Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XVIII/Troisième partie/Livre X/Chapitre III

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CHAPITRE III.

Nouvelle-Angleterre. New-Yorck.

En 1602, Barthélemi Gosnod, capitaine anglais, prit terre par le 42e. degré et quelques minutes de latitude nord, entre les îles qui forment le côté septentrional de la baie de Massachuset. Le dégoût qui lui prit pour ce canton le fit tourner au sud, jusqu’à la vue d’un promontoire qu’il nomma cap Cod, ou des Morues, parce qu’il y prit une quantité prodigieuse de ce poisson. Il descendit dans une petite île, qu’il nomma l’île Élisabeth, et dans une autre qui fut nommée Vigne de Marthe. Sur son récit, divers particuliers tentèrent le même voyage ; mais ce ne fut qu’en 1606 qu’il se forma, sous l’autorité de la cour de Londres, une compagnie, qui fut nommée Conseil de Plymouth, parce que la plupart des associés étaient de cette ville, et dont les patentes portaient un droit spécial de s’établir, entre le 38°. et le 45°, dans les terres de cette latitude.

Popham et Gilbert, deux des principaux associés, partirent avec deux vaisseaux et cent hommes, et commencèrent à s’établir. Ils furent suivis par le capitaine Jean Smith, le même qui avait eu tant de part à l’établissement de la Virginie. Le plan qu’il rapporta du pays fut présenté au prince Charles, fils de Jacques 1er., qui prit plaisir à donner des noms aux principaux lieux. La nouvelle colonie, ou plutôt l’espace qu’elle devait occuper, reçut de ce prince celui de Nouvelle-Angleterre.

Il se forma une nouvelle compagnie de marchands de Londres et de Plymouth, secondée par un grand nombre d’honnêtes gens de toutes les conditions, à qui les troubles de religion faisaient souhaiter une tranquillité qu’ils ne trouvaient plus dans leur patrie.

Ces partisans de l’indépendance mirent à la voile le 6 septembre 1621, et prirent terre au cap Cod, le 9 de novembre. Ils se déterminèrent à former de leur propre autorité un corps politique, en se reconnaissant, par un acte solennel, sujets de la couronne d’Angleterre : cette fameuse association fut signée de toute l’assemblée. Ensuite ils choisirent pour leur gouverneur, Carver, riche particulier, qui avait apporté toute sa fortune pour l’employer à leur entreprise.

On jeta les fondemens d’une ville. La colonie fut divisée en dix-neuf parties, auxquelles on assigna le terrain nécessaire pour des maisons et des jardins. Ensuite le premier soin fut d’environner tout cet espace d’un fossé, bordé d’une bonne palissade pour mettre les ouvriers à couvert. On convint aussi de quelques règlemens civils, ecclésiastiques et militaires. La ville naissante reçut le nom de New-Plymouth.

On ne vit paraître aucun Indien pendant tout l’hiver ; diverses maladies qui se répandirent parmi les Anglais diminuèrent beaucoup leur nombre. Ils commençaient à manquer de vivres, lorsqu’un Indien, nommé Squanto, qui avait appris, quelques mots de leur langue dans les premiers voyages de leur nation, vint se présenter fièrement au milieu d’eux, armé de son arc et de ses flèches. C’était un des ségamores, ou des princes du pays, mais dont la demeure était éloignée de cinq ou six journées. Il était nu, excepté vers le milieu du corps, où il était couvert d’une pièce de cuir. Sa taille était droite et d’une singulière hauteur ; ses cheveux noirs et fort longs. Quelques explications qui le firent assez entendre pour ne laisser aucun doute de son amitié lui attirèrent tant de caresses de la part des Anglais, qu’étant parti avec de grandes marques de joie, il revint huit jours après, accompagné de plusieurs autres Indiens. On ne les traita pas moins civilement ; et leur satisfaction fut si vive, qu’après avoir bu et mangé long-temps, ils se levèrent avec transport et se mirent à danser. On apprit d’eux qu’ils étaient sujets du roi des Massassoits, distingué par le titre de grand sachem, et que ce prince était résolu de venir lui-même pour lier connaissance avec les étrangers. En effet, il arriva le 22 mars, suivi de Quamdebanco, son frère, et d’une escorte de soixante hommes. Il fut reçu par la milice de la colonie, et conduit à la maison du gouverneur, où il s’assit sur trois coussins, qu’on avait tenus prêts pour son arrivée. Sa parure était peu différente de celle de ses gens, à la réserve d’une chaîne de petits os qu’il portait autour du cou, et d’un grand couteau qui lui pendait sur l’estomac. Il avait d’ailleurs, comme tous les autres, un petit paquet de tabac derrière le dos, une pièce de cuir à la ceinture, et le visage peint de diverses couleurs. Carver entra dans la chambre, précédé d’un tambour et d’un trompette. Le monarque indien se leva pour lui faire l’honneur de l’embrasser. Ils s’assirent tous deux. On apporta des liqueurs fortes, dont le grand-sachem avala tout d’un coup un si grand verre, qu’il en eut la fièvre pendant le reste du jour. Squanto, qui l’accompagnait, et dont le zèle ne se démentit point pour les Anglais, servit d’interprète entre lui et le gouverneur. On fit une alliance qui renfermait des engagemens mutuels d’affection et de service. Le grand-sachem donna aux Anglais, pour eux et pour leurs successeurs, toutes les terres voisines de leur ville, et leur laissa Squanto pour leur apprendre la culture du maïs, et la manière de pêcher en usage dans le pays.

La mort de Carver, qui arriva dans le cours d’avril, ne changea rien à ces heureuses dispositions. Bradfort, choisi pour lui succéder, envoya aussitôt deux de ses principaux habitans au grand-sachem, avec la qualité d’ambassadeurs de la colonie. Entre les honneurs qu’ils reçurent dans l’habitation royale des Massassoits on compte celui d’avoir couché dans le lit même du roi et de la reine ; mais on ajoute, à la vérité, qu’il ne consistait que dans quelques planches élevées d’un pied au-dessus du rez-de-chaussée de la cabane, et que deux ou trois grands de la nation partagèrent avec eux cette faveur. Le grand-sachem et sa femme étaient d’un côté sur une natte fort mince, et les ambassadeurs de l’autre avec les grands. D’ailleurs, la cour était si mal pourvue de vivres, que les deux Anglais furent menacés d’y mourir de faim. Bientôt il fallut employer la force. On fit marcher un corps de troupes, auquel rien ne résista, et neuf seigneurs signèrent un traité de dépendance et de soumission. Après cet engagement, la colonie ne tarda point à s’étendre ; et les troubles de la métropole continuèrent de lui fournir un grand nombre de fugitifs, surtout de sectaires, qui cherchaient une retraite qu’on leur refusait dans le reste de l’univers, et qui s’établirent dans les diverses provinces dont la Nouvelle-Angleterre est composée.

