Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXVII/Cinquième partie/Livre II/Suite du Chapitre VII/Des vents

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Des vents.

» Les changemens les plus remarquables dans notre atmosphère sont produits par les vents, dont l’histoire est encore très-imparfaite ; elle le sera encore long-temps, parce qu’on n’a pas rassemblé un assez grand nombre d’observations exactes, et parce que les hommes, étant portés à recueillir le plus tôt qu’ils peuvent le fruit de leurs travaux, ne se soucient point de préparer des matériaux dont la postérité seule doit faire usage. Dès qu’on a quelques faits, on commence à construire un système sur des conjectures, des soupçons, des expériences inexactes et douteuses.

» Pour éviter ce reproche, nous nous bornerons à l’énumératîon des faits, et nous laisserons aux autres les conséquences qu’il faut en tirer, ou du moins nous offrirons nos conjectures pour ce qu’elles sont.

» En dedans et près des tropiques, nous avons trouvé les vents réguliers, ainsi que les autres navigateurs l’avaient observé avant nous. Nous partîmes d’Angleterre au mois de juillet 1772, et au cap Finistère nous atteignîmes un vent de nord-est, qui nous porta à peu de degrés de la ligne, où vers la fin d’août nous eûmes de la pluie et un vent du sud-sud-ouest ou sud-ouest qui nous obligea de faire route au sud-est ou sud-est un quart est. Le 8 septembre, étant encore aux environs de l’équateur, le vent passa au sud ; mais en deux jours il tourna au sud-sud-est, de sorte que nous pûmes cingler au sud-ouest. En approchant du tropique du capricorne, le vent tourna plus à l’est ; il s’établit à l’est un quart nord-est, et même au nord-est, et nous portâmes sud-est vers la fin de septembre, après avoir passé le tropique. Le 11 octobre nous pûmes faire route à l’est un quart sud-est ou à peu près dans cette direction, et le 16 vers l’est, le vent étant nord et nord un quart nord-ouest. Le 25 octobre le vent retourna un peu à l’est, mais le vent d’ouest qui soufflait dans les intervalles, quoique de peu de durée, nous permit d’avancer vers le cap de Bonne-Espérance, où nous mouillâmes dans la baie de la Table, après une nuit agitée. Ce résultat général de notre traversée montre d’un coup d’œil l’étendue et les changemens des vents alisés. Partout où ce vent tombait pour faire place à un autre, nous avions de petits vents et des calmes qui à la vérité duraient peu.

» En 1773, dans notre traversée de la Nouvelle-Zélande à Taïti, nous eûmes, le 20 juillet, par 36° de latitude australe, un vent du sud-est, que nous prîmes pour le vent alisé ; mais nous fûmes bientôt détrompés par les nombreux changemens de vents qui survinrent ensuite, et nous ne rencontrâmes le véritable vent alisé du sud-est que le 7 août, par environ 19° de latitude sud. Si ce vent soufflait quelquefois avec force, d’autres fois il était plus faible, surtout quand nous approchâmes des îles : il nous fit arriver à Taïti, le 16 août.

» Après avoir quitté les îles de la Société, nous fîmes route pour les îles des Amis, à l’aide de ce même vent alisé du sud-est : cependant, à l’approche d’un fort grain, accompagné d’éclairs, il sautait à différens points ; mais dès qu’ils étaient passés, il retournait à son coin véritable. Peut-être que le voisinage de quelque terre changeait la direction du vent ; car, quoique nous n’ayons aperçu qu’une île basse dans toute la traversée, il est possible que nous en ayons dépassé plusieurs que la nuit ou leur position basse nous ont empêchés de voir : en effet, l’année suivante, en faisant route un peu plus au nord de cette direction, nous rencontrâmes plusieurs îles, et ce même vent de sud-est nous conduisit à Éouah et à Tongatabou.

» Le même vent alisé changea fort peu après notre départ de Tongatabou ; il nous porta hors des tropiques, et même jusqu’à environ 32° de latitude sud.

