie, fidèles aux enseignements de la sainte tradition, et considérant ce qui se fait en ce sacrement, l’ont nommé consécration parfaite et entière, comme s’ils disaient consécration de Dieu, et lui ont glorieusement appliqué cette appellation dans le double sens dont elle est susceptible. Car il y a ici consécration de Dieu, en ce que, comme homme, il fut sanctifié pour nous, et en ce que, comme Dieu, il a consacré et sanctifié toutes choses dignes de sanctification.

Quant à l’hymne saint qui nous vient des prophètes inspirés, il signifie, au dire des hébraïsants, louange de Dieu, ou bien louez Dieu. Les diverses manifestations et œuvres de Dieu étant décrites dans la variété des symboles dont l’Église les voile, il convenait assez de répéter ce divin cantique des prophètes. Car il nous instruit et en toute évidence et avec sainteté que les bienfaits du Seigneur sont dignes des actions de grâces de notre piété.


CHAPITRE V.

DE LA CONSÉCRATION DES SAINTS ORDRES.


Argument. — Dans la première partie, après avoir, I, annoncé et loué la beauté de notre hiérarchie, et, II, rappelé la constitution hiérarchique des esprits célestes, et montré que nous tenons un milieu entre les rangs des Anges et la hiérarchie mosaïque, III, on enseigne que la hiérarchie possède le triple pouvoir de purifier, d’illuminer et de perfectionner ; et, IV, que les inférieurs reçoivent les dons divins par le ministère des supérieurs. V. Ainsi, chez nous, le pontife est à la tête de notre hiérarchie, et tout pouvoir découle de la plénitude de son pouvoir. VI. On explique les fonctions respectives de l’épiscopat, du sacerdoce et du diaconat, et, VII, que les supérieurs possèdent les pouvoirs des inférieurs, mais non pas réciproquement.

Dans la deuxième partie, on décrit les rits de l’ordination des évêques, des prêtres et des diacres.

Dans la contemplation, I, on montre ce en quoi ressemblent et diffèrent ces diverses ordinations ; II, pourquoi les ordinands fléchissent les genoux ; III, pourquoi on leur impose les mains ; IV, pourquoi on les signe de la croix ; V, que la récitation du nom des ordinands annonce qu’ils furent l’objet d’un choix divin. VI. On marque ce que signifie le baiser de paix ; VII, l’imposition des Écritures sur la tête des pontifes ; VIII, et la différence des génuflexions.


PREMIÈRE PARTIE.


I. Telle est l’auguste consécration de l’huile sainte. Mais après ce divin sacrement, il est temps de traiter des ordres sacrés, de leurs attributions, de leur vertu et efficacité, de leur perfection, et d’expliquer comment ces choses sont réparties entre les trois ordres majeurs. De la sorte on verra que la sage constitution de notre hiérarchie discerne et rejette absolument tout ce qui est irrégulier, désordonné et confus, et qu’elle fait briller au contraire dans l’heureux ensemble de ses divers degrés la décence, l’harmonie et la majesté. Or, au traité des hiérarchies célestes, nous avons, je pense, suffisamment expliqué cette triple distinction qui caractérise toute hiérarchie, en disant d’après l’autorité de la tradition, qu’on y trouve d’abord le don divin, la grâce, puis les esprits qui ont la science et le pouvoir d’initier, enfin ceux qui reçoivent le bienfait du sacrement.

II. La sainte hiérarchie des natures célestes n’a d’autre sacrement que la pure et intelligible connaissance de Dieu et des choses divines, au degré où elles en sont capables, et également un état proportionnel de conformité et d’assimilation à la divinité. Là sont illuminateurs et maîtres en la sainte perfection les esprits plus proches de Dieu ; car avec bonté et discrétion, ils font parvenir aux ordres subalternes les augustes lumières que leur donne directement la divinité, perfection essentielle, et source de toute sagesse créée. Les rangs inférieurs à ces natures suprêmes, étant élevés par elles à la grâce de l’illumination divine, sont des initiés et doivent être nommés tels.

Après cette hiérarchie surhumaine et toute céleste, Dieu voulant dans sa bonté répandre sur nous la sainteté de ses dons précieux, donna d’abord à l’enfance de l’humanité, comme dit l’Écriture[16], la hiérarchie légale, et lui envoya une lumière que purent porter ses débiles regards, dissimulant la vérité sous d’imparfaites images, sous des traits bien éloignés de la pureté des originaux, sous d’obscurs symboles, sous des énigmes dont le sens profond ne se découvrait qu’avec peine. Or, dans cette hiérarchie de la loi, le mystère, la grâce, c’est que l’homme était élevé à l’adoration spirituelle de Dieu. Les chefs sont ceux qui furent instruits dans la science du tabernacle par Moïse, premier initiateur et maître des pontifes anciens : car retraçant le tabernacle spirituel dans la hiérarchie qui préparait la nôtre, il nomma toutes les cérémonies légales une image de l’exemplaire qui lui avait été montré sur le mont Sinaï[17]. Les initiés sont ceux qui, aidés par les symboles sacramentels, s’élevaient, selon leurs forces, à une plus parfaite intelligence des mystères.

Or, par cette initiation plus relevée, les théologiens entendent notre hiérarchie, qu’ils nomment le complément sacré et la fin de la précédente. Car notre hiérarchie est à la fois céleste et légale, et, comme un milieu qui unit deux extrêmes, elle participe de l’une et de l’autre : de la première, à raison des contemplations spirituelles dont elle est enrichie ; de la seconde, à cause des nombreux symboles qui la matérialisent, pour ainsi dire, et à l’aide desquels elle s’élève vers la divinité. Elle a également la triple distinction qui se remarque en toute hiérarchie ; à savoir les augustes cérémonies de l’initiation, les dispensateurs sacrés des trésors divins, et ceux auxquels les choses saintes sont conférées dans la mesure convenable. À son tour, chacune de ces trois parties, dans la hiérarchie actuelle, comme dans la hiérarchie légale, comme dans la divine hiérarchie des anges, se distingue encore en premières, deuxièmes et dernières puissances ; et ainsi brillent de sages proportions, une sainte harmonie, et cette union intime qui maintient à leur place les diverses parties d’un tout.

III. D’après cela, voici d’abord quelle est la divine énergie de nos augustes sacrements. Leur première puissance est de purifier les profanes, la seconde d’initier à la lumière ceux qui furent purifiés, la dernière, qui résume les précédentes, de consommer les initiés dans la science des mystères déjà entrevus.

Les ministres sacrés composent la seconde distinction hiérarchique. Or, au premier degré, ils purifient par les sacrements les âmes encore étrangères à la sainteté ; puis, au deuxième, ils illuminent les initiés ; et au dernier et suprême degré de la vertu sacerdotale, ils perfectionnent les pieux illuminés dans l’intelligence des lumières qu’il leur fut donné de contempler.

Enfin, on trouve également chez les initiés un triple degré. Au premier, ils sont purifiés ; au deuxième et après la purification, ils sont illuminés et admis à contempler quelques-uns des mystères ; dans le troisième et le plus élevé de tous, ils sont enrichis de la science parfaite des splendeurs dont ils furent inondés.

Or, il a été traité de la triple vertu que possèdent nos sacrements. Nous avons montré par les Écritures que le sacrement de la régénération divine purifie et confère la lumière ; que la synaxe et la consécration de l’huile sainte nous consomment dans la science parfaite des œuvres de Dieu, et ainsi nous donnent de nous élever jusqu’aux douceurs d’une sainte et intime union avec lui. Il faut parler maintenant de l’ordre des ministres qui se distinguent en trois classes, ceux qui purifient, ceux qui illuminent, ceux qui perfectionnent.