Ce pays s’étend au moins à trois cents milles sur la côte maritime, sans compter les détours. On ne lui donne nulle part plus de cinquante milles de largeur. Sa situation est entre les 40 et 45e. degrés de latitude du nord ; et ses bornes sont le Canada au nord, le New-York à l’ouest, et l’Océan à l’est et au sud. Quoiqu’au milieu de la zone tempérée, son climat n’est pas si doux ni si régulier que celui des pays parallèles en Europe, tels que plusieurs provinces d’Italie et de France. On assure que le climat de la Nouvelle-Angleterre est à celui de la Virginie ce que le climat d’Écosse est à celui d’Angleterre. Les étés, y sont plus courts et plus chauds que les nôtres ; les hivers plus longs et plus froids. Cependant l’air y est sain, avec si peu de variété, qu’on y jouit souvent du temps le plus pur et le plus serein pendant deux ou trois mois consécutifs. À Boston, le soleil se lève, dans le cours du mois de juin, à quatre heures vingt-six minutes, et se couche trente-six minutes après sept heures. Le jour du solstice d’hiver, il se lève à sept heures trente-cinq minutes, et se couche vingt-sept minutes après quatre heures.

La province de Massachuset fut bientôt la plus grande, la plus peuplée de la Nouvelle-Angleterre proprement dite. Elle s’étend de l’est à l’ouest, le long de la côte, près de cent dix milles depuis Scituate, dans le comté de Plymouth, jusqu’au Saco, dans celui de Main ; et près de soixante milles, du même point, jusqu’à Enfield dans New-Hampshire.

Cambridge eut pour premier nom New-Town, c’est-à-dire, Ville-Neuve. Elle est située sur le bras septentrional du Charles-River, à quelques milles de Boston. Elle prit le nom de Cambridge en devenant le siége d’une niversité.

Charles-Town, qu’on nomme la mère de Boston, est située entre le Mistisk et le Charles-River, qui la sépare de Boston. Elle communique à cette capitale par un bac si commode, qu’il tient lieu du meilleur pont, excepté pendant l’hiver, où la quantité des glaces ne laisse aucun passage pour la navigation. La ville est assez grande pour occuper tout l’espace entre les deux rivières. Il partait tous les ans de Charles-Town et de Boston mille navires de plus que de toutes les autres colonies d’Amérique qui n’appartiennent point aux Anglais. Reading est une petite ville assez peuplée, mais fort mal bâtie, quoique dans une situation commode, sur le bord d’un grand lac. Water-Town est renommé pour les foires qui s’y tiennent aux mois de juin et de septembre.

Les rivières sont si multipliées dans les environs de Boston, que, répandant de toutes parts la fraîcheur, elles en font un des plus agréables et des plus fertiles cantons de la Nouvelle-Angleterre. Les pâturages y sont remplis de toute sorte de bestiaux, et ne fournissent pas moins à l’exportation qu’à la consommation intérieure. Il n’y a point de colline qui ne soit couverte de nombreux troupeaux. Enfin les Anglais comparent cette province à leur Devonshire d’Europe.

Boston fut long-temps la plus grande ville d’Amérique, à l’exception de deux ou trois villes espagnoles du continent.

Boston, que les Anglais prononcent Baston, est agréablement située dans une péninsule de quatre milles de long, au fond de la baie de Massachuset. Elle est défendue contre l’impétuosité des flots par quantité de rocs qui se font voir au-dessus de l’eau, et par une douzaine de petite îles, la plupart fertiles et habitées. La baie n’a qu’une entrée sûre, et de si peu de largeur, qu’à peine trois vaisseaux y peuvent passer de front ; mais l’intérieur offre un mouillage commode pour cinq cents voiles. La plus remarquable de ces îles se nomme Castle-Island, ou l’Île du Château, et présente effectivement un château ou un fort si favorablement situé à une lieue de la ville, dans le canal même qui y conduit, qu’aucun vaisseau n’y pourrait passer sans se mettre au hasard d’être abîmé par l’artillerie. Sous les règnes de Charles ii et de Jacques ii, les fortifications de Castle-Island étaient fort irrégulières ; et ces deux princes s’occupèrent peu de la sûreté d’un peuple qui avait mieux aimé se retirer parmi les sauvages de l’Amérique que de vivre en Angleterre sous la protection des lois ; mais Guillaume iii prit le parti d’envoyer à Boston le colonel Borner, ingénieur d’un mérite distingué, qui commença par détruire tous les anciens ouvrages pour faire de l’Île-du-Château la forteresse la plus régulière de toutes les colonies anglaises, et qui lui donna le nom de Fort Guillaume. Il y a, à deux grandes lieues de la ville, un fanal fort élevé, dont les signaux peuvent être aperçus de la forteresse, qui les répète aussitôt que la côte ; et, dans le besoin, Boston donne aussi les siens pour répandre l’alarme dans toutes les habitations voisines ; de sorte qu’à l’exception d’une brume fort épaisse, à la faveur de laquelle quelques vaisseaux ennemis pourraient se glisser entre les îles, il n’y a point de cas, dit-on, où la ville n’ait cinq ou six heures pour se se disposer à les recevoir. Mais, supposé qu’ils passassent impunément sous l’artillerie du château, ils trouveraient, au nord et au sud de Boston, des batteries qui commandent toute la baie, et qui arrêteraient les plus grandes forces, tandis que les bâtimens de commerce pourraient se retirer dans le Charles-River, hors de la portée du canon.

La baie de Boston est assez vaste pour contenir toute la marine militaire des Anglais. Aussi les mâts des vaisseaux y forment-ils, dans la saison du commerce, une espèce de forêt comme dans les ports d’Amsterdam et de Londres ; ce qu’on peut s’imaginer aisément, si l’on considère que, suivant les registres de la douane, on y charge ou décharge annuellement vingt-quatre mille tonneaux de marchandises. Le fond de la baie offre un môle d’environ deux mille pieds de long, couvert, du côté du nord, d’une rangée de magasins. Il s’avance si loin dans la baie, que les plus grands vaisseaux peuvent décharger sans le secours des chaloupes et des alléges. La principale rue de la ville, qui vient jusqu’à l’extrémité du môle, offre en face, à l’autre bout, l’hôtel de ville, grand et bel édifice où l’on a réuni la bourse marchande, la chambre du conseil, celle de l’assemblée générale, et toutes les cours de justice. La bourse est environnée de libraires qui s’enrichissent de leur commerce.

La ville, disposée en forme de croissant autour du port, forme une belle perspective. On ajoute que le quai est assez haut, que les rues sont larges, et qu’il ne manque rien à la beauté des maisons. Pendant long-temps il fut défendu sous peine d’amende de faire galoper les chevaux dans les rues, parce qu’elles étaient très-mal pavées.

Les noms des églises de Boston marquent la variété de sectes dont cette colonie est composée : telles sont l’église anglicane, l’église française, l’église anabaptiste, l’église quaker, etc. Ce mélange n’empêche point que la société n’y soit aussi douce que dans les meilleures villes d’Angleterre. La plupart des négocians faisant le voyage de l’Europe en rapportent les modes et les usages. Un Anglais qui passe de Londres à Boston ne s’aperçoit point qu’il ait changé de demeure ; il y trouve le même air, la même conversation, les mêmes habillemens, la même propreté dans les meubles, les mêmes goûts dans les alimens et leurs préparations ; en un mot, Boston, ajoutait-on vers le milieu du dix-huitième siècle, est la plus florissante ville de l’Amérique anglaise. On en a vu partir dans une seule année six cents voiles pour l’Europe et d’autres lieux. C’est la résidence du gouverneur, le siége des cours de justice, celui de l’assemblée générale, et le centre de toutes les affaires du pays. On donne à la ville environ deux milles de long, et près d’un mille dans sa plus grande largeur. La baie de Massachuset, au fond de laquelle elle est située, s’étend d’environ huit milles dans les terres.