» En 1774, quand nous retournâmes du sud aux îles du tropique, nous atteignîmes le vent alisé du sud-est, par environ 29° de latitude sud, le 6 mars : il fut constant jusqu’à notre arrivée à l’île de Pâques, et même après notre départ de cette île. Le 21 mars, à trois heures après midi, par environ 22° 45′ sud, le vent nous prit tout à coup de l’avant, et bientôt après nous eûmes un fort grain ; mais dès qu’il fut passé, le vent alisé revint, souffla bon frais, et continua ainsi, excepté en quelques autres occasions, où nous eûmes encore des grains : aux environs des Marquésas, nous eûmes de la pluie et des bouffées de vent.

» Après notre départ des Marquésas, nous fîmes route au sud-sud-ouest, ensuite au sud-ouest, et enfin à l’ouest et demi-sud ; le même vent alisé du sud-est nous poussait en avant. Les cinq îles basses que nous rencontrâmes nous firent changer de temps en temps notre route, jusqu’à notre arrivée pour la seconde fois à Taïti.

» Dans notre seconde traversée des îles de la Société à celles des Amis, nous eûmes le même vent alisé du sud-est, et par intervalles un vent contraire de l’ouest, quand nous approchions de terre, ou pendant qu’un fort grain survenait ; quelquefois nous éprouvions du calme. Après être restés peu de jours à Anamocka, et avoir passé entre O-ghao et Tofoua, nous atteignîmes un vent du sud-est qui nous empêcha d’aller à Tongatabou, comme nous l’avions d’abord projeté : ce vent varia peu, et dura jusqu’à ce que nous rencontrâmes les Nouvelles-Hébrides, où nous eûmes beaucoup de rafales et de pluies, et de temps en temps des calmes : nous eûmes encore des vents d’est en allant à la Nouvelle-Calédonie, et près de cette terre, quelquefois des calmes, et fréquemment des rafales avec de forts grains de pluie. Après notre départ de la Nouvelle-Calédonie, le vent souffla du sud ; mais il tourna par degrés à l’ouest-sud-ouest et à l’ouest un quart sud-ouest, au sud et à l’ouest, où il resta. Ce vent nous porta pour la troisième fois au canal de la Reine Charlotte.

» En 1775, à notre départ du cap de Bonne-Espérance, nous eûmes un vent frais de sud-est, qui devenait quelquefois un peu plus est, et enfin un calme depuis le 10 mai jusqu’à la nuit du 13. Quand le véritable vent alisé du sud-est commença, il nous porta aux îles Sainte-Hélène, de l’Ascension, et de Fernando de Noronha, et jusqu’à de latitude nord, parage où un calme nous arrêta. Depuis notre départ de Sainte-Hélène, nous eûmes de temps à autre des rafales et des grains qui devinrent plus continus aux approches de la ligne. Le calme dura du 15 au 19 juin : il fut accompagné de grosses pluies, et il commença avec du tonnerre et des éclairs ; ensuite nous eûmes de nouveau un vent du nord, qui pendant la nuit tourna au nord-nord-est et au nord-est ; mais à mesure que nous avançâmes au nord, le vent devint plus fixe.

» Après avoir passé une seconde fois le tropique du cancer, le vent devint plus est ; il souffla de l’est-nord-est, et même de l’est un quart nord-est et demi-est jusque par les 27 ou 28° de latitude nord que nous eûmes de nouveau des vents variables.

» On peut tirer de ces détails les conséquences suivantes : 1o. les vents alisés soufflent quelquefois au delà des tropiques jusque dans les zones tempérées, surtout quand le soleil est dans le même hémisphère, et l’étendue des vents alisés en dedans des tropiques paraît proportionnée à la distance du soleil dans l’hémisphère opposé. 2o. Les vents alisés, dans le grand Océan, sont quelquefois interrompus par des calmes ; et des vents d’ouest contraires, les pluies et les coups de tonnerre sont assez communs dans ces changemens de temps. 3o. On voit aussi les vents alisés interrompus à l’approche de la terre, surtout si elle est d’une hauteur considérable. 4o. Dans les intervalles où un vent disparaît pour faire place à un autre, il survient communément des calmes, et il n’est pas rare qu’il pleuve.

