Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome IV/Première partie/Livre VI/Chapitre V

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CHAPITRE V.

Côte orientale d’Afrique.

La côte orientale d’Afrique est peu fréquentée des nations de l’Europe, en comparaison des côtes occidentales. À l’est de la contrée du Cap est le pays habité par les Cafres, nom sous lequel on comprend plusieurs peuples qui diffèrent des Nègres, quoiqu’ils aient la chevelure crépue, et qui se rapprochent des Hottentots. La côte de Natal s’étend depuis la limite de la colonie du Cap, jusqu’à la baie de Lagoa. Elle est arrosée de nombreuses rivières, et parsemée de bois ; mais aucun port sûr et profond n’y offre un asile aux grands navires. La baie de Lagoa a quelquefois été confondue avec celle d’Algoa ; située huit degrés plus au sud. Les hordes qui vivent dans ces vastes contrées pillent souvent les navires qui font naufrage sur cette côte dangereuse.

Cependant, en 1683, le vaisseau anglais le Johanna, s’étant brisé près de la baie de Lagoa, trouva plus d’humanité et de secours dans les habitans, quoiqu’ils passent pour extrêmement barbares, qu’il n’en aurait reçu de plusieurs peuples qui s’attribuent de grands principes de religion et de politesse. Touchés du malheur de leurs hôtes, non-seulement ils leur fournirent les nécessités de la vie, mais ils les aidèrent à sauver une partie de leur cargaison. Pour une petite quantité de couteaux, de ciseaux, d'aiguilles, de fil, de petits miroirs et de colliers de verre, ils se chargèrent de transporter dans un pays voisin tout ce qu’on avait pu sauver du naufrage, et de fournir encore des vivres aux Anglais sur la route. Après les avoir conduits l’espace d’environ deux cents milles, ils leur procurèrent d’autres porteurs et d’autres guides pour continuer leur marche. Elle fut de quarante jours, pendant lesquels ils ne firent pas moins de sept ou huit cents milles. Ils trouvèrent ensuite de nouveaux porteurs, qui les conduisirent et leur fournirent des provisions jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Quelques Anglais, qui tombèrent malades en chemin, furent portés dans des hamacs sur les épaules de ces charitables Nègres : de quatre-vingts, il n’en mourut que trois ou quatre dans une route si longue et si pénible.

Entre Lagoa et Mozambique la côte n’est pas moins dangereuse : elle était connue autrefois sous le nom de Sofala et de Cuama ; mais les Portugais la nomment aujourd’hui Séna. Elle contient les états d’un grand nombre de princes bornés à de fort petits territoires. Les habitans sont de couleur noire, et idolâtres, à l’exception d’un petit nombre, que les Portugais ont convertis au christianisme, et que l’on accuse d’être moins humains que les autres pour les Européens étrangers. Les habitans de ce pays ne veulent de commerce qu’avec les Portugais, qui entretiennent le long de la côte un petit nombre de prêtres pour tenir les Nègres dans leur dépendance, et tirer d’eux, à vil prix, leur ivoire et leur or, qu’ils envoient à Mozambique.

Mozambique est une île qui appartient à la couronne de Portugal ; elle est fortifiée par l’art et la nature ; mais l’air y est si malsain, que les criminels portugais de l’Inde, au lieu d’être punis de mort suivant les lois de leur nation, y sont bannis pour un certain nombre d’années, à la discrétion du gouverneur de Goa et de son conseil. On en voit revenir peu de cet exil ; car cinq ou six années de séjour à Mozambique passent pour une longue vie. Cette place est un port de rafraîchissement pour les vaisseaux portugais qui vont de l’Europe aux Indes ; ils y passent ordinairement trente jours, pour donner le temps de se rétablir aux soldats et aux matelots qui, ayant contracté en mer l’hydropisie et le scorbut, sont bientôt guéris par l’usage des fruits acides et des racines du pays ; leurs bâtimens emploient généralement tout le mois d’août pour se rendre de Mozambique à Goa.