Dorchester est située à l’embouchure de deux rivières, fort près de la côte. Roxbury occupe le fond d’une baie qui a fort peu d’eau et qui n’offre pas la moindre retraite aux vaisseaux ; mais le canton est arrosé d’un grand nombre de sources, et la ville est remarquable par une école ouverte à toutes les sectes. Braintry jouit du même avantage. Weymouth est la plus ancienne ville de la province ; mais elle est fort déchue de sa première splendeur, quoique son bac soit un passage très-fréquenté.

Le comté de Suffolk, où est situé Boston, n’a pas de grands fleuves ; mais il est si bien arrosé par quantité de petites rivières, que sa fertilité et ses agrémens le font nommer le paradis de la Nouvelle-Angleterre. On ne trouve pas moins de douze ou quinze jolies bourgades autour de la baie de Massachuset, avec quantité de belles vallées.

À l’ouest des comtés de Suffolk et de Middlesex, on entre dans celui de Hampshire, qui, étant montagneux dans l’intérieur du pays, n’approche point de la fertilité de ceux des côtes, quoiqu’il soit arrosé par le fleuve de Connecticut, sur les bords duquel toutes ses bourgades sont situées. La principale est Northampton.

Le comté voisin, sur la côte et vers le sud, est celui de Plymouth, premier établissement des Anglais dans la Nouvelle-Angleterre. Ce comté a deux ou trois petites rivières, et diffère peu de celui de Suffolk pour la qualité du terroir. Le cap Cod est également remarquable par sa hauteur et par l’abondance des morues qu’on y pêche. Il forme avec la côte une baie large et commode qui contiendrait mille grands vaisseaux, et dont l’entrée a quatre milles de large. Elle était environnée autrefois, jusqu’à la mer, de chênes, de pins, de sassafras et de plusieurs sortes d’arbres aromatiques ; mais la loi qu’on a portée dans la Nouvelle- Angleterre pour défendre de couper du bois à moins de dix lieues des côtes, fait juger que le temps en a diminué l’abondance. Ce qu’on a dit des baleines, qu’on trouvait en grand nombre dans la baie, ne paraît convenir qu’à l’ancien temps. Mais la pêche des morues s’y fait toujours avec tant d’avantages, que, malgré la stérilité du terroir, les environs du cap sont aussi peuplés qu’aucune autre partie de la Nouvelle-Angleterre.

Sur le bord du Taunton, rivière où la marée monte, on trouve un rocher dont le côté perpendiculaire est gravé de sept ou huit lignes d’écriture, d’un caractère auquel on ne connaît rien de ressemblant.

Au-delà du mont Hope, on trouve Rhode-Island ou l’île de Rhodes. Sa longueur est de quatorze ou quinze milles, sur quatre ou cinq de largeur. Elle était habitée, dès l’an 1639, par des Anglais d’une secte particulière, dont on prétend que, faute de ministres et d’instruction, la postérité est devenue aussi barbare que les Indiens. Cependant elle a su conserver ses priviléges, qui consistent à se gouverner elle-même, ou du moins par un conseil qu’elle choisit, sans aucune dépendance de la couronne et de ses officiers. Elle fait ses propres lois, avec cette seule restriction qu’elles ne doivent rien avoir de contraire à celles d’Angleterre. Le terroir de cette île est d’une rare fertilité ; et le séjour en est si agréable, qu’on la nomme le jardin de cette côte. Ces avantages y avaient attiré un si grand nombre d’habitans, qu’une partie d’entre eux fut forcée de retourner au continent, où ils bâtirent deux villes nommées la Providence et Warwick, qui jouissent de tous les priviléges de l’île. Elle entretient un commerce considérable de chevaux, de moutons, de beurre, de fromages et d’autres provisions, avec les Antilles anglaises : effet de ses richesses naturelles, qui ne manqueront point d’y rappeler quelques jours la politesse. On compte dans l’île de Rhodes deux villes ou deux bourgades : Newport, qui est la capitale, et Portsmouth. Sa distance de Boston est d’environ soixante-six milles.

La Providence et Warwick, deux villes fondées, comme on vient de le remarquer, par des colonies de l’île de Rhodes, sont non-seulement grandes et riches, mais heureuses dans leur gouvernement, quoique composées de sectaires qui vivent sans magistrats et sans ministres. « Ils se maintiennent, dit-on, en bonne intelligence avec leurs voisins. La liberté qu’ils ont de satisfaire tous leurs désirs n’empêche point que les crimes ne soient rares parmi eux ; ce qu’on attribue à leur profonde vénération pour l’Écriture-Sainte, qu’ils lisent et qu’ils expliquent tous à leur gré. Ils ont une mortelle aversion pour toutes sortes de taxes : leur charité ne se dément jamais pour les étrangers. Un voyageur qui passe par l’une ou l’autre de ces deux villes peut s’arrêter dans la première maison avec autant de liberté que dans une hôtellerie, et s’assurer d’y être bien traité. La principale occupation des habitans est de nourrir des bestiaux, et de faire du beurre et du fromage, deux marchandises qui les ont enrichis. »

Les productions naturelles de la Nouvelle-Angleterre ne diffèrent point assez de celles de la Virginie pour demander un article particulier ; mais on ne se dispensera point de quelques éclaircissemens sur son administration : elle paraîtra curieuse, si l’on considère la variété de religions et d’intérêts qui règne dans toute la colonie.

On a vu que le premier établissement s’était formé avec une sorte d’indépendance, et sans autre rapport à la couronne que celui d’une soumission vague, qui consistait à reconnaître les rois d’Angleterre pour souverains. Cependant deux chartes ou deux ordonnances envoyées successivement par la cour furent reçues avec respect, parce qu’elles furent trouvées favorables, et devinrent les fondemens d’une administration plus régulière. Le gouverneur, qu’on nomme général, quoique les colonies de Connecticut et de Rhode-Island ne soient pas renfermées dans sa commission, son lieutenant, les officiers militaires et ceux de justice, sont nommés par la couronne ; mais la nomination de la cour de l’amirauté appartient au gouverneur. Le conseil, qu’on peut nommer celui de la colonie, plutôt que celui du gouverneur, est choisi annuellement par une assemblée générale des principaux habitans. Le pouvoir de cette assemblée est très-étendu. Toute la partie exécutive du gouvernement dépend de son approbation, et la législature n’en dépend guère moins. Elle se tient tous les ans à Boston, vers la fin de mai : tous les membres commencent par prêter le serment de fidélité à l’ordre actuel de la succession royale ; et le zèle de la Nouvelle-Angleterre est si ardent pour la maison d’Hanovre, qu’on s’y vante de n’avoir point un jacobite dans toute la colonie. Ensuite le gouverneur déclare et signe de sa main, qu’il approuve et qu’il confirme les élections ; mais, malgré cette formalité, on ne lit nulle part qu’il ait droit de s’y opposer, non plus qu’à celle des conseillers, qui sont choisis par l’assemblée. Après les avoir élus, elle procède à la création des cours de justice, à la levée des taxes, et de temps en temps porte des lois qui ne doivent jamais être opposées à celles d’Angleterre. Elles demandent d’être envoyées à la cour pour être confirmées par le roi ; mais si la confirmation n’arrive point dans l’espace de trois ans, elles ont leur plein effet.