IV. C’est une loi sacrée établie par la puissance suprême, que les choses inférieures soient attirées à la lumière divine par les choses supérieures. Ne voit-on pas également les diverses substances du monde sensible rechercher d’abord les corps qui ont plus d’affinité avec elles, et par eux exercer sur d’autres leur naturelle influence ? C’est donc avec parfaite convenance que Dieu, principe et fondement de tout bel ordre tant visible qu’invisible, laisse tomber d’abord ses splendeurs déifiques sur ceux qui lui ressemblent davantage, et qu’ensuite, au moyen de ces esprits plus purs préparés à recevoir et à transmettre la lumière, il verse, en la mesure convenable, le flot de ses clartés sur ceux qui suivent. Ceux donc qui les premiers jouissent de la vision de Dieu doivent avec libéralité et discernement manifester aux seconds les spectacles divins auxquels ils furent eux-mêmes admis. À ceux-là d’initier aux mystères hiérarchiques, qui possèdent pleinement et autant qu’il appartient à leur ordre, la science des choses divines, et qui ont reçu le glorieux pouvoir d’enseigner. À ceux qu’embellissent la science et la perfection sacerdotales de conférer les sacrements à qui en est digne.

V. Ainsi l’ordre divin de nos pontifes est le premier des ordres qui voient Dieu ; et il est en même temps le dernier et le plus sublime, parce qu’en lui se terminent et se complètent tous les ordres de notre hiérarchie. Car, comme la hiérarchie universelle a son complément en Jésus-Christ, ainsi chaque hiérarchie particulière trouve le sien en son propre hiérarque. Or, la vertu du pouvoir pontifical passe à tous les ordres sacrés, et c’est par eux qu’il accomplit les mystères qui sont du ressort de notre hiérarchie. Toutefois et à l’exclusion des autres ordres, la loi divine lui réserve certaines fonctions plus sacrées qu’il doit remplir par lui-même, et qui sont comme d’augustes images de l’efficacité divine, par lesquelles tous les sacrements et les ordres de l’Église reçoivent leur perfection. Car quoique le prêtre puisse produire quelques-uns de nos vénérables sacrements, néanmoins il ne saurait donner celui de la régénération, sans le saint chrême, ni consacrer la divine Eucharistie qu’en posant les symboles du sacrement sur un autel sanctifié. Et même il ne sera prêtre qu’autant que les initiations de l’hiérarque l’auront élevé à cette dignité. C’est pourquoi la loi divine attribue exclusivement au pouvoir parfait des pontifes la consécration des divers rangs de la hiérarchie, la confection de l’huile sainte, et la bénédiction de l’autel.

VI. Ainsi l’ordre des pontifes est plein de force pour communiquer la perfection ; il possède seul le privilége de célébrer les plus sublimes mystères de notre hiérarchie ; habile interprète, il révèle aux autres hommes la science des choses sacrées, et leur apprend à quelles vertus et à quelle sainteté ils sont appelés. L’ordre sacerdotal qui donne l’illumination prépare et conduit les initiés au spectacle des saints mystères, et accomplit les fonctions de sa charge en la société et sous la dépendance des divins pontifes. Par sa force propre il ne peut que montrer les œuvres divines à travers le voile des pieux symboles, et les faire contempler à celui qui se présente, en l’admettant à la participation des choses sacrées ; mais il renvoie au pontife ceux qui désirent avoir l’intelligence des mystères qu’ils ont perçus. L’ordre des diacres a pour mission de purifier, et de discerner entre le bien et le mal, avant d’invoquer le ministère des prêtres : il purifie donc ceux qui s’approchent, les arrache aux habitudes mauvaises, et les rend dignes de contempler et de recevoir les précieux sacrements. Voilà pourquoi au saint baptême, les diacres dépouillent le catéchumène de son premier vêtement, lui ôtent sa chaussure, le tournent vers l’occident pour faire abjuration, et ensuite le ramènent en face de l’orient ; et par le pouvoir qu’ils ont de purifier, ils lui enjoignent de dépouiller entièrement la robe de sa première vie, et lui montrant les ténèbres d’où il sort, ils lui apprennent à y renoncer pour entrer dans une région de lumière. L’ordre des diacres est donc destiné à purifier, et à offrir ceux qu’il a rendus purs à l’action illuminatrice des prêtres ; il agit sur les imparfaits, et les produit à la vie par la force purifiante des lumières et des doctrines de l’Écriture. Il distingue aussi et sépare totalement les saints des profanes ; c’est pourquoi, d’après nos constitutions hiérarchiques, il doit veiller aux portes de l’église, pour faire comprendre que l’accès des choses saintes ne s’obtient que par une purification complète : ainsi les ministres qui ont pouvoir de purifier préparent à la vue et à la participation des mystères, et l’on n’y est admis qu’après avoir contracté entre leurs mains une pureté sans tache.

VII. Nous avons donc établi qu’à l’ordre épiscopal appartient la vertu de perfectionner, et qu’il perfectionne en effet ; à l’ordre sacerdotal la vertu de conférer la lumière, et que réellement il la confère ; à l’ordre des diacres la vertu de purifier et discerner les différents sujets, de sorte cependant que le premier a le secret de donner non-seulement la perfection, mais encore la lumière et la pureté, et que le second peut à la fois illuminer et purifier. Les inférieurs n’exercent pas les fonctions des supérieurs, et ils ne doivent pas se laisser emporter à une si téméraire usurpation. Mais les puissances plus divines connaissent leur propre force, et ont en même temps le secret de la perfection des puissances moins élevées.

Mais les ordres de l’Église étant les images des opérations divines, en ce qu’ils représentent l’harmonieux mélange des splendeurs diverses que Dieu fait éclater dans ses actes, ils se divisent en puissances de premier, second et troisième degré hiérarchiquement distinctes, pour reproduire par là, comme je l’ai dit, l’unité et la variété des œuvres divines. Car, puisque Dieu souverain commence par purifier les intelligences qui le reçoivent, puis les illumine, et enfin les réforme à l’image de sa propre perfection, il est juste que la hiérarchie, figure des choses célestes, se divise en ordres et puissances multiples, pour rendre évident que les opérations de Dieu se distinguent avec parfaite exactitude, et forment aussi un merveilleux ensemble.

Voilà ce que nous pouvions dire sur les ordres de l’Église, leur ministère, leur pouvoir et leurs actions. Essayons de voir maintenant comment se fait leur consécration religieuse.


DEUXIÈME PARTIE.

Cérémonies de la consécration des saints ordres.


Celui qui doit être élevé à la dignité épiscopale fléchit les genoux devant l’autel. Là, on lui impose sur la tête le livre des divines Écritures ; le prélat consécrateur étend la main sur lui et récite de pieuses invocations. C’est ainsi que se fait l’ordination des évêques.

Le prêtre se met aussi à genoux devant l’autel. L’évêque alors lui impose la main droite sur la tête, prononce de saintes prières et opère ainsi la consécration sacerdotale.

Le diacre amené devant l’autel ne fléchit qu’un genou ; sa tête est ombragée par la main droite du pontife, et sa consécration s’achève par les prières fixées pour la consécration des diacres.