Monbassa ou Monbaze est une île voisine du continent, à la distance d’environ, deux cent vingt milles de Mozambique. L’art a peu contribué à la fortifier ; mais elle l’était naturellement lorsque les Portugais s’en rendirent maîtres il y a plus de deux cents ans. Ils la possédèrent jusqu’en 1698, que les Arabes de Maskat s’en saisirent avec peu de peine, et passèrent au fil de l’épée une vingtaine de Portugais qui la défendaient.

Patta, qui suit Monbassa sur la même côte, est passée aussi dans les mains des Arabes. Ce pays fournit beaucoup d’ivoire et quantité d’esclaves à Maskat. Autrefois les Anglais, les Portugais, et les Maures des Indes y entretenaient un commerce avantageux, quoique peu considérable ; mais les Arabes, jaloux des progrès d’autrui, formèrent sur la côte, en 1692, une colonie qui défendit aux habitans tout commerce avec d’autres nations. Quoique les terres intérieures soient habitées par des idolâtres, toutes les côtes suivantes, qui comprennent les pays de Magadoxo, de Zeyla et d’Adel sur les côtes de Zanguebar et d’Ajan jusqu’au cap de Guardafui, dans une étendue d’environ trois cents lieues au nord-est, ont reçu la religion mahométane. Il y reste néanmoins, dans les cérémonies, les usages et les traditions, quelques vestiges de l’ancien culte.

Les côtes de Mozambique, de Sofala, de Quiloa, de Monbassa, bordent le grand empire du Monomotapa, qui s’étend fort loin dans l’intérieur, vers l’ouest, et qui nous est peu connu. Il est renommé par ses mines d’or ; mais on a fait des efforts inutiles pour y parvenir. On lit dans Faria que François Barretto, seigneur portugais, après avoir rempli avec honneur la dignité de gouverneur de l’Inde, fut revêtu de l’important emploi d’amiral dés galères. À sin retour en Portugal, il fut nommé au gouvernement de Monomotapa, un des trois qui faisaient la division de l’Inde portugaise, trop grande alors pour recevoir la loi d’un seul gouverneur. Le roi joignit à cette qualité le titre de conquérant des mines, sur des informations et des expériences qui lui avaient fait naître effectivement le dessein de cette conquête ; mais ce titre, comme on va le voir, était un peu prématuré. On avait trouvé quantité d’or dans l’intérieur de ce grand empire, surtout à Manika, dans le royaume de Bakaranga. Barretto partit de Lisbonne au mois d’avril 1569, avec trois vaisseaux et mille hommes de débarquement, parmi lesquels on comptait quantité de nobles et de vieux guerriers d’Afrique.

Barretto avait reçu ordre de ne rien entreprendre sans l’avis du père François de Monclaros, missionnaire jésuite. Cette dépendance fit échouer toutes ses vues.

Il y avait deux chemins qui conduisaient aux mines, l’un au travers du Monomotapa, et l’autre par Sofala. Barretto se déclara pour le second ; mais le père de Monclaros ayant jugé que l’autre devait être préféré, son opinion l’emporta malgré l’opposition du conseil. On partit de Mozambique avec plus d’hommes et de vaisseaux qu’on n’en avait amené, sans parler des instrumens, des chevaux et des autres provisions pour la guerre et pour le travail des mines. Après avoir fait quatre-vingt-dix lieues par mer, les Portugais entrèrent dans la rivière de Cuama. Ils s’avancèrent, suivant les vues de Monclaros, jusqu’à Séna, et gagnèrent ensuite la ville d’Inaparapola, qui est voisine d’une ville des Maures. Ces Maures commencèrent à traverser leurs desseins, comme ils avaient fait autrefois dans l’Inde. Ils tentèrent d’empoisonner toute l’armée. Quelques hommes et plusieurs chevaux en moururent ; mais cette perfidie ayant été découverte par l’avis d’un des complices, les traîtres furent passés sans pitié au fil de l’épée, et leur chef exposé à la bouche du canon. Un seul, qui protesta que la sainte Vierge lui avait ordonné de se rendre chrétien sous le nom de Laurent, obtint par grâce d’être pendu. Ce n’était pas trop la peine de faire parler la Vierge.