Tout particulier qui jouit d’un revenu de 4 schellings en terres, ou qui possède un fonds de 50 liv. sterling, est réputé citoyen libre, et participe au droit d’élire les membres de l’assemblée : ils sont au nombre de cent. On publie un recueil des lois de la Nouvelle-Angleterre, dont il suffira de détacher ici quelques traits pour faire connaître l’esprit dans lequel fut d’abord fondée cette colonie. Adultère ; puni de mort dans l’homme et dans la femme. Bâtardise ; le père obligé de fournir à l’entretien de l’enfant : déchargé si le fait est douteux. Blasphème ; la mort. Prix constant du blé ; 3 schellings le boisseau. Membre d’une église ; on n’est point censé tel, si l’on n’y a point reçu la communion. Enfant ; la mort pour ceux qui ont maudit ou battu leur père ou leur mère. Faux témoignage ; la mort, s’il met en danger la vie d’autrui. Jeu pour de l’argent ; amende du triple. Amende de 5 schellings pour s’être servi de cartes ou de dés. Amende de 5 livres sterling pour en avoir vendu où gardé provision. Amende ou le fouet, au gré du juge, pour avoir dansé. Hérésie ; pour avoir nié le quatrième commandement, le baptême des enfans, l’autorité des magistrats, etc. Jésuites et prêtres romains, le bannissement, et, s’ils reviennent, la mort. Quakers ; pour en avoir amené un, paiement de 100 livres ; pour en avoir amené un qui n’est point habitant, banni ; pour l’avoir ramené, la mort. Le quaker étranger, fouetté, marqué de la lettre Q sur l’épaule gauche, et banni ; s’il revient, la mort. Indiens ; pour leur avoir vendu des liqueurs fortes, amende de 2 livres sterling la pinte ; pour leur avoir vendu une livre de plomb, 2 livres ; une livre de poudre, 5 livres. Un Indien qui ne cultive point sa terre en perd la propriété. Ivrognes ; fouettés en plein marché. Menteurs au préjudice d’autrui, fouettés. Mariage ; point de mariage reconnu s’il n’est fait par le magistrat. Un mari qui bat sa femme, ou une femme qui bat son mari, 10 livres d’amende. Dimanches ; violation du dimanche, 3 livres d’amende. Samedis ; pour avoir dansé le samedi après le coucher du soleil, 5 schellings d’amende ou le fouet. Juremens ; jurer ou maudire, 1 schelling. Filer ; tout particulier qui est sans emploi ou sans travail, obligé de filer. Sorciers ; la mort. Loups ; pour avoir tué un loup dans les plantations, ou dans la circonférence à dix milles, 2 livres sterling de récompense. Culte ; pour le culte des images et l’idolâtrie, la mort. Plusieurs de ces lois ont été abrogées ou modifiées : plusieurs sont tombées en désuétude.

Avant la fondation du collége de Cambridge, les livres étaient aussi rares dans la Nouvelle-Angleterre qu’ils le sont encore dans la plupart des autres colonies anglaises ; mais, par les libéralités d’un grand nombre d’amateurs des sciences, il s’y est formé une bibliothèque publique, qui, dès le temps de la reine Anne, contenait environ quatre mille volumes. On regrette seulement qu’elle ne soit composée que de livres d’érudition, et que la partie des belles-lettres y ait été négligée, quoiqu’elle fût la plus propre à répandre et perpétuer la politesse dans toutes les habitations de la colonie.

Il reste si peu d’Indiens dans la juridiction de la Nouvelle-Angleterre, et ceux qui s’y trouvent établis ont pris si généralement l’habit, les mœurs, les usages, la religion et la langue des Anglais, qu’on ne les distingue plus dans le dénombrement total des habitans. Cependant ils conservent leurs anciens noms.

Quant aux forces des Indiens de la Nouvelle-Angleterre, on assure que la dixième partie de la milice anglaise suffirait pour les précipiter tous dans leurs lacs, ou pour les détruire jusqu’au dernier. Ils ne sont que les valets des plantations, vivant, comme les pauvres dans nos paroisses, du paiement de leurs services ou des libéralités gratuites de ceux qui les emploient. La plupart, sans excepter ceux qui ont embrassé le christianisme, sont d’une paresse qui les rend fort ennemis du travail.

À mesure que l’église anglicane a pris le dessus sur les autres religions, elle s’est livrée à toute sorte d’emportemens contre les non-conformistes, et les effets en ont quelquefois été sanglans. Les quakers, surtout, les puritains et les antimoniens, ont été persécutés avec fureur. Ce zèle anglican s’est étendu jusqu’aux sorciers. Les monumens de cette démence sont authentiques et incontestables, et il faut en rapporter quelques-uns pour féliciter les Anglais de ce qu’ils sont, en leur montrant ce qu’ils ont été.

En 1691, un ministre de Salem, nommé Paris, fut le premier qui ouvrit une scène également ridicule et tragique en déclarant que sa fille et sa nièce, âgées l’une et l’autre de dix à onze ans, étaient sous le pouvoir de la sorcellerie ; il faisait tomber ses soupçons sur Tomba, femme indienne qui était à son service. On la fouetta rigoureusement pour tirer d’elle un aveu : elle confessa qu’elle était sorcière. Un ordre du magistrat la fit resserrer dans une étroite prison, où elle demeura fort long-temps. Enfin, par honte de la tenir renfermée sans preuves, on lui laissa voir le jour, mais ce fut pour être vendue, et le prix fut employé à payer les frais de sa détention. Le gouverneur-général, qui était alors sir William Phipps, ferma les yeux sur cette étrange aventure.

Elle commençait à tomber dans l’oubli, lorsqu’au mois d’août de l’année suivante, George Burrough, ministre de Falmouth, dans le comté de Main, fut accusé d’avoir jeté un charme sur une femme de Salem, nommée Marie Wolcor, et sur plusieurs autres. Son procès fut instruit dans les formes, et six femmes déposèrent contre lui. Leurs imputations choquent le bon sens ; mais le malheureux ministre n’en fut pas moins condamné au gibet ; la sentence eut son exécution. Tous les détails du procès ont été recueillis dans la collection du docteur Matheo. Quatre des mêmes femmes formèrent la même accusation contre une Anglaise du même lieu, qui fut condamnée au même supplice. Deux hommes accusèrent une autre femme, nommée Susanne Martin. L’auteur donne une partie de son dialogue avec le juge de paix qui la fit mettre en prison.

Le juge : Êtes-vous sorcière ? L’accusée : Non. Le juge : Expliquez-moi donc d’où viennent les plaintes du peuple. L’acc. Je n’en sais rien. Le juge : Mais d’où pensez-vous qu’elles viennent ? L’acc. Je ne veux point exercer là-dessus mon jugement. Le juge : Ne croyez-vous pas que ceux qui se plaignent sont ensorcelés ? L’acc. Non, je n’en crois rien. Le juge : Dites donc ce que vous en pensez. L’acc. Non ; mes pensées sont à moi aussi long-temps qu’elles demeurent en moi-même ; mais lorsqu’elles sont dehors, elles sont aux autres. Leur maître…. Le juge : Qu’entendez-vous par leur maître ? L’acc. Si quelqu’un a commerce avec l’enfer, vous devez m’entendre. Le juge : Fort bien ; mais, quelle part avez-vous à ce qu’on en dit ? L’acc. Je n’en ai aucune. Le juge : C’est vous néanmoins qu’on accuse d’avoir apparu, et c’est pour le même crime que d’autres ont été condamnés. L’acc. Je ne puis empêcher ce qu’on dit et ce qu’on fait. Le juge : Le maître dont vous parlez est sans doute le vôtre ; autrement comment pourriez-vous avoir paru ? L’acc. Je n’en sais rien. Celui qui apparut autrefois sous la forme de Samuel peut avoir pris toute forme.

