Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome VIII/Seconde partie/Livre IV/Chapitre II

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CHAPITRE II.

Voyages, négociations et entreprises des Hollandais à la Chine.

Vers le commencement du seizième siècle, les Portugais, pénétrant à la Chine, par les mers de l’Inde, y introduisirent des missionnaires de la religion romaine. En 1517, ils établirent un commerce réglé à Quang-tong, que les Européens ont nommé Canton. Ensuite, ayant formé un comptoir à Ning-po, qu’ils ont appelé Liampo, dans la partie orientale de la Chine, ils firent un commerce considérable sur la côte, entre ces deux fameux ports, jusqu’à ce que leur orgueil et leur insolence causèrent leur destruction dans tous ces lieux, à la réserve de Mahao ou Macao, île à l’embouchure de la rivière de Canton, où ils se conservent encore, mais resserrés dans des bornes fort étroites.

Le pouvoir des Hollandais étant monté au comble dans les Indes, sur les ruines des Portugais, vers le milieu du dix-septième siècle, ils s’efforcèrent de s’ouvrir l’entrée de la Chine par l’établissement d’un commerce réglé avec Les habitans. Ils y travaillaient depuis long-temps, malgré quantité d’obstacles dont le plus redoutable, suivant Nieuhof, était une ancienne prophétie répandue parmi les Chinois, qui les menaçait « de devenir quelque jour la conquête d’une nation de blancs vêtue de la tête jusqu’aux pieds. » Mais sur la nouvelle qu’ils reçurent de Macassar par un missionnaire jésuite nommé le P. Martin, revenu de la Chine, où il avait vécu caché pendant dix ans, que les Tartares mantchous avaient conquis pour la seconde fois ce grand empire, le gouvernement de Batavia prit la résolution de renouveler ses entreprises. Il fit pressentir les Chinois de Canton par quelques marchands, dont le rapport fut si favorable, qu’il ne pensa plus qu’à faire partir des ambassadeurs pour aller solliciter à la cour de Pékin la liberté du commerce.

La relation de cette ambassade fut composée par Jean Nieuhof, maître-d’hôtel des ambassadeurs hollandais, et célèbre par ses voyages dans plusieurs autres parties du monde ; elle fut publiée en diverses langues. La traduction française qu’on en trouve dans Thévenot paraît la meilleure.

Jean Maatzuyker, gouverneur de Batavia, et le conseil des Indes, avaient fait nommer pour ambassadeurs à la cour de Pékin Pierre de Goyer et Jacob Keyser. Leur train fut composé de quatorze personnes, c’est-à-dire deux marchands ou deux facteurs, deux domestiques, un maître d’hôtel, un chirurgien, deux interprètes, un trompette et un tambour. Ils prirent ensuite deux facteurs de plus, pour les charger du soin de leur commerce à Canton, pendant qu’ils feraient le voyage de Pékin. Leurs présens étaient de riches étoffes de laine, des pièces de belle toile, plusieurs sortes d’épiceries, du corail, de petites boîtes de cire, des lunettes d’approche et des miroirs, des épées, des fusils, des plumes, des armures, etc. Leur commission se réduisait à former une alliance solide avec l’empereur de la Chine, en obtenant la liberté du commerce pour les Hollandais dans toute l’étendue de l’empire.

Ils partirent de Batavia le 14 juin 1655, dans deux yachts, qui devaient les transporter à Canton, d’où ils avaient ordre de se rendre aussitôt à Pékin. Le même jour du mois de juillet suivant, ils passèrent à la vue de Macao. Cette ville est bâtie sur un rocher fort élevé, qui est environné de tous côtés par la mer, excepté de celui du nord, par lequel une langue de terre fort étroite le joint à l’île du même nom. Son port n’a point assez d’eau pour recevoir les gros navires : elle est célèbre par la fonte de canons qui s’y fait du cuivre de la Chine et du Japon. La place est revêtue d’un mur, et défendue vers la terre par deux châteaux situés sur deux collines. Son nom est composé d’ama, qui était celui d’une ancienne idole, et de gao, qui signifie en langue chinoise rade ou retraite sûre. Les Portugais ayant obtenu ce vaste terrain pour s’y établir, en firent bientôt une ville florissante, qui devint un des plus grands marchés de l’Asie. Ils y ont le privilége d’exercer deux fois l’an le commerce à Canton. On lit dans les registres de leur douane que pendant les heureux temps de leur commerce ils tiraient de Canton plus de trois cents caisses d’étoffe de soie, chaque caisse contenait cent cinquante pièces ; deux mille cinq cents lingots d’or, chacun de treize onces, et huit cents mesures de musc, avec une grosse quantité de fil d’or, de toile, de soie écrue, de pierres précieuses, de perles et d’autres richesses.

Le 18, on jeta l’ancre au port de Hey-tamen, lieu fort agréable, et d’une extrême commodité pour le commerce. Une barque chargée de soldats, qui se présenta aussitôt, demanda aux Hollandais, de la part du gouverneur, quel était le motif qui les amenait. Les ambassadeurs lui envoyèrent Louis Baron, leur secrétaire, pour lui expliquer leurs intentions. Il le reçut civilement dans sa chambre de lit ; mais il lui demanda pourquoi les Hollandais s’obstinaient à revenir à la Chine, et s’il ne leur avait pas été défendu de reparaître à Canton.

Six jours après, deux mandarins arrivèrent de cette ville pour examiner les lettres de créance des ambassadeurs ; ils les firent inviter à se rendre dans une maison du gouverneur, qui était un peu plus haut sur la rivière. Le gouverneur parut assis entre les deux mandarins, et gardé par quelques soldats. Il fit un accueil gracieux aux ambassadeurs, quoiqu’il les fît demeurer d’abord à quelque distance, pour se donner le temps de lire leurs lettres.

Le 29, un nouvel hay-to-nou, accompagné de son vice amiral, vint les prendre à bord pour les conduire à Canton. Étant descendus au rivage, ils furent menés dans un temple, où leurs lettres de créance furent étendues sur une table. Le hay-to-nou leur fit alors diverses questions sur leur voyage, sur leurs vaisseaux, leurs lettres et leurs présens. Il parut surpris qu’ils n’eussent point de lettres pour le tou-tang de Canton, et que celle qui était pour l’empereur ne fût pas renfermée dans une bourse ou dans une boîte d’or. En les quittant, les officiers chinois promirent de se rendre le lendemain à bord pour recevoir les présens.

On les vit paraître en effet le jour suivant dans des barques, avec une suite nombreuse : ils prirent les deux ambassadeurs, leur secrétaire et quatre autres personnes de leur cortége, dans une de leurs barques qui les conduisit à Canton. À leur arrivée, le hay-to-nou et le vice-amiral les quittèrent sans leur adresser un seul mot, et rentrèrent dans la ville. Après les avoir fait attendre environ deux heures à la porte, le vice-roi leur envoya la permission d’entrer. Ils furent conduits dans leur logement, où ils reçurent la visite du pont-sien-sin, ou trésorier de l’empereur, qui tenait le quatrième rang dans la ville de Canton. Il fallut essuyer de nouvelles interrogations. Cet officier leur demanda s’il y avait long-temps qu’ils étaient mariés, quels étaient leurs noms et leurs emplois, etc. Lorsque les ambassadeurs leur eurent témoigné qu’ils attendaient l’audience des vice-rois et la liberté de partir pour Pékin, il leur répondit qu’ils n’obtiendraient l’audience de personne à Canton jusqu’à l’arrivée des ordres de la cour ; cependant les vice-rois promirent de les visiter dans leur logement.