Au reste, l’hiérarque consécrateur trace sur chacun d’eux le signe de la croix ; on publie leur nom et l’ordre qu’ils reçoivent, et on termine par la cérémonie du saint baiser, tous les membres de la hiérarchie, l’évêque à leur tête, saluant ainsi celui qui est promu à quelqu’un des ordres sacrés.


TROISIÈME PARTIE.

Contemplation.


I. Les évêques, les prêtres, les diacres ont ceci de commun dans la cérémonie de leur consécration, qu’ils s’approchent de l’autel et fléchissent les genoux, que le pontife leur impose les mains et trace sur eux le signe de la croix, qu’on proclame leur nom et qu’on leur donne le saint baiser. Il y a cette particularité pour les évêques, qu’on leur place sur la tête le livre des Écritures, ce qui n’a pas lieu pour les ordres inférieurs. Les prêtres mettent les deux genoux en terre, et ainsi ils se distinguent des diacres qui ne doivent fléchir qu’un genou, comme je l’ai marqué.

II. Or, cette cérémonie qui consiste à s’approcher de l’autel et à fléchir les genoux, enseigne à tous ceux qui entrent dans la hiérarchie qu’ils doivent entièrement soumettre leur vie à Dieu et lui offrir toutes leurs facultés spirituelles purifiées et saintes, et dignes, autant qu’il se peut, du temple auguste et de l’autel sacré de notre Sauveur qui justifie et consacre les âmes d’une piété divine.

III. L’imposition des mains pontificales désigne la protection divine s’étendant paternellement sur les consacrés, comme sur de pieux enfants, pour leur donner les dignités ecclésiastiques et la force de les remplir, et pour éloigner d’eux les puissances ennemies. Ce rit leur apprend encore à exercer leurs redoutables fonctions sous la dépendance de Dieu et à le prendre pour maître et pour guide dans tous leurs actes.

IV. Le signe de la croix invite à la mortification complète des appétits sensuels et à l’imitation de Dieu ; il rappelle qu’on doit considérer sans cesse la vie divine qu’a menée Jésus-Christ en sa chair, et comment, dans sa justice sans tache, il est descendu jusqu’à la croix et à la mort, et que ceux qui réforment leur vie à son exemple, il les marque du sceau de son innocence dont le signe de la croix est la figure.

V. Le pontife proclame le nom des initiés et les ordres qu’ils vont recevoir. Cette cérémonie mystérieuse annonce que, épris d’amour pour Dieu, le consécrateur se pose comme l’interprète du choix céleste ; que ce n’est point par une capricieuse faveur qu’il appelle aux dignités sacrées, mais qu’il agit sous l’inspiration d’en haut dans la consécration des ministres de l’Église. C’est ainsi que Moïse, l’instituteur des cérémonies de la loi, n’éleva point à la dignité pontificale Aaron cependant son frère, et jugé par lui agréable à Dieu et digne du sacerdoce, jusqu’à ce que, poussé par un mouvement surnaturel, il le créa grand-prêtre, selon le rit que Dieu lui-même lui prescrivit. Bien plus, notre premier et divin chef hiérarchique (car le très-doux Jésus voulut bien se faire notre pontife) ne se glorifia pas lui-même, comme attestent les Écritures[18] ; mais il fut glorifié par celui qui lui dit : « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech[19]. » C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit d’appeler ses apôtres à l’honneur de l’épiscopat, bien que, comme Dieu, il fût l’auteur de toute consécration, néanmoins, selon l’esprit de la hiérarchie, il rapporta cette action à son Père adorable et au Saint-Esprit, recommandant aux disciples, ainsi qu’on le voit dans l’Écriture, de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, que « vous avez entendue de ma bouche, dit-il ; c’est que vous serez baptisés dans le Saint-Esprit[20]. » Ainsi agit encore le prince des apôtres avec ses dix collègues dans la dignité pontificale : car étant question de consacrer un douzième apôtre, il en laissa religieusement le choix à la divinité. « Montrez, dit-il, celui que vous avez élu[21] ; » et il reçut au nombre des douze celui qu’avait désigné un divin sort.

Mais comme plusieurs ont parlé diversement et, selon moi, avec une piété peu éclairée de ce sort divin qui échut à Matthias, j’émettrai moi-même mon opinion. Je crois donc que les saintes Lettres ont nommé sort en cet endroit quelque céleste indice par lequel fut manifesté au collége apostolique celui qu’avait adopté l’élection divine. Car ce n’est point de son propre arbitre que le pontife sacré peut promouvoir aux saints ordres ; mais il doit les conférer pontificalement, sous l’inspiration et avec la grâce de Dieu.

VI. Le baiser qui termine la cérémonie de l’ordination renferme un sens très-pieux. Tous les assistants revêtus de quelque ordre sacré et le prélat consécrateur lui-même saluent l’initié par un baiser. C’est que, quand l’âme religieuse, préparée par l’habitude des vertus sacerdotales, par la vocation divine et par la sainteté, se présente à la grâce de l’ordination, elle est prise en affection par tous les rangs de sa hiérarchie ; élevée à une beauté déiforme, elle aime les âmes qui lui ressemblent, et dont elle est réciproquement aimée. De là, ce sacré et mutuel embrassement, mystérieuse image de la communion fraternelle des pieux esprits et de leur douce et unanime allégresse, par où se maintient dans son intégrité la beauté surnaturelle de notre hiérarchie.

VII. Ces cérémonies sont communes aux initiés de tous les ordres, ainsi que je l’ai dit. Mais un rit particulier aux évêques, c’est qu’on leur place sur la tête le livre des Écritures. Effectivement, puisque la bonté souveraine, qui fonda toute dignité dans l’Église, a conféré avec plénitude à nos pontifes la science et l’autorité sacerdotales, c’est avec raison qu’on pose sur leur tête sacrée les divines Écritures, qui contiennent et expliquent avec une profonde science toute la théologie, c’est-à-dire les paroles de Dieu, ses œuvres, ses apparitions, les discours et les actions des saints : présent ineffable que la munificence céleste a fait à notre hiérarchie. Ainsi le pontife entre en participation parfaite de toutes les richesses que possède l’Église ; et non-seulement la science surnaturelle et vraie de toutes les choses qui se font et qui se disent dans les mystères illumine son esprit sanctifié, mais encore il la communique aux autres, en la mesure que prescrivent nos institutions, et, par le privilége de sa dignité, il accomplit les plus parfaites fonctions de notre hiérarchie et pénètre avec une divine certitude le sens profond dont elles sont le symbole.

Les prêtres sont ordonnés, les deux genoux en terre, à la différence des diacres qui ne fléchissent qu’un genou et se présentent dans cette attitude au prélat consécrateur.

VIII. L’agenouillement marque les humbles sentiments de celui qui se présente pour se soumettre saintement à Dieu. Nous avons dit souvent que trois ordres de différents ministres, par la vertu mystérieuse de trois sacrements, préparent les initiés de trois degrés divers et les façonnent à porter le joug salutaire du Seigneur. Or, l’ordre des diacres, qui est simplement purificateur, ne fait faire qu’un seul pas à ses subordonnés ; il les présente à l’autel où s’opère la consécration mystérieuse des âmes que son ministère a purifiées : c’est pour cela qu’il ne fléchit qu’un genou. Les prêtres, au contraire, courbent les deux genoux, parce que leur glorieux ministère a la vertu, non-seulement de purifier ceux qui leur sont soumis et de surnaturaliser leur vie, mais encore de les élever à cet état de perfection où il est permis de contempler les choses divines. Enfin le pontife, outre qu’il met les deux genoux en terre, reçoit encore sur sa tête le livre des Écritures, parce qu’il a le pouvoir et le secret de conduire avec sage mesure ceux qui furent purifiés par le diacre et illuminés par le prêtre à la science des mystères qu’ils ont considérés, et par là d’opérer en eux une consécration aussi parfaite qu’il leur convient respectivement.


