Œuvres diverses de J.-B. Say/Correspondance avec Georges Grote

La bibliothèque libre.
J.-B. SAY À Mme GEORGES GROTE.
(Inédite.)
11 mai 1827.
Madame.


J’ai reçu votre lettre du 2 de ce mois, et je serais bien coupable si je n’étais profondément reconnaissant de vos aimables compliments sur mon ouvrage ; de la part de beaucoup d’autres, ce seraient simplement des petitesses, de votre part ce sont des jugements dont on doit être glorieux. Je commence à penser que j’ai atteint mon but, lorsque j’ai désiré que ce qui intéresse tout le monde pût être généralement compris. Jugez combien mon amour-propre a dû être agréablement chatouillé par votre lettre.

Sur les deux points ou vous prétendez que nous ne sommes pas d’accord, je crois que nous sommes plus rapprochés que vous ne pensez ; je professe une très-haute idée des vues de Ricardo sur les papiers monnaies, je conviens qu’une banque indépendante du gouvernement (c’est-à-dire qui refuserait de lui prêter), et qui offrirait au public toutes les garanties convenables, pourrait émettre avec beaucoup d’avantages pour elle et pour le public, des billets au porteur ; mais qu’il resterait l’inconvénient des forgeries et de ce qui s’ensuit. Je ne pense pas que vous ne trouviez pas aussi quelqu’inconvénient là dedans.

As for rent ; j’avais en effet dit dans mes précédentes éditions, que le fermage augmentait le prix du blé ; mais je me suis corrige et je ne le dis pas dans cette 5e édition. Je dis seulement que ce ne sont pas les mauvais terrains qui font que les bons terrains fournissent un fermage (rent), mais que ce sont les besoins et les facultés de la société qui portent le prix du blé à un taux tel qu’il convient, outre les frais de la culture, de payer un fermage au propriétaire. Or, Ricardo, dit la même chose, lorsqu’il dit (page 65 3e édition) rent is always the effect of the increasing wealth of the country. Mais si le blé monte à un prix tel que le cultivateur may afford to pay a rent, I may say that the price of corn contains a part of the rent, though rent is not the cause of it.

Je vois par votre lettre quelle est la raison qui a éloigné les auditeurs du cours de Mac Culloch. Ne serait-ce point aussi les abstractions auxquelles il veut réduire une science qui doit être toute expérimentale ? Les généralités, ce me semble, ne devraient être que l’expression d’une vérité commune à plusieurs faits. Une généralité doit donc trouver toujours au moins un exemple dans les faits observés.

Pardon, Madame, si je vous parte tant de philosophie. C’est la solidité de votre esprit qui m’y excite.

Je vous dois bien des remerciements pour les nouvelles intéressantes que vous me donnez de votre nouvelle université et des intrigues de votre cabinet. Au total il me semble que les gens de notre opinion doivent être satisfaits de ce qui se passe en Angleterre. C’est tout le contraire on France. Le sens dans lequel marche le gouvernement est détestable. On veut faire de nous un monastère, heureusement jamais peuple ne fut mains propre à la règle monacale. Nous avons pour supérieur du couvent un imbécile soumis au général des jésuites, membre de sa congrégation, qui regarde comme son plus beau privilège celui de pouvoir dire la messe ( il est évêque de Laodicée in partibus infidelium), et comme sa principale vocation, de faire son salut dans l’autre monde. Voilà ce que l’on pense ici tout bas.

Agréez, Madame, mes hommages respectueux.