Il se passa quatre ou cinq mois avant l’arrivée des ordres de la cour. Enfin le tou-tang reçut les réponses de l’empereur à deux lettres qu’il lui avait écrites au sujet des ambassadeurs de Hollande : par la première ce prince leur accordait la permission de se rendre à Pékin, avec une suite nombreuse et quatre interprètes pour y traiter du commerce ; par la seconde il accordait aux Hollandais la liberté qu’ils demandaient pour le commerce, en marquant qu’il les attendait à Pékin pour le remercier de cette faveur.

Leur voyage devant se faire par eau, ils louèrent une grande barque pour leur propre usage ; mais il s’en trouva cinquante aux frais de l’empereur pour le transport de leurs gens et de leurs bagages. Le tou-tang donna le commandement de cette flotte à Pin-xen-ton, qui fut accompagné de deux autres mandarins. Outre les matelots et les rameurs, il y avait un corps de soldats commandé par deux officiers de distinction. Aussitôt que les ambassadeurs se furent embarqués, ils arborèrent le pavillon du prince Guillaume de Nassau, tandis qu’on dépêchait des messagers aux magistrats des villes qui se trouvent sur la route, pour ordonner les préparatifs de leur réception.

Après avoir quitté Canton, le 17 mars 1657, on ne cessa point d’avancer à la rame sur la belle rivière de Tay, qui, baignant les murs de cette ville, offre une des plus délicieuses perspectives du monde. Les petits villages, qui sont en grand nombre depuis Canton jusqu’à Pékin, saluèrent les ambassadeurs à leur passage par une décharge de leur artillerie. On entra bientôt dans le Zin, que les étrangers nomment le Canal européen.

Le secrétaire des vice-rois, qui avait accompagné les ambassadeurs, prit congé d’eux pour retourner à Canton. Ils l’avaient traité à souper le soir précédent, avec quantité de nobles. On continua d’avancer, mais avec lenteur, parce que le canal de la rivière devenait très-rapide en se rétrécissant. Les Tartares forcent les rameurs chinois au travail, sans paraître touchés de leur fatigue. Ces malheureux tombent quelquefois dans un passage étroit, et se noient sans que personne pense à les secourir. Si l’excès du travail épuise leurs forces jusqu’à leur faire perdre quelquefois la connaissance, un soldat, qui est derrière eux, ne cesse de les battre jusqu’à ce qu’ils reprennent la rame, ou qu’ils expirent. Cependant ils sont relevés par intervalles.

Le 21, vers minuit, on arriva devant Sang-Vin, à quarante milles de Schan-Scheu. Les magistrats de cette ville vinrent au-devant des ambassadeurs. Elle est située fort avantageusement et très-peuplée ; mais les ravages des Tartares ont diminué sa grandeur. Ici les torrens qui descendent de la montagne de San-van-hab rendent la rivière fort rapide. Cette montagne est la plus haute et la plus escarpée de toute la Chine. Ses pointes, qui sont en grand nombre, sont enveloppées de nuées qui en rendent le passage obscur et ténébreux dans les parties inférieures. Sur le revers qui fait face à la rivière on voit un beau temple où l’on monte par des degrés. Le cortége fut trois jours à se dégager de ces affreuses montagnes, où l’on n’aperçoit que Quan-ton-lo, village solitaire. Cependant elles s’ouvrent en quelques endroits pour laisser voir des champs de blé qui ne sont pas sans agrément.

Le 24, on se trouva devant In-ta, petite ville qui est fort agréablement située sur un angle de la rivière, du côté droit, c’est-à-dire à l’ouest, vis-à-vis la montagne San-van-hab. Ses murs sont assez hauts, mais d’une force médiocre. On admire la beauté de ses maisons et de ses temples. Elle était autrefois très-riche et très-peuplée.

Le jour suivant, on eut la vue du merveilleux temple de Ko-nian-siam, qui est en aussi grande vénération que celui de San-van-hab. Il est situé sur le bord de la rivière, dans un canton montagneux et solitaire. Le chemin par lequel on s’y rend commence par quelques degrés de pierres, et tourne ensuite par des passages fort obscurs. Les ambassadeurs le visitèrent après que les Chinois y eurent fait leurs dévotions.

Le 28, dans le cours de la nuit, on essuya une furieuse tempête, accompagnée de tonnerre et d’éclairs. Plusieurs barques furent dispersées. Les unes perdirent leurs mâts et leurs cordages ; d’autres se brisèrent contre les rives, et tout leur équipage fut submergé. On arriva le 29 avec les restes de la flotte à Schan-cheu, seconde ville de cette province. Elle est située à trente milles d’In-ta, sur un angle à l’ouest de la rivière. Sa situation et la sûreté de son port y font fleurir le commerce.

Sur le Mo-ha, près d’une charmante vallée, on découvre un monastère avec un grand temple. Il doit son origine à Lou-zou, saint d’une grande réputation, qui passa tout le temps de sa vie à moudre du riz pour les moines, et qui portait nuit et jour des chaînes de fer sur son corps nu. Elles avaient fait dans sa chair des ouvertures qui, faute de soins et de remèdes, étaient devenues autant de nids de vers. Lou-zou ne souffrait pas qu’on entreprît de l’en délivrer ; et si le hasard en faisait tomber un, il le ramassait soigneusement et le remettait à sa place, en disant : « Ne te reste-t-il pas assez pour te nourrir ? Pourquoi quittes-tu donc mon corps où l’on t’accorde si volontiers ta nourriture ? » Il faut convenir que ces traditions valent bien les nôtres.

Le lendemain ils arrivèrent de grand matin près d’une montagne, à qui sa forme avait fait donner par les Tartares le nom de Tête des cinq chevaux. Sur cette montagne, dont le sommet est couvert dénuées et paraît inaccessible, on découvre plusieurs anciens édifices, les uns entiers, d’autres tombés en ruine. Immédiatement au delà des mêmes montagnes, les barques coururent beaucoup de danger entre des rocs et d’autres passages escarpés, qui se nomment les cinq laids diables. Le canal de la rivière était rempli de barques fendues qui avaient coulé à fond. Enfin l’on gagna Seu-tcheou, dont les collines, entremêlées de vallées charmantes, se présentent du côté de la rivière avec autant d’ordre que si cette disposition était l’ouvrage de l’art. Leur sommet forme une perspective surprenante.

Le 4 avril, on se trouva devant Nam-houng, troisième ville de la province de Canton, et frontière de cette province. Elle est éloignée de Schan-cheu d’environ quarante milles, grande, bien située et fortifiée de murs et de boulevarts. Elle est divisée par la rivière, avec un grand pont de communication. Ses temples sont en grand nombre, et ses édifices magnifiques. On y voit aussi une douane pour les droits de l’empereur sur les marchandises ; mais les recherches ne sont point incommodes, parce qu’on s’en rapporte à la déclaration des marchands. La Chine n’a point de canton où la terre soit meilleure pour la fabrique des porcelaines. Assez près de la même ville on trouve le Mé-Kiang, ou rivière d’encre, ainsi nommée de la noirceur de ses eaux, qui ne laissent pas de produire du poisson fort blanc et fort estimé.