Barretto envoya des ambassadeurs au monarque de Monomotapa, qui les reçut avec une distinction extraordinaire. Loin de les traiter comme ceux des autres princes, qui ne se présentaient devant lui qu’à genoux, pieds nus et sans armes, et qui se prosternaient jusqu’à terre devant son trône, il leur accorda une audience fort honorable. Le motif de cette ambassade était de lui demander la permission de le venger du roi de Mongas, qui s’était révolté contre lui, et celle de pénétrer jusqu’aux mines de Boutoua et de Manchika. La seconde de ces deux demandes suffisait pour faire juger de la première. Le territoire de Mongas étant situé entre Séna et les mines, il fallait nécessairement s’ouvrir un passage par l’épée. L’empereur consentit aux deux propositions, et fit offrir à Barretto cent mille hommes, qu’il refusa.

L’armée portugaise se remit en marche. Elle était composée de cinq cent soixante mousquetaires et de vingt-trois cavaliers. Pendant dix jours qu’elle employa dans cette route, elle eut beaucoup à souffrir de la soif et de la faim. Il fallut suivre presque continuellement la rivière de Zambèze, dont le cours est fort rapide, et sur laquelle s’avancent, à quatre-vingt-dix lieues de la mer d’Éthiopie, des pointes de la haute montagne de Lupata, qui paraissent comme suspendues sur son canal. À la fin de cette ennuyeuse marche, les Portugais commencèrent à découvrir une partie de leurs ennemis, et remarquèrent bientôt plus clairement que tout le pays était couvert d’habitans armés. Barretto ne s’alarma point de ce spectacle. Il donna la conduite de son avant-garde à Vasco Fernando Homen ; et, se réservant celle de l’arrière-garde, il plaça son bagage et quelques pièces de canon dans l’intervalle de ces deux corps. Lorsqu’il fut près d’en venir à la charge, il fit avancer son artillerie au front de ses troupes et sur ses flancs. L’ennemi s’approcha d’un air ferme : son ordre de bataille formait un croissant. Une vieille femme, célèbre, si l’on en croit Faria, par la profession qu’elle faisait de la magie, fit quelques pas vers les rangs, et jeta quelques poignées de poudre vers l’armée portugaise, en assurant les Cafres que cette poudre seule leur garantissait la victoire. Barretto, qui avait appris dans l’Inde combien la superstition a de pouvoir sur les Maures, chargea un de ses canonniers de pointer vers cette femme ; et ses ordres furent exécutés avec tant de bonheur, qu’on la vit voler aussitôt en pièces, à la surprise extrême de tous les Cafres, qui la croyaient invulnérable. Barretto fit présent au canonnier d’une chaîne d’or.

L’ennemi continua de s’approcher, mais sans ordre. Il fit bientôt pleuvoir une grêle de flèches et de dards. Les Portugais répondant, sans s’ébranler, à coups de canon et de fusil, qui firent une exécution terrible parmi les Cafres, n’eurent pas besoin de recommencer souvent cette boucherie pour leur faire tourner le dos. Ils en tuèrent un grand nombre dans la poursuite ; et, marchant droit à la ville de Mongas, ils firent disparaître aussi facilement un autre corps qu’ils rencontrèrent en chemin. Il ne leur en coûta que deux hommes pour faire mordre la poussière à six mille Cafres. Barretto, à la tête de ses gens, entra sans opposition dans Mongas. Les habitans, qui l’avaient abandonnée, se présentèrent en aussi grand nombre que les deux premières armées réunies ; mais ils ne soutinrent pas plus long-temps l’effort des vainqueurs. Dès le même jour ils demandèrent la paix au nom du roi, qui envoya bientôt lui-même des ambassadeurs à Barretto pour traiter des conditions.