L’auteur demande si ce langage est celui d’une femme digne du supplice. Elle ne laissa point d’y être condamnée ; et, par la même procédure, vingt-huit personnes reçurent la sentence de mort. Une femme pieuse et respectable, nommée Rebecca Nurse, qui avait joui jusqu’alors d’une excellente réputation, et qui l’avait méritée par de grands exemples de vertu, se voyant accusée, et trouvant aussi peu d’attention que de faveur pour ses réponses, prit le parti de se disposer à la mort, et de la recevoir en silence, avec les plus hautes marques de patience et de religion. Le récit de son exécution ne peut être lu sans horreur. Sa sœur, condamnée pour le même crime, sans avoir été plus entendue, présenta aux juges un mémoire qu’on n’a pas fait difficulté d’insérer dans le recueil, quoiqu’il semble les couvrir de honte. Il est si court et si singulier, qu’on ne se plaindra point d’en trouver ici la traduction. « Votre humble et malheureuse suppliante, connaissant sa propre innocence, et voyant les basses subtilités de ses accusateurs, ne peut juger que favorablement de ceux qui se trouvent dans le cas dont elle gémit pour elle-même. Je me suis vue renfermée l’espace d’un mois sur la même accusation qui m’attire aujourd’hui votre sentence, et j’ai été déchargée par diverses personnes qui m’avaient accusée. Deux jours après, de nouvelles dispositions vous ont encore portés à me faire arrêter, et je me vois aujourd’hui condamnée à mourir. Le ciel connaissait alors mon innoccece, et ne la connaît pas moins aujourd’hui. Elle sera connue de même au grand jour à la face dès hommes et des anges. Je ne vous demande point la vie, car je vois que ma mort est résolue, et que le temps en est arrivé ; mais je souhaite, et Dieu connaît mes intentions, qu’on mette fin à l’effusion du sang innocent, qui ne peut manquer d’être continuée si les choses ne prennent point un autre cours. Quoique je sois persuadée que vous employez tous vos efforts à découvrir la vérité, et que pour le monde entier vous ne voudriez point tremper vos mains dans le sang innocent, cependant le témoignage de ma propre conscience m'assure que vous êtes dans la plus malheureuse de toutes les erreurs. Puisse la miséricorde infinie du ciel vous conduire et vous dessiller les yeux ! Permettez que je vous supplie très-humblement d’examiner de plus près quelques-uns des malheureux accusés que la faiblesse de leur esprit ou d’autres raisons ont fait consentir à se reconnaître coupables. Vous verrez qu’ils vous trompent ou qu’ils se trompent eux-mêmes : je suis sûre du moins qu’on le verra dans l’autre monde, où vous êtes prêts à me faire passer ; et je ne doute pas non plus qu’il n’arrive tôt ou tard un grand changement dans vos idées. On m’accuse, moi et d’autres, d’avoir fait une ligue avec l’esprit de perdition : nous ne pouvons avouer un crime dont nous sommes innocens. Je sais qu’on m’accuse injustement, et j’en conclus qu’on ne fait pas moins d’injustice aux autres. Dieu, je le répète, Dieu, qui pénètre au fond des cœurs et devant le tribunal de qui je vais paraître, m’est témoin que je ne connais et que je n’entends rien à tout ce qui regarde les sortiléges. Comment pourrais-je mentir à lui-même, et livrer volontairement mon âme à la vengeance éternelle ? Je vous conjure de ne pas rejeter cette humble supplique de la part d’une malheureuse innocente qui touche au dernier moment de sa vie. »

Une pièce si forte et si touchante ne fit aucune impression sur les juges. Cette femme, qui se nommait Marie Égli, dit adieu d’un air ferme à son mari, à tous ses enfans, à tous ses amis, et se laissa conduire au supplice avec une candeur d’âme qui ne causa pas moins d’attendrissement que d’admiration aux assistans. Quoique la crainte eût porté plusieurs des accusés à se confesser coupables, Néal observe qu’il n’y en eut pas un qui ne se rétractât en mourant, et qui ne demandât au ciel que son sang retombât sur ses accusateurs et ses juges. Quelques femmes ayant obtenu un répit, les unes parce qu’elles étaient enceintes, d’autres parce qu’elles étaient trop jeunes (il s’en trouvait une de dix à onze ans), leur bonheur voulut que dans cet intervalle le gouvernement ouvrit les yeux. Ce changement leur sauva la vie, et ne fut pas moins heureux pour environ cent cinquante personnes qui étaient alors en prison pour la même cause. Mais ce qui paraîtrait incroyable, sur des témoignages moins certains, c’est que les juges de paix, qui refusèrent enfin leur ministère aux accusateurs, se virent accusés à leur tour, et forcés de quitter la colonie pour se dérober aux fureurs du peuple. On parla diversement du gouverneur ; c’est-à-dire, qu’étant d’un caractère faible, quoique ami de la justice, il fut tantôt favorable, et tantôt contraire à la persécution : mais il paraît que la source du mal vint particulièrement des puritains, et qu’on eut obligation du remède à l’assemblée-générale.

On ne sort de la Nouvelle-Angleterre que pour entrer dans la colonie connue aujourd’hui sous le nom de New-York, après avoir porté long-temps celui de Nouvelle-Belge sous les Hollandais, ses premiers maîtres. Rien n’avait pu causer tant de chagrin aux Anglais que d’avoir vu passer entre des mains étrangères la possession d’un pays qui avait été découvert par un navigateur de leur nation. Le fameux Henri Hudson, qu’on verra paraître avec plus d’éclat dans l’article des Voyages au nord, ayant fait d’inutiles efforts, sous les auspices de la compagnie hollandaise des Indes orientales, pour trouver dans les parties septentrionales de l’Amérique un passage aux mers de l’est ou de l’ouest, retourna au sud le long du continent, passa devant le Canada, et vint aborder par le 42e. degré 43 minutes, sur une côte qu’il prit d’abord pour celle d’une île. Il lui donna le nom de Nouvelle-Hollande, à l’honneur de ceux qui avaient employé ses services. Après avoir reconnu les propriétés du pays et les dispositions des habitans, il remit à la voile pour la Hollande, d’où il était parti ; et, dans un temps où l’ambition n’échauffait pas moins les Hollandais que le commerce, son récit excita plusieurs vaisseaux d’Amsterdam à prendre aussitôt la même route. Les Anglais confessent qu’Hudson vendit aux États-Généraux le droit qu’il tirait de sa découverte, et prétendent qu’ils y formèrent opposition, parce que ce marché s’était conclu sans la participation du roi Jacques. Mais on ne voit point quel droit ce prince pouvait s’attribuer aux frais d’une entreprise à laquelle il n’avait pas eu la moindre part ; et s’il avait à faire quelque plainte, ce ne pouvait être que de l’infidélité d’un sujet qui semblait avoir oublié sa patrie. Au surplus les Anglais se trompaient en attribuant à Hudson la première découverte de cette côte. Verazani et Cabot y avaient abordé avant lui, et les Suédois y avaient formé des établissement long-temps avant tous les autres peuples de l’Europe ; mais ils les avaient abandonnés. Quoi qu’il en soit, des marchands d’Amsterdam obtinrent dès l’année 1610 une commission des États-Généraux pour aller jeter les fondemens de leur commerce à la Nouvelle-Hollande. Dans le cours de l’année 1615, ils y bâtirent un fort par l’ordre des mêmes États, qui firent prendre alors au pays le nom de Nouvelle-Belge. Ensuite diverses colonies, transportées successivement, y fondèrent quelques villes, dont la principale fut nommée Nieuwe-Amsterdam.