» On a dit jusqu’ici que les vents réguliers qui viennent de l’est règnent sur l’espace qui est en dedans des tropiques dans les grandes mers, et on croit que cet effet provient de ce que le soleil, étant vertical ou presque vertical en dedans des tropiques à midi, raréfie l’air, parce qu’alors son influence est très-puissante ; le soleil s’avançant à chaque instant vers le méridien d’un autre endroit du globe, la partie raréfiée de l’atmosphère se meut naturellement de l’est à l’ouest : dès que la cause de la raréfaction cesse par l’éloignement du soleil, les colonnes d’air qui se trouvent aux environs de l’endroit raréfié se précipitent pour former l’équilibre ; ce courant produit le vent alisé, et maintient sa durée en dedans et près des tropiques. Cette règle cependant n’est pas si générale qu’elle ne puisse être modifiée par un agent qui aurait beaucoup de force, tel que le voisinage d’une côte ou un nuage rempli de vapeurs et de matières électriques.

» Quoique les îles du grand Océan ne soient pas d’une étendue considérable, en général cependant elles jouissent de l’avantage des brises de mer et de terre ; de sorte que le vent alisé régnant agit seulement pendant le jour sur le côté de l’île qui est au vent ; il prend ensuite la direction des côtes, et il y souffle perpendiculairement ou presque perpendiculairement sur toutes leurs parties : sous le vent de l’île il devient contraire au vent alisé, mais il ne s’étend en mer qu’à un petit nombre de milles, plus ou moins, suivant la grosseur de la terre et d’autres causes accidentelles : la nuit, le même vent revient en quelque sorte, et souffle de la terre au large, en se tenant dans les limites ordinaires de ces brises alternatives.

» Comme les vents d’est régnent avec une constance particulière en dedans des tropiques, on a observé qu’en dehors des tropiques les vents d’ouest sont les plus généraux : mais leur constance pour la force et la direction ne doit jamais être comparée à celle des vents alisés de l’est. En arrivant dans un parage éloigné dans le sud, et en dedans ou près du cercle antarctique, nous reconnûmes de nouveau que les vents d’est sont les plus constans et durent le plus.

» D’après ces observations, il est probable que ces vents d’est alisés ne sont qu’une espèce de vent de revolin, formés par les vents d’ouest, qui sont plus généraux dans la zone tempérée. Voici l’explication qu’on pourrait en donner : en dedans des tropiques, la grande raréfaction de l’atmosphère, causée par la chaleur verticale du soleil, produit des vents alisés de l’est ; ce mouvement constant du fluide aérien à l’ouest crée, vers la zone tempérée, une espèce de revolin ; de sorte que les vents tournent peu à peu au sud et au nord, et enfin à l’ouest, point d’où soufflent les vents dominans des deux zones tempérées : mais ce courant de l’air est encore, dans les zones glaciales, contre-balancé par une autre espèce de vent à revolins venant de l’est. Nous avons averti que nos conséquences et nos conjectures ne sont pas aussi sûres que les faits que nous rapportons : les faits serviront de matériaux pour écrire l’histoire des vents ; et les conjectures sont des opinions particulières qui engageront peut-être d’autres écrivains à former un système plus parfait.

» Quoique nous ayons donné une idée générale des vents qui dominent le plus dans les zones tempérées et glaciales, nous ne prétendons pas dire qu’il ne souffle point d’autres vents dans ces zones ; nous allons même citer un exemple du contraire. Quand nous traversâmes le grand Océan, entre les 40 et les 46° de latitude sud, en 1773, en faisant route à l’est, nous reconnûmes pendant cette traversée que les vents contraires venant de l’est y prévalaient souvent ; et ce qu’il y a de plus remarquable, quand les vents commencèrent à changer, nous observâmes à quatre différentes reprises, entre le 5 juin et le 5 juillet, qu’ils faisaient par degrés le tour du compas, mais toujours dans l’espace opposé au soleil.

» Aux environs de la Nouvelle-Zélande, les vents sont le plus souvent ouest, et soufflent pendant l’hiver avec fureur.

» Aux mois de novembre et décembre 1774, dans les mers qui sont entre la Nouvelle-Zélande et la Terre du Feu, il régnait un vent d’ouest du 42 au 54e. degré de latitude sud. Les autres navigateurs ont observé que les environs de la Terre du Feu sont très-orageux ; mais nous y avons trouvé une mer d’une tranquillité remarquable et un temps doux ; et quoique nous ayons essuyé un petit nombre de rafales, elles n’étaient pas plus violentes que celles que nous avions éprouvées auparavant dans d’autres mers.