CHAPITRE VI.

DES DIVERSES CLASSES DE CEUX QUI SONT INITIÉS.


Argument. — Dans la première partie, on signale, I, ceux qui accomplissent le travail de leur purification ; II, ceux qui ont reçu la grâce de l’illumination ; III, ceux qui se perfectionnent, et en particulier les moines, comme formant ensemble l’ordre total des initiés.

Dans la deuxième partie, on cite les cérémonies de la consécration monacale.

Dans la contemplation, on explique, I, pourquoi le moine, dans la cérémonie de sa consécration, ne fléchit pas les genoux ; II, ce que signifient le renoncement qu’il prononce ; III, le signe de la croix dont on le marque ; IV, le dépouillement de ses vêtements du siècle ; V, la sainte communion à laquelle il est convié. VI. Enfin on fait comprendre comment il est vrai de dire que parmi les anges, il y en a qui sont purifiés.


PREMIÈRE PARTIE.


I. Tels sont les ordres ecclésiastiques ; tels leurs ministères, leurs pouvoirs, leurs fonctions, leurs consécrations. Parlons maintenant des trois différentes classes d’initiés.

Nous disons d’abord que le rang de ceux qui doivent être purifiés comprend cette foule dont il a déjà été fait mention, et qui est exclue de la célébration des mystères : tels sont ceux que le diacre engendre spirituellement, forme et prépare à la vie par la lecture des saints Livres ; tels ceux qu’on presse par les enseignements des Écritures de revenir à la sainteté dont ils ont déchu ; tels ceux qu’une lâche frayeur retient encore sous le joug des puissances ennemies, et qu’on encourage par la puissante parole des divins oracles ; tels ceux qu’on s’efforce de ramener de l’habitude du mal à l’exercice du bien ; tels enfin ceux qui, déjà convertis, n’ont pas encore la constance de la vertu ni une sainteté à toute épreuve. Voilà donc la classe des purifiés que le diacre, par la vertu de son ministère, engendre, façonne et dispose, et qui, ayant ainsi contracté une pureté parfaite, sont admis à la vue et à la participation des mystères illuminateurs.

II. Ceux-là forment le second rang qui, revêtus d’une innocence sans tache, contemplent et, autant que leur force permet, reçoivent quelques-uns de nos sacrements, et qui attendent du ministère sacerdotal le bienfait de l’illumination. Car il me semble que, purs de souillure et de péché et désormais fixés dans la vertu avec un inébranlable courage, ils doivent, sous la discipline des prêtres, jouir enfin des lumières divines, et participer aux sacrements augustes dont ils sont capables, et dans cette contemplation et cette communion puiser une ineffable allégresse, et, sous l’influence surnaturelle de la grâce, aspirer amoureusement à l’intelligence des mystères. Cette classe, je la nomme le peuple saint ; car il a passé par une expiation complète, et il a fait effort pour se rendre digne de contempler et de recevoir les sacrements illuminateurs.

III. Enfin parmi tous les initiés se placent au rang le plus élevé les moines, cohorte bénie qui, s’étant appliquée avec courage à se purifier entièrement et à faire ses actions avec une sainteté parfaite, est admise, selon ses propres forces, à la participation et à la contemplation spirituelle des choses sacrées. Aussi la sanctification de cette classe est-elle confiée à la sollicitude des évêques ; et c’est dans la grâce de leurs illuminations et dans la sublimité de leurs enseignements qu’elle saisit l’esprit des mystères qu’il lui est donné de méditer, et c’est par la science qui lui en vient qu’elle essaie de s’élever à la plus haute perfection. C’est pourquoi nos pieux maîtres, donnant à ces hommes de saintes qualifications, les ont nommés tantôt thérapeutes, à cause du culte sincère par lequel ils adorent la divinité, et tantôt moines, à raison de cette vie d’unité sans partage par laquelle, ramenant leur esprit de la distraction des choses multiples, ils le précipitent vers l’unité divine et vers la perfection du saint amour. De là vient que la loi liturgique leur attribue une grâce sanctifiante et prononce sur eux une sorte de prière consécratoire ; seulement, ce n’est pas le pontife qui la récite, comme dans les ordinations ecclésiastiques, mais bien le prêtre, auquel il est dévolu de célébrer cette consécration secondaire.


DEUXIÈME PARTIE.

Cérémonies de la consécration monacale.


Le prêtre se tenant debout devant l’autel prononce la formule de la consécration monacale. L’initié, placé derrière le prêtre, ne fléchit ni les deux genoux, comme l’ordre sacerdotal, ni même un seul genou, comme les diacres ; mais il se tient debout pendant qu’on récite sur lui la prière déterminée. L’ayant achevée, le consécrateur s’avance vers l’initié et lui demande avant tout s’il renonce à toutes les distractions du siècle, c’est-à-dire, non-seulement aux divers genres de la vie commune, mais même aux folles imaginations des mondains. Puis il lui expose ce que c’est que la vie parfaite, en l’avertissant qu’il doit s’élever au-dessus d’une sainteté médiocre. Il en reçoit la promesse formelle d’agir ainsi, le marque du signe de la croix, lui coupe la chevelure en invoquant les trois Personnes de l’éternelle béatitude, le dépouille de son premier vêtement pour lui en imposer un autre, lui donne, aussi bien que tous les prêtres qui l’entourent, le saint baiser, et l’admet à la participation des saints mystères.


TROISIÈME PARTIE.

Contemplation.


I. Par cette attitude du moine qui ne fléchit point les genoux et ne reçoit pas sur la tête le livre des Écritures, mais qui se tient debout derrière le prêtre consécrateur, il est marqué que l’ordre monastique n’est point établi pour la direction des autres, mais que, s’occupant de lui-même, il doit demeurer dans un état de solitaire et sainte vie, suivre fidèlement les prêtres et, docile élève, se laisser conduire par eux à la science sublime des mystères auxquels il participe.

II. Le renoncement aux diverses manières de vivre et même aux imaginations du siècle, si fécondes en distractions, annonce la haute perfection de la philosophie monastique, laquelle s’exerce à la science des commandements qui tendent à unir l’homme à Dieu. Car, comme je l’ai dit, les moines n’appartiennent pas à la seconde classe d’initiés, mais bien à la plus élevée de toutes. C’est pourquoi beaucoup de choses se font sans crime par les chrétiens vulgaires, qui demeurent absolument interdites aux moines, parce qu’ils doivent éviter tout ce qui divise l’esprit et se recueillir religieusement dans l’unité même ; parce qu’ils doivent former leur vie sur celle des prêtres avec lesquels ils ont plusieurs points d’affinité, et dont ils sont plus proches que les initiés des autres rangs.

III. Le signe de la croix, comme je l’ai déjà fait observer, symbolise la mortification complète de tous les appétits sensuels. La tonsure exprime la pureté et la simplicité de la vie, et qu’on ne s’applique point à dissimuler la laideur de son âme sous de mensongères apparences, mais qu’on s’élève, au contraire, spontanément à la ressemblance du type céleste par une vertu modeste et cachée en Dieu, et non par l’artifice d’une beauté seulement humaine.