Pendant cette négociation, un chameau échappé à ses gardes prit sa course vers le gouverneur, qui l’arrêta de ses propres mains jusqu’à l’arrivée de ceux qui le poursuivaient. Les Caires ne connaissaient point cet animal. Dans la surprise de le voir si docile près du général portugais, ils firent plusieurs questions qui marquaient leur crainte et leur ignorance. Barretto prit avantage de l’une et de l’autre pour leur répondre qu’il avait un grand nombre de ces bêtes terribles, et qu’il ne les nourrissait que de chair humaine ; qu’ayant déjà dévoré ceux qui avaient péri dans le combat, elles le faisaient prier par ce messager de ne pas faire la paix, parce qu’elles craignaient de manquer de nourriture. Les ambassadeurs cafres, effrayés de ce discours, supplièrent le général d’engager ses chameaux à se contenter de bonne chair de bœuf, dont ils promirent de leur envoyer une grosse provision. Il se rendit à leur prière, et leur accorda des conditions qui rétablirent la tranquillité dans le pays. Cependant il commençait à manquer de vivres, lorsqu’il reçut avis que sa présence était nécessaire à Mozambique, où Péreyra Brandam, son lieutenant, s’était saisi du fort, quoique âgé de quatre-vingts ans. Il laissa le commandement de ses forces à Vasco Homen pour se hâter de retourner vers la côte. Mais à peine eut-il paru à Mozambique, que, les séditieux étant rentrés dans la soumission, il regretta beaucoup qu’une affaire de si peu d’importance eût été capable d’interrompre ses projets. L’ardeur de son courage lui fit reprendre aussitôt la même route. Mais quelle fut sa surprise, en approchant du fort Séna, d’en voir sortir Monclaros d’un air furieux pour lui ordonner au nom du roi d’abandonner une entreprise sur laquelle il lui reprocha d’avoir trompé ce prince par de fausses espérances, en ajoutant que le nombre des morts était déjà trop grand, et qu’il le rendait responsable devant Dieu du sang qui se répandrait encore ! L’historien se révolte beaucoup contre ce missionnaire. Il semble pourtant que, si jamais il est permis d’attester le nom de Dieu, c’est surtout quand il s’agit d’épargner le sang des hommes ; et le désir de s’emparer des mines n’était pas une raison légitime pour tuer les Cafres.

Barretto mourut de chagrin deux jours après. Vasco, son successeur, retourna immédiatement à Mozambique. Mais, après le départ du missionnaire, qui s’embarqua aussitôt pour le Portugal, François Pinto-Pimentel, son parent, et quelques autres personnes sensées, lui représentèrent si fortement ce qu’il devait au Portugal et à son propre honneur, qu’il prit la résolution de retourner au Monomotapa. Il choisit, suivant Barretto, la route de Sofala, qui était en effet la plus favorable à son entreprise. Elle le conduisit directement vers les mines de Manchika, dans le royaume de Chikanga, qui borde au-dedans des terres celui de Quiterve, le plus puissant de ces régions après celui de Monomotapa. Il avait le même nombre d’hommes et le même bagage que son prédécesseur. Comme il était important de se concilier l’affection du roi de Quiterve, il lui fit un compliment civil, accompagné de plusieurs présens. Mais ce prince avait déjà conçu tant de défiance et de jalousie, qu’il reçut froidement cette politesse.