On descendit ensuite à l’est par le Kiang, qui divise la partie orientale de la Chine de l’occidentale jusqu’à Peng-se, ville située derrière une île, à l’est de cette rivière, et comme adossée contre de fort hautes montagnes ; elle est fort bien bâtie, quoiqu’elle n’approche point de Hou-keou, qui en est à trente milles. La montagne de Sian, qui est près de la ville, est si haute et si escarpée, qu’elle passe pour inaccessible ; elle est environnée d’eau, et du côté du sud elle a une rade sûre pour les barques. Le Kiang est bordé au sud par le Ma-kang, dont le nom est devenu terrible dans toute la Chine par les naufrages qui s’y font continuellement. Les pilotes chinois ayant remarqué que le cuisinier hollandais allumait du feu pour le dîner, supplièrent à genoux les ambassadeurs de ne pas permettre qu’il achevât, parce qu’il y avait dans le lac de Po-yang un certain esprit sous la forme d’un dragon ou d’un grand poisson, dont le pouvoir s’étendait sur tout le pays, et qui avait tant d’aversion pour l’odeur des viandes rôties et bouillies, qu’aussitôt qu’il en ressentait la moindre impression, il suscitait des tempêtes qui submergeaient infailliblement les vaisseaux. Les ambassadeurs eurent la complaisance d’entrer dans leurs craintes superstitieuses, et de se contenter ce jour-là d’un dîner froid. Vers midi, on passa devant deux piliers qui sont placés au milieu de la rivière pour servir de division entre la province de Kiang-si et celle de Nankin.

Nankin, sans contredit la plus belle ville de la Chine, est située à trente-cinq milles de Tay-tong ou Tay-ping, sur la rive est du Kiang, au 32e. degré de latitude. Sa situation est charmante, et le terroir d’une merveilleuse fécondité. La rivière traverse toute la ville et se divise en plusieurs canaux couverts de ponts. Quelques-uns de ces bras sont navigables pour les plus grandes barques. La cour impériale avait fait long-temps sa résidence à Nankin, lorsqu’en 1368 l’empereur Hong-vou prit le parti de la transporter à Pékin, pour se mettre en garde contre l’invasion des Tartares. Aujourd’hui Nankin est le séjour du gouverneur des provinces méridionales.

Les principales rues de Nankin ont vingt-huit pas de largeur : elles sont droites et bien pavées. Il n’y a point de ville au monde où l’ordre soit plus exact pour la tranquillité de la nuit. Le commun des maisons a peu d’apparence, et n’a pas plus de commodité ; elles ne sont que d’un étage ; elles n’ont qu’une porte, et ne consistent que dans une simple chambre où l’on mange et l’on dort. Pour fenêtre elles ont une ouverture carrée, qui est ordinairement fermée de roseaux au lieu de vitres. Le toit est couvert de tuiles blanches, et les murs sont assez proprement blanchis. Les habitans de ces petites maisons n’exercent pas un commerce plus riche que leur demeure ; mais les boutiques des marchands sont fournies des plus précieuses marchandises de l’empire, telles que des étoffes de soie et de coton, toutes sortes de porcelaines, de perles, des diamans et d’autres richesses. Chaque boutique offre une planche où le nom du maître et les marchandises qu’il tient en vente sont écrits en caractères d’or. D’un côté de la planche part un pilier qui s’élève plus haut que la maison, et d’où pend quelque lambeau d’étoffe pour enseigne.

La monnaie de la Chine consiste en petites pièces d’argent de différentes grandeurs. Si l’on ne veut pas être trompé, il ne faut jamais marcher sans trébuchet, et ne pas perdre de vue les Chinois, qui ont des poids de plusieurs sortes, et beaucoup d’habileté à les changer. Quoique Nankin ait plus d’un million d’habitans, sans y comprendre une garnison de quarante mille Tartares, les provisions y sont à bon marché pendant toute l’année. Entre autres fruits, les cerises y sont délicieuses.

Comme la Chine n’a point de ville qui ait été si respectée que Nankin pendant la guerre, elle surpasse toutes les autres par la beauté de ses temples, de ses tours, de ses arcs-de-triomphe et de ses édifices publics : le palais impérial était le plus magnifique ; mais c’est la seule partie de la ville qui ait été ruinée par les Tartares.

Les Tartares s’établirent dans des huttes près d’un temple ou d’une pagode nommée porn-lin-chi, et laissèrent la ville aux Chinois. La matière des bâtimens est une sorte de pierre dure, enduite d’un vernis jaune, qui lui donne le brillant de l’or aux rayons du soleil. Sur la porte de la seconde cour du palais pend une cloche de dix ou onze pieds de hauteur, et de trois brasses et demie de circonférence ; l’épaisseur du cuivre a près d’un quart d’aune. Quoique les Chinois en vantent beaucoup le son, il parut sourd aux Hollandais, et le métal fort inférieur à celui des cloches de l’Europe.

Tous les trois mois on fait partir de Nankin pour la cour, cinq bâtimens chargés de toutes sortes d’étoffes de soie et de laine, dont la ville fait présent à l’empereur. Cette raison les fait nommer lang-i-chouen, c’est-à-dire vaisseaux des draps du dragon. Nieuhof n’avait jamais rien vu de si magnifique ; ils étaient admirablement ornés de toutes sortes de figures ; la dorure et la peinture étaient telles, que les yeux en étaient éblouis. Un autre présent de la ville, c’est un poisson qui se prend aux mois de mai et de juin, dans le Kiang : les Chinois le nommen si-yu, et les Portugais savel. On le transporte deux fois la semaine dans des barques, tirées nuit et jour par des hommes ; et quoiqu’on ne compte pas moins de deux cents milles de Hollande jusqu’à Pékin, il y arrive frais dans l’espace de huit ou dix jours.

Les ambassadeurs hollandais sortaient souvent pour prendre l’air et visiter la ville. Du centre de la place s’élève une grande tour ou un clocher de porcelaine, qui l’emporte de beaucoup sur tout ce que l’art et la dépense ont de plus curieux à la Chine ; il est de neuf étages, et l’on monte huit cent quatre-vingt-quatre degrés pour arriver au sommet ; chaque étage est orné d’une galerie pleine de pagodes et de peintures ; les ouvertures sont fort bien ménagées pour la lumière ; tous les dehors sont revêtus de différens vernis, rouges, verts et jaunes ; les matériaux de ce bel édifice sont liés avec tant d’habileté, que l’ouvrage entier paraît d’une seule pièce ; autour des coins de chaque galerie pendent quantité de petites cloches qui rendent un son fort agréable lorsqu’elles sont agitées par le vent. Le sommet du clocher, si l’on en croit les Chinois, est une pomme de pin d’or massif ; de la plus haute galerie, on découvre toute la ville et le pays voisin au delà du Kiang. Cette merveilleuse tour fut construite par les Chinois pour obéir et pour plaire aux Tartares, lorsqu’ils firent la conquête de la Chine sous Gengiskan.

