1914-1916/Quand même !

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1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 97-100).

QUAND MÊME !


Qu’attends-tu sur la bruyère,
Qu’attends-tu sur le chemin ?
La nuit encor solitaire
N’en est pas à son matin ;

Qu’attends-tu près du lac sombre,
Qu’attends-tu dans la forêt ?
Le ciel est un gouffre d’ombre
Où nul astre n’apparaît ;


Qu’attends-tu sur la colline,
Qu’attends tu dans le vallon ?
De quelle sanglante épine
S’envenime ton talon ?

Quelle angoisse dans ta bouche
Arrête ce cri qui tord,
Si muettement farouche,
Ta lèvre que ta dent mord ?

Si tes prunelles hagardes
Palpitent comme ton cœur,
Qu’est-ce donc que tu regardes
À l’horizon sans lueur ?


Qu’espères-tu qu’il surgisse
Du milieu de cette nuit ?
Crois-tu donc que le jour puisse
Devancer l’heure qu’il suit

Et qu’au mépris des algèbres
Un soleil prodigieux
Puisse éblouir les ténèbres
Rien qu’à l’appel de tes yeux ?

Que fais-tu donc sur la route,
Que contemples-tu là-bas ?
En vain ton oreille écoute
Ce que tu ne verras pas ;


En vain dans l’eau du lac sombre,
Tu guettes un peu d’azur,
Tout encor n’est que de l’ombre
Et l’avenir reste obscur ;

Que fais-tu sur la bruyère ?
Réponds-moi !
Réponds-moi !— Tu le sais bien,
J’attends l’aile de lumière
De la Victoire qui vient !


4 octobre 1915.