Vasco, sans faire beaucoup d’attention à sa réponse, continua sa marche au travers de ses états.Plusieurs corps de Cafres entreprirent de lui couper le passage, et furent défaits avec un grand carnage. Le roi, désespérant de réussir par la force, eut recours à l’artifice. Il donna ordre à tous ses sujets d’abandonner leurs villes et leurs cantons, dans l’espérance de ruiner l’armée portugaise par la faim. En effet, elle eut beaucoup à souffrir pour se rendre à Zimbaze, où il tenait sa cour. Il avait déjà pris le parti de l’abandonner, et de se fortifier dans des montagnes inaccessibles. Vasco brûla cette ville et se remit en marche pour le pays de Chikanga, où la crainte plus que l’inclination le fit recevoir avec de grandes apparences d’amitié. Il obtint du roi la liberté du passage jusqu’aux mines. Les Portugais se crurent à la veille de puiser l’or à pleines mains. Ils arrivèrent enfin à cette terre promise. Mais, remarquant bientôt que les habitans employaient beaucoup de temps et de peine pour en tirer fort peu d’or, et s’étant convaincus qu’il fallait plus d’hommes et d’instrumens pour donner quelque forme à leur entreprise, ils prirent le parti de revenir sur leurs traces. Vasco retourna dans la suite à Quiterve, où le roi, devenu moins méfiant, on ne sait pourquoi, lui accorda toutes les permissions qu’il avait d’abord refusées. Il consentit que les Portugais pénétrassent jusqu’aux mines de Manninas, à la seule condition de lui payer chaque année vingt écus. De là ils passèrent dans le royaume de Chikova, qui borde le Monomotapa au nord, dans l’intérieur des terres. On les avait flattés d’y trouver de riches mines d’argent. Vasco, après y avoir assis son camp, apporta tous ses soins à se procurer des informations. Les habitans, ne se croyant pas capables de lui résister, et jugeant que la découverte des mines serait funeste à leur repos, eurent l’adresse de répandre un peu de minéral dans quelques endroits éloignés de sa source, et montrèrent ces lieux aux Portugais comme les véritables mines. Cette ruse eut tout l’effet qu’ils s’en étaient promis. Vasco, persuadé de leur bonne foi, permit qu’ils se retirassent, dans la vue peut-être de leur déguiser les immenses profits sur lesquels il croyait déjà pouvoir compter. Il fit creuser la terre dans mille endroits ; et l’on ne sera pas surpris que le fruit du travail répondit mal à la fatigue de ses ouvriers. Les provisions commençant à devenir rares, il prit enfin la résolution de se retirer, laissant derrière lui le capitaine Antonio Cardosa de Almeyda, avec deux cents hommes et les secours nécessaires pour continuer ses recherches. Après le départ de Vasco, Cardosa se laissa tromper encore plus malheureusement par les Cafres. Ces barbares, feignant de plaindre l’inutilité de son travail, s’offrirent à lui découvrir des veines plus sûres ; et, le conduisant à la mort plutôt qu’aux mines, ils le firent tomber dans une embuscade où il périt avec tous ses gens.

Telle fut la fin du gouvernement portugais dans le Monomotapa. Elle toucha de fort près à son origine, puisque, de deux gouverneurs qu’on a nommés, l’un périt, presqu’en arrivant, du chagrin de se voir outragé par un homme d’église, et l’autre fut chassé puérilement par le stratagème de quelques barbares. Cependant la paix et le commerce, n’en subsistèrent pas moins entre l’empereur du Monomotapa et les Portugais.

Les bornes de cet empire au nord, et vers une partie de l’ouest, sont la rivière de Couama, qui le sépare des royaumes d’Aboutoua et de Chikova, des pays de Mambos et de Mazimbas, qui appartiennent à l’empire de Monoë-mudji, et du royaume maritime de Marouka. À l’ouest et au sud, il est borné par le pays des Hottentots, et par certains Cafres, desquels il n’est séparé que par la rivière de Magnika. À l’est, il est baigné par la mer de l’Inde.

Sa situation est entre les 14e. et 25e. degrés de latitude méridionale. On lui donne environ quatre cent soixante-dix milles de longueur du nord au sud, et six cent cinquante de largeur de l’ouest à l’est. C’est une péninsule ; car, à l’exception d’un espace de quatre-vingt-dix milles, qui fait à peu près la distance de la rivière de Couama jusqu’à la source de celle de Magnika, il est continuellement environné d’eau.

L’empire du Monomotapa est divisé en vingt-cinq royaumes, dont il est assez inutile de rapporter les noms barbares.

Le plus grand état de ceux qui sont indépendans de l’empire, est Mangas, sur les bords de la rivière de Couama.

Les plus riches mines du royaume de Mangas sont celles de Massapa, qui portent le nom d’Ofour. On y a trouvé un lingot d’or de douze mille ducats, et un autre de quatre cent mille.