Malgré la jalousie des Anglais, cet établissement se soutint sans troubles jusqu’à la première guerre que la Hollande eut avec eux, sous le règne de Charles ii, qui fit, partir Robert Carr avec des forces auxquelles il y avait peu d’apparence que les Hollandais se trouvassent capables de résister.

Carr se rendit à l’embouchure du Hudson-river vers la fin de 1664, dans un temps où la colonie hollandaise ne pouvait encore être informée de la rupture de l’Angleterre avec les États-Généraux. Il débarqua trois mille hommes dans l’île Monohattan. On n’avait jamais envoyé tout à la fois dans l’Amérique un si grand nombre d’Anglais armés. Ils marchèrent droit à Nieuwe-Amsterdam. Carr avait ordre d’annoncer la paix et la protection de la couronne d’Angleterre à ceux qui la recevraient avec soumission. Tous les habitans acceptèrent cette loi. On trouva les maisons de la ville fort bien bâties de pierres et de briques, et couvertes d’un mélange de tuiles rouges et noires, qui, sur un terrain assez haut, formaient une agréable perspective du côté de la mer. Plus de la moitié des Hollandais demeurèrent, et ne firent pas difficulté de prêter serment au roi d’Angleterre. Ceux qui se refusèrent au joug des vainqueurs obtinrent la liberté de se retirer avec leurs effets ; et leur place fut bientôt remplie par les Anglais, qui donnèrent le nom de New-York à la ville et à la province, parce que le roi Charles en avait fait présent au duc d’York, son frère.

Le duc d’York ne se vit pas plus tôt maître du pays, qu’il en céda une partie considérable à des propriétaires subalternes, qui la divisèrent en Jersey oriental et occidental, apparemment pour faire honneur au chevalier Georges Carteret, un de leurs collègues, originaire de l’île de Jersey. Le Jersey fait aujourd’hui les limites du New-York à l’ouest et au sud, et en est séparé par le Hudson-river ; une ligne tirée du nord au sud séparé de la Nouvelle-Angleterre le New-York, qui est situé dans un climat plus tempéré que celui de cette colonie.

Toutes les colonies anglaises de l’Amérique ont affecté de diviser leur pays en comtés, peuplés ou non ; et les voyageurs de leur propre nation trouvent eux-mêmes cette vanité ridicule.

New-York, capitale du pays, est aujourd’hui beaucoup plus grande qu’elle ne l’était sous le nom de Nieuwe-Amsterdam, et forme une perspective plus agréable. Les édifices y sont fort beaux ; ici, comme dans la Nouvelle-Angleterre, l’entrée est ouverte à toutes les sectes chrétiennes. Les habitans d’origine hollandaise font une partie considérable de la ville ; mais la langue anglaise leur étant devenue naturelle, ils ne fréquentent guère d’autre église que celle de la même nation, surtout ceux qui prétendent aux emplois municipaux. Il ne reste presque aucune partie des anciens murs.

L’île de Monohattan, ou cette capitale est située, a quatre milles de long. Elle est fertile, agréable, et le Hudson-river, qui l’arrose, en fait un délicieux séjour. Enfin, pour la vue pour le plaisir et l’utilité, la ville et ses environs ne le cèdent à aucune ville d’Angleterre.

Au sud-est de New-York est situé Long-Island ou l’Île-Longue, nommée autrefois l’Île de Nassau, qui s’étend presque jusqu’à l’embouchure du Hudson-river. On vante la bonté de son terroir. Sa longueur est de cent cinquante milles, sur douze de large. Cent familles anglaises, venues du comté d’Essex dans la Nouvelle-Angleterre, en habitaient une partie avant la conquête du New-York ; mais, les Hollandais de Nieuwe-Amsterdam ne cessant point de les chagriner, elles s’étaient retirées à la pointe orientale de l’île, où elles avaient bâti une ville nommée Southampton, qui s’était érigée d’elle-même en gouvernement particulier sous la protection de la colonie de Massachuset. Elle se soutient encore sous le même nom, et ses habitans sont devenus assez nombreux pour avoir formé dans le voisinage la bourgade de Bridge-Hampton.

Les productions du New-York diffèrent peu de celles de la Nouvelle-Angleterre. On n’y compte pas plus de mille Indiens : et le nombre des Anglais, vers la fin du dix-septième siècle, montait à huit ou dix mille, dont le principal commerce était en pelleterie, en poisson sec, et surtout en merrain, qu’ils fournissaient à l’île de Madère et aux Açores. Ils portent aussi aux Antilles diverses sortes de viandes fumées, du lard, de la farine, des ognons, des pois et des pommes.

Quoique Charles ii eût compris le New-Jersey dans la donation qu’il avait faite au duc d’York, les Anglais ne commencèrent à s’y établir que plusieurs années après avoir étendu leurs plantations dans les autres parties du New-York. Ils distinguèrent par la suite le New-Jersey de l’est du New-Jersey de l’ouest ; et cette division forma pendant plusieurs années deux provinces distinctes.

Les deux Jersey ont pour bornes l’Océan au sud-est, la Delaware à l’ouest, le Hudson-river à l’est, et l’intérieur du continent au nord. La position de ce pays est entre le 39° et le 40° de latitude septentrionale. En longueur, il s’étend d’environ cent vingt milles sur les côtes maritimes et le long du Hudson-river ; et les Anglais ne lui donnent guère moins d’étendue dans sa plus grande largeur.

C’est à Burlington que se tenaient les assemblées de la province, lorsqu’elle était sous un gouvernement régulier ; mais divers troubles ayant aigri les habitans, ils ont jugé que le seul moyen de parvenir à la paix était de rendre à la cour toutes les Chartres de leurs priviléges, pour vivre dans une sorte d’anarchie qui approche de l’indépendance. Les maisons de Burlington, toutes de briques, ne sont point inférieures à celles de l’Europe, et ses marchés sont fournis d’excellentes provisions. L’Ésopus se jette dans le Hudson-river, proche de Kingstown. Il serait aisé de faire communiquer aussi le New-Jersey occidental avec le Maryland, par une rivière qui ne coule pas à plus de huit milles du fond de la baie de Chesapeak ; mais, par des raisons qu’on n’explique point, la Virginie et le Maryland se sont toujours opposés à la proposition d’ouvrir un canal.

Les deux Jersey offrant de toutes parts un terrain fertile, il est surprenant qu’elles aient été si long-temps à se policer. On n’y comptait, dit-on, que 16,000 âmes au commencement du dix-huitième siècle ; et quelque soin qu’on ait apporté à gagner l’affection des Indiens, il n’en restait alors qu’environ 200 dans une si grande étendue de pays. Cependant on assure que les premiers Anglais poussèrent le scrupule jusqu’à n’avoir voulu commencer leurs plantations qu’après avoir acheté des habitans naturels les terres à fort haut prix.