La même place est environnée d’un bois de pins, qui servait autrefois de sépulture aux empereurs de la Chine : mais tous leurs tombeaux ont été démolis par les Tartares.

Les Hollandais trouvèrent dans les habitans de Nankin beaucoup plus de sincérité, de politesse, de savoir et de jugement, que dans tout le reste de la nation. Cette ville jouit d’un grand nombre de priviléges que les Tartares lui ont accordés, et qu’ils regardent comme la plus sûre méthode pour étouffer toutes les idées de révolte.

Jusqu’ici les ambassadeurs étaient venus dans des barques communes ; mais on leur fournit à Nankin deux grandes barques impériales, qui ne manquaient d’aucune commodité, peintes, enrichies de dorures, avec une chambre de musique à l’extrémité ; on leur donna plusieurs personnes de la ville pour cortége, sans leur ôter les soldats de Nankin, qui furent logés dans la chambre de musique. Pin-xen-ton et les deux autres mandarins changèrent aussi de barques pour entrer dans celles de l’empereur.

On partit le 18 mai. Le 24 on se rendit à Yang-se-fou, que d’autres, nomment Yang-tchou-fou. Cette ville est célèbre par l’agrément et la vivacité des femmes ; elles y ont le pied d’une petitesse extrême, la jambe belle, et tant d’autres perfections, qu’on dit en proverbe : « Celui qui veut une femme de taille fine, cheveux bruns, belle jambe et beaux pieds, doit la prendre à Yang-se-fou. » Cependant l’auteur ajoute qu’elles ne sont nulle part à si bon marché : les pères y vendent leurs filles et leurs servantes pour la prostitution.

On entra dans le Hoang-ho, ou fleuve Jaune, dont les eaux sont si bourbeuses et si épaisses, qu’il est difficile de le traverser. On le prendrait dans l’éloignement pour un terrain marécageux ; cependant son cours est si rapide, qu’il n’y a point de barque qui puisse le remonter sans être tirée par un grand nombre de matelots ; il est large d’un demi-mille en quelques endroits, et beaucoup plus dans d’autres : les Chinois mêlent de l’alun dans ses eaux pour les éclaircir.

Le Hoang-ho est fréquenté continuellement par une multitude de grandes et de petites barques ; il offre aussi plusieurs îles flottantes, qui sont l’ouvrage de l’art : c’est un composé de cannes de bambous, dont le tissu est impénétrable à l’humidité. Les Chinois bâtissent sur ce fondement des huttes ou de petites maisons de planches et d’autres matériaux légers, dans lesquelles ils font leur demeure, avec leurs femmes, leurs enfans et leurs troupeaux. Quelques-unes de ces îles flottantes contiennent jusqu’à deux cents familles, dont la plupart subsistent de leur commerce, le long de la rivière ; elles s’arrêtent des mois entiers dans un même lieu, et l’île s’attache avec des pieux qui la fixent contre les bords de la rivière. Après quelques heures de navigation, les ambassadeurs passèrent dans un autre canal nommé Inu-yun, qui, partant de l’ouest de la rivière, traverse toute la province de Schang-ton, dont il est l’entrée.

Dans la route, les Hollandais furent surpris de voir le peuple assemblé en troupes, pour se défendre contre les sauterelles qui visitent régulièrement le pays dans cette saison ; elles sont amenées en si grand nombre par le vent d’est, que, si malheureusement elles descendent à terre, tout est dévoré dans l’espace de quelques heures. Les habitans parcourent leurs campagnes, enseignes déployée, tirant, poussant des cris, sans prendre un moment de repos jusqu’à ce qu’ils les voient tomber dans la mer ou dans quelque rivière. Un escadron de ces dangereux insectes se précipita sur les barques des ambassadeurs, et les couvrit entièrement ; mais on trouva bientôt le moyen de s’en délivrer en les chassant dans la rivière.

Le 16 juillet on arriva devant San-ho, à quatre milles de Pékin. Là les ambassadeurs quittèrent leurs barques pour achever le voyage par terre. On vit arriver de Pékin le mandarin dont les ambassadeurs s’étaient fait précéder. Il leur annonça pour le lendemain l’arrivée de vingt-quatre chevaux et de plusieurs chariots que le conseil leur envoyait pour transporter leur bagage et leurs présens. La route de Pékin était extrêmement mauvaise, remplie d’inégalités et de tant de trous, qu’à chaque pas les chevaux s’y enfonçaient jusqu’aux sangles ; cependant on y voyait autant de monde, de chevaux et de voitures que dans la marche d’une armée.

Ils entrèrent dans la ville par deux portes magnifiques, et mirent pied à terre devant un temple, où leurs guides les invitèrent à prendre un peu de repos en attendant l’arrivée du bagage. À peine y furent-ils entrés, qu’on leur annonça le kappade de l’empereur, les agens des vices-rois de Canton, et plusieurs seigneurs de la cour qui venaient les féliciter de leur arrivée. Le kappade portait un faucon sur le poing. On leur servit des rafraîchissemens et plusieurs sortes de viandes et de fruits. Leur bagage ayant paru, le kappade compta les chariots, et les visita soigneusement pour s’assurer qu’il ne manquait rien au bon ordre. Ensuite ils furent conduits avec beaucoup de pompe jusqu’au logement que l’empereur leur avait fait préparer. Il n’était pas éloigné du palais. On y entrait par trois belles portes séparées par de grandes cours, et les bâtimens étaient renfermés dans l’enceinte d’un grand mur. Le soir, une garde de douze Tartares fut placée aux portes avec deux officiers pour la sûreté des ambassadeurs, et pour leur faire servir tous les objets qu’ils pouvaient désirer.

Le lendemain au matin ils reçurent la visite de quelques seigneurs du conseil impérial, accompagnés de Tong-lao-ya, premier secrétaire, et de deux autres mandarins nommés Quan-lao-ya et Hou-lao-ya. Le dernier était secrétaire du conseil, quoique, étant étranger, il n’entendît point la langue chinoise. Ces députés venaient de la part de sa majesté impériale et de son conseil pour s’informer de la santé des ambassadeurs, du nombre des gens de leur suite, de la qualité de leurs présens, de la personne qui les envoyait, et du lieu d’où ils étaient venus.