L’or s’y trouve non-seulement entre les pierres, mais encore sous l’écorce de certains arbres, jusqu’au sommet, c’est-à-dire jusqu’à l’endroit où le tronc commence à se diviser en branches. Les mines de Manchika et de Boutoua sont peu inférieures à celles d’Ofour. Le pays en a quantité d’autres, mais moins considérables. Il y a trois foires ou trois marchés, que les Portugais de Tête, château situé sur la rivière, de Couama, à cent vingt lieues de la mer, fréquentent pour le commerce de l’or. Le premier, qui se nomme Louane, est à quatre journées dans les terres ; le second, nommé Bouento, est plus éloigné ; et le troisième, qui s’appelle Massapa, l’est encore plus. Les Portugais se procurent l’or par des échanges, pour des étoffes, des colliers de verre, et d’autres marchandises de peu de valeur. Ils ont à Massapa un officier de leur nation, nommé par le gouverneur de Mozambique, du consentement de l’empereur de Monomotapa, mais avec défense, sous peine de mort, de pénétrer plus loin dans le pays sans une permission. Il y est juge des différens qui s’élèvent entre les Portugais.

Toute la côte de Monomotapa, depuis les rivières de Magnika et de Couama, était autrefois possédée par les Portugais, sous le nom de Sofala, qui est celui d’une ville située entre ces deux rivières. Ils ont encore un fort à l’embouchure de la rivière de Couama ; ils font dans toutes ces contrées le commerce de l’or, de l’ivoire, de l’ambre, qui se trouve sur la côte, et celui des esclaves, en donnant pour échange des étoffes de coton et des soies de Cambaye, dont les habitans composent leur parure ordinaire. Les mahométans de Sofala ne sont point originaires du même pays ; ce sont des Arabes qui trafiquaient dans de petites barques avant l’arrivée des Portugais.

Lopez représente l’empire de Monomotapa comme un vaste pays dont les habitans sont innombrables. Ils sont noirs et de taille moyenne. Leur courage est célèbre à la guerre, et leur légèreté extrême à la course. La principale nation de ce grand pays, suivant Faria, se nomme les Mokarangis. La maison impériale en tire son origine. Ils sont moins belliqueux que les autres, et n’emploient point d’autres armes que l’arc, les flèches et les javelines. Leur religion n’admet point d’images ni d’idoles. Ils reconnaissent un seul Dieu ; ils croient à l’existence d’un diable, qu’ils appellent mouzouko, et qu’ils se représentent fort méchant. Ils sont persuadée que tous leurs empereurs passent de la terre au ciel. Dans cet état de gloire, ils les appellent mouzimos, et les invoquent comme les catholiques prient les saints. N’ayant point de lettres ni d’autres caractères d’écriture, ils conservent la mémoire du passé par de fidèles traditions. Leurs estropiés et leurs aveugles portent le nom de pauvres du roi, parce qu’ils sont entretenus avec beaucoup de charité aux frais de ce prince. Dans leurs voyages, on est obligé de leur fournir des guides, d’une ville à l’autre, et de pourvoir à leur subsistance.

L’empereur a plusieurs femmes ; mais il n’en a que neuf qui soient honorées du titre de grandes reines : elles sont ou ses sœurs ou ses plus proches parentes. Les autres sont choisies entre les filles des grands. La première se nomme Mazasira. Les Portugais l’appellent leur mère, et lui font quantité de présens, parce qu’elle défend leurs intérêts à la cour.

La plus grande fête du pays est le khouavo, qui se célèbre le premier jour de la lune de mai. Tous les seigneurs, dont le nombre est fort grand, se rassemblent au palais ; et, courant la javeline à la main, ils donnent la représentation d’une espèce de combat. Cet amusement dure tout le jour. Ensuite l’empereur disparaît, et passe huit jours sans se faire voir. Dans cet intervalle, les tambours ne cessent de battre. Le dernier jour, ce prince fait donner la mort aux seigneurs pour lesquels il a le moins d’affection. C’est une sorte de sacrifice qu’il fait aux mouzimos ou à ses ancêtres. Les tambours se taisent, et chacun se retire.

