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Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte/Articles de journaux/01

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Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 189-191).

III

ARTICLES DE JOURNAUX[1].

I

Article, rédigé dans le cabinet des Consuls, le soir du coup d’État de Brumaire[2].


Le cercle des révolutions diverses, dont se compose l’ensemble de notre Révolution, présente une telle succession d’événements, presque toujours accompagnés de réactions, qu’il semble désormais établi que toute action suppose réaction, et que déjà même, on se hasarde à prononcer ce mot funeste.

On conçoit bien mal alors la journée du 18 brumaire ; on en dénature le caractère ; on méconnaît l’empire des temps auxquels enfin nous sommes arrivés.

Que durant la tourmente révolutionnaire, on ait agi et réagi aussitôt, c’est ce qu’il est facile d’expliquer ; il n’existait point d’accord entre les idées et les institutions ; et tout, dans ce monde politique, comme dans le monde physique, est soumis à cette loi de la nature, qui veut que les événements se balancent et s’équilibrent mutuellement. Cet équilibre une fois rompu, il n’y a plus que choc, déchirement et chaos, jusqu’à ce que les deux bassins de la balance, se pondérant également, reprennent leur assiette. Ainsi, depuis 89 jusqu’en 92, les idées et les institutions ne se balançant plus, n’étant plus de niveau, nous avons vu l’action et la réaction constante de la liberté contre le despotisme, et du despotisme contre la liberté, de l’égalité contre le privilège, et du privilège contre l’égalité.

La déclaration royale du 23 juin fut la réaction de la réunion des trois ordres : la nuit du 4 août fut la réaction du 23 juin. Le triomphe des nouvelles idées sur les vieilles institutions fut enfin décidé par le 10  août, mais les vieilles idées luttèrent à leur tour contre les institutions nouvelles. Si des âmes généreuses s’étaient élevées jusqu’à la pensée de la République, elles laissaient toutefois, bien loin derrière elles, des esprits tardifs ou indociles ; et des souvenirs, des sentiments, des préjugés monarchiques se réinterposèrent entre le gouvernement nouveau et le gouvernement passé. On agit et on réagit donc encore ; et l’action, comme la réaction, prenant un caractère d’autant plus violent que les passions étaient plus exaspérées, toutes deux exercèrent à la fois leur force contre les idées et contre les personnes. Contre les personnes plus de garantie pour la sûreté individuelle ; on vit la vengeance punie par la vengeance, le crime par le crime. Contre l’idée, plus de principe sans atteinte.

9 novembre 1799 ( 18 brumaire.)
  1. Napoléon, merveilleusement doué pour la polémique, est l’auteur d’un certain nombre d’articles de journaux. De nos jours, il eût fait un excellent journaliste politique. Consul, il ne laissa jamais à d’autres le soin de répondre aux attaques de la presse anglaise ; et il fit ainsi paraître des notes fort détaillées, où se retrouvent toutes ses qualités de pamphlétaire. Empereur, la même préoccupation le poursuivait. On peut donc dire de lui qu’il a été, de 1800 à 1814, le véritable rédacteur en chef du Moniteur.
    Je le soupçonne aussi, mais sans preuves suffisantes, d’avoir glissé lui-même dans son journal quelques réclames pour les tableaux de David et les bals du chef de l’État.
  2. Texte publié par M. Iung. (Tome 3e.)