IV. Cet acte par lequel on dépouille un premier vêtement pour en prendre un nouveau, témoigne qu’on passe d’une sainteté médiocre à une sainteté plus parfaite ; comme dans le baptême, le changement de robe indique que le catéchumène est sorti de la vie purgative pour entrer dans la vie de lumière et de contemplation.

Lorsqu’ici le prêtre et tous ceux qui l’environnent saluent ensemble le nouvel élu, cela figure la communion intime qui existe entre les pieuses intelligences, et la douce charité avec laquelle elles se réjouissent de leur mutuel bonheur.

V. À la fin de la cérémonie, le prêtre convie l’initié à la sainte communion, pour lui faire comprendre que, s’il s’élève à la hauteur de la perfection monastique, non-seulement il contemplera les mystères augustes et y participera comme les initiés de la seconde classe, mais qu’il recevra la communion avec une divine intelligence de ce sacrement, et d’une façon plus excellente que le reste du peuple sacré. De là vient aussi que, dans la collation des saints ordres, le prélat consécrateur, avant de terminer, distribue aux ordinands la très-sainte Eucharistie : non-seulement parce que la réception de ce sacrement adorable est le complément des honneurs hiérarchiques qui leur sont conférés, mais encore afin qu’ils entrent en participation de ce don merveilleux, autant qu’il leur est besoin pour atteindre le degré de perfection divine auquel ils sont respectivement appelés.

Concluons donc que nos initiations saintes consistent en la purification, l’illumination, la perfection. Les diacres forment l’ordre sacré qui purifie, les prêtres, l’ordre qui illumine, les évêques, l’ordre qui perfectionne. La classe des purifiés se compose de ceux qui ne peuvent encore être admis à la vue et à la participation d’aucun sacrement ; la classe des illuminés est celle du peuple saint ; la classe des perfectionnés est celle des pieux moines. C’est ainsi que notre hiérarchie distribuée en des ordres que Dieu lui-même a établis, est rendue conforme aux hiérarchies célestes, et qu’elle conserve, autant qu’il est possible aux choses humaines, comme l’empreinte de Dieu et les traces de son auguste origine.

VI. Vous m’allez objecter sans doute qu’il n’y a, parmi les hiérarchies angéliques, aucune classe de purifiés : car il n’est ni beau, ni vrai de dire que le péché se trouve dans les ordres célestes. Et il faudrait que j’eusse perdu le sens des choses sacrées, pour nier la pureté parfaite et la sainteté surhumaine des bienheureux esprits. Car si l’un d’eux fût tombé dans le mal, il y a longtemps qu’il serait exilé du chaste et divin concert que forment ses frères, et précipité dans la ténébreuse ruine des anges rebelles. Toutefois la piété permet de dire que, chez les hiérarchies célestes, la purification pour les intelligences moins nobles, consiste en la clarté que Dieu leur envoie touchant des choses jusque-là dérobées à leur vue ; à savoir quand il les appelle à une connaissance plus parfaite des secrets divins et que, corrigeant l’ignorance où elles sont actuellement plongées, il les fait élever par les esprits supérieurs à la gloire d’une plus profonde et plus lumineuse intuition. Ainsi, dans la céleste hiérarchie, il y a les ordres purifiés, illuminés et perfectionnés ; et il y a les ordres qui purifient, qui illuminent et qui perfectionnent. Et les natures plus divines et de rang supérieur purgent de toute ignorance les natures de rang inférieur, en la manière et dans la proportion qui convient à ces sublimes esprits ; et elles les inondent des flots de l’illumination divine, et les perfectionnent en la science si sainte des pensées de la divinité. Car, nous l’avons déjà dit, et les Écritures l’enseignent, tous les ordres célestes n’entrent pas en égale part des splendeurs et des connaissances sacrées : pour tous la lumière vient du sein de Dieu ; mais les plus élevés la puisent immédiatement à sa source, tandis que les autres la reçoivent par le ministère des premiers, et toujours elle s’attempère aux forces de chacun.


CHAPITRE VII.

DES CÉRÉMONIES QUI SE FONT POUR LES DÉFUNTS.


Argument. — On voit dans la première partie, I, que les saints sortent de la vie avec joie et pleins de l’espérance d’un bonheur parfait, et que leurs corps ressusciteront dans la gloire ; II, que diverses erreurs furent enseignées en ce point, et que ceux qui ont mal vécu meurent avec tristesse ; III, que les fidèles se réjouissent à la mort des saints.

On décrit dans la deuxième partie les rits usités pour la sépulture des fidèles, soit ecclésiastiques, soit séculiers.

La troisième partie manifeste, I, ce que signifie la sépulture des fidèles ; II, ce que signifient les cantiques et les leçons ; III, pourquoi l’on donne la sépulture à ceux qui sont encore dans les travaux de l’expiation, les catéchumènes pourtant exceptés ; IV, pourquoi l’hiérarque fait diverses prières sur le défunt et le salue ; V, quelles promesses furent faites à ceux qui meurent saintement, et ce que c’est que le sein d’Abraham ; VI, pourquoi l’on prie pour les défunts, et auxquels d’entre eux servent ces prières ; VII, que l’hiérarque, comme interprète de Dieu, garantit au défunt l’accomplissement des divines promesses, en conséquence de son pouvoir de lier et de délier ; VIII, pourquoi l’on fait des onctions sur le défunt ; IX, ce que signifie la dernière onction, et quel est le lieu des sépultures ; X, que les invocations que l’on fait en l’ordination ne doivent pas être divulguées imprudemment ; XI, pourquoi l’on baptise les enfants, quoique privés encore de l’usage de raison.


PREMIÈRE PARTIE.


I. Il me semble nécessaire d’expliquer maintenant les cérémonies que nous pratiquons envers les morts. Car il n’en est pas des saints, comme des profanes ; mais ainsi que diffère la forme de leur vie respective, ainsi diffère leur entrée dans le trépas. Ceux qui ont mené une vie sainte, se confiant dans les promesses véridiques du Seigneur dont ils ont vu comme une garantie en sa propre résurrection, arrivent, avec une espérance ferme et fondée et avec une joie divine, au terme de la mort, comme à la fin de leurs pieux combats, pleinement certains que la résurrection générale les mettra, eux et tout ce qui les constitue, en possession d’une vie et d’un bonheur parfaits et éternels. Effectivement, les âmes droites, qui, durant cette vie, peuvent encore déchoir et se précipiter dans le mal, seront élevées, dans la régénération future, à un état de divine immutabilité. Également les corps purs dont elles étaient compagnes dans le chemin de la vie, qui furent enrôlés et combattirent avec elles, pour prix de leurs nobles sueurs, recevront de leur côté la gloire de la résurrection, et partageront avec leurs alliées d’autrefois la jouissance inaltérable d’une vie toute divine : car rentrant dans la société des âmes auxquelles ils furent unis sur la terre, et devenus membres parfaits de Jésus-Christ, ils obtiendront la douceur incorruptible d’un immortel et divin repos. C’est pourquoi les saints s’endorment dans la joie et parmi d’invincibles espérances, quand ils ont touché le terme de leurs combats généreux.