Lopez raconte que l’empereur de Monomotapa entretient plusieurs armées dans différentes provinces pour contenir dans le respect et la soumission plusieurs rois ses vassaux, que leur inclination porte souvent à se révolter. Ces troupes sont divisées en légions, suivant l’usage des anciens Romains. Si l’on en croit le même auteur, les plus braves soldats de l’empire sont quelques légions de femmes qui se brûlent la mamelle gauche, comme les anciennes Amazones, pour se servir plus librement de l’arc. Elles n’ont point d’autres armes. Le roi leur accorde certains cantons pour y faire leur demeure. Elles y reçoivent quelquefois des hommes dans la seule vue d’entretenir leur espèce. Les enfans mâles sont renvoyés aux pères, et les filles demeurent sous la conduite de leurs mères, pour apprendre le métier de la guerre à leur exemple. Au surplus, l’intérieur de ce pays, comme celui de tous les empires d’Afrique, est peu connu, et le sera difficilement.

À l’est du continent de l’Afrique on rencontre d’abord, en partant de la pointe la plus orientale, l’île de Socotora, terre nue et stérile, et habitée par les Arabes. Elle est renommée par l’aloès que l’on y recueille ; c’est le meilleur que l’on connaisse.

À trois cents lieues au sud de Socotora s’étend une suite de petits archipels désignés jadis sous le nom général d’îles Amirantes, qui est actuellement restreint au groupe le plus occidental. Elles sont petites, bien pourvues d’eau douce, et abondantes en cocotiers. Le groupe le plus oriental a été nommé îles Seychelles, qui sont de même petites et basses. C’est dans l’une d’elles que croît l’espèce de palmier qui produit le fruit nommé coco des Maldives ou de mer, remarquable par sa forme qui présente l’image de deux cuisses, et fameux par les fables que l’on débitait sur son origine.

Une multitude d’îles peu connues et inhabitées sont éparses à l’est des Seychelles, et se prolongent dans cette direction jusqu’au méridien de Ceylan. Un assez grand nombre d’îlots et de récifs lient de même l’archipel des Seychelles à Madagascar, et cette île au continent d’Afrique par le moyen des îles Comores, qui sont au nombre de quatre, et dont il a été question plusieurs fois dans l’Histoire des Voyages. Anjouan, ou Johnana, l’une d’elles, a plusieurs rades commodes. Elle abonde en bestiaux, en volaille, en poisson, en oranges et en citrons. Elle sert souvent de relâche aux bâtimens qui naviguent dans ces mers.

Madagascar, que les Portugais nommèrent d’abord Saint-Laurent, est une des plus grandes îles du monde. Elle offre un grand nombre de productions utiles au besoin de la vie. Le bétail y est abondant. Les bords de la mer sont en général riches en bois et insalubres. On voit dans l’intérieur de vastes plaines bien cultivées ; l’air y est frais et plus sain. Une double chaîne de montagnes, hautes de douze cents à dix-huit cents toises, la parcourt du nord au sud. Sur les hauteurs on éprouve, depuis juin jusqu’en septembre, un froid très-vif. On parle de volcans en activité dans sa partie septentrionale. Au dix-septième siècle, les Français avaient formé un établissement nommé le fort Dauphin, qu’ils ont ensuite abandonné.

À l’est de Madagascar on trouve l’île Bourbon occupée par les Français. Elle fut d’abord nommée Mascaregnas par les Portugais. Deux montagnes volcaniques, dont une est en activité, semblent composer toute sa surface. Elle produit du café excellent. On y cultive aussi le girofle et le froment.

L’Île de France, encore plus à l’est, a été cédée aux Anglais. Ils lui ont rendu le nom d’île Maurice, qui lui avait été donné par les Hollandais, ses premiers habitans. Elle est montueuse et moins fertile que Bourbon.

L’île Diégo Rodriguez n’est habitée que par quelques familles. Elle fournit l’Île de France de tortues.

D’anciennes cartes indiquent à l’est et au sud de ces îles d’autres terres dont l’existence n’a pas été suffisamment constatée.

Les îles Saint-Paul et Saint-Pierre, dont la dernière a aussi pris le nom d’Amsterdam, offrent l’aspect de deux cratères de volcans placés au milieu de la mer. Celui de Saint-Paul jette encore du feu et de la fumée. Les navigateurs fréquentent quelquefois ces îles pour y chercher des phoques.

Dix degrés plus au sud on rencontre la terre de Kerguelen, que nous décrirons plus tard.