La Pennsylvanie est regardée par les Anglais comme un de leurs principaux établissemens en Amérique, et il n’y en a point en effet dont les progrès aient été si prompts. Quoique la découverte de ce pays fût aussi ancienne que celle de la Virginie, il était demeuré presque désert jusqu’en l’année 1680, où le goût de la liberté porta de nouveaux sectaires à s’y établir. On ne remontera point ici à la naissance du quakérisme ; cette étrange secte avait déjà fait connaître ses bizarres principes lorsqu’elle chercha un asile en Amérique ; mais il faut dire un mot du chef de cette fameuse transmigration.

Il était fils du chevalier Guillaume Penn, qui avait commandé une escadre sous le gouvernement de Cromwell, et qui, malgré son éloignement pour l’église anglicane, avait fait sa paix avec la maison royale lorsqu’il l’avait vue remonter sur le trône. Ainsi le jeune Penn avait comme sucé en naissant l’esprit d’indépendance ; et, loin d’être ébranlé par l’exemple de son père, il ne trouva dans les ordonnances de Charles ii que de nouveaux motifs pour se révolter contre la forme établie. Ce prince ayant voulu, dès le commencement de son règne, que le service ecclésiastique se fît en surplis, suivant l’usage des anciens temps, Penn, qui étudiait à l’université d’Oxford, prit cette occasion pour lever le masque. Secondé de lord Spencer son compagnon d’études, qui devint ensuite un politique célèbre sous le nom de comte de Sunderland, il insulta les premiers ecclésiastiques qui parurent en surplis. Au bruit de cette aventure, il fut rappelé à Londres par sa famille, et forcé de passer en France, pour voyager pendant quelques années ; mais il reçut à Turin une lettre de son père, qui, étant nommé vice-amiral, ne voulut point se mettre en mer sans laisser à son fils le gouvernement de sa maison. Le chevalier Penn ne jouit pas long-temps de sa dignité ; il mourut au retour de son expédition, après avoir obtenu pour récompense de ses services la promesse d’une donation considérable dans le continent de l’Amérique. On ne doute point qu’un de ses parens, établi à la Nouvelle-Angleterre, ne lui eût inspiré ce dessein par de flatteuses peintures du pays ; mais le jeune Penn, plus occupé de ses idées de religion, fut long-temps sans solliciter la faveur promise à son père, jusqu’à ce que, voyant sa secte persécutée en Angleterre par toutes les cours spirituelles, il résolut de s’offrir pour chef à ceux qui voudraient le suivre, et d’aller prendre possession avec eux des terres qui lui furent accordées. Ses lettres-patentes sont du 4 mars 1680 : elles lui donnaient, sous le nom de Pennsylvanie, qui est formé du sien, tout l’espace situé entre le 42e. degré de latitude nord, et la mer, avec les îles qui appartiennent à cette étendue ; de sorte que le pays dont il devenait propriétaire était bordé à l’est par la baie et la rivière de Delaware ; au nord, par le New-Jersey occidental, ou plutôt le New-York, car il s’étend bien au-dessus des deux Jersey ; à l’ouest, par les nations américaines, vers les sources des rivières de Susquahanahg et de Delaware ; au sud, par Maryland, depuis le Pennsberry, proche des Sauts, jusqu’à Henlope, vers l’embouchure de la baie, ce qui fait plus de cent cinquante milles en ligne droite, mais d’une largeur resserrée par le Maryland.

Telles sont les bornes qui se trouvent assignées dans les lettres de concession ; mais Penn ayant ensuite obtenu du duc d’York une partie déserte de l’ancienne Belge, la fit joindre au premier acte, et divisa tout, sous le même nom de Pennsylvanie, en six comtés, dont les trois premiers, qui forment la partie haute, furent nommés Buckingham, Philadelphie et Chester ; et les trois autres, ou la partie basse, Newcastle, Kent et Sussex. La partie haute se termine à Mercus-hook, quatre milles au-dessous de la ville de Chester ; et la basse s’étend, environ cent vingt milles le long de la côte, sur quarante milles de profondeur vers le Maryland. Ainsi, toute la province de Pennsylvanie, depuis les Sauts de Pennsberry jusqu’au cap Guillaume, vingt milles au-dessous de Henlope, n’a pas moins de trois cent trente milles de long sur deux cents de large.

On convient qu’il n’y a pas un vingtième de ce grand pays qui soit habité ; mais il est plus généralement défriché qu’aucune autre des colonies anglaises de l’Amérique. Dans la distribution des terres, Penn se réserva quatre belles possessions dans chaque comté. La partie basse de Pennsylvanie est la plus susceptible de culture et la plus propre au commerce. La haute est si mal peuplée, que la plupart de ses villages n’ont point encore paru dignes de recevoir des noms.

La principale ville du comté de Buckingham est Bristol. Elle est située à vingt milles de Philadelphie. On lui donne pour fondateur Samuel Carpenter, riche partisan du quakérisme. Cette ville n’a rien de plus remarquable que différentes sortes de moulins. Pennsberry est une bourgade située dans une petite anse, et l’une des possessions que Penn se réserva. Il y bâtit une fort belle maison, accompagnée de jardins et de vergers, où les fruits sont excellens, avantage qu’ils paraissent devoir à la rivière de Delaware, qui en fait trois fois le tour. On compte d’ailleurs dans ce comté dix ou douze autres petites bourgades, qui envoient six députés à l’assemblée-générale. Le comté de Philadelphie, dont la capitale, du même nom, est aussi celle de toute la province, offre de toutes parts un terrain fort agréable. Sa plus ancienne bourgade est Francfort, qui est assez bien bâtie, et de la grandeur de Bristol. Ce canton fut d’abord habité par des Suédois, ensuite par des Hollandais ; mais les uns et les autres s’étaient renfermés dans les anses des rivières, comme s’ils n’eussent point connu les agrémens qu’ils auraient pu trouver plus au sud du Hudson-river. Les Hollandais avaient une plantation vers la baie, dans le lieu qui est occupé à présent par la bourgade d’Oxford. Ensuite on trouve Philadelphie, plus digne du nom de capitale par le plan de sa fondation que par le nombre actuel de ses maisons et de ses habitans. Dans les vues de Penn, elle aurait mérité d’être celle d’un grand empire. Quoiqu’elles n’aient point été remplies, on ne laisse pas de la représenter comme une grande ville, fort avantageusement située entre deux rivières navigables, la Delaware et le Skuylkill ; mais elle était tracée pour former un carré long d’environ deux milles, d’une rivière à l’autre. Elle devait avoir huit rues de cette longueur, coupées à angles droits par seize autres rues d’un mille, toutes d’une belle largeur, et bordées de magnifiques maisons. On avait laissé des espaces convenables pour les marchés et d’autres places publiques, pour les églises, les écoles, les hôpitaux, les quais et les magasins. Il paraît même que ce plan n’a pas été tout-à-fait négligé dans les édifices qu’on y a faits, et qui se multiplient de jour eu jour. On assure du moins que deux des faces de la ville sont achevées, l’une à l’est, vers la rivière de Skuylkill, et l’autre à l’ouest, vers la Delaware, qui est large ici de deux milles. La rue qui borde le Skuylkill a déjà trois quarts de mille de long ; les maisons y sont belles, les magasins en grand nombre, et les quais commodes. On juge aisément que le reste de l’espace est employé en beaux jardins. Mais le principal avantage de Philadelphie est la rivière de Delaware, où les vaisseaux peuvent mouiller sur un bon fond, avec six ou sept brasses d’eau.