II. Parmi les profanes, ceux-ci pensent insensément qu’un total néant leur est réservé ; ceux-là estiment que l’union des âmes avec les corps se brise sans retour, parce qu’elle conviendrait mal aux esprits dans la félicité de la vie divine qui les attend ; ils ne songent pas et ils n’ont pas compris cet enseignement de la science sacrée, que cette vie ainsi entendue a déjà reçu en Jésus-Christ sa glorieuse réalisation. Quelques-uns imaginent que les âmes s’allieront à d’autres corps ; en quoi, ce me semble, ils sont injustes envers les corps qui ont partagé les travaux des âmes saintes, puisqu’ils les privent indignement des divines récompenses qui les attendaient au bout de la carrière. D’autres enfin, inclinés vers je ne sais quelles grossières pensées, disent que le saint et bienheureux état promis aux élus ressemble à cette vie terrestre, et avec une rare inconvenance, promettent à ceux qui seront les frères des anges un mode d’alimentation propre à des corps altérables. Mais les hommes pieux ne donneront jamais en de pareilles extravagances : car comme ils savent qu’ils entreront, corps et âme, dans le repos du Christ, quand est venu le terme de cette vie périssable, ils voient plus clairement, parce qu’ils en sont plus proches, le chemin qui les mène à l’immortalité ; ils célèbrent la bienfaisance céleste, et sont inondés d’un divin contentement, ne craignant plus une ruine ultérieure, mais certains que la félicité conquise leur restera immuablement et pour l’éternité. Pour ceux au contraire qui sont pleins d’iniquités et de criminelles souillures, si la sainte doctrine leur fut autrefois départie, et s’ils l’ont tristement rejetée de leur esprit pour se précipiter dans la corruption des voluptés ignobles, le terme de cette vie étant arrivé, la loi des oracles divins cesse de leur paraître aussi méprisable ; ils voient d’un tout autre œil les charmes des plaisirs passagers, et glorifiant la vertu qu’ils ont follement négligée, ils sortent de ce monde misérablement et à regret, et totalement déchus de la douce espérance, à cause de leur déplorable conduite.

III. Mais parce qu’aucune de ces tristesses ne trouble le trépas du juste, quand il est parvenu à la fin de ses combats, il abonde de la joie la plus pure, et avec un sentiment de bonheur inouï, il prend le chemin de la sainte régénération. De leur côté, les proches du défunt, je veux dire ceux qui lui appartiennent par une divine parenté et par la ressemblance des mœurs, le nomment heureux, quel qu’il soit, d’avoir atteint victorieusement le but désiré ; ils adressent des cantiques d’action de grâces à l’auteur de son triomphe, et demandent d’obtenir eux-mêmes un semblable partage. Puis ils le prennent et le présentent à l’hiérarque comme au distributeur des saintes couronnes : l’hiérarque le reçoit avec empressement, et accomplit les rits sacrés que la loi fixe pour ceux qui s’endorment dans la sainteté.


DEUXIÈME PARTIE.

Cérémonies observées à l’égard de ceux qui meurent dans la justice.


Le divin hiérarque rassemble le chœur sacré. Si le défunt appartenait au rang des clercs, on le place devant l’autel, et le pontife commence la prière et l’action de grâces à Dieu. Si le défunt était de l’ordre des moines, ou du peuple saint, on le place dans l’oratoire et devant l’entrée du chœur, et le pontife fait également la prière et l’action de grâces. Puis les diacres récitent les promesses véridiques contenues dans les divines Écritures touchant notre résurrection, et chantent pieusement des hymnes empruntés aux psaumes touchant le même dogme et dans le même sens. Ensuite le premier des diacres renvoie les catéchumènes, proclame les noms de ceux qui dorment déjà dans la mort, met sur le même rang et récite le nom de celui qui vient de mourir, et invite les fidèles à demander pour leur frère défunt un doux repos en Jésus-Christ. Cependant le divin hiérarque s’avance, prononce sur le cadavre une pieuse prière ; après quoi, il le salue, tous les assistants faisant le salut avec lui. Cette cérémonie achevée, le pontife répand de l’huile sur le défunt, prie saintement pour toute l’assemblée, et dépose le corps en un lieu honorable, à côté des corps de ceux qui occupaient durant leur vie le même rang hiérarchique.


TROISIÈME PARTIE.

Contemplation.


I. Si les profanes voyaient, ou entendaient réciter ces saintes cérémonies, ils en riraient éperdument sans doute et prendraient en pitié notre erreur. Mais il ne faut pas que cela nous étonne ; car s’ils ne croient pas, ils ne comprendront pas, comme dit l’Écriture. Pour nous, considérant le sens spirituel des rits sacrés, et illuminés par Jésus-Christ, nous dirons que l’hiérarque a raison de placer le défunt soit au temple, soit en sa dernière demeure parmi ceux qui eurent la même dignité : car c’est là un mystérieux avertissement que, dans la régénération, tous obtiendront précisément le sort qu’ils se seront fait durant la vie présente. Ainsi celui qui aura mené sur terre une vie sainte et divine, autant qu’il est possible à l’homme d’imiter Dieu, jouira dans le siècle futur de la richesse d’une félicité divine ; celui qui aura mené une vie sainte aussi, mais moins divinement relevée, trouvera également les récompenses dues à ses œuvres. Quand donc le pontife a remercié Dieu de cette sainte répartition, il prononce sa prière, et célèbre l’adorable puissance de Dieu qui brise l’injuste et tyrannique empire sous lequel gémit notre nature, et évoque notre cause à son équitable tribunal.

II. Le chant et la lecture des promesses divines révèlent ce que sont ces demeures fortunées où doivent habiter éternellement ceux qui vécurent dans la perfection, et en particulier celui dont on célèbre le trépas. Par là aussi les assistants sont pressés de tendre à un semblable terme.

III. Observez qu’ici, tous ceux qui s’occupent aux travaux de l’expiation ne sont pas exclus, comme il se fait dans les autres mystères. Mais les seuls catéchumènes sortent de l’assemblée, parce que, absolument privés de toute initiation aux choses saintes, il leur est défendu de contempler les cérémonies plus ou moins relevées que l’Église accomplit ; car ils n’ont pas encore reçu, dans la régénération, principe efficace de lumière, la faculté de voir nos redoutables sacrements. Au contraire les autres classes de ceux qui se purifient, furent déjà initiées aux dons divins ; mais parce qu’ils se sont de nouveau précipités follement dans le mal, au lieu d’aspirer et d’atteindre à une perfection ultérieure, c’est juste qu’on les exclue de la vue et de la communion de ces mystères plus augustes que voilent les sacrés symboles : car il leur serait funeste d’y participer indignement, et ils en viendraient à un plus grand mépris et d’eux-mêmes et des choses divines. Leur présence aux cérémonies des funérailles est au contraire fondée en raison ; car là, ils apprennent clairement et peuvent considérer l’incertitude où nous sommes de l’heure de la mort, les récompenses que nos oracles infaillibles promettent aux saints, et les douleurs infinies qui menacent les coupables comme eux. Ce leur sera peut-être une utile leçon d’entendre les ministres sacrés nommer celui qui vient de mourir pieusement, le glorifier avec solennité comme déjà reçu dans les rangs des saints qui existent dès l’origine des siècles. Peut-être il leur viendra le désir d’une gloire semblable, et les dépositaires de la science sacrée les auront convaincus que celui-là est véritablement heureux qui meurt dans le Christ.

IV. Puis le divin hiérarque s’avance et prononce sur le défunt une sainte prière ; après quoi il le salue, et tous les assistants le saluent à sa suite. Par cette prière, on sollicite la clémence divine de pardonner au défunt toutes les fautes qu’il a commises par humaine fragilité, de le recevoir en la lumineuse région des vivants dans le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, là où il n’y a plus ni douleur, ni tristesse, ni gémissement.