Comme il restait quelques préjugés contre les Hollandais sur la qualité de pirates que les Portugais leur avaient attribuée, et que, ne pouvant les croire établis dans le continent, les députés chinois les soupçonnaient de n’habiter que la mer ou les îles, ils les prièrent de leur faire voir la carte de leur pays. Les ambassadeurs ne firent pas difficulté de la montrer ; les députés la prirent pour la faire voir à l’empereur. Il restait un autre embarras sur la nature du gouvernement hollandais, parce que les Chinois, n’en connaissant pas d’autre que le monarchique, avaient peine à se former une juste idée de l’état républicain. Les ambassadeurs se crurent obligés d’employer le nom du prince d’Orange, et de feindre que les présens venaient de sa part. Alors les Chinois leur firent plusieurs questions sur la personne de ce prince, et leur demandèrent s’ils étaient de ses parens, parce que l’usage de la Chine n’admet point d’ambassadeurs étrangers à l’audience de l’empereur, s’ils n’appartiennent par le sang au prince qui les envoie. Dans l’idée de la nation chinoise, l’empereur ne pouvait, sans se rabaisser beaucoup, recevoir au pied de son trône des étrangers d’un rang inférieur. Les ambassadeurs répondirent qu’ils n’avaient pas l’honneur d’être parens de leur prince, et que l’usage de leur pays n’était pas d’employer des personnes de distinction à cette ambassade. On continua de leur demander quels étaient du moins les emplois qu’ils occupaient à sa cour, quels étaient leurs titres dans leur propre langue, combien ils avaient de personnes sous leurs ordres, et de quoi ils tiraient leur subsistance. Les ambassadeurs, pour détourner apparemment des questions embarrassantes, nommèrent le gouverneur de Batavia, et ces deux noms firent naître aux Chinois d’autres idées. Ils demandèrent ce que c’était que ce gouverneur et que Batavia. Un des ambassadeurs répondit que le gouverneur général, pour l’étendue du commandement, pouvait être comparé aux vice-rois de Canton ; qu’il gouvernait tous les domaines de Hollande aux Indes orientales, et que Batavia, qui en était la capitale, était le lieu de sa résidence.

Sur le rapport des premiers commissaires, le grand-maître, ou plutôt le chancelier de l’empereur, envoya le jour suivant deux gentilshommes aux ambassadeurs pour les avertir de se rendre au conseil impérial avec leurs présens.

Le chef ou le président était assis au fond de la salle, sur un banc fort large et fort bas, les jambes croisées. À sa droite étaient deux seigneurs tartares, dans la même situation ; à sa gauche, le père Adam Scaliger, jésuite, natif de Cologne en Allemagne, qui avait vécu depuis près de trente ans dans les honneurs à la cour de Pékin. C’était un vieillard d’une figure agréable, qui avait la barbe longue et les cheveux rasés, vêtu, en un mot, à la tartare. Tous les seigneurs du conseil étaient assis confusément sans aucune distinction de rang et d’âge. Le chancelier même avait les jambes nues, et n’était couvert que d’un léger manteau. Il adressa un compliment fort court aux ambassadeurs, et les pressa de s’asseoir. Ensuite le père Scaliger vint les saluer fort civilement dans sa propre langue, et leur demanda des nouvelles de quelques personnes de sa religion, qu’il avait connues en Hollande.

Dans cet intervalle, les mandarins de Canton, et Pin-xen-ton même qui avait pris des airs si hauts dans le voyage, s’employèrent comme des portefaix à transporter les caisses où les présens étaient renfermés. Le chancelier les en tira aussi lui-même, en faisant diverses questions aux ambassadeurs. À chaque réponse qu’ils lui faisaient, Scaliger, qui servait d’interprète, assurait qu’ils parlaient de bonne foi, et lorsqu’il voyait sortir des caisses quelque présent curieux, il lui échappait un profond soupir. Le chancelier loua plusieurs des présens, et déclara qu’ils seraient agréables à l’empereur. Pendant cet inventaire, un messager de l’empereur apporta ordre au père Scaliger de faire plusieurs demandes aux ambassadeurs sur leur nation et sur la forme de leur gouvernement, et de mettre leurs réponses par écrit. Le mandarin jésuite obéit ; mais il ajouta malicieusement à son mémoire que le pays dont les Hollandais étaient en possession était autrefois soumis aux Espagnols, lesquels y avaient encore de justes droits. Le chancelier l’obligea d’effacer cette réflexion, parce qu’il était à craindre qu’elle n’indisposât l’empereur contre les Hollandais. Il ajouta qu’il suffisait d’expliquer que ces peuples possédaient un pays, et qu’ils y vivaient sous un gouvernement régulier.

La nuit approchant, les ambassadeurs prirent congé de l’assemblée et furent reconduits à leur logement par le père Scaliger. Cette marche se fit avec beaucoup de pompe. Le mandarin ecclésiastique était porté par quatre hommes dans un palanquin, et suivi à cheval par plusieurs officiers de distinction.

Le lendemain, à la prière du chancelier, les ambassadeurs écrivirent de leur propre main pour qui les présens étaient destinés, et se servirent de Baren, leur secrétaire, pour répondre à quantité de nouvelles questions ; enfin Tong-lao-ya et deux autres mandarins vinrent leur déclarer que les présens avaient été bien reçus de l’empereur et de l’impératrice sa mère ; mais que sa majesté leur faisait demander cinquante pièces de toile blanche de plus pour les belles-filles du vice-roi de Canton. Ils ne purent en fournir que trente-six pièces.

Le 3 août on leur apprit qu’il était arrivé à Pékin un ambassadeur du grand-mogol, avec une suite nombreuse, pour accommoder quelques différens qui s’étaient élevés entre les deux nations, et pour demander au nom de leurs prêtres la liberté de prêcher leur religion à la Chine, qui leur avait été retranchée depuis quelque temps sous de rigoureuses peines. Leurs présens consistaient en trois cent trente-six chevaux d’une beauté extraordinaire, deux autruches, un diamant fort gros, et d’autres pierres précieuses. Des présens si riches, n’ayant pas été moins goûtés que ceux des Hollandais, firent obtenir aux Mogols une expédition fort prompte.

Les ambassadeurs hollandais reçurent des visites continuelles des seigneurs et mandarins de la cour. Les questions qu’on leur faisait étant presque toujours les mêmes, ils n’avaient à faire que les mêmes réponses. Enfin, le 3 juillet, l’empereur envoya par écrit l’ordre suivant aux seigneurs du conseil :

« Grands et dignes Li-pous, les ambassadeurs de Hollande sont venus ici avec des présens pour congratuler l’empereur et lui rendre leurs soumissions ; ce qui n’était point encore arrivé jusques aujourd’hui. Comme c’est donc la première fois, je juge à propos de les recevoir en qualité d’ambassadeurs, et de leur accorder la permission de paraître devant moi, pour me rendre hommage lorsque je paraîtrai sur mon trône dans mon nouveau palais, afin qu’ils puissent obtenir une réponse favorable et s’en retourner promptement satisfaits. D’ailleurs, lorsque l’espérance d’obtenir le bonheur de me voir leur a fait oublier toutes les fatigues d’un long voyage par mer et par terre, et qu’ils sont capables, sans fermer les yeux, de soutenir l’éclat du soleil, comment pourrions-nous manquer de bonté pour eux et leur refuser leurs demandes ? »

Le chancelier demanda aux ambassadeurs si les Hollandais ne pouvaient pas envoyer tous les ans à Pékin, ou du moins tous les deux ou trois ans, pour rendre leur hommage à l’empereur. Ils répondirent qu’ils ne le pouvaient qu’une fois en cinq ans ; mais qu’ils demandaient la permission d’envoyer tous les ans à Canton quatre vaisseaux pour le commerce. Tous les conseils s’étant assemblés pour délibérer sur cette réponse, on y décida qu’il suffisait que les Hollandais vinssent saluer l’empereur une fois en cinq ans.