Ses premiers habitans furent des quakers. On fut même assez long-temps sans y voir une église anglicane ; mais, sous le roi Guillaume, il s’en forma une à laquelle on donna le nom de Christ-Church, et qui compose une paroisse de plus de douze cents personnes. Ce ne fut pas sans peine que les quakers consentirent à cet établissement et se familiarisèrent avec des voisins qui n’avaient pas pu les souffrir en Europe. Cependant, comme ils tiennent le premier rang, non-seulement par le nombre, mais en qualité de fondateurs de la colonie, ils ont reçu, avec les anglicans, différens sectaires qui ont aussi leurs églises, tels que des presbytériens, des luthériens suédois et des anabaptistes. Ce mélange d’Anglais et d’étrangers, joint aux facilités de la navigation et du commerce, a rendu Philadelphie une des plus opulentes villes de l’Amérique.

À peu de distance on rencontre, sur les bords du Skuylkill, un très-beau bois qui fait les délices des habitans. Wioco est une bourgade à demi-mille de Philadelphie, où plusieurs familles suédoises se sont établies. La même nation possède une autre bourgade nommée Tenucum. Abingdon et Dublin sont deux jolies petites villes peuplées de quakers anglais. German-Town en est une autre, qui n’est composée que de quakers allemands et hollandais. On observe comme une singularité que toutes ses rues sont plantées de pêchers.

On ne compte pas moins de quatre-vingt mille Anglais dans les six comtés de Pennsylvanie, quinze mille Européens, Français, Hollandais, Suédois et Palatins. C’est trois milles au-dessous de l’anse de Lewes que commence la ligne de démarcation qui sépare la Pennsylvanie du Maryland. Penn fait observer, dans une relation de l’état de sa colonie, que cette partie de l’Amérique est, par sa latitude, à la même distance du soleil que Naples en Italie, et Montpellier en France, c’est-à-dire que les deux cantons qui passent pour les plus sains et les plus agréables de l’univers. Mais d’autres ont remarqué que les climats du continent de l’Amérique diffèrent beaucoup de ceux de la même latitude en Europe. La baie de Hudson et la Tamise, qui sont dans la même position à l’égard du soleil, n’en éprouvent pas les mêmes influences ; et les naturalistes en donnent aisément la raison. Il est certain qu’en Pennsylvanie l’air est doux et pur ; mais les pluies y commencent vers le 20 octobre, et durent jusqu’au commencement de décembre. Le froid y est souvent si vif, que la Delaware se glace malgré sa largeur. Le printemps dure depuis mars jusqu’à juin ; mais le temps n’est point uniforme dans cette saison. Pendant les mois d’été, qui sont juillet, août et septembre, les chaleurs seraient insupportables, si elles n’étaient tempérées par des vents frais. Le vent sud-ouest règne en été. Celui d’hiver est généralement nord-ouest, qui, soufflant des montagnes glacées, des neiges, et des lacs du Canada, apporte ici tout le froid qu’on éprouve dans cette saison.

Penn, après avoir obtenu ses lettres patentes, ne s’était pas contenté d’un titre de cette nature ; il y avait joint le consentement des Indiens, qu’ils ne lui firent pas payer fort cher. Ensuite il donna pour premier gouverneur à son établissement Guillaume Markam, un de ses neveux, auquel les quakers des différentes nations ne firent pas difficulté de se soumettre. Le chevalier Jones, célèbre jurisconsulte, dressa les constitutions du gouvernement. Par le premier article, le pouvoir législatif devait résider dans le gouverneur et l’assemblée du peuple, faveur fort juste pour une société de gens à qui l’amour de la paix, de la liberté et de la religion, avait fait abandonner leur patrie. D’autres articles établissaient, non-seulement qu’on ne ferait point de loi, et qu’on ne lèverait point d’argent sans le consentement du peuple, mais encore que tous les priviléges et tous les droits des Anglais d’Europe auraient leur pleine valeur en Pennsylvanie, et qu’en conservant beaucoup de respect pour la cour et le gouvernement d’Angleterre, on n’attendrait point des ordres du dehors pour tout ce qui concernait le bien, la sûreté et la tranquillité du pays. Ces règlemens et quantité d’autres furent confirmés par deux assemblées générales que Penn tint pendant son séjour dans la colonie. Il créa des cours de justice dans chaque comté ; et, pour diminuer le nombre des difficultés et des procès, il établit, sous le titre de peace-makers, c’est-à-dire de pacificateurs, des officiers particuliers qui devaient être choisis par le peuple dans chaque canton, et prendre connaissance de tous les démêlés avant de les faire parvenir aux tribunaux réguliers.

Il passa deux ans entiers dans le pays pour donner une forme constante à ces établissemens ; mais étant retourné en Angleterre, et la liberté naturelle de son caractère ne lui ayant pas toujours permis de ménager ses expressions, il y devint suspect après la disgrâce de Jacques ii, sans qu’on eût d’autre reproche à lui faire que son ancienne faveur auprès de ce prince lorsqu’il n’était encore que duc d’York. Le gouvernement de la Pennsylvanie lui fut ôté ; et la cour profita de cette occasion pour changer la forme qu’il y avait établie. Quelques années après, d’autres conjonctures servirent à le mettre mieux dans l’esprit du roi Guillaume ; mais il n’en tira aucun avantage pour rétablir la constitution de sa colonie. Le gouvernement de cette province est aujourd’hui le même que celui des autres possessions de l’Angleterre dans le continent de l’Amérique. Penn mourut en 1718, et laissa un fils fort jeune, qui n’alla prendre possession qu’en 1730 de l’immense héritage de son père.

L’éloignement que les quakers ont dans leurs principes pour toute sorte de divisions, surtout pour celles qui peuvent conduire à la guerre, a fait long-temps régner dans la colonie une paix constante, et ce pays était assez heureux pour que l’on n’y connût pas, suivant l’expression d’un écrivain, « le moindre événement qui pût servir de matière à l’histoire. » L’auteur qui s’exprimait ainsi vers 1760 était sans doute bien éloigné de prévoir que cette contrée dût bientôt donner au monde le plus étonnant spectacle, et fixer une des époques les plus remarquables de l’histoire, sous les auspices d’un homme[1] qui sera à jamais célèbre pour avoir fait la plus grande découverte physique de ce siècle et la plus grande révolution politique. Cette révolution, commencée par des marchands et des cultivateurs, a été soutenue par un autre homme[2] que l’on peut appeler le Fabius de l’Amérique, et qui a compris que, dans la cause qu’il défendait, il suffisait, pour vaincre, de n’être pas vaincu. Les lois constitutives des États-Unis de l’Amérique septentrionale, dont on a publié le recueil, forment un code aussi remarquable dans les annales de la philosophie que l’événement qui l’a occasioné l’est dans les annales de la politique. Elles constituent la démocratie la plus pure qui ait encore existé, et sont un des plus beaux monumens de la sagesse humaine. C’est souvent dans les révolutions violentes que se font les lois les plus sages ; l’homme qui brise le joug qu’il croit trop pesant est assez heureux de cet effort ; et loin de l’appesantir sur les autres, il désire qu’ils soient aussi heureux que lui. D’ailleurs l’exemple est tout près, et avertit d’être juste. On a senti les abus, et on les repousse. Enfin les législateurs de la Pennsylvanie doivent être au-dessus de Lycurgue et de Solon, comme notre siècle est au-dessus de celui de Solon et de Lycurgue.


  1. Franklin.
  2. Washington.