V. Tel est le radieux éclat des récompenses célestes. Car que pourrait-on comparer à une immortalité parfaitement exempte de tristesse et pleine de gloire et de lumière ? Et pourtant ces promesses qui dépassent tout entendement, quoique exprimées en des termes proportionnés à notre infirme nature, ne portent que des noms bien inférieurs aux réalités qu’ils représentent. Car il faut croire à la vérité de la parole divine : « L’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu et le cœur de l’homme n’a jamais conçu ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment[22]. » Par le sein des patriarches et des autres bienheureux, je pense qu’il faut entendre ces divines et fortunées demeures où ceux qui imitèrent Dieu sont admis pour jouir d’une vie parfaite et pleine d’immortelle félicité.

VI. Vous allez dire peut-être que ce sont là des choses justes, mais que, néanmoins, elles n’expliquent pas pourquoi l’hiérarque s’adresse à la clémence divine et demande que le défunt obtienne la rémission de ses fautes et une glorieuse place parmi les élus dans l’héritage céleste. Car, si tous reçoivent de la justice d’en haut la récompense de ce qu’ils ont fait de bien ou de mal ici-bas, celui qui est mort ayant achevé sa course et ses œuvres personnelles, la prière pontificale peut-elle lui valoir un autre partage que celui qu’il a conquis lui-même, et qui est le paiement de sa vie terrestre ?

Je sais très-bien, pour l’avoir appris des saintes Lettres, qu’il sera donné à chacun selon son mérite : « Car le Seigneur, est-il dit, tient un compte exact, et chacun recevra ce qui est dû aux bonnes ou mauvaises actions qu’il aura faites en son corps[23]. » Ensuite, que les prières des justes ne soient d’aucune efficacité pour les vivants et à plus forte raison pour les morts, à moins qu’on ne soit digne de cette sainte intercession, c’est ce qui nous est transmis et enseigné par les Écritures. Car quel avantage revint à Saül de la prière de Samuel ? et au peuple hébreu de la médiation de ses prophètes[24] ? Tel que celui qui, s’arrachant l’organe de la vue, demanderait à jouir de la lumière du soleil dont la splendeur ne frappe que les yeux purs et sains : ainsi se nourrit de vaines et impossibles espérances celui qui, d’une part, réclame les prières des saints, et, de l’autre, combat les effets qu’elles produisent naturellement par sa négligence envers les grâces divines et par son éloignement des lumineux et bienfaisants préceptes de Dieu. J’affirme donc, conformément à la parole sacrée, que les prières des justes nous sont très-utiles dans cette vie, mais à une condition, c’est que celui qui est désireux des dons divins et pieusement disposé à les recevoir, reconnaisse intimement sa propre indignité, qu’il s’adresse à quelques pieux personnages, les conjurant de lui venir en aide et de prier avec lui ; alors il retirera de ce concours un immense avantage ; alors il obtiendra les grâces célestes qu’il implore ; la divine bonté lui ouvrira les bras à cause de la religieuse humilité de sa conscience et de son respect envers les saints, à cause du louable et pieux objet de ses désirs et de ses demandes, et des dispositions convenables où il s’est mis. Car ainsi le règlent les prescriptions de Dieu : les dons célestes sont accordés, dans l’ordre voulu, à ceux qui méritent de les recevoir par ceux qui méritent de les distribuer. Si donc quelqu’un viole cet ordre saintement établi, et, plein d’une déplorable présomption, s’estime suffisamment préparé au commerce divin et dédaigne le secours des justes ; s’il adresse à Dieu des demandes déplacées et profanes et n’a pas un ferme et constant désir des choses divines, assurément, et par sa faute, son imprudente prière sera rejetée.

Mais l’explication de ces prières que l’hiérarque prononce sur le défunt, je crois nécessaire de la donner, d’après les enseignements que nous ont transmis nos maîtres inspirés.

VII. Le pontife sacré est l’interprète des jugements divins, comme le dit l’Écriture ; il est l’ange du Seigneur tout-puissant. Or, il sait par les livres inspirés qu’une vie glorieuse et divine est réservée, d’après une équitable appréciation et en raison du mérite de chacun, à tous ceux qui auront vécu saintement, et que la charitable indulgence de Dieu daigne fermer les yeux sur les taches qu’ils ont contractées par humaine faiblesse ; car nul n’est exempt de souillure, comme il est encore écrit. L’hiérarque a lu ces promesses dans nos infaillibles oracles. Il demande donc qu’elles s’accomplissent et que les saintes récompenses soient accordées à ceux qui ont vécu dans la piété. De plus, il représente comme une image de la divine bonté en priant pour les autres comme s’il s’agissait de ses intérêts personnels. En même temps, certain de l’immanquable effet des promesses sacrées, il explique et fait entendre aux assistants que ce qu’il demande, conformément aux prescriptions célestes, s’accomplira infailliblement en ceux qui ont persévéré dans une vie divine. Car l’hiérarque, interprète de l’équité divine, ne demanderait pas des choses que Dieu ne tiendrait point pour agréables et qu’il n’aurait pas promis de donner. Aussi ne fait-il pas de semblables prières pour ceux qui meurent dans le péché, non-seulement parce qu’en cela il serait infidèle à sa mission d’interprète et s’ingérerait en des fonctions pontificales témérairement et sans l’inspiration de celui qui est l’auteur de nos mystères saints, mais encore parce que son imprudente prière serait sans résultat, et qu’il mériterait d’entendre cette parole pleine de justesse : « Vous demandez et ne recevez point parce que vous demandez mal[25]. » L’hiérarque demande donc seulement ce que Dieu a promis, ce qu’il a pour agréable, ce qu’il accordera infailliblement ; et par là, il témoigne au Dieu bon de la pureté de ses intentions saintes, et révèle clairement à l’assemblée quels biens sont réservés aux élus.

Comme interprètes des jugements divins, les pontifes ont également le droit de prononcer des exclusions, non pas, si l’on me permet cette explication, que la sagesse infinie obéisse avec dépendance à leurs transports déraisonnables, mais c’est que, par le mouvement du Saint-Esprit qui préside à notre hiérarchie, et dont ils sont les organes, ils séparent ceux que la justice de Dieu a déjà condamnés. Car il est écrit : « Recevez le Saint-Esprit ; à ceux dont vous remettrez les péchés, les péchés seront remis ; à ceux dont vous les retiendrez, ils seront retenus[26]. » Et il a été dit encore à celui qui fut illuminé par les révélations du Père très-saint : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans les cieux[27]. » Tellement que cet apôtre et tout pontife qui lui ressemble admettent les amis de Dieu et excluent les impies, en conséquence de la manifestation que le Père leur fait de ses augustes jugements, qu’ils interprètent ensuite et font connaître aux hommes. Car, comme nous l’apprend l’Écriture, ce n’est pas de son mouvement propre ni par les instincts de la chair et du sang, mais par l’inspiration de Dieu, qui l’instruisait en esprit des saints mystères, que Pierre a prononcé sa glorieuse profession de foi en Jésus-Christ. Nos pontifes sacrés doivent donc user de leur droit d’excommunier et de tous leurs pouvoirs hiérarchiques par le mouvement de Dieu, qui a établi nos cérémonies saintes ; à son tour, le peuple fidèle doit obéir aux pontifes dans l’exercice de leurs fonctions, comme à des hommes inspirés ; car il est dit : « Qui vous méprise me méprise[28]. »

VIII. Mais revenons aux cérémonies qui suivent la prière. Quand elle est achevée, l’hiérarque salue le défunt que tous les assistants saluent à leur tour : car celui-là est digne de l’amour et de l’honneur de tous les justes qui a fini sa vie dans la sainteté. Après le salut, le pontife répand de l’huile sur le défunt. Or, souvenez-vous que, dans le sacrement de régénération, avant le saint baptême et quand l’initié a totalement dépouillé ses vêtements anciens, sa première participation aux choses sacrées consiste en l’onction de l’huile bénite ; et, au terme de la vie, c’est encore l’huile sainte qu’on répand sur le défunt. Par l’onction du baptême, on appelait l’initié dans la lice des saints combats ; l’huile versée sur le défunt signifie qu’il a fourni sa carrière et mis fin à ses glorieuses luttes.