Le 1er octobre, à deux heures après minuit, les mandarins de Canton et d’autres officiers de la cour, se rendirent en habits magnifiques et précédés de lanternes, au logement des ambassadeurs, pour les conduire au palais impérial. Ils leur firent prendre cinq ou six personnes de leur suite, au nombre desquelles Nieuhof fut choisi. En arrivant au palais, le cortége passa directement dans la seconde cour. À peine les ambassadeurs furent-ils assis que celui du grand-mogol, accompagné de cinq personnes d’honneur et d’environ vingt domestiques, vint se placer vis-à-vis d’eux : ceux des Lamas et des Sou-ta-tsés prirent aussi leurs places. Plusieurs personnes de l’empire s’assirent ensuite au-dessous d’eux. Ils furent tous obligés de passer la nuit dans cette situation, c’est-à-dire en plein air et sur des pierres nues, pour attendre sa majesté impériale qui ne devait paraître que le lendemain au matin sur son trône.

De tous les ambassadeurs étrangers, celui des Sou-ta-tsés, qui sont les Tartares du sud, était le plus estimé à la cour de Pékin. Tout ce que Nieuhof put apprendre du sujet de son ambassade, fut qu’il apportait des présens à l’empereur, suivant l’usage des nations qui bordent la Chine. Sa robe était composée de peaux de mouton teintes en cramoisi, et lui tombait jusqu’aux genoux ; mais elle était sans manches. Il avait les bras nus jusqu’aux épaules. Son bonnet, revêtu de martre, était serré contre sa tête, et du centre partait une queue de cheval, teinte aussi en rouge. Ses hauts-de-chausses étaient d’une étoffe légère, et lui descendaient jusqu’au milieu des jambes ; ses bottes étaient si grandes et si pesantes, qu’à peine lui permettaient-elles de marcher : il portait au côté droit un sabre fort large et fort massif. Tous les gens de sa suite étaient vêtus de même, et portaient sur le dos leur arc et leurs flèches.

L’ambassadeur du Mogol était vêtu d’une robe bleue si richement brodée, qu’on l’aurait prise pour de l’or battu. Elle lui tombait jusqu’aux genoux, liée au-dessus des reins d’une ceinture de soie avec des franges fort riches aux deux bouts. Il portait aux jambes de jolies bottines de maroquin , et sur la tête un grand turban de diverses couleurs.

L’habit de l’ambassadeur des Lamas était d’une étoffe jaune, et son chapeau à larges bords comme celui des cardinaux : il portait au côté un chapelet de la forme des nôtres, sur lequel il disait des prières. Ces Lamas sont une sorte de religieux ou de prêtres, qui, après avoir été soufferts long-temps à la Chine, en avaient été bannis par le dernier empereur : ils s’étaient réfugiés en Tartarie, d’où ils faisaient demander, par cette ambassade la liberté de rentrer dans leurs anciens établissemens. Nieuhof n’apprit point quel fut le succès de leurs sollicitations ; mais ils avaient été reçus avec beaucoup d’amitié.

À la porte de la même cour, on voyait trois éléphans noirs qui servaient comme de sentinelles. Ils portaient sur le dos des tours ornées de sculptures et magnifiquement dorées. Le concours du peuple était incroyable, et le nombre des gardes aussi surprenant que la richesse de leurs habits.

À la pointe du jour, les grands, qui avaient passé la nuit dans la cour, s’approchèrent des ambassadeurs pour les observer, mais avec beaucoup de politesse et de décence. Une heure après, ils reçurent un signal qui les fit lever brusquement. En même temps, deux seigneurs tartares, dont l’office est de recevoir les ambassadeurs, vinrent les prendre, et les firent passer par une autre porte dans une seconde cour qui était environnée de soldats tartares et de courtisans ; de là ils furent conduits dans une troisième cour qui renfermait la salle du trône, les appartemens de l’empereur, et ceux de sa femme et de ses enfans. La circonférence de cette cour était d’environ quatre cents pas : elle était bordée aussi d’un grand nombre de gardes, vêtus de riches casaques de satin cramoisi.

Les deux côtés du trône étaient gardés par cent douze soldats, dont chacun portait une enseigne différente, assortie à la couleur de son habillement ; mais ils avaient tous la tête couverte d’un chapeau noir garni de plumes jaunes. Près du trône étaient vingt-deux officiers qui portaient à la main de riches écrans jaunes, dont la forme représentait des soleils. Ils étaient suivis de dix autres, qui portaient des cercles dorés de la même forme ; et ceux-ci, de six autres, qui portaient des cercles en forme de pleine lune. Après eux, on voyait seize gardes armés de demi-piques ou d’épieux, et couverts de rubans de soie de diverses couleurs. Ensuite paraissaient trente-six autres gardes, chacun portant un étendard orné d’une figure de dragon ou de quelque autre monstre. Derrière tous ces rangs étaient une infinité de courtisans, tous richement vêtus de la même sorte de soie et de la même couleur, comme d’une même livrée ; ce qui relevait beaucoup l’éclat du spectacle. Devant les degrés qui conduisaient au trône on avait placé des deux côtés six chevaux blancs, couverts de riches caparaçons, avec des brides parsemées de perles, de rubis et d’autres pierres précieuses.

Un des chanceliers s’approcha des Hollandais et leur demanda quels étaient leur rang et leur dignité : ils répondirent qu’ils occupaient le rang de vice-rois. Le même chancelier interrogea aussi les ambassadeurs mogols, qui firent la même réponse. Là dessus, le tou-tang leur déclara que leur place était à la dixième pierre de la vingtième, suivant l’ordre des rangs qui était marqué sur le pavé, vis-à-vis la porte de la salle du trône. Ces pierres sont revêtues de plaques de cuivre, sur lesquelles on voit écrits en lettres chinoises et le caractère et la qualité des personnes qui doivent s’y tenir debout ou à genoux. Ensuite un héraut leur cria d’une voix haute : « Allez, présentez-vous devant le trône. » Ils s’y présentèrent. Le même héraut continua de crier : « Marchez à votre place. » Ils y marchèrent. « Baissez trois fois la tête jusqu’à terre. » Ils la baissèrent. « Levez-vous. » Ils se levèrent. Enfin : « Retournez à votre place. » Ils y retournèrent.

On les conduisit ensuite, avec l’ambassadeur du mogol, sur un théâtre bien bâti, qui servait de soutien au trône impérial. Sa hauteur était d’environ vingt pieds ; et dans toute son enceinte il était environné de plusieurs galeries d’albâtre. Là, après avoir été obligés de se mettre à genoux et de baisser la tête, on leur servit du thé tartare, mêlé de lait, dans des tasses et des plats de bois. Bientôt le carillon des cloches ayant commencé à se faire entendre, toute l’assemblée se mit à genoux, tandis que l’empereur montait sur son trône. Les ambassadeurs ne découvrirent pas aisément sa majesté impériale, parce qu’ils furent obligés de garder leurs places. Les gens de leur suite, qui étaient derrière eux, la virent encore moins au travers d’une foule de courtisans dont elle était environnée.

