Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Il demande du pain

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 279-280).

XIII[1]


ÉCRIT À SAINT-LAZARE


... il demande du pain,
On lui donne du sang. Il voit tomber des têtes ;
Il chante et ne sent plus la faim.

 
Byzance, mon berceau, jamais tes janissaires
Du musulman paisible ont-ils forcé le seuil ?
Vont-ils jusqu’en son lit, nocturnes émissaires,
Porter l’épouvante et le deuil ?

Son harem ne connaît, invisible retraite,
Le choix, ni les projets, ni le nom des vizirs.
Là, sûr du lendemain, il repose sa tête,
Sans craindre, au sein de ses plaisirs,

Que cent nouvelles lois qu’une nuit a fait naître,
De juges assassins un tribunal pervers,
Lancent sur son réveil, avec le nom de traître,
La mort, la ruine, ou les fers.

Tes mœurs et ton Coran sur ton sultan farouche
Veillent, le glaive nu, s’il croyait tout pouvoir,
S’il osait tout braver, et dérober sa bouche
Au frein de l’antique devoir.

Voilà donc une digue où la toute-puissance
Voit briser le torrent de ses vastes progrès !
Liberté qui nous fuis, tu ne fuis point Byzance ;
Tu planes sur ses minarets !

  1. Édition 1819, sauf les trois premiers vers.