IX. Cette cérémonie terminée, le pontife place le corps du défunt dans un lieu honorable, parmi les corps sacrés de ceux qui appartiennent au même ordre. Car, si le défunt a mené dans son corps et dans son âme une vie agréable à Dieu, le corps, aussi bien que l’âme, est digne d’honneur, parce qu’il a combattu avec elle en répandant de nobles sueurs. C’est pourquoi la justice divine réserve à l’âme et en même temps au corps, son collaborateur et son compagnon, des récompenses proportionnées à leur vie, soit bonne, soit mauvaise. Par la même raison, la hiérarchie divinement instituée appelle l’une et l’autre substance à la participation des grâces célestes : l’âme, par la contemplation pure et la science des sacrements qui s’accomplissent ; le corps, par l’onction figurative de l’huile sainte et par les symboles sacrés de la divine communion. De la sorte, l’homme est sanctifié dans sa nature entière ; son salut total est opéré, et il lui est donné de comprendre, par cette purification complète, que sa résurrection sera également entière, totale.

X. Quant aux invocations consécratoires des divers sacrements, on ne doit pas les expliquer par écrit ni dévoiler et produire publiquement ce qu’elles ont de mystérieux, et la vertu secrète que Dieu y a déposée. Mais lorsque, d’après les ordonnances de notre sainte tradition, vous aurez appris ces choses qu’il ne faut jamais divulguer, et que le divin amour et des œuvres pieuses vous auront confirmé dans une sainteté plus parfaite et plus intelligente, vous serez élevé par l’illumination mystique à la sublime science de ces réalités.

XI. Que les enfants qui ne sauraient comprendre les choses divines soient admis à recevoir la régénération sainte et les symboles vénérables de la divine communion, c’est pour les profanes, dites-vous, le sujet de railleries qu’ils croient légitimes : car alors l’hiérarque enseigne les choses divines à ceux qui ne peuvent écouter, il communique en vain les traditions saintes à ceux qui ne peuvent comprendre ; et, ce qui n’est pas moins ridicule, d’autres font pour ces enfants des abjurations et prennent de saints engagements. Mais il ne faut pas que votre prudence sacerdotale s’indigne contre ces mécréants ; il vaut mieux les amener à la lumière avec piété et avec douceur, en réfutant leurs objections et en ajoutant, d’après nos saintes lois, que la science humaine n’est pas la limite des divins secrets, et que beaucoup de réalités mystérieuses ont des causes sublimes qui nous restent cachées, mais qui sont connues des hiérarchies supérieures à la nôtre : même beaucoup de choses échappent aux intelligences angéliques et ne sont exactement comprises que par Dieu infiniment sage et auteur de toute sagesse.

Cependant disons sur cette matière ce qui nous fut transmis par nos pieux initiateurs, qui, eux-mêmes, avaient été instruits par la tradition primitive. Ils nous ont donc appris, ce qui est véritable, que les enfants, élevés dans la pratique de la religion, contractent des habitudes de sainteté en se conservant libres de toute erreur et exempts de toute souillure. Ce qu’ayant compris nos maîtres, il leur parut bon de recevoir les enfants en cette sorte : les parents naturels de l’enfant qu’on présente au baptême le confient à quelqu’un de nos initiés qui puisse l’instruire convenablement des choses divines, et qui en prenne soin désormais comme père spirituel et comme responsable du salut de son protégé. Quand donc ce fidèle a promis de former l’enfant à une vie sainte, le pontife lui ordonne de prononcer les abjurations et de contracter les engagements voulus : non pas qu’ici, comme le disent en raillant les infidèles, l’un reçoive l’initiation au lieu de l’autre ; car le parrain ne dit pas : C’est à la place de cet enfant que je fais les abjurations et les promesses ; mais il affirme que son pupille lui-même abjure et promet, comme s’il disait : Je m’engage, lorsque cet enfant sera capable de comprendre les choses saintes, à lui persuader par mes religieuses instructions de renoncer aux choses mauvaises, et de prononcer et d’accomplir des promesses de vertu. Je ne vois donc rien d’absurde à ce qu’un enfant soit présenté au saint baptême par le ministère d’un guide et d’un protecteur pieux qui se propose de l’habituer aux choses divines et de le préserver des atteintes du vice. Et l’hiérarque admet l’enfant à la participation des sacrés mystères, afin qu’il en soit nourri, qu’il vive constamment occupé à la contemplation des choses divines, qu’il s’unisse à elles par de pieux progrès, qu’il se fixe en leur possession et s’élève à la sainteté par les soins de son guide religieux.

Tels sont, mon fils, les beaux et divins spectacles que m’a présentés notre hiérarchie : peut-être des esprits plus clairvoyants auront fait, non pas seulement ces considérations, mais d’autres plus brillantes et plus célestes. Et j’estime que des beautés plus radieuses et plus augustes resplendiront à vos regards si vous suivez la route que j’ai indiquée pour arriver à un foyer de lumière supérieure. Alors, mon bien-aimé, communiquez-moi ces clartés parfaites et révélez à mes yeux ces connaissances plus excellentes, plus intuitives que vous pourrez découvrir : car j’ai confiance que ce que j’ai dit fera jaillir les étincelles du feu divin que vous portez en votre cœur.


FIN DE LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE.
  1. Hiérarchie céleste, ch. 13, n° 3.
  2. Marc., 4, 11.
  3. Joan., 14, 23.
  4. Joan., 1, 12.
  5. Les commentateurs et paraphrases recherchant ce que saint Denys nomme ici choses plus élevées, pensent qu’il s’agit de quelque sainte prière qui terminait la cérémonie du baptême solennel, ou bien de la célébration du sacrifice de la messe.
  6. Joan., 14, 30.
  7. Sapien., 5, 6 ; Joan., 11, 25.
  8. II. Timot., 2, 19.
  9. Psalm. 115, 15.
  10. Joan., 13, 10.
  11. Luc., 22, 19.
  12. Ibid.
  13. Psalm. 33, 9.
  14. Ces expressions ne signifient pas qu’il faille attribuer au sacrement du saint chrême les mêmes effets absolument qu’opère la sainte Eucharistie, car alors ces deux sacrements se confondraient en un seul. L’auteur a seulement voulu marquer que tous deux confèrent des grâces semblables, donnant à l’âme chrétienne lumière, force et amour.
  15. Heb., 2, 11.
  16. Galat., 3, 24.
  17. Exod., 25, 40.
  18. Hebr., 5, 5.
  19. Psalm., 109, 4.
  20. Act., 1, 4.
  21. Ibid., 1, 24.
  22. I. Cor., 2, 9.
  23. II. Cor., 5, 10.
  24. I. Reg., 15, 11 ; Exod., 32, 10 ; Jerem., 7, 16, et 11, 14.
  25. Jac., 4, 3.
  26. Joan., 20, 22.
  27. Matt., 16, 19.
  28. Luc., 10, 16.