Ce puissant monarque était assis à trente pas des ambassadeurs. L’or et les pierres précieuses dont son trône était couvert jetaient un éclat si extraordinaire, que les yeux en étaient éblouis. Des deux côtés étaient assis près de lui les princes de son sang, les vice-rois et les grands-officiers de la couronne. On leur servit du thé dans des tasses et des soucoupes de bois. Tous ces grands étaient vêtus de satin bleu, relevé par des figures de dragons et de serpens. Leurs bonnets étaient brodés d’or, et parsemés de diamans et de pierres précieuses, dont le nombre ou l’arrangement distinguait leurs rangs et leurs qualités. De chaque côté du trône paraissaient quarante gardes du corps armés d’arcs et de flèches.

L’empereur demeura l’espace d’un quart d’heure dans cette situation. Enfin, s’étant levé avec toute sa cour, Keyser observa qu’en voyant partir les ambassadeurs, il jeta les yeux sur eux. Autant que les Hollandais furent capables de le distinguer, ce prince était jeune, blanc de visage, d’une taille moyenne, mais bien proportionnée, et vêtu de drap d’or. Ils admirèrent beaucoup qu’il eût laissé partir les ambassadeurs sans leur adresser un seul mot ; mais c’est un usage généralement établi dans toutes les cours asiatiques. Les courtisans, les soldats, et même les gardes du corps, se retirèrent avec beaucoup de désordre. Quoique les Hollandais fussent assez bien escortés pour se faire ouvrir un passage, ils eurent beaucoup de peine à percer la foule qui remplissait toutes les rues.

C’est l’usage de la Chine de traiter les ambassadeurs le dixième, le vingtième et le trentième jour après leur audience, pour faire connaître que leurs affaires sont terminées ; mais, dans l’empressement que les Hollandais avaient de partir, ils obtinrent que ces trois festins leur fussent donnés successivement dans l’espace de trois jours ; et le premier ne fut pas remis plus loin qu’au jour même de l’audience.

Un certain nombre de seigneurs tartares, qui avaient paru souvent chez les ambassadeurs, prirent soin de leur faire amener quinze chariots pour le transport de leur bagage. Pin-xen-ton les fit avertir en même temps de se rendre à la cour du li-pou, ou des cérémonies, pour recevoir la lettre de l’empereur au gouverneur de Batavia. Ils s’y rendirent à cheval vers une heure après midi. On les introduisit dans une antichambre, où l’un des seigneurs du conseil prit la lettre, qui était sur une table couverte d’un tapis jaune ; il l’ouvrit et rendit compte aux ambassadeurs de ce qu’elle contenait ; elle était écrite en deux langues, la tartare et la chinoise ; le papier doré sur les bords, et revêtu, des deux côtés, de dragons d’or. Ensuite, l’ayant fermée respectueusement, il l’enveloppa dans une écharpe de soie, qu’il mit dans une boîte, et la présenta aux ambassadeurs : ils la reçurent à genoux ; mais la retirant aussitôt de leurs mains, il l’attacha sur le dos d’un des interprètes, qui se mit à marcher devant eux avec ce précieux fardeau, et qui sortit par la grande porte de la cour, qu’on avait ouverte exprès. Cette cérémonie fut faite avec un profond silence ; et dans toutes les fêtes qu’on avait données aux ambassadeurs, on n’avait rien laissé échapper qui eût rapport au sujet de la commission. La lettre de l’empereur était conçue en ces termes :

« L’empereur envoie cette lettre à Jaan Maatzuyker, gouverneur-général des Hollandais à Batavia.

» Nos territoires étant aussi éloignés l’un de l’autre que l’orient l’est de l’occident, il nous est fort difficile de nous approcher ; et, depuis le commencement jusques aujourd’hui, les Hollandais n’étaient jamais venus nous visiter ; mais ceux qui m’ont envoyé Peter de Goyer et Jacob de Keyser, sont une bonne et sage nation. Ces deux ambassadeurs ont paru devant moi en votre nom, et m’ont apporté divers présens. Votre pays est éloigné du mien de dix mille milles ; mais vous marquez la noblesse de votre âme en vous souvenant de moi. Cette raison fait beaucoup pencher mon cœur vers vous. Ainsi je vous envoie…. (les présens étaient ici nommés). Vous m’avez fait demander la permission d’exercer le commerce dans mon pays, en apportant et remportant des marchandises ; ce qui deviendrait fort avantageux pour mes sujets. Mais comme votre pays est éloigné du mien, et que les vents sont si dangereux sur ces côtes, qu’ils pourraient nuire à vos vaisseaux, dont la perte m’affligerait beaucoup, je souhaiterais que, si vous jugez à propos d’en renvoyer ici, vous ne le fissiez qu’une fois en huit ans, et que vous n’envoyassiez pas plus de cent hommes, dont vingt auraient la liberté de venir dans ma cour. Alors vous pourriez débarquer vos marchandises sur le rivage, dans une loge qui serait à vous, sans être obligés de faire votre commerce en mer devant Canton. Il m’a plu de vous faire cette proposition pour votre intérêt et votre sûreté, et j’espère qu’elle sera de votre goût. C’est ce que j’ai jugé à propos de vous faire connaître.

» La treizième année, le huitième mois et le vingt-neuvième jour du règne de Yong-té ; et plus bas, Hong-ti-tso-pé. »

Les ambassadeurs ne furent pas plus tôt retournés à leur logement, qu’on les pressa beaucoup de partir, en leur représentant que l’usage de l’empire ne permettait pas qu’ils s’arrêtassent deux heures dans la ville après avoir reçu leurs dépêches. Ils se virent obligés de quitter Pékin presqu’au même instant, et ils retournèrent à Batavia sans autre fruit de leur voyage que de la dépense et de la fatigue.

La guerre qui s’était élevée entre l’empereur et un de ses sujets rebelles, le fameux pirate Koxinga, qui s’était rendu redoutable sur toutes les côtes de la Chine, ranima les espérances des Hollandais. Ils crurent obtenir la liberté du commerce en offrant de joindre leurs forces navales à celles de l’empire pour combattre ce terrible corsaire. Ils firent partir, dans ce dessein, de nouveaux députés. Montanus, qui a donné la relation de cette ambassade, parle d’une hôtellerie où ils furent reçus, et dont il n’y a point de modèle en Europe. On y entrait par sept degrés de fort beau marbre. Les appartemens y étaient en grand nombre, le pavé fort propre ; les bancs, les chaises et les lits revêtus d’étoffes précieuses. Il y avait assez de logement pour douze cents hommes, et des écuries pour cent chevaux.

Navarette et Duhalde ont recueilli quelques éclaircissemens sur Koxinga. Son père était né vers le commencement du dernier siècle, dans une petite ville de pêcheurs, près du port de Nagan-hay. Étant fort pauvre, il se rendit à Macao, où il fut baptisé sous le nom de Nicolas. De là on le vit passer à Manille, mais borné à des emplois fort vils. Le désir de s’élever le conduisit au Japon, où son oncle avait amassé quelque bien dans le commerce. Ce négociant crut lui reconnaître des talens distingués ; il lui confia le soin de ses affaires, et lui fit épouser une Japonaise dont il eut quelques enfans. Ensuite, l’ayant envoyé à la Chine avec un vaisseau chargé de riches marchandises, il vit toutes ses espérances trompées par l’infidélité de Nicolas, qui se rendit maître de ce dépôt pour embrasser ouvertement la profession de pirate. Son courage et son adresse éclatèrent bientôt dans cette nouvelle carrière. Il répandit la terreur sur toute la côte ; et l’empereur Yon-tching, par une faiblesse trop ordinaire aux gouvernemens despotiques, prit le parti de le créer son amiral, en lui pardonnant les crimes qu’il ne pouvait pas punir. Nicolas s’établit alors à Nagan-hay, lieu de sa naissance, et forma des correspondances de commerce avec tous les royaumes voisins. Ses richesses ne firent qu’augmenter, et devinrent si excessives, que dans l’opinion publique elles surpassaient celles de l’empereur même. Sa garde ordinaire était composée de cinq cents nègres chrétiens, auxquels il avait donné toute sa confiance. Dans les combats qu’il livrait sur mer, il invoquait l’assistance de saint Jacques. Les Tartares, qui vers le même temps avaient pénétré dans la Chine par la province de Fo-kien, après avoir eu l’adresse d’employer ses services pour l’établissement de leur pouvoir, ne pensèrent qu’à perdre un ami dont ils avaient appris à redouter les forces. Ils l’invitèrent à diverses fêtes, dans la vue de s’assurer de lui ; mais il y paraissait toujours au milieu de cette terrible garde dont il connaissait la valeur et la fidélité. Cependant, ayant trouvé le moyen de le tromper, ils le menèrent à Pékin. Tout le monde blâma sa folie ; et bientôt il se repentit lui-même de sa crédulité. Quoiqu’il fût libre à la cour, il n’y mena point une vie tranquille. L’empereur Yon-tching, qui était d’un naturel fort doux, rejeta toujours la proposition de se défaire de lui ; il se contentait de le faire appeler fort souvent, la nuit comme le jour, dans la crainte continuelle qu’il ne s’échappât pour se joindre à Koxinga, son fils aîné, qui avait pris les armes. Mais, après la mort de ce prince, les régens de l’empire, sous la minorité de son successeur, firent le premier essai de leur autorité sur la vie de Nicolas.

Son fils, qui portait le nom de Qué-sing, titre noble qu’il avait reçu de l’empereur qui s’était fait proclamer à Fo-kien, n’eut pas plus tôt appris l’infortune de son père, que, cherchant un asile sur les flots, il monta sur un champam, vaisseau de la grandeur d’une pinque, et le seul qu’il put emmener dans la précipitation de sa fuite. Le temps ne lui permit d’emporter que mille ducats ; mais en peu d’années il devint aussi heureux que son père. On vit sous ses ordres jusqu’à cent mille hommes, et vingt mille navires de différentes grandeurs. En 1659, l’empereur Jong-lye, ou Yong-lye, qui fut élevé sur le trône à Canton, lui envoya une ambassade solennelle dans l’île de Hya-muen.

Qué-sing, que les Portugais nommèrent Koxinga, joignait à la force du corps un caractère audacieux, vindicatif et cruel, qualités japonaises qu’il tenait de cette nation par sa mère. Il excellait dans l’usage de toutes sortes d’armes. Comme il était toujours le premier et le plus ardent à la charge, il était couvert de cicatrices. La victoire ne l’avait jamais abandonné dans ses combats contre les Tartares, jusqu’en 1659, qu’ayant entrepris de prendre Nankin d’assaut, il fut repoussé avec un carnage épouvantable ; on prétend qu’il perdit cent mille hommes dans cette expédition, car il avait augmenté prodigieusement le nombre de ses troupes. Ce fut alors que les Tartares prirent le parti de ruiner toute la côte pour lui ôter le pouvoir de continuer ses brigandages. Lorsqu’on apprit à Pékin qu’il avait mis le siége devant Nankin, l’empereur avait pensé à se retirer dans la Tartarie ; et si la valeur de Koxinga eût été soutenue par la prudence, on ne doute point qu’il ne se fût rendu maître de la Chine ; mais l’orgueil le rendait souvent téméraire. Ses ennemis revinrent de leur frayeur après sa fuite : ils formèrent une flotte de huit cents vaisseaux pour achever sa ruine par mer. Koxinga, peu effrayé de cet appareil, trouva le moyen d’en rassembler douze cents. Les Tartares obtinrent d’abord quelque avantage ; mais le vent l’ayant favorisé, il tomba sur eux avec tant de furie, qu’il détruisit leur flotte entière : ceux qui firent face sur le rivage périrent aussi jusqu’au dernier. Cependant le secours des Hollandais fit changer la victoire de parti. Koxinga, défait dans plusieurs rencontres, et chassé enfin de la Chine, tourna ses armes et sa vengeance contre les Hollandais. Ils avaient obtenu, moitié par insinuation, moitié par violence, un établissement dans l’île de Formose, voisine de la province de Fo-kien ; et c’est à la faveur de cette proximité qu’ils cherchaient à étendre leur commerce dans l’intérieur de la Chine ; mais les Chinois, qui s’étaient rendus moins difficiles sur l’île de Formose, parce qu’ils la regardaient comme hors de leurs limites, ne permirent jamais aucun établissement sur leurs côtes. Koxinga ôta même aux Hollandais leur seule ressource et leur unique abri dans les mers de la Chine ; il les chassa de Formose, ou jamais ils n’ont pu rentrer. Il mourut peu de temps après.

Rien n’est plus connu d’ailleurs que cette politique constante des Chinois, qui ne souffrent jamais que les étrangers pénètrent dans leur empire et y portent leur commerce.

Aussitôt qu’un vaisseau étranger paraît sur la côte de la Chine, il se voit environné de jonques qui lui interdisent non-seulement le commerce, mais jusqu’à la liberté de se procurer des provisions, et de parler même aux habitans ; s’il trouve le moyen de s’approcher du rivage sans avoir été découvert, ceux qui ont la hardiesse de débarquer sont conduits devant le gouverneur du port ou de l’île, qui leur déclare qu’il n’a pas la permission de traiter avec eux. Demandent-ils celle de parler au gouverneur de la province, qui fait ordinairement sa résidence dans quelque ville intérieure, on leur répond par un refus formel, en ajoutant qu’on ne voudrait pas même l’informer qu’il y ait eu des étrangers assez hardis pour entrer dans la province ; enfin, s’ils désirent d’être conduits à la cour de l’empereur, on les assure qu’il en coûterait la vie à celui qui ferait cette proposition à la cour, et à tous les officiers des places qui seraient convaincus d’y avoir participé.

Il est certain que les Chinois sont la plus grave nation qui soit connue dans l’univers. On leur trouve toujours la modestie et l’air composé des anciens stoïques. Celui qui fut envoyé à Batavia pour négocier avec Jean Petersz Coen, gouverneur hollandais, demeura un jour entier assez près de lui dans une grande salle sans se donner le moindre mouvement, et presque sans ouvrir la bouche. Ses vues étaient d’engager le gouverneur à parler, pour trouver le moyen de pénétrer ses intentions. Coen, qui n’était guère moins grave, se tint dans la même posture, et garda le même silence avec autant de soin pour faire les mêmes découvertes. Le Chinois, désespérant de rien tirer de lui, sortit sans parler, et le gouverneur le laissa partir comme il était venu.